Intervention de Alain Brondeau

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 11 juin 2015 : 1ère réunion
Deuxième table ronde : quelles politiques publiques mettre en oeuvre pour préserver la biodiversité ultramarine

Alain Brondeau, délégué de rivages outre-mer du Conservatoire du littoral :

Le Conservatoire du littoral en outre-mer intervient actuellement uniquement dans les outre-mer situés dans les océans Atlantique et Indien.

Les mangroves constituent un enjeu spécifique à l'outre-mer. Elles sont des réservoirs de biodiversité, jouent un rôle majeur dans la protection des côtes et le stockage du carbone et représentent une ressource économique majeure, une partie du cycle de reproduction de la plupart des poissons pêchés dans le monde s'y déroulant. Elles génèrent également des revenus via le tourisme, puisqu'elles peuvent constituer le point de départ d'activités de découverte. Les mangroves sont aussi étroitement liées aux autres écosystèmes marins que sont les écosystèmes coralliens et les herbiers.

La mangrove de Guyane présente la particularité d'être cyclique, présentant des phases de très forte régression et des phases d'accrétion. Elle respire à l'intérieur d'une bande mesurant plusieurs kilomètres de large au gré du passage des bancs de sable et des phénomènes d'érosion. Si elle était bloquée, les conséquences pourraient s'avérer désastreuses.

La protection des écosystèmes terrestres est indispensable à la protection des écosystèmes marins. Les tortues marines représentent d'ailleurs un lien entre la terre et la mer. Leur sauvegarde implique de mener des actions de préservation sur leurs écosystèmes marins comme terrestres. Les sites de ponte des tortues sont des territoires d'intervention fréquents du Conservatoire du littoral en outre-mer, au même titre que les mangroves.

Les îlots constituent un autre enjeu majeur en matière de littoral. En effet, la quasi-totalité des îles principales sont entourées de petites îles abritant une biodiversité exceptionnelle y ayant trouvé refuge. C'est par exemple le cas du Rocher du Diamant en Martinique. Des espèces endémiques, tel que l'iguane des petites Antilles, se réfugient régulièrement sur des îlots. Ces derniers représentent aussi des sites de reproduction ou de repos pour les oiseaux marins. Il importe donc d'en préserver la tranquillité et de trouver un juste équilibre entre la valorisation et la fréquentation humaine et le maintien de populations d'oiseaux.

L'îlet du Loup-Garou, en Martinique, qui culmine à 1,50 mètre, a pour sa part la particularité d'être régulièrement submergé, puis de se reconstituer, à l'occasion d'événements climatiques majeurs comme les cyclones. En raison du réchauffement climatique, il est probable qu'il soit de plus en plus souvent submergé, la biodiversité qu'il abrite s'en trouvant menacée. Quant aux îles de la Petite Terre situées en Guadeloupe, elles constituent l'un des derniers refuges de l'iguane des petites Antilles. Or, il est plus facile de mener des actions de préservation sur les territoires circonscrits que sont les îlots.

Les continuités écologiques représentent aussi un enjeu. La montagne Pelée en Martinique est un monument de nature partant de la mer et atteignant 1 500 mètres d'altitude. Par conséquent, elle inclut des écosystèmes de moyenne et de haute altitude. Le gradient écologique doit pouvoir continuer à y fonctionner. La Grande Chaloupe, sur l'île de La Réunion, pose également des enjeux de connexion écologique, notamment le long des ravines. Ces dernières sont des corridors écologiques pour les oiseaux et la faune qu'il importe de préserver.

Quant aux habitats de forêt semi-sèche, ils sont menacés quelle que soit leur localisation. Leur préservation est un enjeu de taille pour le Conservatoire du littoral. La Guyane comprend aussi des habitats particuliers menacés, particulièrement les habitats ouverts plus facilement valorisables en matière agricole ou pour l'installation d'infrastructures.

Enfin, les zones humides du littoral sont très importantes, notamment pour l'avifaune pour laquelle elles représentent un lieu de halte dans le parcours migratoire. Au nord de la Guyane, les rizières de Mana, réserve ouverte d'eau douce, constituent un point d'intérêt international à l'échelle du continent américain pour la préservation des oiseaux : plusieurs millions d'oiseaux s'y arrêtent au cours de leur trajet vers l'Amérique du Nord.

De même, les salines de Sainte-Anne en Martinique sont menacées par une activité agricole intensive y introduisant des matières polluantes, tandis que l'étang du Gol à La Réunion pâtit de la présence d'espèces exotiques envahissantes telles que la jacinthe d'eau. Les marais de Folle Anse situés à Marie-Galante sont aussi concernés par des enjeux de préservation de la biodiversité, au même titre que la lagune du Grand Barachois, située à Saint-Pierre-et-Miquelon et constituant un réservoir de biodiversité d'une surface de plus de mille hectares. La plus grande colonie de phoques française y a notamment élu domicile.

L'outil de protection réglementaire peut être nécessaire. Il est largement mis en oeuvre en outre-mer, qui compte ainsi trois parcs nationaux, une vingtaine de réserves naturelles, plus de 35 arrêtés de protection de biotope, des sites classés, des parcs régionaux et des parcs marins. D'autres outils réglementaires, non spécifiquement créés pour la préservation de la biodiversité, non issus du code de l'environnement et plus généralistes peuvent aussi avoir un rôle majeur.

