Séance en hémicycle du 15 juillet 2015 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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  • l’accord
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  • militaire
  • protocole

Sommaire

La séance

Source

La séance est ouverte à quatorze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 10 juillet 2015 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche.

La commission des finances a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Philippe Adnot pour siéger comme membre suppléant au sein de cet organisme.

Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

J’informe le Sénat que, ce matin, a expiré le délai de six jours nets pendant lequel pouvait être formulée la demande de constitution du Sénat en comité secret sur la publication du rapport fait au nom de la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, créée le 11 février 2015, à l’initiative du groupe écologiste, en application de l’article 6 bis du règlement.

En conséquence, ce rapport a été publié ce matin, sous le n° 610.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

J’informe le Sénat que les questions orales n° 1170 de M. Roland Courteau et n° 1172 de M. Jean-Marie Bockel sont retirées de l’ordre du jour de la séance du mardi 21 juillet, ainsi que du rôle des questions orales, à la demande de leurs auteurs.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 15 juillet 2015, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel un arrêt de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 462-5 et L. 464-2 du code de commerce (Attributions de l’Autorité de la concurrence) (2015-489 QPC), et le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure (Interdiction de sortie du territoire) (2015-490 QPC).

Acte est donné de cette communication.

Le texte de cet arrêt de renvoi et le texte de la décision de renvoi sont disponibles à la direction de la séance.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense (projet n° 494, texte de la commission n° 548, rapport n° 547, avis n° 524).

Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote, étant rappelé que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

Je vous inviterai ensuite, mes chers collègues, à vous rendre en salle des conférences pour voter et suspendrai la séance pendant la durée du scrutin, prévue pour une demi-heure.

Je proclamerai enfin le résultat à l’issue du dépouillement, aux alentours de quinze heures quarante-cinq, puis je donnerai la parole au Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

La parole est à M. Philippe Esnol, pour le groupe du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Esnol

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son introduction, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 soulignait : « Face aux risques et aux menaces, la première condition du succès demeure plus que jamais la volonté déterminée d’y faire face en consentant l’effort nécessaire. »

L’effort consenti aujourd'hui à travers l’actualisation de la présente loi de programmation militaire est-il de nature à satisfaire aux exigences de sécurité nationale et internationale, sans cesse alourdies par la menace terroriste ?

Oui, l’effort est bien là ! Le Conseil de défense du 29 avril dernier a validé des arbitrages très attendus, par les parlementaires, bien sûr, mais aussi par la communauté militaire. En effet, monsieur le ministre, le texte procède aux ajustements opportuns pour garantir à la loi de programmation une trajectoire budgétaire sincère et relativement sécurisée entre 2015 et 2019.

Alors que les finances publiques de notre pays sont toujours sous contrainte, une rallonge de 3, 8 milliards d’euros est octroyée en faveur de la défense pour les trois prochaines années. Cela mérite d’être souligné et salué.

Ces nouveaux moyens permettront de répondre à quelques-unes des difficultés qui remettaient en cause la bonne exécution de la loi de programmation. Je pense notamment au problème des recettes exceptionnelles : le projet de loi réduit leur part à seulement 0, 6 % du budget pour la période 2015-2019 ; c’est une bonne chose, car le caractère aléatoire d’une ressource n’est pas compatible avec ce que l’on est en droit d’attendre d’un budget empreint de la dimension régalienne.

En revanche, monsieur le ministre, le RDSE est plutôt favorable à la sécurisation de l’évolution du « coût des facteurs » proposée par la commission et sur laquelle vous auriez souhaité revenir. Il faut être cohérent : on ne peut pas lever une incertitude budgétaire grâce à la diminution des REX – recettes exceptionnelles – et, dans le même temps, réintroduire un aléa en misant sur des gains de pouvoir d’achat dépendant d’indices économiques, par nature fluctuants.

Je rappellerai que cette marge, dégagée par une évolution favorable des indices économiques, est estimée à 1 milliard d’euros. Par conséquent, nous devons garantir cette ressource essentielle, qui est affectée à l’équipement des forces et à la régénération des matériels, en plus des 500 millions d’euros de crédits nouveaux prévus par l’actualisation.

Nous regrettons aussi que l’actualisation ne revienne pas sur le problème de la sous-évaluation de la dotation allouée au surcoût des opérations extérieures dans un contexte où la France multiplie les interventions. C’est un sujet qui s’imposera de nouveau lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.

J’en viens à la réduction de la déflation des effectifs, qui absorbera 2, 8 milliards d’euros de l’abondement budgétaire prévu. Cette orientation est naturellement bienvenue, car elle répond au redimensionnement de notre outil de défense, nécessaire pour accompagner le niveau d’engagement très élevé de nos forces armées.

On en connaît les raisons, mes chers collègues ; je ne les détaillerai pas. Je soulignerai simplement que la mise en œuvre de l’opération Sentinelle, décidée à la suite des attentats du mois de janvier, conjuguée à la poursuite de nos opérations extérieures au sein d’un arc de crises de plus en plus étendu, conduit à une surchauffe opérationnelle.

Plus que jamais, le continuum entre sécurité intérieure et défense extérieure est mis à l’épreuve. Le contrat opérationnel est sous tension, à la limite du tenable pour la sécurité et du supportable pour le moral des hommes et des femmes qui assument cette mission. Le Gouvernement en a pris conscience, et le RDSE se satisfait de l’évolution corrigée des effectifs.

Nous partageons également le souci du Gouvernement d’instituer un droit d’association professionnelle des militaires tant que ce droit est compatible avec les contraintes inhérentes à la fonction militaire. Dans sa sagesse, le Sénat a rétabli l’équilibre du texte initial, rompu par les députés. J’espère que nous en resterons là.

Enfin, le RDSE est favorable à tous les dispositifs qui permettront de conforter les ressources humaines, que ce soit l’assouplissement des conditions de recours à la réserve ou l’expérimentation en métropole du service militaire volontaire.

D’une manière générale, tout ce qui concourt au renforcement du lien entre le citoyen et les institutions recueille notre approbation.

Mes chers collègues, si le texte du Sénat n’est pas tout à fait conforme à celui de l’Assemblée nationale, un relatif consensus se dégage toutefois sur les grands principes. C’est pourquoi le RDSE le votera, et à un triple titre.

Nous le voterons d’abord parce qu’il prend en compte la nouvelle dimension de protection de notre territoire.

Nous le voterons ensuite parce que nous le devons aux milliers de militaires, hommes et femmes, qui mettent en jeu leur destin individuel au service de la France et qui attendent en retour les meilleures conditions pour accomplir leurs missions.

Nous le voterons enfin parce que la France doit maintenir son rang stratégique et militaire, que ce soit pour garantir son indépendance ou ses engagements dans le cadre de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne.

Applaudissements sur les travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

La parole est à M. Robert Navarro, pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Navarro

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le 11 janvier 2015, immédiatement après les odieux attentats terroristes qui ont frappé la France, 10 000 militaires ont été affectés à la protection des Français. Je tiens ici à les saluer et à rendre hommage à leur dévouement et à leur courage, que les citoyens mesurent au quotidien.

Notre armée joue un rôle indispensable, non seulement sur le territoire national, mais également partout ailleurs sur la planète. Nous venons de fêter le 14 juillet. Comme lors de la Révolution française, la France défend partout l’universalité des droits de l’homme. C’est son honneur et c’est sa force ! On ne compte plus les opérations extérieures où la France est exposée en première ligne pour défendre nos valeurs face à la barbarie, notamment en Afrique et au Proche-Orient.

Parce que, sans les militaires, nous serions démunis pour défendre la démocratie, je fais partie de ceux qui s’opposent à la réduction des moyens de notre armée depuis plusieurs années.

Longtemps, on m’a objecté les difficultés budgétaires ou les règles européennes en matière de déficits. Mais l’Europe est bien contente d’avoir la France sur tous les théâtres d’opération extérieure ! Il faudra bien que l’on pose un jour les véritables questions, y compris en Europe !

C’est facile d’être pacifiste et de ne pas dépenser pour sa sécurité quand d’autres assument cette responsabilité immense, …

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Navarro

… et les risques qui vont avec, acceptant de voir couler le sang de leurs militaires !

Le Président de la République et le ministre de la défense, que je salue, ont enfin entendu les nombreux appels visant à mettre un terme à l’austérité drastique qui frappe nos forces armées.

Présenté le 20 mai 2015 en conseil des ministres, le texte actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 prévoit notamment une augmentation de 3, 8 milliards d’euros du budget de la défense, pour le porter à 162 milliards d’euros courants sur la période 2015-2019. Ce projet est aussi l’occasion d’expérimenter un service militaire volontaire à destination de jeunes et de mettre un terme à la réduction drastique des effectifs.

Pour toutes ces raisons, je voterai résolument en faveur de ce projet de loi, et j’adresse une nouvelle fois mes plus chaleureuses pensées à ceux qui défendent fièrement le drapeau et les valeurs de la France, sur son territoire et dans le monde.

MM. Jacques Chiron, Philippe Esnol et Michel Mercier applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Nous en attestons tous, la révision de la trajectoire financière et budgétaire prévue par ce texte est nécessaire.

Monsieur le ministre, les propos que vous avez tenus ici même mercredi dernier sont rassurants, notamment en ce qui concerne l’augmentation des effectifs et l’efficacité du recrutement. L’attractivité de nos forces armées témoigne de leur rayonnement et de l’image positive qu’en ont les Français, celle d’une armée efficace et respectée.

Les réservistes, opérationnels et citoyens, occupent une place de plus en plus importante dans notre défense ; c’est, bien sûr, nécessaire compte tenu des contraintes budgétaires que nous connaissons. Mais leur intégration parmi les militaires d’active dépasse cette nécessité financière : les réservistes doivent sentir qu’ils font partie intégrante de nos armées. Je suis convaincu que celles-ci sortiront renforcées de cette bonne intégration, garante d’une relation harmonieuse entre les militaires d’active et les réservistes. D’ailleurs, c’est la réalité sur le terrain, en métropole comme dans les opérations extérieures, mais des progrès peuvent encore être accomplis à cet égard.

De ce point de vue, la mise en place du service militaire volontaire ne pourra être que positive, en contribuant au renforcement du lien entre les armées et la Nation, mais aussi, à terme, en favorisant le recrutement.

Néanmoins, j’appelle à rester vigilant sur le financement de cette réforme, qui ne doit pas reposer en totalité sur le ministère de la défense. Nous prenons acte, monsieur le ministre, de l’engagement que vous avez pris la semaine dernière d’une mutualisation de cette dépense après les deux années d’expérimentation. Il s’agit en effet de protéger le budget de la défense, dont l’augmentation est loin d’être un luxe, et c’est une opinion que nous sommes ici nombreux à partager.

À cet égard, le groupe de l’UDI-UC soutient entièrement les clauses de sauvegarde introduites par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

La France est une puissance militaire qui assume largement ses responsabilités. Elle est engagée simultanément sur plusieurs théâtres d’opérations. Si nous voulons être à la hauteur de notre stratégie d’influence, particulièrement dans le cadre de Conseil de sécurité de l’ONU et dans d’autres instances – nous l’avons encore vu ces derniers jours –, nous devons préserver cette crédibilité, donc nos capacités d’engagement.

Dans cette optique, il est nécessaire que notre budget de défense soit protégé de surcoûts – lorsqu’ils sont légitimes, bien sûr, parce que résultant d’une décision politique – en cours d’exercice. Pour cette raison, nous soutenons la soustraction de la défense au financement interministériel du surcoût des OPEX.

De la même manière, il paraît juste de mutualiser le coût des opérations intérieures entre les ministères. La nature des menaces est diverse et ne permet plus une distinction tranchée entre crises extérieures et sécurité intérieure.

En conséquence, si notre réponse doit intégrer différents acteurs, il en va de même de son financement, qui ne peut pas reposer en totalité sur les épaules de la défense. Nous avons déjà rencontré une telle difficulté dans le cadre de l’examen du projet de loi sur le renseignement, où les frontières entre menaces intérieures et extérieures se brouillent. Face à ces phénomènes nouveaux, nous ne pouvons pas faire preuve de rigidité ; nous devons nous adapter.

Pour cette raison, nous soutenons l’organisation d’un débat au Parlement sur les conditions d’emploi des forces armées sur le territoire national au début de l’année 2016. Cela a fait l’objet d’un échange entre le Sénat et vous-même la semaine dernière, monsieur le ministre.

La doctrine d’emploi de notre armée sur le territoire français doit évoluer avec la menace. Il s’agit de définir clairement le rôle spécifique de nos forces armées, en parallèle avec les forces relevant du ministère de l’intérieur.

Cependant, cette complexité ne s’arrête pas à nos frontières ; elle concerne aussi, et surtout, nos opérations extérieures. À l’heure où nous menons des guerres essentiellement asymétriques, l’actualisation de la loi de programmation militaire a également pour objectif d’adapter nos armées à la nature de nos nouveaux ennemis.

Les adversaires d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. Ils refusent le combat frontal, auquel les armées occidentales sont habituées, sauf lorsqu’ils se considèrent en situation de force. Ils se mêlent à la population civile, rendant toute action militaire plus risquée et controversée. Ils font fi du droit international.

Au travers de cette actualisation, nous ne devons pas uniquement fournir à nos militaires des moyens supplémentaires. Certes, ces derniers sont nécessaires, mais nous devons également leur donner les moyens d’appliquer une doctrine adaptée à la nature des conflits auxquels nous serons confrontés.

Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’innovation et d’adaptabilité, sur le plan tant intellectuel que stratégique, tactique et industriel. Je ne doute pas que le ministère de la défense et nos industries sauront se montrer à la hauteur du défi à relever.

Cette adaptation, nous devons la réaliser en lien avec nos partenaires et alliés, au travers de l’OTAN, bien sûr, mais aussi de l’Union européenne. Si cela paraît évident, cela ne sera pour autant pas simple à l’heure où la majorité de nos alliés occidentaux paraissent réticents à s’engager militairement.

Forts de notre engagement et de nos capacités, que l’actualisation de la loi de programmation militaire conforte, nous avons un rôle moteur à jouer et une responsabilité particulière à assumer dans la réponse à ces nouveaux défis transnationaux.

Ainsi, je réitère mon soutien, et celui de la majorité de mes collègues du groupe UDI-UC, au projet de loi du Gouvernement tel qu’il a été modifié par la commission.

Au vu des menaces diverses et nouvelles, il est clair que le budget de la défense ne peut pas et ne doit pas faire figure de variable d’ajustement – mais je sais que nous partageons tous ce point de vue. Je suis convaincu, par ailleurs, que le dialogue entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur le texte sera constructif, et cela dès ce soir, en commission mixte paritaire. Nous souhaitons ardemment trouver un accord sur ce texte.

Sur un projet aussi important, le débat est sain et nécessaire, mais nous avons tous à l’esprit qu’il est également important dans le contexte actuel, d’aboutir à un consensus : c’est notre responsabilité !

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

La parole est à M. Jacques Gautier, pour le groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, au lendemain du 14 juillet, journée au cours de laquelle la nation tout entière a rendu un hommage solennel aux armées, nous devons nous prononcer sur le projet d’actualisation de la loi de programmation militaire, adoptée il a dix-huit mois.

À l’époque, notre groupe avait fait part de ses inquiétudes sur la poursuite excessive de la déflation des effectifs, à un niveau que nous estimions incompatible avec les missions de nos armées ; sur le recours à des ressources exceptionnelles, notamment la vente de fréquences structurellement indisponibles et rendant, de fait, insincère l’équation budgétaire dès 2015 ; sur une sous-dotation des OPEX, les opérations extérieures, compensée, par amendement, par la réserve interministérielle ; sur un report de charges annuel, fragilisant toute l’économie de la défense, dont on sait qu’elle constitue un véritable levier de croissance, dont notre pays a besoin.

À ces griefs originels, que je qualifierai de « législatifs » et que nous avons essayé de corriger, se sont ajoutés des éléments contextuels inhérents à la forte dégradation de la sécurité internationale : l’extension, avec raison, à toute la bande sahélo-saharienne de notre intervention au Mali ; l’intervention en Centre-Afrique ; les chaos irakiens et syriens, avec l’expansion dramatique de Daesh ; la déstabilisation géopolitique du nord de l’Afrique et les attaques contre l’Égypte, la Tunisie ou la Libye ; le terrorisme, à l’étranger et sur le territoire national.

Nous sommes face à une guerre dont la première caractéristique est la permanence dans le temps. Elle impose une adaptation et une révision de nos modes opérationnels et prévisionnels, ainsi que l’obligation de revoir impérativement les moyens consacrés à notre défense. Ceux-ci doivent être non seulement à la mesure des ambitions diplomatiques de la France, mais également proportionnels au besoin de sécurité des Français.

À la lumière de tous ces éléments, l’actualisation de la loi de programmation militaire est fondamentale. Pour le groupe Les Républicains, ce texte correspond plus à une correction qu’à une actualisation. Nous saluons donc les efforts du Gouvernement, tant pour l’augmentation du budget que pour la sanctuarisation de ces crédits.

Au total, la loi de programmation militaire prévoit quelque 3, 8 milliards d’euros de crédits budgétaires supplémentaires, dont 2, 5 milliards d’euros après 2017. Les REX ont donné lieu à un véritable bras de fer entre la défense et Bercy. Par l’arbitrage du Président de la République, elles ont été transformées en crédits budgétaires. Nous sommes satisfaits et nous pouvons dire que le Parlement, ainsi que notre groupe, a parfaitement assumé son rôle de contrôle de l’action du Gouvernement.

M. Ladislas Poniatowski applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Les seules REX conservées, rebaptisées « recettes de cession », ne représentent que – si je puis dire – 930 millions d’euros et sont constituées de cessions immobilières pour la plus grande partie d’entre elles. Au total, ces ressources nouvelles financeront, pour 2, 8 milliards d’euros, la moindre déflation nécessaire des effectifs. Il paraît aussi important de souligner la prise en compte des enjeux relatifs au maintien en condition opérationnelle, ou MCO ; c’est une très bonne chose.

