Intervention de Serge Urbano

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 11 juin 2015 : 1ère réunion
Deuxième table ronde : quelles politiques publiques mettre en oeuvre pour préserver la biodiversité ultramarine

Serge Urbano, vice-président de France Nature Environnement :

France Nature Environnement est une fédération regroupant 3 500 associations, comptant 850 000 à un million d'adhérents et bénéficiant d'un budget d'environ trois millions d'euros issu de sources publiques et privées.

Il y a un an, nous préparions la conférence de la Guadeloupe en concertation avec le ministère de l'écologie. Il nous avait alors été demandé comment nous envisagions la mise en oeuvre du « Message de l'île de La Réunion ». France Nature Environnement comprend un réseau d'associations ultramarines couvrant Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Mayotte, La Réunion, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie et pouvant relayer la voix des populations. Le constat fait alors par ce réseau associatif quant aux politiques à mettre en oeuvre en termes de préservation de la biodiversité et de lutte contre les dérèglements climatiques reste inchangé et je serai son relais aujourd'hui.

La préservation de la biodiversité passe notamment par les aires protégées et la réalisation des « Objectifs d'Aichi », à savoir la sauvegarde de la biodiversité de 17 % des aires terrestres et de 10 % des aires marines au niveau mondial. À la suite du Grenelle de l'environnement, la France ambitionne pour sa part de préserver la biodiversité de 20 % des aires marines, dont la moitié sont des réserves de pêche.

Cependant, la plupart des dispositifs européens ne semblent pas déclinés dans les outre-mer, particulièrement les directives Nature et la directive-cadre sur la mer, y confortant un moins-disant environnemental. C'est pourquoi, le projet de loi devrait permettre aux outre-mer de relever les différents enjeux en s'appuyant sur les dispositifs européens. Le dispositif Natura 2000, par exemple, pourrait leur apporter beaucoup.

En outre, il convient d'élaborer des stratégies de création d'aires protégées par territoire, des territoires comme Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon n'étant pas confrontés aux mêmes enjeux. La ministre de l'écologie a par exemple annoncé un objectif de protection de 35 000 hectares de mangroves lors de sa déclaration dans le cadre de la conférence de la Guadeloupe. Si l'objectif est ambitieux, nous attendons qu'il soit précisé et qu'un plan d'action par zone géographique soit élaboré.

De même, la forêt boréale à Saint-Pierre-et-Miquelon mérite la mise en place d'une stratégie régionale de biodiversité adaptée et en lien avec le continent nord-américain. Les discussions portant sur la réouverture de la chasse à l'eider ont suscité des inquiétudes sur le terrain, l'espèce posant un enjeu de conservation. Nos collègues canadiens ont pour leur part initié un vaste programme de préservation des coraux froids, dans lequel Saint-Pierre-et-Miquelon pourrait jouer un rôle.

Quant à la Nouvelle-Calédonie, elle abrite les dernières forêts sèches, confrontées à de forts risques de dégradation et d'incendie. L'enjeu de conservation y est donc prégnant.

La ministre de l'écologie a également annoncé qu'il conviendrait de réfléchir à la mise en oeuvre d'un des objectifs du Grenelle de l'environnement, à savoir la mise en place d'un troisième parc national pour les zones humides, pour une meilleure protection du marais de Kaw. Le réseau associatif soutient totalement la démarche en la matière, de même que l'engagement de la procédure de classement du lagon de Mayotte au patrimoine mondial de l'Unesco.

L'aménagement du territoire est nécessaire, notamment pour la mise en place des équilibres économiques au sein de la société, mais il inquiète le mouvement associatif. Par exemple, l'élargissement du canal de Panama dans la Caraïbe entraînera une logique d'appel d'air sur la Guadeloupe, la Martinique et Saint-Pierre-et-Miquelon. Or, le dispositif d'évaluation des enjeux environnementaux et des mesures compensatoires du projet peut encore considérablement progresser.

Les listes rouges de l'UICN constituent évidemment des signaux d'alerte. Cependant, tout signal d'alerte doit être relayé par un dispositif réglementaire offrant la même considération aux espèces protégées ultramarines qu'en métropole, à travers l'affirmation d'obligations de protection et de compensation.