Le code forestier est par exemple très employé en outre-mer, puisqu'une large partie des écosystèmes terrestres relève du régime forestier. Ce dernier fournit une protection, notamment à travers la présence de l'ONF. De même, le code de l'urbanisme, via les schémas d'aménagement régionaux (SAR) dans les départements d'outre-mer et les plans locaux d'urbanisme dans d'autres territoires, préserve la vocation naturelle des espaces. En la matière, l'outre-mer est d'ailleurs en avance par rapport au reste du territoire français, les SAR en outre-mer ayant une valeur prescriptive beaucoup plus forte que ceux de la métropole. De surcroît, les schémas régionaux de cohérence écologique constituent désormais l'un des volets des SAR et permettent de définir une vraie politique de préservation de la biodiversité à l'échelle d'un territoire.

Les outils contractuels permettent pour leur part d'intervenir parfois sur des milieux agricoles. Ils sont néanmoins peu utilisés en outre-mer. Au contraire, les outils de labellisation, de l'Unesco ou Ramsar, sont très utilisés.

L'outil foncier s'inscrit davantage dans le coeur du métier du Conservatoire du littoral. Il est nécessaire à la préservation lorsque la protection réglementaire ne suffit pas. Alors que la réglementation permet d'interdire, de réguler, d'établir des conditions et de prescrire, elle ne contraint pas à l'intervention et n'en donne pas non plus les moyens. Or, agir implique de maîtriser le foncier. Il convient parfois de réaliser des travaux pour faire reculer le stationnement ou de réaliser des opérations de décompactage et de renaturation pour améliorer les sites de ponte des tortues marines par exemple. La maîtrise du foncier est également nécessaire à l'accueil d'un public et à la valorisation et à l'accessibilité des espaces naturels. En effet, de nombreux sites restent encore difficiles d'accès et sont méconnus par le public ; or, la connaissance constitue un gage de protection.

Enfin, le foncier naturel est déjà largement public à l'intérieur des terres. L'outre-mer comprend ainsi de nombreuses forêts départementales domaniales. Le foncier est maîtrisé par l'État ou par les collectivités locales à travers des politiques d'espace naturel sensible. En revanche, la maîtrise foncière publique est moins forte sur les littoraux, ces derniers ayant été plus souvent privatisés. Dans ce contexte, l'action du Conservatoire du littoral est essentielle et complémentaire des autres outils de maîtrise foncière.

Bien que le Conservatoire fête ses quarante ans en 2015, il n'intervient que depuis vingt ans en outre-mer. Grâce à son équipe de 25 personnes, il maîtrise désormais 40 000 hectares dans huit départements ou collectivités d'outre-mer, dont plus de 30 000 hectares appartenant à l'État, notamment des domaines publics maritimes, et un peu moins de 10 000 hectares acquis.

Pour ces derniers, le Conservatoire du littoral s'est doté d'une stratégie d'intervention foncière depuis 2014 permettant de définir les territoires dans lesquels il cherchera à acheter ou à maîtriser par d'autres moyens le foncier. Il ambitionne de tripler sa maîtrise foncière en outre-mer sur une période de 35 ans. À cette fin, des procédures fortes de préemption devront être mises en oeuvre, de nombreuses négociations menées et des mesures d'expropriation prises en l'absence d'autres possibilités.

Les enjeux de biodiversité ont largement influencé la définition de la stratégie, mais des enjeux liés à des attentes sociales ont également été pris en compte, notamment l'ouverture au public de sites privatisés. Le Conservatoire du littoral s'est essentiellement appuyé sur les SAR ayant déjà analysé finement les vocations du sol. Sa stratégie constitue donc un outil de mise en oeuvre des SAR, en particulier la partie concernant les espaces remarquables du littoral.

En matière de biodiversité, la stratégie foncière vise à la fois à préserver des sites dans lesquels des espèces remarquables sont présentes et des continuités écologiques. C'est pourquoi, le Conservatoire du littoral est de plus en plus amené à intervenir sur des zones transversales, partant de la mer et jusqu'à l'intérieur des terres. Au-delà de l'acquisition foncière, la politique du Conservatoire consiste à réaliser des travaux de restauration écologique. Par exemple, à La Réunion, au titre du programme LIFE mené par l'Union européenne en collaboration avec le Parc national, des projets ambitieux ont permis de reconstituer quelques dizaines d'hectares de forêts sèches. Des programmes de dératisation sont aussi régulièrement menés sur des îlots pour préserver l'avifaune. Sans maîtrise du foncier, ces programmes n'auraient pas été envisageables. Les travaux menés visent souvent également l'accueil du public, avec des équipements permettant de le sensibiliser aux enjeux de préservation. On constate qu'un site naturel non équipé est moins bien protégé qu'un site aménagé et accessible.

Enfin, si la biodiversité en outre-mer est considérable, les menaces auxquelles elle est confrontée le sont également : forte pression urbaine, croissance démographique supérieure à la moyenne nationale et niveau de connaissances plus faible. La préservation constitue donc une tâche ardue. Dans un contexte de débat portant sur la reconquête de la biodiversité et sur la création d'une Agence française pour la biodiversité, il importe d'unir nos forces, aucun acteur ne pouvant prétendre agir seul significativement. Les collectivités ultramarines ont d'ailleurs une capacité d'initiative plus forte que leurs homologues métropolitaines et la possibilité d'innover, y compris en matière réglementaire. À ce titre, l'outre-mer pourrait être un laboratoire de mise en oeuvre d'actions innovantes en matière de conservation de la biodiversité.

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