Les OPEX ont clairement démontré que le vieillissement et l’usure des matériels sont fortement accélérés. L’attrition des équipements est telle qu’elle peut nuire aux capacités opérationnelles et qu’elle a un impact sur les conditions d’entraînement.

Ainsi, l’affectation de 500 millions d’euros à la régénération des matériels est plus que bienvenue, de même que le 1, 5 milliard d’euros prévus pour la commande d’équipement.

Cette loi de programmation militaire permet d’intégrer officiellement l’opération Sentinelle, dont le coût atteint 1 million d’euros par jour. Grâce aux amendements de notre commission, le Parlement sera associé, afin de tirer les conséquences du dispositif et de l’adapter au mieux aux besoins de sécurité de nos concitoyens.

À cet instant, au nom de notre groupe, je veux remercier le président-rapporteur, Jean-Pierre Raffarin, et le rapporteur pour avis, Dominique de Legge. Leur travail a permis des avancées concrètes, avec un objectif : adopter un texte cohérent et adapté à la réalité de nos armées.

La volonté du groupe Les Républicains du Sénat, ainsi que, je dois le dire, de la quasi-unanimité des groupes de la Haute Assemblée, a été d’alerter le Gouvernement et d’amender son texte, pour obtenir des garanties et être force de propositions.

Premièrement, nous avons sanctuarisé les REX restantes, grâce à des clauses de sauvegarde, qui concernent aussi bien des crédits de substitution, pour le cas où les recettes ne seraient pas au rendez-vous, que l’anticipation des conséquences de la loi Duflot, si la décote s’appliquait, en totalité, à l’ilot Saint-Germain. Nous avons aussi prévu une garantie budgétaire en cas de retournement des indices économiques – inflation, carburant.

Deuxièmement, nous avons partagé les coûts relatifs à la sécurité intérieure : le ministère de la défense ne peut supporter seul le coût des opérations comme Sentinelle, et nous avons voulu un financement interministériel. La sécurité, y compris contre le terrorisme, est un bien commun et elle impose un effort budgétaire collectif.

Troisièmement, nous avons prévu de limiter l’impact du surcoût des OPEX pour le ministère de la défense. Le principe de la solidarité ministérielle est louable, mais il aboutit à une situation paradoxale, car la défense paye une fois sur son budget 450 millions d’euros et une seconde fois, pour 19 %, en interministériel. C’est ce que Dominique de Legge appelle « la double peine ». Nous avons donc exonéré la défense de l’interministériel pour les OPEX.

Quatrièmement, et enfin, nous avons permis la constitution d’associations de militaires sans déstabiliser l’institution.

Sécuriser et pérenniser les ressources du ministère de la défense tout en créant les conditions d’un meilleur contrôle parlementaire, voilà ce qui a motivé les sénateurs lors de l’examen de ce texte. C’est aussi cela la vocation de la Haute Assemblée : améliorer ce qui peut l’être et assumer ses responsabilités.

Monsieur le ministre, nous aurions préféré un effort plus important face à la réalité des menaces et un moindre étalement des crédits dans le temps.

Néanmoins, notre groupe votera ce texte. Il ne s’agit pas de donner un blanc-seing au Gouvernement, car l’exécution de la loi de programmation militaire sera suivie de près. Cependant, ce vote prend en compte des avancées concrètes, complétées par le travail de la Haute Assemblée.

Vous l’avez compris, monsieur le ministre, les sénateurs Les Républicains seront extrêmement vigilants. Nous savons que la loi de programmation militaire n’a pas de valeur normative. De même, nous savons que les avancées de ce projet de loi ne seraient effectives qu’au moyen d’un collectif budgétaire que nous n’aurons pas !

Dès lors, nous serons particulièrement attentifs à la levée anticipée de la réserve de précaution et à la publication d’un décret d’avance dans les derniers jours de 2015.

Notre vrai rendez-vous, nous le savons tous, sera l’examen des crédits budgétaires pour 2016. Ce sera, nous le demandons pour nos armées, « l’occasion positive » de vérifier l’application de cette actualisation. Et là encore, notre groupe assumera ses responsabilités.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE. – Mme Catherine Tasca applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

La parole est à M. Daniel Reiner, pour le groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons l’une des dernières étapes de l’actualisation de la loi de programmation militaire de 2013, actualisation prévue par la loi initiale et anticipée de quelques mois pour répondre au contexte sécuritaire du moment.

Le travail en commission a été fructueux. Nous présentons aujourd’hui au vote un texte qui maintient notre vigilance sur l’exécution budgétaire de la loi. Ce texte est un point d’équilibre entre la poursuite de la modernisation de nos armées, la nécessaire adaptation de ces dernières aux opérations que nous menons aujourd’hui, le défi de la contrainte budgétaire et les ambitions de notre pays. Il décline les décisions prises par le Président de la République en conseil de défense, le 29 avril dernier. Ce sera un beau symbole que de l’adopter au lendemain du 14 juillet.

Je le redis, ce n’était pas si simple dans le contexte budgétaire du moment, comme en a témoigné le débat de jeudi dernier relatif à la loi de règlement. La commission des finances le sait bien.

Cette actualisation permet non seulement de compléter les systèmes d’armes qui équipent nos forces et d’accompagner la montée en puissance du renseignement et de la cyberdéfense, mais également de « densifier notre modèle de défense ».

À la suite des attentats des 7 et 9 janvier derniers, nos armées ont montré qu’elles étaient des leviers puissants de résilience face à la déstabilisation que voulaient imposer les terroristes ! Nous le savions, nous l’avons vérifié : nous disposons d’une armée performante servie par des femmes et des hommes d’un professionnalisme remarquable et remarqué par tous nos concitoyens. Il tient à nous de conserver précieusement cette force contre des menaces devenues de plus en plus multiformes et diffuses.

Ce projet de loi prévoit des moyens nouveaux.

En premier lieu, il fournit des moyens supplémentaires grâce à un effort budgétaire exceptionnel de 3, 8 milliards d’euros en crédits budgétaires : ceux-ci permettront d’ici à 2019 de préserver 18 750 postes de la déflation prévue. À ce titre, 2, 8 milliards d’euros y seront consacrés.

Cette mesure essentielle relative aux effectifs permettra d’honorer les contrats opérationnels demandés aux armées ; en particulier, l’armée de terre pourra porter sa capacité opérationnelle de 66 000 à 77 000 hommes, ce qui lui donnera la possibilité d’assurer sa mission de protection sur le territoire national, mission dont il conviendra de définir plus précisément les contours.

Cette revue permet également de poursuivre la montée en puissance des forces spéciales et de la cyberdéfense, qui sont les réponses aux menaces du moment.

En deuxième lieu, le projet de loi prévoit la suppression des recettes exceptionnelles et leur remplacement par des crédits budgétaires. Nous le souhaitions. Le caractère aléatoire de ces recettes exceptionnelles contrastait trop avec la volonté présidentielle, plusieurs fois affirmée, de sanctuariser le budget de la défense.

Je crois aussi, mais je ne suis pas le seul, que le pari en matière d’export, en particulier sur le Rafale, est en passe d’être gagné. Ces marchés permettent autant de sauvegarder nos emplois que de consolider notre industrie de défense et de réaliser pleinement – ce n’est pas rien – la loi de programmation militaire en matière d’équipements nouveaux.

Enfin, nous accomplissons un effort accru pour combler des carences capacitaires, ainsi qu’en matière d’entretien programmé de nos matériels, deux priorités affichées d’emblée par vous-même, monsieur le ministre, et qui se trouvent ici renforcées.

Outre quelque 500 millions d’euros supplémentaires dans le domaine de l’entretien programmé du matériel, je noterai pour ma part l’acquisition de sept hélicoptères Tigre supplémentaires, une augmentation des cadences de livraison des NH90, ainsi que la commande de quatre avions de transport C-130, dont deux seront équipés pour le ravitaillement en vol des hélicoptères. Cet effort est justifié, car l’aéromobilité est une donnée incontournable de la réussite de l’action de nos forces engagées dans des opérations extérieures, notamment dans la bande sahélo-saharienne. Nous avons pu le mesurer de nos propres yeux.

Ce texte présente enfin deux nouveautés intéressantes : l’évolution de la représentation professionnelle des militaires, avec la création des associations professionnelles nationales de militaires, ou APNM, mais aussi la création en forme d’expérimentation du service militaire volontaire sur le modèle du service militaire adapté, dont nous avons pu également mesurer l’efficacité outre-mer.

Le projet de loi ainsi modifié sera soumis ce soir à une commission mixte paritaire, dont je ne doute pas de l’issue favorable. Il restera quelques points à discuter. Le premier concerne la clause qui exclut le ministère de la défense du financement des surcoûts en matière d’opérations extérieures, que vient d’évoquer Jacques Gautier.

Comme cela a été rappelé par M. le ministre lors de la discussion sur les articles, les dépassements de la dotation annuelle au titre des opérations extérieures font l’objet d’un financement interministériel. Et pour des raisons évidentes de solidarité avec les autres ministères, le ministère de la défense ne saurait s’en exonérer. Il s’agit d’une tradition fort ancienne que rien ne justifie de modifier aujourd’hui.

En matière de cessions immobilières, s’il n’est pas possible d’exonérer totalement le ministère de la défense de sa participation au dispositif d’aide au logement social, comme le préconisent les auteurs d’un amendement adopté au Sénat, je pense, avec mes collègues du groupe socialiste et républicain, qu’il est possible de trouver un compromis en fixant un plafond à la décote. Nous présenterons d’ailleurs un amendement en ce sens en commission mixte paritaire.

S’agissant des opérations intérieures, nous ne pensons pas utile d’ouvrir cette année Sentinelle à un financement interministériel. Nous estimons en revanche qu’il convient de l’évaluer ; il sera toujours possible de revenir sur son financement ultérieurement. Enfin, nous reparlerons du secret défense opposable aux commissions.

En conclusion, mes chers collègues, au regard de l’effort consenti à l’occasion de cette actualisation – des moyens financiers en hausse qui permettent la revue des effectifs, des équipements supplémentaires et mieux entretenus, le renforcement du lien entre armée et nation – le groupe socialiste et républicain votera résolument cette actualisation de la loi de programmation militaire, dont j’ai déjà dit lors de la discussion générale du 8 juillet dernier combien elle était inédite. N’oublions pas que cette loi de programmation militaire est la première à être revalorisée en cours d’exécution.

Cette actualisation redonne du souffle politique et renforce la légitimité que requiert un effort engageant la nation entière. Ce texte est le meilleur hommage que nous, parlementaires, pouvons rendre à nos militaires, qui se mobilisent en tout lieu et à tout instant sur le territoire national et hors de nos frontières.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

La parole est à Mme Leila Aïchi, pour le groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, après avoir examiné mercredi dernier l’actualisation de la loi de programmation militaire pour les années 2015-2019, nous voici réunis pour voter le texte issu de nos débats.

La rapidité du parcours législatif de ce texte prouve, s’il en était besoin, la nécessité de cette réactualisation et l’importance d’une mise en œuvre rapide.

Au cours des débats, nous avons tous salué l’action quotidienne de nos soldats dans le cadre de l’opération Sentinelle, ainsi que, de manière plus générale, l’engagement de notre armée.

Hormis des oppositions persistantes – j’y reviendrai dans quelques instants –, la représentation nationale a démontré que, lorsque les conditions l’exigent, elle sait œuvrer collectivement et dans la même direction. En effet, nous nous accordons tous, du moins dans une vision à court terme, sur les principaux objectifs et défis sécuritaires que nous devons relever. C’est sur la question des moyens et de la mise en œuvre de notre politique de défense que nous avons pu connaître des divergences.

Si le groupe écologiste souscrit davantage à une approche « non violente » des relations internationales, je ne reviendrai pas sur les priorités diplomatiques de la France ou sur la multiplication inquiétante des OPEX, ayant déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ces sujets lors de la discussion générale.

Nous reconnaissons les efforts consentis par le Gouvernement dans le cadre de cette actualisation. Les circonstances, nationales comme internationales, imposaient en effet de telles décisions.

L’actualisation a permis une augmentation du budget de 3, 8 milliards d’euros, étalée jusqu’en 2019. Le Sénat, par deux amendements, a cherché à sécuriser ces financements en instaurant diverses clauses de sauvegarde.

Si je rejoins certains de vos arguments, monsieur le ministre, je pense que les surcoûts successifs de ces dernières années nous amènent légitimement à nous poser la question d’une sécurisation accrue des ressources, afin, notamment, que la préparation opérationnelle de nos forces ou encore l’entretien du matériel ne pâtisse pas d’une conjoncture trop changeante.

Quant au financement interministériel, si je suis d’accord avec le Gouvernement sur le financement du surcoût des OPEX, je pense que le financement interministériel des missions intérieures, telles que l’opération Sentinelle, est une question sur laquelle nous devons réfléchir.

Sur le plan des effectifs, conformément aux annonces faites à la suite du conseil de défense du 29 avril 2015, l’actualisation ralentit la déflation des effectifs, en préservant quelque 18 750 postes et en prévoyant la création de 15 399 postes dirigés, notamment, vers les forces opérationnelles terrestres et le renseignement.

Si nous saluons bien évidemment cet effort, nous aurions préféré que la tendance soit inversée. En effet, la prévention des conflits et la gestion des crises passent, avant toute chose, par les hommes.

Les difficultés croissantes d’accès aux ressources, dues à des raisons climatiques, mais aussi anthropiques, sont déjà responsables d’une montée des tensions qui s’accélère et elles seront des facteurs de déstabilisation majeurs dans les années à venir. C’est pourquoi les missions des forces armées doivent être repensées.

En outre, monsieur le ministre, mercredi dernier, vous avez réaffirmé devant nous que la dissuasion constituait « l’un des éléments majeurs de notre sécurité, plus encore aujourd’hui qu’hier » et qu’au vu du contexte international vous estimiez qu’il fallait « assurer la sanctuarisation du financement de la dissuasion ».

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

Je le maintiens.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Dont acte !

Nous ne nions pas la réalité. Le monde vit, en effet, une séquence de réarmement nucléaire, consacrée par les différents programmes de développement et de modernisation de la Russie, des États-Unis, de la Chine ou encore de l’Inde. Toutefois, face à ce réarmement mondial, monsieur le ministre, je vous pose de nouveau la question : avons-nous les moyens de maintenir et de renouveler nos programmes, de manière automatique et sans débat de fond ?

Face à cette escalade, la réponse la plus appropriée est, selon nous, une relance de l’Europe de la défense, ou plutôt d’une défense européenne, pour être fidèles aux travaux de mes collègues Daniel Reiner, Jacques Gautier, André Vallini et Xavier Pintat. Nous le savons tous ici : le chemin sera long et se fera par étapes.

La première est celle d’une impulsion politique claire. Or force est de constater que cette volonté politique peine à se faire entendre. Pourtant, une mutualisation de nos moyens pourrait être une réponse aux nombreux défis que nous rencontrons. L’Europe de la défense est mentionnée dans le rapport annexé. Soit ! Il s’agit maintenant de mettre en application les principes que nous formulons.

Face aux menaces transnationales d’aujourd’hui – dérèglement climatique, terrorisme, instabilité régionale, menaces de la faiblesse, menaces de la force –, pourquoi ne pas adopter une défense à la mesure des défis sécuritaires qui se posent à nous ?

En outre, le débat récurrent autour des recettes exceptionnelles doit nous pousser à réfléchir en dehors du cadre national. À ce sujet, vous l’avez réaffirmé, et nous avons largement salué cette décision : « les 6, 2 milliards d’euros de ressources exceptionnelles qui restaient à trouver pour la période 2015-2019 sont convertis, pour la plus grande part, en crédits budgétaires de droit commun ».

Cependant, une part de REX persiste, et, face à ces difficultés, nous devons reconsidérer l’opportunité d’une mutualisation au niveau européen. En effet, il serait alors possible de répondre aux besoins des uns et des autres tout en mutualisant les coûts.

Enfin, pour revenir à l’échelon national, l’une des grandes avancées de ce texte est la création des associations professionnelles nationales de militaires, les APNM. Nous préférons, évidemment, le texte issu de l’Assemblée nationale, notamment en matière de droit d’expression et de droit de se porter partie civile. Néanmoins, de manière générale, il s’agit là d’une première étape importante.

Nous comprenons le devoir de réserve des militaires, mais pensons que l’armée ne peut être en dehors de la société et que les APNM sont une passerelle que nous ne devons pas minorer, mais au contraire encourager et soutenir.

Pour l’ensemble de ces raisons, monsieur le ministre, malgré les réserves de fond déjà exprimées et que vous connaissez, le groupe écologiste soutient l’action de nos soldats dans un contexte difficile et s’abstiendra sur ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain d’un 14 juillet placé sous le signe de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité de nos compatriotes, nous sommes amenés à nous prononcer sur l’actualisation de la loi de programmation militaire 2015-2019.

Je voudrais tout d’abord souligner le sérieux et la responsabilité qui ont caractérisé nos débats la semaine dernière. Ce n’est pas seulement dû à une trop faible présence en séance – elle s’est d’ailleurs bien améliorée cet après-midi ! Cela vient plutôt du fait que chacun a pris conscience que permettre à nos armées d’assurer l’intégrité du territoire, de protéger nos compatriotes et de défendre les intérêts vitaux de la nation ne doit pas donner lieu à des querelles et à des calculs politiciens.

Bien entendu, avoir une telle conscience n’exclut pas l’affirmation de convictions divergentes et l’expression de désaccords importants sur la politique de défense menée par le Gouvernement.

C’est pourquoi je rappelle que nous avions pris soin de souligner, dans la discussion générale, que nos appréciations portaient sur des mesures rendues nécessaires par l’évolution du contexte, et non sur les grands principes de la loi de programmation initiale, sur laquelle nous conservons nos désaccords de fond.

Les aspects positifs de cette actualisation viennent essentiellement des leçons que nous avons su tirer de l’engagement intensif de nos forces, de l’évolution des menaces et des besoins nouveaux qui sont apparus depuis le mois de décembre 2013.

