Je veux donc vous présenter mes excuses. Quand je m’en suis ouvert au Premier ministre, tout à l’heure à l’Assemblée nationale, il m’a répondu que ce n’était pas la première fois que je me retrouvais dans une telle situation et que j’avais déjà dû lire un de ses discours dans lequel je disais : Fils d’Espagnol… §
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe dans la situation où nous nous trouvons, dans le monde troublé qui est le nôtre, doit choisir : si nous voulons pouvoir avoir la force de nos choix, il nous faut absolument être unis ; et si, par malheur, nous étions désunis, nous porterions alors un coup très fort à l’Europe et donc, par contrecoup, à la France.
« Un travail important reste à faire pour mettre concrètement en œuvre l’accord. Le Parlement grec doit se prononcer ce soir, d’autres vont le faire dans les prochains jours. Il faudra toutefois aller au-delà. Nous devrons avoir la force politique de tirer toutes les leçons de cette crise pour en faire – si cela est possible – une opportunité.
« Nous avions déjà tracé quelques lignes, quelques pistes, la semaine dernière. Le Président de la République a formulé, hier, des propositions en ce sens.
« Nous avons d’abord besoin d’un véritable gouvernement économique de la zone euro au service de la croissance et de l’emploi. Nous avons progressé avec l’Union bancaire, avec ce qu’on appelle – dans un terrible jargon – le « semestre européen », mais ce n’est pas assez. Il faut une coordination accrue des politiques économiques qui donne sa pleine place à une analyse globale de la zone euro avec ses forces, ses vulnérabilités, ses besoins. » Le Gouvernement français aura l’occasion, dans les semaines qui viennent, de préciser ses propositions.
« Il faut aussi plus de convergence. Cela fait très longtemps que nous disons qu’il faut regarder les choses en face : une même monnaie n’a pas permis à nos économies de converger spontanément et suffisamment. C’est même le contraire qui s’est parfois produit. Ce n’est pas bon, ce n’est pas sain. Nous devons donc avancer – par le haut – dans les domaines économique, social et fiscal. À cet effet, il faut utiliser tous les instruments à notre disposition : la politique de cohésion, pour accélérer le rattrapage économique et social entre États ; le plan Juncker ; les rapprochements dans le domaine social avec les pays qui y sont prêts – je pense, en particulier, à la question des rémunérations ; l’harmonisation et la lutte contre les stratégies d’optimisation fiscale.
« Ce sont des sujets qui ne sont pas faciles, ni techniquement ni politiquement, mais les différences qui existent nuisent à l’unité et à la stabilité de la zone euro.
« Nous avons également besoin de nous doter de moyens budgétaires. Nous avons réussi à mettre en place le plan Juncker en moins de six mois – ce qui est court, s’agissant d’un projet européen ! Mais nous devrons aller plus loin en mettant en place, dans un second temps, un véritable budget de la zone euro permettant de financer des investissements spécifiques en matière d’infrastructures, d’innovation ou encore de capital humain, avec les ressources correspondantes. » Encore une fois, nous préciserons ces pistes dans les semaines à venir.
« On ne réalisera pas ces avancées, on ne pourra pas engager de nouvelles étapes en matière d’intégration sans les peuples et leurs représentants. C’est pourquoi il faut, là aussi, renforcer la légitimité démocratique de la zone euro.
« Cela concerne l’Europe, bien sûr, car aujourd’hui – tout le monde le constate – le Parlement européen n’est pas suffisamment associé aux travaux du “semestre européen”. Concrètement, la recommandation “zone euro” élaborée chaque année pourrait être transmise au Parlement européen et faire l’objet d’un débat démocratique.
« En outre, – ce qui est plus complexe et donc beaucoup plus novateur –, nous devons pouvoir l’inviter à s’organiser pour que les sujets propres à la zone euro soient davantage pris en considération en tant que tels. Ce n’est pas le cas et c’est le sens de l’appel du Président de la République à mettre en place une sorte de Parlement de la zone euro. Il faudra bien sûr associer à cette action les Parlements nationaux.
« Si nous prenons encore davantage de hauteur ou de recul, cette crise montre combien nous devons reprendre le chantier du projet européen dans sa globalité, avec vision, avec ambition, avec audace. Car si la défiance s’installe ou croît, si les populismes grondent, c’est aussi parce que l’Europe, depuis beaucoup de temps, a perdu de son élan et qu’elle ne dit pas clairement où elle va ou que l’on ne comprend pas ce qu’elle dit lorsqu’elle s’exprime.
« Nous avons besoin de plus d’intégration, de plus de solidarité, pour la protection et la prospérité des peuples. C’est vrai sur les questions économiques et monétaires, qui sont absolument essentielles. C’est vrai aussi sur d’autres enjeux – vous pensez comme moi aux questions migratoires, où seule une politique vraiment commune et efficace pourra nous permettre d’avancer.
« Et puis l’Europe, c’est plus que notre continent et c’est plus, sans doute, que la somme des intérêts spécifiques de nos nations. C’est un certain nombre de messages, un certain nombre de valeurs qui peuvent résonner dans le monde entier.
« Les Européens, je le constate, ne le savent pas toujours et ne savent pas toujours non plus défendre au mieux leurs propres intérêts. Nous devons donc nous appuyer sur nos forces, sur nos talents pour peser davantage sur l’ordre du monde : que ce soit dans le domaine commercial, où l’Union européenne fait figure de géant ; dans le domaine de la culture, où nos industries sont puissantes ; dans le domaine environnemental, où nous faisons la course en tête depuis déjà plusieurs décennies. » Je l’ai vu encore lors de la négociation iranienne, où il y avait la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Haute Représentante, qui coordonnait un certain nombre de travaux.
« L’Europe ne doit pas avoir peur d’être pleinement elle-même. Elle doit assumer qui elle est, ce qu’elle fait et le porter.
« Mesdames, messieurs les parlementaires, vous allez être les premiers en Europe à voter. La responsabilité est donc d’indiquer le chemin. Et vous serez associés aux prochaines étapes de mise en œuvre de l’accord.
Face à une crise, ce qu’on pourrait appeler le dépit ne peut être une option. Il faut aller vers le rebond.
Comme tout bon discours, celui-ci se termine par une citation. « Le poète allemand Hölderlin, rendant hommage à l’île grecque de Patmos, écrivait : “ Là où est le péril, là aussi, croît ce qui sauve ”. » C’est ce que je vous disais la semaine dernière, me rappelant mes humanités grecques, en soulignant que le même mot κίνδυνος [ kíndunos ] signifie, en grec ancien, à la fois le risque et la chance.
« La crise que nous venons de connaître est aussi ce qui peut et doit nous permettre, si nous le voulons, de faire aujourd’hui preuve d’ambition pour l’Europe.
« Alors, essayons par nos votes d’avancer. Essayons de continuer à écrire l’histoire de l’Europe, c’est-à-dire l’histoire de nos peuples. C’est aujourd’hui, mesdames, messieurs les parlementaires, par votre vote, votre responsabilité.