Le projet pharaonique qu'est la nouvelle route littorale de La Réunion annonce de graves perturbations. Alors que le réchauffement climatique implique la mise en oeuvre d'une logique de transition énergétique, il est inquiétant qu'il ne soit pas davantage envisagé de freiner le développement automobile. Malgré les prouesses de l'ingénierie, la construction de la route ne peut que nous inquiéter, d'autant plus que son coût de 1,6 milliard d'euros, soit 133 millions d'euros le kilomètre, est immense. Les avis sont partagés à deux égards. Premièrement, la construction de la route nécessitera la création de nouvelles carrières afin d'en extraire les matériaux nécessaires. Deuxièmement, des portions de la route seront remblayées avec divers matériaux, alors qu'il avait été recommandé de privilégier la construction d'un viaduc. La biodiversité marine s'en trouvera notablement affectée.

Par conséquent, il est demandé que les aides apportées aux projets d'aménagement en outre-mer, issues de fonds publics ou de l'AFD, soient conditionnées à la réalisation d'une évaluation environnementale solide. En Nouvelle-Calédonie, un projet de centrale électrique est en cours de réalisation, financé à 50 % par des fonds publics, alors qu'elle fonctionnera au charbon. Si le projet de loi sur la biodiversité doit être l'équivalent de la loi de 1976 sur la protection de la nature, il doit être davantage ambitieux.

Enfin, les aménageurs ont tendance à n'envisager que la compensation. Or, il convient d'abord d'étudier les possibilités d'évitement du projet en recherchant les alternatives, puis d'en limiter et réduire les effets. Dans un contexte d'érosion et de reconquête de la biodiversité, les mesures compensatoires doivent viser à restaurer et à recréer. Un immense projet de parc naturel marin en Nouvelle-Calédonie soulève des inquiétudes auxquelles la loi pourrait sans doute répondre, en particulier sur la question de l'amélioration de la gouvernance au sein des parcs naturels marins. La création d'une économie bleue ou marine est aussi source de préoccupations.

En matière de recherche, l'enjeu est double : la biodiversité est encore l'objet de nombreuses inconnues et les éventuels impacts du réchauffement climatique dans les territoires ultramarins doivent être précisés. Les principes de prévention et de précaution doivent présider à la mise en oeuvre des projets, quels qu'ils soient. Par exemple, face aux projets pétroliers au large de la Guyane, la recherche doit se concentrer sur les cétacés, d'autres espèces et habitats, afin d'améliorer les connaissances et faire en sorte qu'ils intègrent pleinement les enjeux environnementaux.

En outre, la valorisation de la biodiversité passe notamment par la recherche en pharmacopée. Particulièrement en Martinique et en Guyane, un potentiel doit être identifié et valorisé. Concernant les modalités d'une collaboration efficace entre le monde de la recherche et celui de la conservation, le projet d'Agence française pour la biodiversité a un rôle à jouer, dans la mesure où des liens forts seront établis avec la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) et des conseils scientifiques. À ce titre, nous déplorons la difficulté des ministères à dialoguer sur des enjeux d'intérêt commun.

Enfin, dans les territoires ultra-marins, en particulier les régions ultrapériphériques (RUP), des schémas régionaux climat, air et énergie doivent être mis en oeuvre. Leur élaboration permettra d'identifier les éléments devant prioritairement faire l'objet de recherches.

En matière de gouvernance, le monde associatif peine à être entendu dans les outre-mer en raison de son caractère dispersé. Les fonds européens devraient être adaptés pour mieux bénéficier à la communauté associative des outre-mer, les dispositifs d'élaboration de dossiers étant très contraignants. Dans le cadre d'une collaboration très fructueuse avec l'AFD, des moyens nous ont été accordés pour organiser l'animation des territoires, l'appropriation des enjeux par les acteurs et l'expression citoyenne. En effet, les associations sont des relais des citoyens. Or, dans un contexte de contrainte budgétaire, les moyens qui nous sont octroyés diminuent. Les ONG doivent pouvoir participer au débat public et fédérer les citoyens.

Enfin, je souhaite que nous soyons entendus au cours des discussions menées dans le cadre de la COP21.

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