Ces enseignements ont trouvé une juste traduction en termes budgétaires – je n’y reviendrai pas – en matière d’effectifs, d’entretien des matériels et de commandes de nouveaux équipements. Pour ce qui concerne les effectifs, nous apprécions particulièrement la pause qui est faite sur la trajectoire d’une déflation inconsidérée.

Il aura malheureusement fallu la multiplication d’attentats sur le territoire national pour que l’on se rende compte que ces suppressions d’emplois, dont la seule justification était de faire des économies au profit des équipements, nous rendraient incapables de faire face à une situation de crise imprévue.

Ces coupes drastiques ne pouvaient d’ailleurs qu’avoir de graves conséquences sur la cohérence et les capacités de notre outil de défense conventionnel, au risque de l’affaiblir.

En outre, selon le dernier rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, cette politique de restructuration, à laquelle se sont ajoutés les effets désastreux des dysfonctionnements du système de paie Louvois, a également eu des répercussions très négatives sur le moral des militaires et de leurs familles, le tout sur fond d’une situation sociale dégradée, qui entame la confiance des personnels dans l’institution.

C’est pourquoi, même si cela ne fait pas partie, stricto sensu, de l’actualisation de la loi de programmation, notre groupe accorde une grande importance à la reconnaissance du droit d’association des militaires, qui auront désormais la possibilité de créer des associations nationales professionnelles. Sur ce point, nous préférons nous aussi le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale à celui qui a été retenu par le Sénat. Dans un tel contexte, nous ne pouvons que souhaiter que ces associations trouvent rapidement leur place et qu’elles jouent leur rôle avec efficacité.

Toujours sur la question des effectifs, je voudrais souligner que les difficultés apparues dans la mise en œuvre de l’opération Sentinelle montrent combien il est maintenant nécessaire de mener une réflexion sur la doctrine d’emploi de nos armées sur le terrain intérieur.

Il s’agit en effet d’une conception nouvelle de la protection du territoire, puisqu’elle est fortement recentrée sur le territoire national.

À cet égard, un récent vol de munitions a révélé, par les défaillances mises en lumière dans la protection de certaines installations militaires, une utilisation des forces terrestres pour protéger la population et les lieux de culte contre les menaces terroristes qui a porté préjudice à la sécurité des installations militaires. Je suis certain, monsieur le ministre, que vous prendrez rapidement les mesures qui s’imposent, à la suite du rapport qui doit vous être remis sur ce sujet.

Pour juger de la programmation militaire, il faut savoir si son actualisation nous donnera, à la fois, les moyens d’assurer la protection de notre territoire national et de nos compatriotes et ceux d’intervenir simultanément sur plusieurs théâtres extérieurs. Heureusement, vous ne prétendez plus mieux dépenser en réduisant de façon drastique le format de nos armées.

L’un des effets de ces économies est surtout d’avoir permis de payer fort cher des technologies qui ne correspondent pas au type de conflits ou d’opérations dans lesquels nos armées sont engagées. C’est pourquoi nous persistons à croire que, pour adapter nos forces à la stratégie définie dans la programmation militaire que vous proposez, il est nécessaire de réduire le coût de nos forces nucléaires.

Ce n’est pas de notre part, comme voudraient le faire croire ceux qui caricaturent nos positions, une opposition purement idéologique, de principe, aux armes nucléaires. C’est seulement considérer que l’apparition de nouveaux acteurs stratégiques au comportement irrationnel crée maintenant une source d’instabilité qui menace la planète tout entière. Il serait donc logique de réduire nos armements nucléaires à leur niveau de « stricte suffisance », sans entamer leur crédibilité ni provoquer une perte de compétences.

Par ailleurs, même si ce n’est pas le sujet aujourd'hui, il conviendrait de réfléchir à notre politique de commerce des armes. Certains pays destinataires se trouvent directement ou indirectement impliqués dans le soutien de ceux que nous combattons au Sahel ou en Irak et qui commettent tant d’atrocités, également, en Syrie, en Libye, en Tunisie ou sur notre sol.

En conclusion, monsieur le ministre, les aspects positifs de ce projet de loi d’actualisation ne nous semblent pas suffisants pour modifier une programmation qui donnerait à notre pays les moyens de mettre en œuvre un modèle d’armée à même de répondre efficacement à l’évolution des enjeux internationaux, ainsi qu’aux besoins de sécurisation du territoire national.

En outre, la stratégie arrêtée dans le cadre de la loi de programmation militaire initiale, notamment concernant la dissuasion nucléaire, étant maintenue, le groupe CRC ne pourra voter ce projet de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il va être procédé dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.

Ce scrutin sera ouvert dans quelques instants.

Je vous rappelle qu’il aura lieu en salle des Conférences, conformément aux dispositions du chapitre 15 bis de l’instruction générale du bureau.

Une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Mmes et MM. les secrétaires du Sénat superviseront les opérations de vote.

Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et je suspends la séance jusqu’à quinze heures quarante-cinq, heure à laquelle je proclamerai le résultat.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à quinze heures quinze, est reprise à quinze heures cinquante.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Je tiens tout d’abord à remercier Mmes Valérie Létard, Colette Mélot et M. Claude Haut, secrétaires du Sénat, qui ont supervisé le scrutin.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 225 sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense, dans le texte de la commission, modifié :

Nombre de votants338Nombre de suffrages exprimés321Pour l’adoption302Contre 19Le Sénat a adopté.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne dirai que quelques mots, puisque j’ai eu l’occasion de m’exprimer devant vous à de nombreuses reprises lors de la préparation de ce projet de loi d’actualisation, que ce soit en séance publique, devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ou devant la commission des finances ; je ne reviendrai donc pas sur le fond de ce texte.

Je veux d’abord vous remercier, monsieur Raffarin, de votre travail et de celui de la commission que vous présidez, aux séances de laquelle j’essaie d’être le plus assidu possible. Nous y menons un important travail d’explication, dans un climat de confiance, pour notre pays et nos forces armées.

Je veux aussi remercier M. de Legge, rapporteur pour avis, puisque j’ai eu l’occasion de m’exprimer devant la commission des finances.

Je souhaite enfin vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que j’apprécie l’ampleur de votre soutien, toutes tendances politiques confondues. En effet, nos armées méritent que l’on dépasse les clivages partisans.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

En voyant défiler hier nos forces depuis la tribune des Champs-Élysées, j’ai éprouvé de la fierté d’être le ministre de ces armées-là. Par la suite, en écoutant les uns et les autres, j’ai aussi constaté – comme vous, probablement – que les Français éprouvaient à la fois confiance et respect à l’égard de nos forces armées. Ce sont cette confiance et ce respect que je ressens face au vote que vient d’émettre la Haute Assemblée.

De cette discussion sur l’actualisation de la programmation militaire, je garde donc ces deux mots : confiance et respect à l’égard de nos forces armées, qui œuvrent à la sécurité de notre pays.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

La commission des finances a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire. La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Philippe Adnot membre suppléant du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et des dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis, le 15 juillet 2015, un vote défavorable – quatre voix pour, dix voix contre, un bulletin blanc – à la nomination de M. Christian Dubreuil aux fonctions de directeur général de l’Office national des forêts.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la prévention des risques, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 15 juillet 2015.

Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Gérard Larcher.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur l’accord européen relatif à la Grèce, suivie d’un débat et d’un vote sur cette déclaration, en application de l’article 50–1 de la Constitution.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, chers amis, je vais vous donner lecture du discours que M. le Premier ministre prononce en ce moment même devant l’Assemblée nationale. Vous verrez que cet exercice me posera une petite difficulté, que je me permettrai de vous signaler le moment venu.

« L’Union européenne vient de vivre des moments difficiles et même historiques.

« Il y a toujours des esprits résignés, qui pensent que l’on ne peut plus écrire l’histoire, que nos vieilles nations, fatiguées par le fardeau des siècles, devraient renoncer, que nos destins se décident ailleurs, indépendamment de nos volontés. Et il y a bien sûr ceux qui souhaitent voir l’Europe se disloquer.

« Nos compatriotes, qui ont suivi les évolutions de la situation grecque au jour le jour, ont bien senti que quelque chose de fondamental se jouait et que notre destin pouvait basculer. En effet, au-delà de l’avenir de la Grèce, c’est aussi, d’une certaine façon, l’avenir de la construction européenne qui était en cause.

« Or, une fois encore, il faut constater que l’Europe, au moment où nous nous exprimons, est en train de surmonter une crise qui aurait pu lui être fatale.

« Sans un accord, en effet, nous aurions laissé un pays et abandonné un peuple à un sort extrêmement difficile sur le plan économique, fait de dévaluation, d’inflation, d’effondrement des salaires, de faillite des banques et des entreprises, de risques de divisions, de déstabilisations, mais devant aussi subir des conséquences géopolitiques et géostratégiques » – nous en avons parlé l’autre jour – « que personne ne peut nier. Sans un accord, nous aurions donné une image inquiétante de l’Europe vis-à-vis du monde, c'est-à-dire de tous nos partenaires, des États-Unis, de la Chine et des autres grands pays, et nous aurions, en quelque sorte, tiré un trait sur une certaine conception de la solidarité européenne.

« La France ne pouvait pas l’accepter. » Je l’ai dit ici même, au nom du Gouvernement, il y a quelques jours.

« Notre pays a su faire entendre sa voix, peser de tout son poids, grâce, en particulier, au Président de la République. Nous avons estimé que l’on ne faisait pas sortir un pays de l’Union européenne comme cela, au gré des aléas, et que le fatalisme, les égoïsmes, le chacun pour soi, quelles que soient les difficultés, ne pouvaient pas être le langage de l’Europe.

« La semaine dernière, vous avez tous souhaité que nous débattions ici, pour que la parole de la représentation nationale se fasse entendre ». Le président Larcher était intervenu en ce sens. « De fait, l’Europe doit toujours se construire avec le peuple et ses représentants.

« C’est dans cette même logique que le Président de la République a souhaité que le Parlement se prononce, par un vote, sur le contenu de l’accord.

« Quelques mots sur cet accord.

« D’abord, il constitue la réaffirmation que la place de la Grèce est dans la zone euro et pleinement dans l’Union européenne.

« Il n’y a donc pas de “Grexit”, pour reprendre un mot que je ne trouve pas très joli, « ni de “Grexit temporaire”, idée dangereuse et, en réalité, compte tenu des mécanismes, assez impraticable, qui reviendrait sans doute au même.

« Nous entendons parler d’“humiliation”, mais, même si les choses sont très difficiles, l’humiliation aurait sans doute été, pour ce pays, d’être chassé de la monnaie unique, alors que l’immense majorité des Grecs souhaitent la conserver.

« Cet accord est aussi la réaffirmation de la volonté de dix-neuf États souverains de préserver l’intégrité et la stabilité de la zone euro.

« Quand on l’examine en détail, on constate que l’accord qui va faire l’objet de votre vote comporte trois dispositions principales.

« Première mesure : la Grèce va pouvoir disposer de financements importants, en contrepartie d’engagements sur un certain nombre de réformes.

« Un nouveau programme d’aide financière, sur trois ans, dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité, comprendra entre 82 et 86 milliards d’euros, en complément de deux précédents programmes. C’est malheureusement indispensable au regard de la situation financière et économique d’un pays qui ne peut aujourd’hui absolument pas se financer sur les marchés.

« La négociation de ce programme prendra nécessairement plusieurs semaines. Il y a donc urgence à mettre en place un financement-relais dans les tout prochains jours. La Grèce a devant elle d’importantes échéances de remboursement, notamment à l’égard de la Banque centrale européenne, qui a joué et continue de jouer un rôle majeur pour apporter des liquidités. C’est pourquoi la France est pleinement mobilisée pour définir, avec ses partenaires, les modalités de ce financement.

« Le nouveau programme d’aide financière sur trois ans exige, et c’est normal, le respect de conditions strictes. En liant leurs destins, les pays de l’Union se donnent des règles qui doivent valoir pour tous.

« Dès ce soir, la Grèce devrait voter des réformes importantes sur la TVA, de manière à dégager plus de recettes, et sur le système de retraites, sujet très délicat, pour en garantir la viabilité.

« La semaine prochaine, la Grèce doit faire adopter le code de procédure civile, car il faut accélérer les procédures judiciaires et réduire les coûts. Elle devra ensuite mener d’importantes réformes pour améliorer le fonctionnement de son économie, notamment le marché des biens de consommation, le marché de l’énergie ou encore le marché du travail.

« Un programme de privatisations est également prévu. Un fonds indépendant, localisé en Grèce et placé sous l’autorité du gouvernement grec – la France y a insisté, pour que la souveraineté de la Grèce soit respectée – gérera la vente d’un certain nombre d’actifs. Les produits générés permettront à la Grèce de disposer progressivement d’une somme d’un montant total de 50 milliards d’euros » – c’est beaucoup d’argent ! – « pour rembourser la recapitalisation des banques, diminuer la dette et soutenir l’investissement, et donc la croissance.

« Enfin, la Grèce s’engage à moderniser en profondeur son administration publique et va notamment créer une agence des statistiques indépendante. » Vous vous rappelez sans doute que, par le passé, des travestissements de la réalité avaient donné lieu à des controverses.

« Les choix faits par le gouvernement de M. Tsipras ne sont certainement pas faciles. Alors qu’ils ont déjà subi les effets d’une crise économique et sociale sans précédent, les Grecs devront faire des efforts supplémentaires. Ces efforts sont indispensables – c’est tout le problème – et, il faut y insister, sans commune mesure avec l’appauvrissement de la population grecque qu’aurait provoqué un Grexit. » Les deux solutions doivent toujours être comparées, même si chacune a ses inconvénients.

« Il faut saluer le courage du Premier ministre grec

Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

« Le chemin choisi est davantage celui de la vérité et de la responsabilité. Le gouvernement grec doit aussi rétablir la confiance avec les partenaires européens, car, assurément, beaucoup de temps a été perdu depuis le mois de février. Mais il faut penser que c’est le seul chemin qui puisse sortir durablement le pays de la crise et donc lui rendre sa souveraineté et sa fierté, à laquelle les Grecs tiennent beaucoup, à raison. En effet, se réformer, moderniser son économie, rebâtir un État moderne qui fonctionne, mettre en place une vraie fiscalité sont des nécessités pour un pays qui veut renouer avec la compétitivité, qui est nécessaire. La Grèce le sait bien !

« Et il ne faut pas oublier, mesdames, messieurs les parlementaires, que la plupart des réformes figurant dans le texte de l’accord sont reprises des propositions du gouvernement du Premier ministre Alexis Tsipras qui ont été approuvées par le parlement grec dans la nuit du 10 au 11 juillet dernier.

« Une deuxième mesure importante de l’accord est le traitement de la dette. C’était vital pour la Grèce, pour qu’elle puisse commencer à envisager un avenir qui ne se limite pas au seul remboursement.

« En ce moment, l’Eurogroupe réfléchit à des mesures permettant à la Grèce de retrouver un peu d’oxygène et de garantir la soutenabilité de la dette, qui s’élève aujourd’hui à 180 % de sa richesse. Ce point était capital pour le Premier ministre Alexis Tsipras, qui a obtenu satisfaction. Le Fonds monétaire international a encore répété, ce matin, qu’il fallait alléger la dette grecque, et c’est bien ce que nous allons faire, en reprofilant la dette, ce qui pourrait passer » – mais ce n’est pas encore décidé – « par un allongement de la durée de remboursement, ou encore par une réduction des taux d’intérêt.

« La troisième mesure de l’accord est elle aussi importante, même si l’on y a peu insisté : les Grecs disposeront d’un programme d’investissement de 35 milliards d’euros, au service de la relance de la croissance.

« Cette somme proviendra à la fois des fonds structurels et des différents programmes de l’Union européenne, mais aussi de ce que l’on appelle le “plan Juncker”. Ce que nous défendons à l’échelle européenne, s’agissant de la stratégie économique à mener, vaut aussi pour la Grèce : il ne peut pas y avoir de réformes efficaces s’il n'y a pas des investissements et de la croissance.

« Nous avons ici un accord difficile, mais, nous semble-t-il, responsable et qui doit s’inscrire dans la durée. Je veux saluer l’implication du ministre des finances, Michel Sapin, qui a œuvré sans relâche pour rapprocher les points de vue.

« Bien sûr, nous n’ignorons pas les difficultés, et il y aura encore, assurément, des rendez-vous compliqués pour la Grèce et pour l’Europe. Toutefois, la Grèce va recevoir » – je viens de l’indiquer – plus de 80 milliards d’euros d’aide financière, 35 milliards d’euros au service de la croissance et voir sa dette rééchelonnée. Il y a des réformes à mener, mais, sans ces deux mesures, des difficultés lourdes réapparaîtront. Au reste, si les réformes sont très exigeantes, c’est aussi – il faut le dire – parce qu’elles n’avaient jamais été menées.

« Cet accord, ce n’est pas un “chèque en blanc”, parce que nous demandons beaucoup à la Grèce, bien évidemment pas pour la punir, contrairement à ce que l’on peut lire ici ou là – cela n’aurait pas de sens –, mais pour l’accompagner dans un redressement économique qui est absolument indispensable.

« Ayons à l’esprit que l’absence d’accord » – là encore, il faut comparer les deux solutions – « aurait abouti avec certitude à ce que les 40 milliards d’euros de prêts que les contribuables français ont consentis aux Grecs disparaissent à jamais.

(M. Roland Courteau s’exclame.) Grâce à l’action de la France et d’autres pays, ce sont finalement aussi les intérêts des contribuables français qui sont protégés.

M. Francis Delattre s’exclame.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

« Ceux qui ont tout fait pour le Grexit, qui ont appelé à punir les Grecs, appelaient en fait à nous punir nous-mêmes. §

« Quel a été le rôle de la France ?

« La France a agi » – je crois que personne ne le conteste – «, et singulièrement le Président de la République, pour cet accord. C’était notre rôle, c’était son rôle ; c’était ce que l’on attendait de notre pays. Il s’agissait de privilégier l’intérêt général, celui de l’Europe.

« Nous avions aussi une responsabilité envers la Grèce et le peuple grec. Des liens singuliers – vous l’avez tous souligné – de nature historique, intellectuelle et autres nous unissent à ce pays, peut-être parce que – sans vouloir entrer dans une philosophie facile – nos nations partagent une même ambition, un peu plus large que nous-mêmes, voire parfois universelle. La Grèce et la France – voilà longtemps pour la Grèce, plus récemment pour la France – ont voulu que leur voix porte au-delà de nos frontières, qu’elle ait un écho beaucoup plus large. Sans vouloir utiliser de trop grands mots, il n’est pas possible à la France d’abandonner la Grèce, car, d’une certaine manière, ce serait renoncer à ce que nous portons.

« Si notre voix a pesé, c’est aussi parce que nous avons fait preuve de beaucoup de constance. Nous ne nous sommes pas laissés voguer au gré des calculs d’appareil, des atermoiements ou de certains contre-pieds tactiques du moment. Nous avons préféré avoir une ligne et nous y tenir.

« Si la France est au rendez-vous, c’est parce que cette cohérence a été assurée. C’est ce que nous avons essayé de porter jusqu’au bout.

« La question de la France et de l’Allemagne a été souvent posée. » À titre personnel, j’ajoute en avoir beaucoup discuté avec mon collègue et ami M. Steinmeier, lors des longues journées et des non moins longues nuits de la négociation iranienne. Il a pu y avoir, à certains moments, tel ou tel aspect différent. Mais au final « l’Europe et la France ont pu compter sur la solidité du couple franco-allemand, en allant puiser à la source de ce qui fait cette relation particulière. Nous savons bien que l’Allemagne et la France ont non seulement dépassé les haines, mais que la réconciliation est au-delà des ressentiments, des souffrances ou de tel aspect du moment. Nous avons vu cette dimension prévaloir.

« La France et l’Allemagne, représentées par le Président de la République et la Chancelière, ont agi, nous semble-t-il, avec la conscience d’être les héritiers de la nécessité historique.

« Il faut condamner avec beaucoup de force l’excès, et même parfois l’indignité, de certains propos aux relents nationalistes et de phrases qui, en cherchant inutilement à atteindre l’Allemagne, font aussi du mal à l’Europe et à la France.

« Former un couple ne veut pas dire être d’accord sur tout, mais c’est savoir se retrouver sur l’essentiel, le moment venu. Il peut y avoir des divergences, des désaccords, des sensibilités différentes qui sont aussi celles des peuples.

« L’Allemagne a sa voix, la France a la sienne, c’est celle d’une Europe solidaire et responsable qui n’exclut personne et qui sait rassembler. Mais la solidité d’une amitié s’éprouve aussi au moment des difficultés. Au final, la France et l’Allemagne ont fait preuve, au moment des décisions, d’une grande unité.

« Nous savions que nous devions agir de concert pour trouver une solution. Le couple franco-allemand doit être décidé, ambitieux, équilibré. S’il ne peut pas tout – il ne dirige pas l’Europe –, il faut convenir que, sans lui, l’Europe ne peut pas grand-chose.

« Mesdames, messieurs les parlementaires, la France conçoit son destin au cœur de l’Europe. C’est notre fierté, notre vocation. Nous avons l’intention de la défendre. Nous voulons une certaine Europe » – les mots sont peut-être trop généraux – « forte, volontaire, généreuse. C’est nécessaire en raison de l’époque.

« Notre monde est fait de bouleversements, de menaces, d’instabilités. Nous essayons d’être à l’initiative. Nous jouons tout notre rôle. Ici pour l’Europe, partout où il le faut et où nous le pouvons : au Sahel et en Irak contre le terrorisme ; au Moyen-Orient, avec la question du nucléaire iranien. » Et c’est là où j’éprouve une difficulté, puisque mon obligation gouvernementale nécessite que je lise la phrase qui m’est proposée : « Je veux saluer l’action déterminée, le talent de négociateur de Laurent Fabius. »

Sourires. – Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

On n’est jamais si bien servi que par soi-même !

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

(Nouveaux sourires.) Il me semble toutefois que j’avais contourné la difficulté en trouvant une formule, un exemple de plus de ma modestie connue.

Rires.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Je veux donc vous présenter mes excuses. Quand je m’en suis ouvert au Premier ministre, tout à l’heure à l’Assemblée nationale, il m’a répondu que ce n’était pas la première fois que je me retrouvais dans une telle situation et que j’avais déjà dû lire un de ses discours dans lequel je disais : Fils d’Espagnol… §

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe dans la situation où nous nous trouvons, dans le monde troublé qui est le nôtre, doit choisir : si nous voulons pouvoir avoir la force de nos choix, il nous faut absolument être unis ; et si, par malheur, nous étions désunis, nous porterions alors un coup très fort à l’Europe et donc, par contrecoup, à la France.

« Un travail important reste à faire pour mettre concrètement en œuvre l’accord. Le Parlement grec doit se prononcer ce soir, d’autres vont le faire dans les prochains jours. Il faudra toutefois aller au-delà. Nous devrons avoir la force politique de tirer toutes les leçons de cette crise pour en faire – si cela est possible – une opportunité.

« Nous avions déjà tracé quelques lignes, quelques pistes, la semaine dernière. Le Président de la République a formulé, hier, des propositions en ce sens.

« Nous avons d’abord besoin d’un véritable gouvernement économique de la zone euro au service de la croissance et de l’emploi. Nous avons progressé avec l’Union bancaire, avec ce qu’on appelle – dans un terrible jargon – le « semestre européen », mais ce n’est pas assez. Il faut une coordination accrue des politiques économiques qui donne sa pleine place à une analyse globale de la zone euro avec ses forces, ses vulnérabilités, ses besoins. » Le Gouvernement français aura l’occasion, dans les semaines qui viennent, de préciser ses propositions.

« Il faut aussi plus de convergence. Cela fait très longtemps que nous disons qu’il faut regarder les choses en face : une même monnaie n’a pas permis à nos économies de converger spontanément et suffisamment. C’est même le contraire qui s’est parfois produit. Ce n’est pas bon, ce n’est pas sain. Nous devons donc avancer – par le haut – dans les domaines économique, social et fiscal. À cet effet, il faut utiliser tous les instruments à notre disposition : la politique de cohésion, pour accélérer le rattrapage économique et social entre États ; le plan Juncker ; les rapprochements dans le domaine social avec les pays qui y sont prêts – je pense, en particulier, à la question des rémunérations ; l’harmonisation et la lutte contre les stratégies d’optimisation fiscale.

« Ce sont des sujets qui ne sont pas faciles, ni techniquement ni politiquement, mais les différences qui existent nuisent à l’unité et à la stabilité de la zone euro.

« Nous avons également besoin de nous doter de moyens budgétaires. Nous avons réussi à mettre en place le plan Juncker en moins de six mois – ce qui est court, s’agissant d’un projet européen ! Mais nous devrons aller plus loin en mettant en place, dans un second temps, un véritable budget de la zone euro permettant de financer des investissements spécifiques en matière d’infrastructures, d’innovation ou encore de capital humain, avec les ressources correspondantes. » Encore une fois, nous préciserons ces pistes dans les semaines à venir.

« On ne réalisera pas ces avancées, on ne pourra pas engager de nouvelles étapes en matière d’intégration sans les peuples et leurs représentants. C’est pourquoi il faut, là aussi, renforcer la légitimité démocratique de la zone euro.

« Cela concerne l’Europe, bien sûr, car aujourd’hui – tout le monde le constate – le Parlement européen n’est pas suffisamment associé aux travaux du “semestre européen”. Concrètement, la recommandation “zone euro” élaborée chaque année pourrait être transmise au Parlement européen et faire l’objet d’un débat démocratique.

« En outre, – ce qui est plus complexe et donc beaucoup plus novateur –, nous devons pouvoir l’inviter à s’organiser pour que les sujets propres à la zone euro soient davantage pris en considération en tant que tels. Ce n’est pas le cas et c’est le sens de l’appel du Président de la République à mettre en place une sorte de Parlement de la zone euro. Il faudra bien sûr associer à cette action les Parlements nationaux.

« Si nous prenons encore davantage de hauteur ou de recul, cette crise montre combien nous devons reprendre le chantier du projet européen dans sa globalité, avec vision, avec ambition, avec audace. Car si la défiance s’installe ou croît, si les populismes grondent, c’est aussi parce que l’Europe, depuis beaucoup de temps, a perdu de son élan et qu’elle ne dit pas clairement où elle va ou que l’on ne comprend pas ce qu’elle dit lorsqu’elle s’exprime.

« Nous avons besoin de plus d’intégration, de plus de solidarité, pour la protection et la prospérité des peuples. C’est vrai sur les questions économiques et monétaires, qui sont absolument essentielles. C’est vrai aussi sur d’autres enjeux – vous pensez comme moi aux questions migratoires, où seule une politique vraiment commune et efficace pourra nous permettre d’avancer.

« Et puis l’Europe, c’est plus que notre continent et c’est plus, sans doute, que la somme des intérêts spécifiques de nos nations. C’est un certain nombre de messages, un certain nombre de valeurs qui peuvent résonner dans le monde entier.

« Les Européens, je le constate, ne le savent pas toujours et ne savent pas toujours non plus défendre au mieux leurs propres intérêts. Nous devons donc nous appuyer sur nos forces, sur nos talents pour peser davantage sur l’ordre du monde : que ce soit dans le domaine commercial, où l’Union européenne fait figure de géant ; dans le domaine de la culture, où nos industries sont puissantes ; dans le domaine environnemental, où nous faisons la course en tête depuis déjà plusieurs décennies. » Je l’ai vu encore lors de la négociation iranienne, où il y avait la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Haute Représentante, qui coordonnait un certain nombre de travaux.

« L’Europe ne doit pas avoir peur d’être pleinement elle-même. Elle doit assumer qui elle est, ce qu’elle fait et le porter.

« Mesdames, messieurs les parlementaires, vous allez être les premiers en Europe à voter. La responsabilité est donc d’indiquer le chemin. Et vous serez associés aux prochaines étapes de mise en œuvre de l’accord.

Face à une crise, ce qu’on pourrait appeler le dépit ne peut être une option. Il faut aller vers le rebond.

Comme tout bon discours, celui-ci se termine par une citation. « Le poète allemand Hölderlin, rendant hommage à l’île grecque de Patmos, écrivait : “ Là où est le péril, là aussi, croît ce qui sauve ”. » C’est ce que je vous disais la semaine dernière, me rappelant mes humanités grecques, en soulignant que le même mot κίνδυνος [ kíndunos ] signifie, en grec ancien, à la fois le risque et la chance.

« La crise que nous venons de connaître est aussi ce qui peut et doit nous permettre, si nous le voulons, de faire aujourd’hui preuve d’ambition pour l’Europe.

« Alors, essayons par nos votes d’avancer. Essayons de continuer à écrire l’histoire de l’Europe, c’est-à-dire l’histoire de nos peuples. C’est aujourd’hui, mesdames, messieurs les parlementaires, par votre vote, votre responsabilité.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste et du RDSE. – M. Michel Mercier applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. Robert Navarro, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Navarro

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, oui, la Grèce reste dans la zone euro et cela demeure une bonne nouvelle, même si des rebondissements ne sont pas à exclure.

Toutefois, les dirigeants européens ont imposé un véritable traité de Versailles au peuple grec, une punition et une humiliation d’une violence inouïe.

Je suis un ardent défenseur de l’Europe depuis le début de mon engagement politique. Mais force est de constater que l’Union européenne a changé de nature le week-end dernier.

Premièrement, j’ai appris que l’euro n’était pas qu’une monnaie, qu’il était aussi une politique économique particulière.

L’euro devait rapprocher les peuples, être la monnaie de tous les Européens. Or cette crise a prouvé que tel n’était pas le cas : on peut priver certains habitants de la zone euro de l’accès à leur propre monnaie.

Jusqu’à ce week-end, l’Europe, c’était la convergence progressive de nations égales en une « union sans cesse plus étroite ». Chaque État membre choisissait librement de confier à l’Union une part de sa souveraineté dans son propre intérêt.

Chaque pas vers l’Europe était « irréversible » et « irrévocable ».

Enfin, l’accord tacite était que l’Allemagne devait se retenir de toutes tentations impérialistes en échange de la seconde chance donnée.

Depuis lundi matin, cela n’est plus. La Grèce n’est plus souveraine. L’irréversibilité de l’euro est morte. Tous les irréversibles du projet européen sont devenus réversibles. Tous les irrévocables sont devenus révocables.

La zone euro n’est plus un projet politique commun qui supposerait la prise en compte des aspirations de tous par des compromis équilibrés. Ce week-end, elle est devenue un lieu de domination des forts sur les faibles, des créanciers sur les débiteurs.

La cruauté de ce week-end est un avertissement pour les pays latins, dont la France.

Droite comme gauche devraient chercher la parade plutôt que de se renvoyer la balle, car ils n’ont jamais mené une politique économique qui convienne à l’Allemagne. Tôt ou tard, au rythme où avance notre dette, nous connaîtrons le même sort si nous ne réorientons pas vraiment – j’insiste sur le « vraiment » – l’Union européenne. D’ailleurs, il s’agit non plus de réorienter, mais de refonder.

Ce week-end, les dirigeants européens ont ouvert une boîte de Pandore qui pourrait coûter cher à l’Europe et offre un boulevard aux extrêmes.

C’est de cela que les politiques devraient s’occuper. Au lieu de cela, Sarkozystes et Hollandais débattent entre eux pour savoir qui a sauvé l’intégrité de la zone euro. Car, en réalité, tous sont responsables de la tournure prise par l’Union européenne depuis la crise de 2008. Une crise de spéculateurs, née aux États-Unis, il faut s’en souvenir – on a trop tendance à l’oublier – à l’heure de l’addition.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, le Premier ministre avait annoncé vouloir revenir devant le Parlement pour soumettre aux représentants du peuple l’approbation d’un éventuel accord. Dont acte !

Disons-le d’emblée, notre groupe se félicite de la conclusion de cet accord. J’ai bien dit « de cet accord » en ce sens qu’il est bien précis et qu’il ne s’agit pas de n’importe quel accord.

Nous ne pouvions évidemment pas abandonner les Grecs à leur sort, ni pour eux-mêmes ni pour l’Europe. Nous ne pouvions pas nous satisfaire d’un « Grexit de lassitude ». Nous ne pouvions pas non plus lâcher des dizaines de milliards d’euros d’argent public par-dessus l’épaule du contribuable sans perspectives de redressement durable pour la Grèce.

En l’état, cet accord a le mérite de garder la Grèce dans la zone euro sans discréditer l’Union. Néanmoins que de temps perdu !

Entre la révélation, en décembre 2009, du trucage des comptes publics grecs et la conclusion de ce troisième plan d’aide financière, la Grèce a perdu six années.

Six années de réformes inabouties, six années de souffrances pour les Grecs, et tout cela pour quoi ? Pour aboutir, enfin, à une conclusion déjà écrite depuis longtemps : la Grèce, pour rester dans la zone euro, doit se mettre en conformité avec les exigences imposées par la monnaie unique.

Cela n’a rien d’extraordinaire : l’Europe exige, bien sûr, entre tous ses membres un devoir de solidarité. Cette solidarité impose, en retour, un devoir de responsabilité pour chacun. J’espère que M. Tsipras et ses amis ont enfin compris la portée de ce principe.

Protestations sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

En effet, cet accord met le gouvernement grec devant ses obligations.

J’ai déjà évoqué ici à cette tribune voilà une semaine les réformes à entreprendre, que nous connaissons tous : restauration de l’autorité de l’État grec, réforme fiscale, lutte contre la corruption, lutte contre la fraude, démantèlement des oligopoles, instauration d’un cadastre et soumission de tous à l’impôt – armateurs et église orthodoxe compris.

Nouvelles p rotestations sur les mêmes travées. – Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste également.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Pour que la confiance soit rétablie entre la Grèce et ses partenaires, il faudra que M. Tsipras aille au bout des réformes promises.

Évidemment, cela ne sera pas facile. §Appliquer l’accord à la lettre demandera des efforts considérables aux Grecs.

Je ne songe pas seulement à des efforts financiers, je songe aussi à un véritable et profond changement d’attitude des citoyens grecs. Un changement des mentalités s’impose pour construire un État fort, le respecter et mettre au pas les profiteurs d’une société viciée par les rentes et le népotisme. La Grèce ne peut plus jouer au passager clandestin de la construction européenne.

Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

C’est un moment de vérité pour la Grèce, qui, en pleine souveraineté, est désormais face à son destin.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

C’est donc à son peuple de s’en montrer digne…

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

M. François Zocchetto. … et d’affronter cette épreuve en toute responsabilité sans dénoncer ceux qui l’aident depuis tant d’années, l’Allemagne au premier chef.

Protestations sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Et là, monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire avec tristesse, au lendemain du 14 juillet, que je me suis senti plus en phase avec l’approche allemande de la solidarité

Nouvelles p rotestations sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

… qu’avec celle du gouvernement français. Les Allemands – conservateurs et sociaux-démocrates – voulaient un bon accord.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Il y a toujours les nostalgiques de la grandeur allemande !

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Le Président de la République française, de son côté, déclarait vouloir un accord à tout prix.

Quelle différence ? Eh bien, du côté français, on pouvait comprendre que nous étions prêts à lâcher à nouveau l’argent public pour éteindre un incendie qui aurait probablement repris très vite.

Du côté de l’Allemagne et de nombreux autres pays, il s’agissait d’abord de jeter les bases d’une croissance saine en Grèce, à laquelle nous aurons, à défaut de l’envie – que je continue d’espérer – en tout cas, j’en suis certain, l’obligation d’associer un nécessaire rééchelonnement – voire une remise – de la dette grecque.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

M. François Zocchetto. On parle beaucoup de la Grèce ! On peut aussi parler un peu de la France !

Exclamations et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Nous devons aussi regarder la réalité. Je ne citerai pas beaucoup de chiffres. Qu’il me suffise de dire qu’en France la dette par habitant s’établit à 31 000 euros.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

En Grèce, elle est de 29 000 euros. La vérité, c’est qu’un pays n’est pas souverain quand il est surendetté.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

M. François Zocchetto. Je ne peux donc que m’inquiéter de ce soulagement qui semble gagner le Gouvernement et le Président de la République.

Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

En France, nous connaissons nous aussi tous les réformes à mener et que nous voulons imposer aux autres :…

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Nous ne sommes pas d’accord sur les réponses !

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

… réforme fiscale, flexibilité du marché du travail, …

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

M. François Zocchetto. … réforme de la retraite à points

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Si peu a été réalisé chez nous, monsieur le ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Si, dans les négociations, notre voix n’a pas tant compté que l’on voudrait nous le faire croire, c’est tout simplement parce que nos partenaires ne sont pas dupes.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Notre crédibilité s’amenuise malheureusement au fur et à mesure que nous confondons – cela dure depuis des années, il faut bien le dire – réforme et affichage.

Nous devons également apprendre et tirer des leçons de ce lourd épisode. Une monnaie orpheline à la fois d’État et de dimension politique n’existe pas.

L’euro, pour ne pas s’effondrer, doit être enfin soutenu par un véritable gouvernement économique.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

La zone euro ne peut plus continuer de se construire avec une architecture qui ressemble plus à un règlement de copropriété bien usé ! Il faut se rendre compte que l’Eurogroupe n’est qu’une structure virtuelle. Rien dans les traités n’est prévu…

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

… pour donner des orientations politiques à notre monnaie.

Avoir un ministre à temps partiel pour gérer l’Eurogroupe, ce n’est plus possible ! Nous ne pouvons plus donner dans la politique de l’expédient, de l’accord de dernière minute et du rafistolage.

L’Europe ne doit pas fonctionner ainsi. L’Europe ne peut plus avancer ainsi. Il faut donner du corps et un visage à l’euro.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Il faut passer à un autre système.

Nous avons donc besoin d’une nouvelle gouvernance de la zone euro pour assurer la convergence de nos politiques publiques. Nous avons besoin d’un sursaut démocratique et fédéral en permettant la désignation d’un responsable européen de l’euro – d’un ministre des finances, si l’on veut – qui détiendra l’autorité suffisante pour imposer le respect de la règle commune.

Et là, la France à un rôle à jouer. Nous ne pouvons, nous Français, laisser la zone euro sans clef de voûte. J’ai entendu les propositions faites hier par le Président de la République. Il semble enfin nous rejoindre §sur la nécessité de faire un pas en avant dans la marche vers le fédéralisme budgétaire européen. Enfin ! Bravo ! Mais, monsieur le ministre, nous avons besoin de garanties, d’être assurés que vous joindrez très rapidement le geste à la parole !

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Tout le monde a bien compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, que le débat est loin – très loin – d’être terminé.

Parce que nous croyons en l’Europe, parce que nous voulons construire l’Europe de demain, une Europe solidaire et exigeante, nous voterons en faveur de la validation de cet accord.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, au terme d’une nouvelle nuit de négociations dont seule l’Europe a le secret, l’accord trouvé par les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro éloigne – pour un temps au moins, peut-être – le spectre d’une sortie chaotique de la Grèce de la monnaie unique. Cependant, cet accord a, me semble-t-il, comme un air de déjà-vu !

Voilà en effet plus de cinq ans que, périodiquement, l’Europe et la Grèce semblent condamnées à rejouer encore et toujours la même scène. Depuis 2010, deux plans d’aide d’un montant total de 240 milliards d’euros ont été mis en œuvre pour aider les Grecs à surmonter les difficultés auxquelles ils devaient faire face.

Dans la tourmente économique et financière que connaissait alors notre continent, la solidarité européenne a joué à plein. Elle était indispensable. D’autres pays que la Grèce en ont d’ailleurs également profité. Ils sont désormais en voie de rétablissement car, eux, ont fait les réformes qui s’imposaient.

Pourtant, aujourd’hui, la dette grecque atteint des records – à 180 % du PIB. Elle serait, au demeurant, encore plus élevée si, en 2012, les États européens n’avaient pas contraint les créanciers privés à assumer leur part de risque et à effacer l’équivalent de 107 milliards d’euros qu’ils détenaient en obligations et en bons du Trésor.

La BCE a également contribué à l’expression de la solidarité européenne. Cela fait maintenant cinq mois qu’elle porte à bout de bras le système bancaire grec et, donc, l’économie du pays. Elle lui a ainsi fourni près de 90 milliards d’euros de liquidités d’urgence, alors que, parallèlement, les déposants ont retiré depuis décembre 2014 plus de 40 milliards d’euros, ce qui équivaut à près de 25 % du produit intérieur brut.

La réouverture des banques, dont la date exacte reste à ce jour incertaine à la suite des récentes déclarations du Premier ministre grec, devra toutefois être accompagnée d’une recapitalisation importante, pouvant aller, selon l’Eurogroupe, jusqu’à 25 milliards d’euros.

Dans la conception de chaque plan d’aide, la responsabilité grecque devait répondre à cette solidarité européenne et se manifester par des réformes structurelles ambitieuses destinées à assainir les finances publiques du pays et à remettre sur les rails une économie qui – c’est désormais admis – ne disposait absolument pas des prérequis fondamentaux pour prétendre faire partie de la zone euro.

Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Or, aujourd’hui, quelle est la nature de l’accord qui nous est soumis ?

Tout d’abord, un engagement pour un nouveau plan d’aide – le troisième, je le rappelle – dont les contours précis sont encore inconnus mais qui sera doté d’une enveloppe d’environ 85 milliards d’euros sur trois ans, avec une participation européenne qui serait évaluée, à ce stade, à 50 milliards d’euros.

Si l’on se base sur la quote-part de notre pays au sein du Mécanisme européen de stabilité, le MES, cette nouvelle étape représenterait pour la France plus de 10 milliards d’euros, qui s’ajouteront donc aux 42 milliards déjà engagés dans le cadre des plans antérieurs, soit une contribution directe globale qui avoisinerait les 55 milliards d’euros.

Un prêt-relais devra par ailleurs être consenti dans les jours qui viennent pour que la Grèce puisse régulariser sa situation de défaut vis-à-vis du FMI et faire face à ses échéances de remboursement à très court terme, estimés par l’Eurogroupe à 12 milliards d’euros d’ici à la fin du mois d’août.

Le Fonds pour les privatisations, nouvellement créé, devra, quant à lui, impérativement atteindre son objectif de 50 milliards d’euros pour sécuriser les nouveaux prêts consentis par les Européens.

Enfin, si des aménagements de la dette grecque sont aujourd’hui envisagés, ils ne pourront intervenir qu’après la mise en œuvre par le gouvernement grec de ses engagements. Conformément aux principes de l’accord conclu en novembre 2012 et confirmés par l’accord du 13 juillet, – j’insiste sur ce point, que j’ai déjà évoqué voilà huit jours – ils ne pourront en aucun cas porter sur une décote ou un effacement de la dette nominale de la Grèce.

Une fois ce programme mis en œuvre, ce seront donc au total plus de 500 milliards d’euros qui auront été mobilisés, d’une manière ou d’une autre, en faveur de la Grèce depuis 2010. Dans ces conditions, parler de « coup d’État financier » ou de « dictature de la finance », comme le font certains, est grotesque. Nous avons déjà donné 500 milliards d’euros à la Grèce. Ne tombons pas dans le piège de M. Tsipras ! L’Europe a été plus que solidaire, et c’est la Grèce qui ne s’est pas réformée. N’inversons pas les responsabilités !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

J’observe à ce titre que, si le gouvernement Tsipras n’a finalement pas obtenu le chèque en blanc qu’il escomptait, c’est en grande partie grâce à la fermeté qu’ont su démontrer nombre de pays européens, emmenés notamment par la chancelière allemande

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

… et je ne peux que me réjouir. N’oublions pas en effet que l’Allemagne est le premier financeur du Mécanisme européen de stabilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Quoi qu’on en dise, c’est bel et bien cette position qui se reflète dans le résultat final des négociations. Je regrette, je le dis très clairement, que la France ait prêté une oreille que je qualifierai de sélective, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Elle a trop longtemps laissé entendre à M. Tsipras qu’il pourrait bénéficier une nouvelle fois de la solidarité européenne, sans accepter la responsabilité qui va avec.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

C’est un affront fait aux contribuables français.

La France et l’Europe ne peuvent pas continuer à payer sans contrepartie, sans exigence. Nous ne pouvons donc que saluer le travail de la Chancelière. §Il est vrai, je le dis très clairement, que l’Europe de l’orthodoxie budgétaire ne fait pas rêver. Toutefois, elle a au moins un mérite : celle d’assurer les fins de mois des pays en difficulté. C’est un message que je me permets d’adresser personnellement à M. Mélenchon.

Mais quel paradoxe de voir aujourd'hui le Président de la République approuver pour la Grèce ce qu’il refuse précisément à notre pays. Il serait bon qu’il s’inspire aujourd’hui des réformes qu’il a finalement soutenues, et dont il ne paraît pas vouloir pour notre pays.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Les réformes structurelles engagées ces dernières années avaient permis à la Grèce d’enregistrer des résultats économiques positifs à partir de 2014 et d’entrevoir enfin une sortie de crise. Elle dégageait ainsi un premier excédent budgétaire primaire, la croissance commençait à repartir après six années de récession et elle avait même fait un premier retour encourageant sur les marchés financiers.

Mais l’incertitude politique qui règne depuis plusieurs mois et le coup d’arrêt donné aux réformes par M. Tsipras ont réduit à néant ces avancées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Les exigences de l’accord du 13 juillet doivent donc permettre à la Grèce de réenclencher la dynamique vertueuse sur laquelle elle était engagée il y a encore moins d’un an.

Mais le pays devra avant tout régler ce qui fait encore aujourd’hui sa faiblesse structurelle fondamentale. Chacun ne connaît désormais que trop bien ces défaillances : un État et une administration inefficaces, minés par la corruption et le clientélisme ; un système social totalement inadapté ; un système fiscal d’un autre temps ou encore une culture de la fraude et de l’évasion fiscales mortifère.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Pour ne pas craindre d’avoir à discuter demain d’un éventuel quatrième plan d’aide, la confiance dans la volonté et la capacité du gouvernement grec à transformer réellement le pays pour le mettre au niveau des standards européens est donc fondamentale.

Or cette confiance est aujourd’hui considérablement érodée. §Pour un certain nombre d’Européens, elle est même irrémédiablement brisée.

La défiance qui s’est installée est bien évidemment le fruit des errements et des compromissions des gouvernements grecs qui se sont succédé depuis plusieurs décennies, mais elle est surtout le résultat de l’attitude de M. Tsipras et de ses amis depuis six mois.

Plusieurs sénateurs du groupe CRC s’esclaffent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Depuis leur arrivée au pouvoir, qu’ont-ils entrepris pour redresser véritablement le pays ? Aucune action d’envergure n’a été menée depuis l’élection du 25 janvier, alors même que Syriza avait reçu un mandat fort pour s’attaquer fermement à la corruption ou aux privilèges fiscaux injustifiés, qui font d’ailleurs peser sur une base bien trop étroite le poids des ajustements structurels indispensables. C’est tout le malheur de la Grèce ou, plus exactement, de ses habitants.

Au lieu de cela, le Gouvernement Tsipras a préféré se concentrer uniquement sur la question de la dette et le versement d’une dernière tranche d’aide, dont il disait pourtant, durant sa campagne électorale, ne pas vouloir. Ce faisant, il s’est enferré dans une logique d’affrontement stérile et démagogique avec ses partenaires européens. En cinq mois de négociations, jamais il ne s’est engagé dans une discussion sérieuse et concrète, pas une fois il n’a formulé la moindre proposition crédible, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

… se contentant d’instrumentaliser la menace d’un échec des négociations et d’une sortie de la Grèce de la zone euro.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Pire, il a régulièrement fait usage de la provocation, voire de l’insulte. Le ministre des finances s’est par exemple permis de traiter ouvertement ses interlocuteurs de « terroristes » ou de « criminels ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

M. Jean Bizet. Enfin, la décision soudaine et unilatérale de M. Tsipras de se retirer de discussions pourtant devenues enfin constructives, pour mettre en œuvre un référendum et faire campagne pour le « non », a fini de convaincre la plupart de ses partenaires qu’ils ne pouvaient voir en lui un interlocuteur fiable.

Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

J’ajoute que, malgré l’engagement pris par les chefs d’État et de gouvernement de négocier un troisième plan d’aide important, les mesures que devra mettre en œuvre le gouvernement grec sont semblables, voire plus exigeantes, que celles que sa majorité avait appelé à rejeter dans le cadre du référendum du 5 juillet dernier.

Alexis Tsipras est donc mis aujourd’hui face à ses contradictions. Le mythe s’effondre pour ceux qui, au matin du 26 janvier dernier, voyaient en lui l’alpha et l’oméga d’une réorientation de l’Europe.

Exclamations sur plusieurs travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Dans ces conditions, on peut légitimement s’interroger sur les marges de manœuvre politiques dont son gouvernement pourra bénéficier dans les semaines et les mois à venir, d’autant que le Premier ministre lui-même a affirmé hier ne pas croire au plan de réformes qu’il doit désormais mettre en œuvre...

Mme Esther Benbassa s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Même si plusieurs partis semblent aujourd’hui prêts à soutenir l’agenda de réformes proposé, comme l’a d’ailleurs démontré le vote de la Vouli vendredi dernier, les premières voix discordantes se sont déjà fait entendre au sein de la plateforme majoritaire.

Or ce dont la Grèce a aujourd’hui besoin par-dessus tout, c’est bien de stabilité. Après six mois d’incertitude, d’inconstance et d’inaction, …

Debut de section - Permalien
Une sénatrice du groupe Crc

Et avant ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

… seule la stabilité permettra au pays de s’engager dès maintenant sur des actes forts. Le vote prévu aujourd’hui concernant un certain nombre de réformes clefs est un premier test de la capacité des Grecs à emprunter cette voie.

Mais ne nous y trompons pas : les actions nécessaires à la remise en route pérenne du pays prendront du temps. C’est donc seulement dans la durée que nous pourrons véritablement mesurer la volonté politique des Grecs à se doter d’un État et d’une économie modernes

Exclamations sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

, capables de se passer de la surveillance et de l’assistance de ses partenaires européens

Mme Esther Benbassa s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Lundi, l’Europe a donné dans la douleur une ultime chance à la Grèce de démontrer qu’elle était capable de demeurer membre de la monnaie unique. Néanmoins, cette crise laissera à n’en pas douter des marques profondes et durables dans les relations entre les Grecs et le reste des Européens, mais aussi entre les Européens eux-mêmes, et en particulier entre la France et l’Allemagne – je suis désolé, monsieur le ministre, de vous contredire sur ce point, mais telle est mon analyse –, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

… dont les divergences d’appréciation dans la phase finale des négociations ont éclaté au grand jour.

L’Europe a certes évité, et il fallait le faire, le saut dans l’inconnu qu’aurait constitué une sortie incontrôlée de la Grèce de la zone euro, mais elle ressort toutefois politiquement affaiblie et divisée de cet interminable psychodrame. Fort heureusement, elle n’a pas cédé au chantage de M. Tsipras. C’est, au-delà de la Grèce, un avertissement à tous les populistes d’un certain nombre de pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

M. Jean Bizet. Espérons que cette énième crise aura au moins servi à faire prendre conscience aux Grecs non seulement de l’ampleur des défis qui se posent à eux, mais aussi et surtout de l’impossibilité, pour l’Europe, de revivre ce genre d’épisodes. Une discussion sur un quatrième plan d’aide à la Grèce ou un effacement de sa dette signifierait la perspective d’un Grexit.

Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Enfin, cette séquence a démontré une fois de plus à quel point la zone euro pâtissait de ses déficiences structurelles. La convergence de nos modèles économiques, en particulier dans les domaines fiscal et social, dans lesquels la France est en retard, ainsi qu’un réel pilotage politique de la zone euro ne peuvent plus aujourd’hui rester des débats théoriques ou des vœux pieux. Ils sont tout simplement une urgence politique et économique pour la zone euro.

Lorsque le traité de Maastricht mettant en place l’Union économique et monétaire fut signé en 1992, le tandem Mitterrand-Delors était convaincu que l’Europe conduirait à une convergence naturelle des économies européennes et que l’union économique suivrait l’union monétaire dans les trois ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

–, elle doit prendre l’initiative et faire des propositions concrètes et ambitieuses à ses partenaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Dans sa grande majorité, le groupe des Républicains validera la proposition d’accord négociée par les dix-neuf États de la zone euro et, donc, la signature de la France. Il faut en effet savoir respecter la parole de son pays. J’invite nos collègues exaspérés par le comportement de M. Tsipras à dépasser le ressentiment qui peut être le leur, pour, encore une fois, faire respecter la parole de la France en votant cet accord européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

M. Jean Bizet. Toutefois, ce vote positif ne peut s’appréhender sans un contrôle régulier et précis du respect de la totalité de l’accord européen. En d’autres termes, il ne peut y avoir de versements d’aides échelonnés dans le temps sans respect strict de ses engagements par la Grèce. Le gouvernement français doit s’engager, messieurs les ministres, sur cette exigence de contrôle. Le Sénat, quant à lui, au travers de sa commission des finances et de sa commission des affaires européennes, n’y manquera pas.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Jacques Mézard applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour le groupe socialiste et républicain.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

M. Didier Guillaume. Monsieur le ministre des affaires étrangères, je suis au regret, une fois de plus, de mettre à mal votre modestie. Je voudrais en effet saluer le travail de la France, du chef de l’État, du Gouvernement et de vous-même pour l’accord historique obtenu avec l’Iran

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe et M. Jean-Vincent Placé applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

J’en viens au dossier grec. Que de chemin parcouru depuis la semaine dernière !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Relisons, comme je m’y suis amusé tout à l’heure, les discours des uns et des autres. Que n’avons-nous pas entendu ! Certains souhaitaient le Grexit, c'est-à-dire la sortie de la Grèce de la zone euro, au prétexte que, trop dépensière, elle n’avait rien à y faire, ou tout simplement qu’elle ne parlait pas le même langage que le reste des États européens.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Quelle réussite pour la Grèce et les Grecs, qui s’efforcent aujourd'hui, dans la zone euro, dans l’Europe, de s’en sortir, avec leur gouvernement !

Quelle réussite aussi pour l’Europe ! Car lorsqu’on travaille dans un espace politique et économique européen, on ne laisse pas au bord du chemin ceux qui ont du mal à suivre, bien au contraire. On s’efforce de les faire rentrer dans le peloton, afin que tout le monde puisse atteindre le col.

Quelle réussite pour la zone euro !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Qu’aurions-nous dit à la suite de la sortie de la Grèce de la zone euro, que ce serait-il passé ?

Quelle réussite pour le couple franco-allemand ! N’en déplaise à certains, ce couple a bien fonctionné.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Attention à ce que vous allez dire, ce sera répété !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

À certains moments, plutôt que de faire preuve de cynisme ou d’ironie mal placée, il vaut mieux encourager le travail de la France et de l’Allemagne à contribuer, comme ils l’ont fait depuis des années, à la construction européenne.

La semaine derrière, notre groupe et d’autres affirmaient que la sortie de la Grèce de la zone euro serait un échec pour l’Europe. Nous appelions à ce que la Grèce reste en son sein ; c’est ainsi qu’un avenir meilleur se présentera à l’Europe ; la Grèce, en immense difficulté, pourra enfin se réformer et connaître une amélioration de sa situation, d’un point de vue historique, mais surtout d’un point de vue concret, pour ses habitants.

Le point d’équilibre trouvé lundi dernier par l’ensemble des chefs d’État doit tous nous rassembler, et nous conduire à approuver la déclaration qui nous est soumise aujourd’hui par le Gouvernement.

Il s’agit d’un acte fort pour l’Europe. Au moment où l’Europe est fragilisée, secouée, alors qu’elle a subi des soubresauts terribles à la suite de l’épisode grec, nous, parce que nous sommes optimistes, parce que nous faisons confiance aux chefs d’État et de gouvernement qui signent les traités, parce que nous faisons confiance aux dirigeants européens, nous pensons que cette signature peut être un nouveau départ pour la construction européenne. La signature de cet accord a changé le mouvement européen. Voilà une dizaine de jours, une grande majorité des États européens, sous l’impulsion de la droite européenne, était favorable à la sortie de la Grèce de la zone euro. Aujourd’hui la Grèce reste dans la zone euro ; des mesures ont été prises et d’autres seront prises, avec fermeté.

M. Bruno Sido s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

(Marques de dénégation sur les travées du groupe Les Républicains.) Si c’est le cas, j’accepterai que soient inscrits au compte rendu les mots de M. Tsipras demandant un chèque en blanc. Je vous mets au défi de les retrouver ! C’est une interprétation fallacieuse des faits.

Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Il faut cesser, chers collègues, de stigmatiser le premier ministre grec, M. Tsipras. Il faut arrêter de se faire plaisir, de parler de chantage. J’ai entendu les mots « Pas de chèque en blanc ! » Or c’est faux ! §Jamais M. Tsipras n’a demandé de chèque en blanc ! §

Le référendum de la semaine dernière a été organisé – nous l’avons dit et j’assume ces mots ici – pour redonner de la dignité au peuple grec. Évidemment, la question n’est pas de dire telle mesure sera prise, mais si nous voulons que la Grèce, demain, ait encore un avenir.

Je ne partage pas la vision politique qui a fait élire M. Tsipras. Toutefois, je partage avec lui la volonté de dire que, pour des raisons politiques, géostratégiques, géopolitiques et historiques, la Grèce doit faire partie de la zone euro et doit être dans l’Europe. Voilà notre histoire, voilà l’Europe sur laquelle nous voulons encore travailler !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Aline Archimbaud et M. Jean-Vincent Placé applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

(Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous n’en sommes pas là aujourd’hui. Ce que nous devons bâtir, c’est un dispositif pour que la Grèce et l’Europe s’en sortent.

Mme Sophie Primas s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Le mépris envers M. Tsipras, envers les Grecs et la Grèce doit prendre fin. §

Oui, l’Europe est notre avenir. Cependant, nous le savons, cette Europe-là ne fonctionne pas très bien. Ce constat peut être fait sur toutes les travées, avec des propositions totalement différentes.

Le vote demandé aujourd’hui par le Gouvernement concerne l’approbation d’un accord validé par M. Tsipras – ne cherchons pas d’autres exégèses. Au moment précis où le parlement grec va voter cet accord, à la demande du premier ministre grec, nous autres, nous hésiterions à le signer ?

Voici l’enjeu de cet accord, de ce moment politique : nous sommes les premiers parlementaires, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, à valider cet accord. Des clauses de revoyure sont prévues.Nous verrons comment les choses avanceront.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

J’exposerai quelques motifs évidents en faveur de cet accord. Tout d’abord – je vous le dis très tranquillement –, il faut, dans un tel moment politique, refuser toute récupération politique.

Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

M. le ministre l’a dit, il ne s’agit pas de faire de récupération politique. Je le dis très sereinement, chers collègues, je refuse les dénigrements politiciens.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

M. Didier Guillaume. L’Europe est en grande difficulté, elle a failli se noyer, et la Grèce a failli sortir de la zone euro. La France et le Président de la République jouent leur rôle. Aussi, le rôle de l’opposition est de soutenir la France, la patrie, et non d’afficher un cynisme amusé. Ce n’est pas ainsi que nous bâtirons en Europe la confiance en la France.

Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Si nous comprenons les débats et polémiques internes de la politique française, l’enjeu européen, au regard de ce qu’a connu ce continent pendant la guerre et la reconstruction, vaut bien plus que les dénigrements politiciens.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Ce qui compte, ce n’est pas l’enthousiasme, c’est la vérité de nos convictions, monsieur Poniatowski !

Dans cet accord d’urgence sont demandées des réformes indispensables, et, en le signant, M. Tsipras s’est engagé à faire des réformes.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Non, ce n’est pas la méthode Coué ! M. Tsipras n’était pas obligé d’accepter cet accord et les mesures qu’il contient. Je vous invite à lire l’accord qui a été signé : vous verrez que les Grecs connaîtront des moments difficiles.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Nous devons profiter de cet accord pour que s’ouvre un nouveau chapitre pour l’Europe. Voilà ce qui est important : il faut de nouvelles perspectives – le chef de l’État l’a encore dit hier –, il faut une gouvernance économique européenne forte, plus forte qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Le maintien de la Grèce dans la zone euro et dans l’Union européenne est une victoire pour tous les défenseurs de l’Europe.

Cette gouvernance économique européenne doit être mise en place. Pour ce faire, le couple franco-allemand doit continuer à jouer un rôle fort, un rôle qu’il joue depuis soixante-dix ans. Tantôt la France a eu besoin de l’Allemagne, tantôt l’Allemagne a eu besoin de la France. Mais jamais ce couple ne fonctionne aussi bien que quand ces deux membres fonctionnent ensemble, et non quand l’un écrase l’autre. Nous sommes là non pas pour nous mettre sous la coupe d’un diktat de la chancelière allemande, mais pour que ce couple franco-allemand travaille ensemble, comme il l’a fait ces derniers temps.

Je vous invite, mes chers collègues, à regarder la télévision et à lire les journaux allemands, pour vous rendre compte que l’idée que vous avez du point de vue allemand sur la France est erronée. Zappez ce soir sur les chaînes allemandes, et vous verrez ce qui est dit outre-Rhin de cet accord et du couple franco-allemand.

Cet accord conforte la France. Sa position, non dogmatique, a pu tenir bon. La volonté du chef de l’État, du Gouvernement et de la République française était la suivante : premièrement, tout faire pour que la Grèce reste dans l’euro et dans l’Europe ; deuxièmement, que la Grèce fasse des réformes structurelles indispensables – elle les avait engagées, mais elle ne les avait jamais bien faites ; troisièmement, que les discussions s’engagent sur le rééchelonnement de la dette et les relations futures entre les pays impliqués.

Soutenir cet accord, c’est soutenir l’Europe, c’est soutenir la Grèce, c’est soutenir la zone euro, et c’est aussi, d’une certaine manière, soutenir le couple franco-allemand et la République française.

Pour ces raisons, ce soir, alors que le parlement grec va voter pour cet accord, au moment où, je l’espère, beaucoup de parlements européens voteront en sa faveur, le parlement français se doit de dire oui à la question posée par le Gouvernement. Ainsi, la position de la France dans l’Europe sera confortée, l’avenir de l’Europe préparé, et demain les Grecs vivront un peu mieux qu’ils ne vivent aujourd’hui. Voter en faveur de cet accord, c’est aussi préparer la suite. Mes chers collègues, je vous engage tous à préparer la suite de l’Europe.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, monsieur le ministre de l’économie, mes chers collègues, une semaine après notre récent débat, nous voici de nouveau réunis pour discuter du sort de la Grèce.

Il s’agit aujourd’hui de nous prononcer sur un accord trouvé à l’arraché en début de semaine, à la suite d’une longue et pénible nuit de négociations à Bruxelles.

Le moment de débat que nous avons ici est particulièrement solennel, car plusieurs parlements nationaux de l’Union sont amenés à s’exprimer. Le hasard veut que nous procédions à ce vote, en France et au parlement grec, quasi simultanément.

Il ne s’agit plus ici de s’interroger sur les responsabilités respectives des uns et des autres. Le temps est à présent venu, en âme et conscience, d’acter ou de rejeter l’accord trouvé. Disons-le clairement, c’est sur des formes exacerbées de cynisme, d’égoïsme et d’humiliation que l’Eurogroupe a procédé à cette négociation, perdant ainsi de vue la solidarité et la cohésion qui auraient dû guider ses pas.

Pourtant, c’est bel et bien un précipice que l’Europe vient de frôler. Sans que sa conduite soit particulièrement louable, elle a cependant su – pour le moment – ne pas y tomber. Elle n’a pas sombré dans l’abîme, car même si le peuple grec est aujourd’hui soumis à de terribles contraintes, l’accord proposé évite un scénario bien pire : celui du Grexit, même provisoire, soutenu un temps par l’Allemagne.

Comme j’ai eu l’occasion de le souligner la semaine dernière, c’eût été une totale aberration politique et géopolitique – géostratégique, comme l’a souligné M. le ministre – mais surtout économique, à cause de son coût bien plus élevé que le maintien de la Grèce dans la zone euro.

Nous avons échappé au pire, mais au prix d’un accord extrêmement brutal – il faut le dire – pour la Grèce. Parmi les réformes demandées et obtenues par les créanciers de la Grèce, certaines me semblent dangereuses, et suscitent de très légitimes interrogations.

Tout d’abord, il est demandé au gouvernement Tsipras de consulter en permanence et au préalable la « troïka » sur tout nouveau projet de loi qu’il serait amené à proposer.

Cette mise sous tutelle systématique est inacceptable, et constitue – c’est un fédéraliste européen qui le dit – une véritable atteinte à sa souveraineté.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

De plus, sont mis sous tutelle financière 50 milliards d’euros de ses biens, dont la gestion reviendra à un fonds basé en Grèce.

Sur ce point, je tiens à saluer l’action d’Alexis Tsipras qui a réussi, bien heureusement, à empêcher que ledit fonds ne soit basé à Luxembourg.

Mme Christine Prunaud applaudit et Mme Évelyne Didier s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Cela reste, hélas, une bien maigre victoire, car ce fonds de privatisation n’est en réalité rien de plus qu’une version réactualisée de la société fiduciaire, la Treuhandanstalt, qui fut chargée de la privatisation d’entreprises en RDA, lors de la réunification allemande. C’est loin d’être une bonne nouvelle.

Personne d’autre que M. Schäuble, l’actuel ministre des finances allemand, ne sait mieux à quel point l’action de cette société fiduciaire fut dure et effroyable pour les Allemands de l’Est. À cette époque, il était en effet ministre de l’intérieur du gouvernement Kohl.

À la fin de sa période d’action, seuls 1, 5 million d’Allemands de l’Est avaient réussi à trouver un travail, et les caisses de l’État se retrouvaient avec 120 milliards d’euros de dettes, alors que l’on s’attendait à obtenir 300 milliards d’euros de recettes !

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

M. André Gattolin. Comment alors être optimiste quant à cette mise sous tutelle financière ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

D’autres mesures risquent aussi de pousser la Grèce vers une asphyxie économique et sociale, comme la réforme des retraites et la hausse notable de la TVA.

Prévoir de telles mesures sans instaurer en parallèle – à l’instar de ce qui existe en France ou en Allemagne – un revenu minimum de solidarité me paraît socialement insoutenable.

L’accord très discutable accepté lundi comporte cependant quelques avancées pertinentes. §Je pense ainsi à l’indépendance de l’office grec des statistiques, à la mise en place de réformes en faveur d’un système fiscal enfin viable, à la volonté de mettre fin au clientélisme au sein de l’administration grecque, et à l’affectation de 12, 5 milliards d’euros du fonds de privatisation en faveur de l’investissement.

On nous demande aujourd’hui, à nous, parlementaires français, de nous prononcer sur cet accord. C’est à un choix assez cornélien que nous sommes confrontés. Si nous nous trouvons aujourd’hui dans une telle situation, c’est d’abord parce que nous n’avons pas su doter l’Europe d’instances composant un fédéralisme européen. En commettant cette erreur, nous avons poussé l’Europe sur une trajectoire déviante ayant abouti à une forme de fédéralisme financier guidé par des instances financières qui ne sont pas plus politiques que démocratiques. Une Europe dans laquelle les figures de l’hérésie ont pour noms « cohésion » et « solidarité » n’est pas non plus l’Europe que nous souhaitons ériger.

Quant au vote à émettre sur cet accord, un non, qui, sur le fond, pourrait être justifiable, reviendrait à ignorer l’appel à l’aide du gouvernement grec, et, surtout, à renier tous les efforts qu’il a mis en œuvre

M. Roger Karoutchi s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

M. André Gattolin. … – de l’approuver faute de mieux, afin de maintenir aujourd’hui la tête de la Grèce hors de l’eau et d’engager demain les actions nécessaires pour aider les Grecs à desserrer l’étau dans lequel ils sont pris.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe CRC.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Nous abordons le vote crucial d’aujourd’hui, conscients que le week-end écoulé et le coup qu’il a porté à l’idée européenne marqueront durablement les esprits.

Trois sentiments animent notre groupe. Le premier est la volonté de défendre l’intérêt du peuple grec, qui a eu le courage de se dresser – le 25 janvier et lors du référendum – pour crier à la face de l’Europe sa souffrance et son exigence de voir se lever le pilon qui l’écrase.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

M. Pierre Laurent. Nous redisons ce soir : « Vive ce peuple grec digne et libre ! », et nous saluons Alexis Tsipras, dont le courage et la responsabilité politique sont exemplaires.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Notre deuxième sentiment, c’est la colère contre la violence de nombre des dirigeants de l’Union européenne, au premier rang desquels Angela Merkel et Wolfgang Schäuble. Ils viennent de montrer quels intérêts ils défendent. Qu’un peuple se lève contre l’ordre libéral et l’oligarchie financière, et leur seule préoccupation est de le soumettre et de le punir. Depuis le premier jour, ils n’ont jamais recherché un accord viable avec la Grèce et ont organisé, dès le lendemain du 25 janvier, son asphyxie financière. Ils voulaient la tête d’Alexis Tsipras.

Le référendum a douché leur tentative de coup de force. Ils se sont alors acharnés jusqu’à la dernière minute à provoquer un « Grexit » de fait. Alexis Tsipras, porteur du mandat que lui avait confié son peuple de rester dans la zone euro et de faire respecter la souveraineté de la Grèce, dans l’Union européenne, s’y est refusé à juste raison. Dès lors, leur choix a été l’humiliation et le chantage pour imposer, le couteau sous la gorge, un nouveau plan drastique à la Grèce. Ces dirigeants et leur méthode sont la honte de l’Europe ! §Des millions d’Européens ne l’oublieront pas.

Notre troisième sentiment est une très grande inquiétude quant à l’avenir de l’Europe. Elle saignera dans les cœurs et dans les têtes de millions d’Européens si elle continue ainsi. Tous ceux qui persistent à soutenir de telles méthodes prennent une très grave responsabilité devant l’histoire ! Des frustrations et humiliations engendrées par une telle arrogance et la seule loi du plus fort naîtront des monstres politiques, qui grandissent déjà au cœur de l’Europe !

Applaudissements sur les mêmes travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La première leçon à tirer des événements est l’impérieuse nécessité de la refondation sociale, politique et démocratique de l’Union européenne et son émancipation urgente des logiques financières qui l’étouffent.

L’accord qui nous est soumis écarte à première vue le Grexit, qui était, et qui reste, l’objectif des dirigeants allemands. Alexis Tsipras a dit hier, avec une grande loyauté à l’égard de son peuple, dans quelles conditions il a assumé un accord, contraint et forcé, pour éviter ce cauchemar.

Je sais que, devant la brutalité de l’accord, certains en viennent à penser que le Grexit ne serait plus qu’un moindre mal. Je ne le crois pas, et les Grecs ne le croient pas non plus. Une sortie de la zone euro ferait passer la Grèce de la crise humanitaire à l’hécatombe. Regardez comment, dans le dos de M. Schäuble, Marine Le Pen et les siens attendent le Grexit comme la victoire enfin remportée pour sonner le glas de la solidarité européenne !

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Cependant, l’accord n’a pas réellement écarté ce risque, car on a choisi d’imposer à la Grèce une mise sous tutelle insupportable et de nouvelles mesures d’austérité draconiennes. Joseph Stiglitz a déclaré que les efforts demandés à Athènes « dépassaient la sévérité », qu’ils « recelaient un esprit de vengeance ». Si les exigences des créanciers sont respectées jusqu’au bout, elles s’avéreront une nouvelle fois injustes socialement et contre-productives économiquement.

Alexis Tsipras a redit sa volonté de protéger les plus faibles et d’aller chercher les nouvelles recettes fiscales contre ceux qui s’enrichissent, il a redit la nécessité de réaliser des investissements productifs et d’alléger le fardeau de la dette, mais, en réalité, tout est fait, y compris dans le cadre de l’accord, pour l’en empêcher. Ainsi en va-t-il du programme démentiel de privatisations qui figure dans l’accord. Les rapaces sont déjà à l’œuvre. Vinci est paraît-il déjà sur place pour racheter les aéroports.

Eh oui ! sur plusieurs travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Plusieurs engagements financiers, mentionnés à la demande de la Grèce dans l’accord, sont envisagés : un programme de refinancement, un rééchelonnement partiel de la dette et un plan d’investissement. Sans ces engagements, il n’y aura pas de relance. Or, sous la pression de l’Allemagne, tous ces engagements sont rendus hypothétiques et seront soumis au chantage permanent des créanciers ! C’est le supplice de Tantale qui continue.

Quant à la France, si le Président de la République a joué tardivement un rôle positif pour éviter le Grexit, elle a accepté au cours de la dernière nuit que le prix exorbitant à payer soit fixé par Angela Merkel, qui a finalement dicté ses conditions. La France n’est donc pas quitte. Après cela, nous pouvons encore moins nous remettre à célébrer, comme si de rien n’était, le couple franco-allemand « indestructible ».

Il faut poursuivre le débat et la bataille. Certains voudraient refermer la parenthèse grecque. Notre intérêt commun est au contraire de pousser au changement dans toute l’Europe pour libérer le continent des forces libérales.

La France doit agir sans attendre pour obtenir le déblocage immédiat – il n’est toujours pas acquis – des liquidités de la Banque centrale européenne, sans que ce déblocage soit soumis à de nouvelles conditions. Elle doit également agir pour mobiliser le plus vite possible les 35 milliards d’euros d’investissements prévus, en engageant sans tarder la contribution de la France et en proposant à d’autres pays de se joindre à la création d’un fonds de développement pour la Grèce adossé à la Banque centrale européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La France doit enfin travailler à concrétiser le rééchelonnement de la dette.

Notre vote d’aujourd’hui est un acte de lutte et de solidarité aux côtés du peuple grec, d’Alexis Tsipras et de Syriza.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

M. Pierre Laurent. Nous sommes solidaires de leurs choix et nous assumons leur difficile et courageux combat. Nous sommes à leurs côtés pour dire non à l’expulsion de la Grèce, mais nous disons d’un même mouvement, au nom de la France et du rôle qu’elle doit jouer, que l’accord scandaleux imposé à Bruxelles n’est pas digne de l’Europe et qu’aucun maintien dans l’euro ne peut le légitimer. Voilà pourquoi le groupe CRC votera majoritairement contre cet accord.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la question soumise à la Haute Assemblée consiste à donner ou non quitus à la signature d’un accord dont on peut dire qu’il est une étape nécessaire, à défaut d’être historique, terme dont l’Histoire elle-même démontre qu’il convient d’user avec précaution.

Cet accord est une étape nécessaire pour éviter un saut dans l’inconnu, une sortie de la Grèce de l’euro, procédure inédite, non prévue institutionnellement et dont l’analyse des conséquences tant économiques que politiques ne saurait être réellement effectuée que postérieurement. D'ailleurs, ceux qui s’opposent à l’accord – leur opinion est respectable – ont des difficultés à exposer une solution concrète et réaliste permettant de résoudre le problème.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

À défaut d’être historique, l’accord a une nouvelle fois démontré que le couple franco-allemand était le socle de la construction européenne et que tout ce qui contribuait à le fragiliser était dangereux pour l’Europe.

Le rôle du Président de la République dans l’obtention de l’accord a été important, et salué comme tel ; vous voyez que je le reconnais, monsieur Guillaume. Nous nous en réjouissons. On peut d'ailleurs considérer que, loin du conflit franco-allemand que certains ont décrit, c’est une complémentarité qui est à retenir : une profonde expérience de l’art de la synthèse entre des propositions diamétralement opposées a sans nul doute facilité l’issue de la négociation.

Passé le « ouf » de soulagement poussé par les bourses européennes, le réveil est néanmoins difficile, et la surmédiatisation de la crise, en grande partie propagée par le Premier ministre grec lui-même, n’a rien arrangé. Les premières réactions de ce dernier, dès son retour à Athènes, attestent que l’accord n’est qu’une étape et que la crise grecque n’est pas terminée. La maladie n’a pas tué le patient, le médicament ne l’a pas encore sauvé.

M. Tsipras demande à son parlement de voter un accord auquel il ne croit pas, autrement dit une signature sous la contrainte, mais il n’est pas François Ier face à Charles Quint. Des années ont été perdues, tant par la Grèce que par l’Europe. Les pays qui respectent leurs engagements n’accepteront pas demain de contribuer une nouvelle fois.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

M. Jacques Mézard. Cela étant, on ne saurait rester sourd aux interpellations du Fonds monétaire international, le FMI, qui conditionne sa participation au nouveau plan à un allégement, voire un effacement partiel de la dette grecque. Il faudra y parvenir, comme l’a justement relevé M. le ministre des affaires étrangères. C’est inéluctable. Mes chers collègues, l’Allemagne ne pourra ni ne devra oublier que, après chaque guerre mondiale, elle a bénéficié de la sollicitude forcée ou amicale de ses créanciers.

Exclamations sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Comment éluder le fait que le FMI constate une détérioration spectaculaire de la solvabilité de la dette grecque, qui approchera les 200 % de son PIB dans les deux ans, alors que l’accord prévoit simplement des mesures additionnelles d’allégement de la dette si Athènes tient ses engagements ? Or le FMI devrait participer au nouveau plan de financement de secours à la Grèce, qui s’élève à plus de 80 milliards d’euros, et ne peut normalement prêter de l’argent à un pays qui lui en doit.

Tout concourt à mettre en évidence que la dette grecque va encore engendrer bien des soubresauts politiques et économiques, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

… ainsi que des drames humains, conséquences tant des promesses démagogiques des gouvernements que de l’impéritie des banques, qui ont facilité ces promesses dans un objectif spéculatif, en passant ensuite l’ardoise de leurs errements non sanctionnés aux États et aux citoyens européens.

Mes chers collègues, je tiens à souligner, au moment où nous allons émettre un vote majoritairement favorable à l’accord, qu’il faut au moins que cette crise ait une vertu, que des leçons en soient tirées : sur les institutions européennes, avec un Parlement à vingt-huit sans aucun poids dans un débat concernant les dix-neuf de la zone euro, sur la gouvernance économique, qui ne se gère pas en un jour mais en direction de laquelle des pas peuvent et doivent être faits, et enfin sur le système bancaire.

Il est plus facile de gagner un référendum contre l’austérité que d’appeler ses concitoyens à la rigueur, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

M. Jacques Mézard. … mais cela n’est aucunement une spécialité grecque ; nous pouvons y réfléchir sérieusement et, je l’espère, sereinement. En tout cas, dans l’instant et dans l’attente, notre groupe, à l’exception de notre excellent collègue Pierre-Yves Collombat, votera en faveur de l’accord présenté à nos suffrages.

Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme la présidente de la commission des finances.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l’issue d’une période au cours de laquelle chacun a pu douter, à un moment où à un autre, de l’avenir de la Grèce au sein de la zone euro, une solution semble enfin se dessiner. Le temps est maintenant venu pour les représentations nationales des États membres de la zone euro de se prononcer, à leur tour, sur le principe de ce troisième plan d’aide.

Bien qu’aucun texte constitutionnel, organique ou législatif ne l’impose, le parlement français est consulté. Aussi, je tiens à remercier le Gouvernement d’avoir demandé un vote à l’issue de sa déclaration, sur un sujet d’une importance essentielle du fait de ses implications non seulement financières, mais surtout politiques.

En effet, si une posture seulement économique avait dominé le projet européen voilà maintenant plus de vingt ans, la zone euro ne serait pas. Cette dernière ne présentait alors pas, et ne présente d’ailleurs toujours pas, les caractéristiques économiques propres à une zone monétaire. Elle est « autre chose » qu’une construction économique.

La dimension politique a été négligée tant par les tenants d’une sortie de la Grèce de la zone euro que par les opposants au programme d’assistance soumis à la République hellénique par l’Eurogroupe. Elle a pourtant conduit à la déclaration de l’Eurogroupe du 12 juillet, qui marque le souhait unanime des membres de la zone euro de continuer de compter la Grèce parmi ses membres.

Cette dimension politique, et même géopolitique, voire géostratégique, sur laquelle vous avez insisté à juste titre, monsieur le ministre, s’illustre également dans les conditions entourant la préparation du lancement du troisième « soutien à la stabilité » octroyé par le Mécanisme européen de stabilité, le MES. Aucune des interventions précédentes du mécanisme, en faveur des banques espagnoles puis de Chypre, n’aura présenté une dimension politique aussi forte.

Le traité instituant le MES prévoit que celui-ci peut accorder un soutien « si cela est indispensable pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble et de ses États membres » et « sur la base d’une stricte conditionnalité ».

Il prévoit aussi que des États n’appartenant pas à la zone euro peuvent également participer au plan d’aide, ce qui ne serait pas illégitime, compte tenu des enjeux pour l’ensemble de l’Union européenne.

La décision d’octroyer une aide est prise d’un commun accord par le Conseil des gouverneurs, constitué des ministres des finances, sauf lorsque la Commission européenne et la Banque centrale considèrent qu’il faut agir d’urgence, car il existe une menace sur « la soutenabilité économique et financière de la zone euro ».

Dans ce cas, la décision peut être prise à la majorité qualifiée, mais les États disposant de plus de 15 % des voix disposent d’un droit de veto.

L’article 33 de la loi de finances rectificative du 14 mars 2012 ne prévoit pas de vote du Parlement, mais une information des commissions des finances, lorsqu’une telle décision est prise. Cependant, nous voyons aujourd’hui que le Gouvernement peut décider de son propre chef d’aller au-delà de sa stricte obligation légale.

Dans le cas de la Grèce, la déclaration du sommet de la zone euro du 12 juillet fixe les conditions politiques du déclenchement de la procédure de soutien du MES.

Des mesures d’urgence sont demandées à la Grèce : elle doit modifier sa gouvernance budgétaire en instituant l’équivalent de notre Haut Conseil des finances publiques et en créant son mécanisme de correction automatique des dérapages par rapport à la trajectoire de solde structurel ; elle doit aussi transposer les règles de la directive dite BRRD en matière de résolution bancaire.

La sévérité des réformes économiques et fiscales a fait l’objet de nombreuses critiques. Il est vrai que ces réformes sont exigeantes, d’autant qu’elles devraient être accompagnées d’une trajectoire de finances publiques rigoureuse.

Mais n’est-ce pas légitime ? Les États de la zone euro s’apprêtent à concéder une assistance financière supplémentaire de plus de 80 milliards d’euros, venant s’ajouter aux 180 milliards d’euros d’aides qu’ils ont déjà consenties à la Grèce depuis 2010. Or une telle concession ne pouvait être acceptée sans que la Grèce montre sa détermination à redresser ses comptes publics et son économie, en particulier pour des pays qui se sont eux-mêmes imposé d’importants efforts d’ajustement, comme l’Espagne, le Portugal, l’Irlande ou les États baltes.

Par conséquent, les conditionnalités soumises à la Grèce constituent une exigence politique déterminant l’acceptation du programme d’assistance par les populations européennes et leurs dirigeants.

La France a pesé de tout son poids lors des négociations, de manière à préserver la place de la Grèce au sein de la zone euro. En cela, elle a fait son devoir. En effet, notre pays a pleinement contribué à préserver la stabilité de la zone euro et, par extension, la pérennité du projet européen.

Nos intérêts budgétaires et patrimoniaux sont protégés, puisque l’Eurogroupe a écarté une réduction du montant nominal de la dette grecque, même s’il envisage, de nouveau, d’allonger la période de grâce, ainsi que la maturité des prêts accordés à la Grèce. Surtout, l’essentiel du programme d’assistance financière serait porté par le MES, sans qu’il soit nécessaire de faire appel à de nouveaux apports des États de la zone euro et sans accroître la dette des États participants.

Je veux terminer en insistant sur le fait qu’il faut tirer les leçons des deux premiers plans d’assistance. La Grèce ne sera pas livrée à elle-même pour mettre en œuvre la conditionnalité. L’accord du 12 juillet rappelle qu’elle va formuler une demande d’assistance technique. Ce point est essentiel, surtout pour la France, qui a fait le choix d’accompagner la Grèce plutôt que de la stigmatiser. Notre assistance doit être partenariale et non punitive.

Lorsque je constate que l’accord du 12 juillet prévoit que la Commission européenne dégage 35 milliards d’euros sur son budget et tend à augmenter le montant des préfinancements pour les investissements en Grèce, ou que le plan Juncker va être mobilisé, je veux croire que les Européens ont compris que l’objectif essentiel est la cohésion et la stabilité de la zone euro, qui doit être plus qu’une simple zone de changes fixes. Elle doit pleinement demeurer un projet politique.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires européennes.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je remercie le Gouvernement d’avoir pris l’initiative de ce débat, qui sera suivi d’un vote. Il était essentiel que le Sénat puisse se prononcer. Il y a dans ce dossier un enjeu financier important.

Au-delà, c’est la conception même de l’Union européenne qui est en cause.

Cet accord était indispensable pour éviter à la Grèce un saut dans l’inconnu. Il permet de maintenir l’intégrité de la zone euro et signe l’échec du populisme et de la démagogie. Six mois ont malheureusement été perdus !

Nous devons nous réjouir qu’en dépit de l’épreuve qu’elle a traversée l’Europe ait su réagir. Les procédures européennes ont fonctionné. L’Union européenne étant une construction démocratique, nous disions depuis le début que le dossier grec ne pouvait se résoudre à une confrontation stérile entre la Grèce et ses créanciers.

Les premiers créanciers de la Grèce sont les contribuables européens, qui n’ont jamais failli dans leur solidarité à l’égard des Grecs. Notre pays est lui-même fortement engagé.

Deux programmes d’aide ont déjà été adoptés. Les besoins de financement d’un nouveau programme sont évalués entre 82 milliards et 86 milliards d’euros, mais ce ne peut être que sous la condition expresse que la Grèce mette enfin en œuvre les indispensables réformes structurelles trop longtemps différées. Nous l’avions dit ici même lors de notre débat du 8 juillet dernier : oui à la solidarité, mais pas de solidarité sans responsabilité !

Que nous montre la crise grecque ? Un État qui vit au-dessus de ses moyens, qui accumule les déficits et les dettes, est toujours rattrapé par les réalités.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

Disons-le clairement : c’est bien la dette qui signe la vraie perte de souveraineté ! Respecter des règles de bonne gestion, c’est assurer la viabilité de nos États, de nos économies et de notre modèle social !

Gardons-nous, à ce stade, de tout enthousiasme excessif. Nous avons entendu hier le premier ministre grec dire que l’accord qu’il avait lui-même négocié et conclu était un mauvais accord ! Le parlement grec doit voter aujourd’hui sur une série de mesures demandées par le sommet de la zone euro, et d’autres parlements sont aussi appelés à se prononcer.

La déclaration du 12 juillet indique clairement que les engagements demandés correspondent « au minimum exigé pour entamer les négociations avec les autorités grecques ». Nous le voyons bien, nous sommes encore au début d’un processus, qui comporte plusieurs étapes à franchir avec succès pour qu’une dynamique enfin positive puisse réellement s’enclencher.

L’enjeu immédiat, c’est de « rétablir la confiance avec les autorités grecques ». Ce sont bien d’importantes réformes structurelles qui sont demandées. Un calendrier précis est fixé. L’administration grecque doit être modernisée et dépolitisée. La création d’un fonds indépendant d’un montant de 50 milliards d’euros doit être relevée. Il garantira le remboursement du nouveau prêt du Mécanisme européen de stabilité. Il servira aussi à diminuer le ratio d’endettement et soutiendra l’investissement.

Parallèlement, l’Union mobilisera jusqu’à 35 milliards d’euros pour financer l’investissement et l’activité économique. Dans le cadre d’un nouveau programme d’aide, des mesures pourront être envisagées pour assurer la soutenabilité de la dette grecque, comme l’Eurogroupe l’avait déjà évoqué en 2012.

Nous avons là l’opportunité d’inventer un nouveau modèle de solidarité responsable. Les États créanciers qui le souhaitent pourraient convertir une partie de la dette grecque en certificats d’investissement permettant de développer l’économie grecque.

Au total, nous saluons un accord qui permet d’éviter le pire et ouvre des perspectives concrètes. Cependant, le Sénat sera très vigilant. Messieurs les ministres, nous demandons au Gouvernement de veiller à la bonne information de notre assemblée concernant la mise en œuvre des mesures qui ont été annoncées.

Avec la commission des finances, la commission des affaires européennes restera mobilisée, dans la continuité du travail que notre collègue Simon Sutour a déjà effectué, et dont je salue la qualité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

Au-delà, la crise grecque pose la question du fonctionnement de la zone euro. Une zone monétaire unifiée ne peut fonctionner sans le respect des règles communes. Il ne peut pas y avoir d’union monétaire sans union économique.

Nous avons besoin d’un véritable gouvernement économique. Nous voulons une capacité budgétaire pour la zone euro. Il faut un contrôle démocratique dans lequel les parlements nationaux doivent pouvoir jouer tout leur rôle. Le couple franco-allemand doit être à l’initiative.

C’est à lui que revient la responsabilité première pour franchir ce nouveau pas incontournable. La crise grecque aura alors au moins permis à l’Union européenne d’identifier ses faiblesses et de travailler à les résorber.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’interviens pour éviter de laisser sans réponse, ne serait-ce qu’au nom de la courtoisie, les interventions très fouillées qui ont été prononcées. Je serai bref puisque votre ordre du jour est chargé.

Mme la présidente de la commission des finances et M. le vice-président de la commission des affaires européennes ont été dans leur rôle, à la fois technique et politique, en démontant les mécanismes à l’œuvre.

J’ai noté, en particulier de la part de M. Emorine, des remarques très justes sur la solidarité et la responsabilité, qui sont vraiment au cœur de la question. Par ailleurs, l’analyse de Mme Michèle André sur les conditions de la cohésion m’a paru extrêmement juste.

Dans les deux cas, vous avez souhaité que le Sénat soit tenu informé du suivi : il le sera.

Monsieur Navarro, j’ai été surpris par votre thèse, qui, si j’ai bien compris, postule que le vote proposé, et ce, j’y insiste, par M. Tsipras lui-même, aboutirait à des conséquences extrêmement difficiles, voire insupportables.

J’ai bien sûr analysé le sujet, avec mes collègues du Gouvernement, et je pense que de tous les choix à faire, car il y a toujours des choix politiques à faire entre plusieurs options, c’est le Grexit – le nom est horrible ! – qui aurait eu le pire effet. J’y reviendrai, car il s’agit quand même du fond de l’argumentation.

M. Zocchetto a bien voulu dire « oui » à cet accord, …

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

M. Laurent Fabius, ministre. ... mais, pour reprendre une métaphore juridique, j’ai préféré le dispositif aux motifs.

M. Bruno Sido s’esclaffe.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Le dispositif, c’est l’accord pour voter, mais je ne peux pas partager certains des motifs.

M. Zocchetto comme d’autres orateurs qui sont intervenus ont présenté les choses d’une façon qui n’est pas conforme avec la réalité quand ils disent que les Allemands voulaient un bon accord, tandis que la France voulait un accord à tout prix.

Non ! Par rapport à vous, j’ai la faiblesse, de par ma position institutionnelle, d’avoir participé à la négociation, donc je suis au courant de ce qui s’est passé.

Lors des discussions au sein de l’Eurogroupe – ce n’est pas la même chose que lorsque les chefs d’État ou de gouvernement sont intervenus –, le représentant de l’Allemagne était pour la sortie de la Grèce – beaucoup d’autres ministres étaient de cet avis –, alors que les institutions européennes invitaient au contraire à adopter le plan de sauvetage. Cette sortie était qualifiée de « provisoire ». Or, à mon avis, une sortie provisoire, ce n’est pas possible ; j’y reviendrai.

Voilà ce qui s’est passé lors de la réunion des ministres. Cela ne signifie pas que les ministres ont eu une position différente de celle des chefs d’État ou de gouvernement, même si cette situation peut arriver… de temps en temps.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Le grand apport de la réunion, qui a duré toute la nuit – Bruxelles n’est pas le seul endroit où l’on se réunit toute la nuit, je peux en témoigner –, a été de changer les termes de l’équation : la Chancelière allemande et le Président de la République français se sont rejoints pour refuser ce qu’on appelle le « Grexit » et aboutir à une solution. Voilà comment les choses se sont passées !

Cela étant, je remercie M. Zocchetto d’apporter, au nom de son groupe, son soutien à cet accord.

M. Bizet est intervenu un peu dans le même sens. Beaucoup de ses observations sont particulièrement justes, mais dire bravo à l’Allemagne pour tout ce qu’elle a fait et mettre zéro à la France – je caricature – n’est pas conforme à la réalité. Comme l’écrit la presse internationale, que vous lisez certainement, monsieur le sénateur, il n’y aurait qu’en France qu’on critiquerait la position prise par la France… Cependant, je remercie beaucoup M. Bizet du soutien de son groupe.

M. Guillaume m’a félicité de l’accord avec l’Iran.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

M. Laurent Fabius, ministre. Il a surtout souligné que le point d’équilibre trouvé au sujet de la Grèce devrait rassembler le plus grand nombre. Il a également insisté, et à mon sens il a eu tout à fait raison de le faire, non seulement sur l’aspect économique, mais aussi sur la dimension géopolitique. Cet accord porte bien entendu sur les conditions économiques et financières, mais – nous avons déjà eu l’occasion de le dire la dernière fois – il ne s’agit pas uniquement d’une décision économico-financière, même si, je le répète, une sortie de la Grèce coûterait plus cher au contribuable que son maintien.

Marques d’approbationsur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Attention, il n’a jamais été dit que le maintien de la Grèce dans la zone euro ne coûtera rien – il ne faut pas présenter la position de la France comme étant un chèque en blanc –, mais, mécaniquement, il est évident que, avec une dette importante contractée en euros, la sortie de la Grèce impliquerait la création d’une nouvelle monnaie, ce qui entraînerait une dévaluation massive. Le club de Paris n’aurait alors pas d’autres solutions que de rabattre une partie de la dette. Et par qui celle-ci serait-elle payée ? Par les contribuables français ! Il n’existe donc pas, d’un côté, une solution qui éviterait au contribuable français de payer et, de l’autre, une solution pénalisante.

Je note que M. Didier Guillaume a exprimé le soutien de son groupe à cet accord.

M. Gattolin a pesé les inconvénients et les avantages de cet accord, ce qui est le sens de toute décision politique. Si j’ai bien compris, son groupe apportera majoritairement son soutien à l’accord.

M. Pierre Laurent a dit, comme toujours, des choses très justes sur la frustration et l’humiliation subies par les Grecs. Je dois dire cependant – il me le permettra puisque nous avons des relations amicales – que j’ai ressenti une légère contradiction dans son propos.

Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

J’avais en tête une maxime de Kant – « Agis toujours de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle » –, mais je ne me souvenais plus du numéro ; je me suis donc tourné vers mon collègue philosophe, M. Macron.

Rires.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Il m’a indiqué, après avoir cherché sur son Ipad

Nouveaux rires.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Cher ami Pierre Laurent, il est paradoxal d’appeler à la solidarité avec M. Tsipras tout en demandant au Sénat français de voter contre la recommandation qu’il adresse à son Parlement.

Exclamations sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Oui, le plan proposé est dur, difficile pour la population grecque ! Vous avez eu raison de dire que les Grecs ne sont pas responsables individuellement, même s’il ne faut pas oublier que, collectivement, les réformes nécessaires n’ont pas été réalisées et qu’il y a eu toute une série d’excès. De ce fait, on comprend leur sentiment de révolte et d’humiliation. Seulement, aujourd’hui, nous sommes dans un moment politique. Le Premier ministre Tsipras s’exprimant d’une façon forte et qui doit énormément lui coûter a dit à son propre Parlement : malgré mes difficultés, je vous demande de voter pour l’accord. C’est donc faire preuve d’une solidarité un peu particulière que de dire : je comprends tes difficultés – puisque vous vous tutoyez –, …

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

… mais, moi, je vais voter contre. Nous aurons sans doute l’occasion d’en rediscuter.

M. Mézard a rendu hommage au Président de la République, ce qui est fréquent chez lui…

Sourires.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Pour terminer cette réponse rapide, je rapprocherai l’accord avec l’Iran et celui avec la Grèce, même s’ils sont très différents. Lorsque l’on est amené à se prononcer sur un accord – vous n’aurez pas à vous prononcer sur l’accord iranien, celui-ci étant politique, et non juridique –, il ne faut pas commettre l’erreur de juger dans l’absolu. En effet, dans l’absolu, les Grecs souhaiteraient que le sacrifice demandé soit moins dur et les Français aimeraient que cela leur coûte moins cher. Seulement, l’affaire ne se présente pas ainsi.

Vous avez deux solutions, au moins : soit voter l’accord, et il n’y aura pas de sortie de la Grèce, soit voter contre, et il y aura un Grexit. Or, je le répète, une sortie provisoire, cela n’existe pas. Pourquoi ? Parce que le fait d’admettre qu’un pays qui connaît des difficultés considérables puisse sortir de l’euro pour jouer sur la parité monétaire au lieu de faire des réformes structurelles, c’est tout à fait contraire à la logique de l’euro. L’euro est une monnaie unique. On peut jouer sur la parité par rapport au dollar ou au yen pour que l’euro ne soit pas trop cher, mais si l’on accepte de faire jouer la parité à l'intérieur du système monétaire européen, alors il n'y aura plus de réforme de fond et d’autres pays – je ne parle pas de la France – se diront pourquoi faire des « sacrifices » si je peux manipuler ma parité monétaire. Dans ces conditions, il n’y aura plus de fonctionnement possible de l’euro.

Les Grecs ont à faire un choix très compliqué ; nous aussi d’ailleurs : ou bien ils optent pour une solution qui permettra à leur pays, au prix de réformes difficiles, de s’en sortir et de rester dans l’euro et dans l’Europe – nous l’espérons tous – ou bien ils décident de sortir de la zone euro. Outre que les deux solutions seront coûteuses du point de vue humain pour la population grecque comme pour la nôtre, le Grexit, qu’on le veuille ou non, aura des conséquences géopolitiques, compte tenu de ce qui se passe notamment en matière migratoire dans ce pays géographiquement clé.

Il ne faut donc pas raisonner dans l’absolu, mais choisir entre deux solutions qui sont toutes les deux exigeantes. Je pense que celle retenue, dans des conditions très difficiles, par le Premier ministre Tsipras permet de préserver – je dis bien de « préserver » – le maximum de possibilités pour la Grèce et pour les autres pays d’Europe.

Enfin, plusieurs intervenants, dont M. Mézard, ayant parlé d’histoire, je voudrais terminer mon propos par une citation de Jean Jaurès

Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

– c’est apparemment le meilleur moyen de rassembler tout le monde

Sourires.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

– extraite de Discours à la jeunesse : « L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir ». C’est la leçon que nous devons tirer de ce débat. Cette belle phrase pourrait d’ailleurs être la devise de toute diplomatie.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

À la demande du Gouvernement, le Sénat est appelé à se prononcer par un vote sur cette déclaration.

Aucune explication de vote n’est admise.

Conformément à l’article 39, alinéa 3 bis, du règlement, il va être procédé à un scrutin public ordinaire dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 226 :

Nombre de votants343Nombre de suffrages exprimés283Pour l’adoption260Contre 23Le Sénat a approuvé la déclaration du Gouvernement sur l’accord européen relatif à la Grèce.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures trente, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

L’ordre du jour appelle l’examen du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière (projet n° 562, texte de la commission n° 603, rapport n° 602).

Pour ce projet de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure simplifiée.

Je vais donc le mettre aux voix.

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière, signé à Tournai le 18 mars 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière.

Le projet de loi est définitivement adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Miquel

Monsieur le président, j’ai été empêché de participer au vote sur l’ensemble du projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019. Je demande qu’il soit noté que je souhaitais voter pour.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc (projet n° 543, texte de la commission n° 583, rapport n° 582).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Harlem Désir

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée examine aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc, signé le 6 février 2015.

Vous le savez, le Maroc est l’un des États avec lequel la France a le plus d’échanges en matière d’entraide pénale, notamment dans la lutte contre le trafic international de stupéfiants et contre le terrorisme. Le Maroc a souhaité suspendre cette relation pendant un an, pour des raisons que vous connaissez tous, avec des conséquences préjudiciables.

Le dialogue étroit et constant que nous avons maintenu avec les autorités marocaines a fort heureusement abouti, le 31 janvier dernier, à un accord entre nos deux ministres de la justice. Sous l’impulsion du Président de la République et du roi Mohammed VI, le partenariat d’exception qui nous unit au Maroc a retrouvé sa pleine vigueur.

J’en profite pour saluer le rôle précieux joué par la diplomatie parlementaire dans cette dynamique…

Debut de section - Permalien
Harlem Désir, secrétaire d’État

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. … et le travail exemplaire accompli par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ainsi que par le groupe interparlementaire d’amitié présidé par M. Christian Cambon, dont je salue l’action.

Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Harlem Désir, secrétaire d’État

Un calendrier dense de contacts politiques a permis, durant les six derniers mois, de renouveler et d’approfondir notre coopération dans tous les domaines.

Les visites en France des ministres marocains de la justice et des libertés, de la communication, des finances, de l’éducation nationale et de la formation professionnelle, ainsi que de l’environnement, se sont succédé.

De leur côté, les ministres français des affaires étrangères, de l’intérieur et des finances se sont rendus au Maroc. La rencontre de haut niveau, présidée par le Premier ministre Manuel Valls et le chef du gouvernement marocain Abdelilah Benkirane, a réuni à la fin du mois de mai, à Paris, vingt-deux ministres français et marocains. Cette rencontre, au cours de laquelle une vingtaine d’accords a été signée, a illustré la densité du partenariat franco-marocain.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avec l’approbation du texte qui vous est soumis aujourd’hui, il s’agit de confirmer et de renforcer les liens de confiance et d’amitié qui unissent la France et le Maroc. C’est particulièrement indispensable dans le contexte sécuritaire que nous connaissons actuellement.

Je connais les interrogations soulevées à l’occasion de l’examen de cet accord par la commission des affaires étrangères. Je rappellerai, pour y répondre, les clarifications apportées par le ministre des affaires étrangères et du développement international lors d’une audition devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le 11 juin dernier, puis par la secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie, lors du débat en séance publique à l’Assemblée nationale.

Le principal objectif de ce texte est de mettre en place un nouveau mécanisme d’information immédiate et de recueil d’informations. Il sera ainsi possible d’assurer une meilleure administration de la justice, ainsi qu’une conduite efficace et diligente des procédures, au regard notamment du principe de territorialité des poursuites. Ce texte vise donc à favoriser et à fluidifier les échanges entre les autorités françaises et marocaines, élément essentiel pour un travail efficace de la justice.

Ce texte est évidemment conforme aux principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de l’autorité judiciaire, consacrés par la Constitution. Il ne prévoit aucun mécanisme de dessaisissement du juge français au profit du juge marocain ou du juge marocain au profit du juge français. Le juge initialement saisi recueille, par le biais des autorités centrales, des observations et des informations auprès du juge de l’autre pays et, au vu des éléments éventuellement transmis, détermine les suites à donner à la procédure.

Si le texte prévoit que la clôture ou le renvoi doivent être prioritairement envisagés, c’est en raison des éléments d’extranéité de la procédure, pour une meilleure administration de la justice.

Sauf si le juge français décide de clore la procédure, celui-ci reste saisi du dossier, puisque le renvoi éventuel est effectué par une dénonciation officielle des faits, qui ne dessaisit pas le juge. Néanmoins, l’autorité judiciaire conserve en toutes hypothèses la possibilité de poursuivre la procédure, notamment pour garantir l'efficacité des investigations à mener ou pour éviter toute impunité. Contrairement à ce qui a pu être allégué, la poursuite de la procédure n’est donc pas limitée par l’absence de réponse ou l’inertie de l’autre partie.

Ce texte est également conforme à nos engagements internationaux, notamment aux règles applicables en matière de compétence quasi universelle. Il ne crée pas de mécanisme de dessaisissement ou de subsidiarité. Le juge initialement saisi demeure toujours libre de décider des suites qu’il entend donner à la procédure. L’article 23 bis de l’accord rappelle d’ailleurs que le dispositif de coopération et d’échanges s’inscrit dans le cadre des engagements respectifs de la France et du Maroc, pour contribuer à la bonne mise en œuvre des conventions internationales qui les lient.

Le nouvel article ne porte aucune atteinte au droit à un recours effectif des victimes françaises et étrangères de crimes et délits commis au Maroc. Bien au contraire, l’objectif de ce nouveau dispositif est de permettre une meilleure administration de la justice et la conduite efficace et diligente des procédures. En effet, la pratique démontre que les procédures menées en France pour des faits commis à l’étranger sont souvent longues et complexes, dans la mesure où les éléments de preuve se trouvent majoritairement hors du territoire national et nécessitent des demandes d’entraide. Le nouveau mécanisme introduit par l’article 23 bis, qui facilite l’échange d’informations entre les parties, contribuera à l’efficacité de la conduite des procédures, tout en préservant les critères de compétence des autorités judiciaires initialement saisies.

Enfin, et je sais que c’est un sujet d’interrogation, le texte s’applique aux ressortissants binationaux, comme l’a clairement indiqué Laurent Fabius. Si une procédure est engagée en France par un ressortissant marocain, franco-marocain ou d’une nationalité autre que française et marocaine contre un ressortissant marocain ou franco-marocain pour des faits commis au Maroc, l’accord prévoit que l’autorité judiciaire française recueille dès que possible auprès de l’autorité judiciaire marocaine ses observations ou informations.

Le juge marocain pourra prendre les mesures qu’il juge appropriées, y compris l’ouverture d’une procédure.

Le juge français, au vu des observations ou informations éventuellement reçues de son homologue marocain, déterminera, pour sa part, les suites qu’il donne à cette procédure : il peut s’agir d’un renvoi au juge marocain sous la forme d’une dénonciation officielle des faits, de la clôture ou de la poursuite de la procédure.

La réciproque vaut bien sûr pour les cas de procédures engagées au Maroc pour des faits commis en France.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Maroc est un pays ami de la France, un partenaire stratégique avec lequel nous entretenons une relation d’amitié profonde et historique. Il est notre allié dans la lutte contre le terrorisme. Face aux enjeux régionaux de sécurité, de stabilité et de développement en Méditerranée et au-delà, la France et le Maroc ont plus que jamais besoin l’un de l’autre.

Garantir une circulation plus rapide et plus efficace de l’information en matière pénale, assurer une meilleure administration de la justice, renforcer la coopération judiciaire avec notre premier partenaire en Afrique : voilà autant de raisons d’approuver ce texte, dans le respect le plus total de notre Constitution et de nos engagements internationaux.

Par son vote décisif d’aujourd’hui, le Sénat va nous permettre de tourner définitivement la page d’une brouille regrettable, mais surmontable et surmontée, pour replacer les relations entre la France et le Maroc au bon niveau, celui de l’amitié indéfectible entre nos deux pays.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Monsieur le secrétaire d’État, je tiens à vous remercier des paroles bienveillantes que vous avez tenues à l’endroit de la commission des affaires étrangères et à mon égard.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc, adopté par l’Assemblée nationale le mardi 23 juin.

Comme vous le savez, la signature de ce protocole est intervenue dans un contexte difficile, la coopération judiciaire entre la France et le Maroc ayant été totalement gelée entre le 26 février 2014 et le 31 janvier 2015, à la suite d’une série d’incidents malheureux sur lesquels il est inutile de revenir. La signature de ce protocole a permis la reprise de relations normales et celui-ci revêt donc une importance particulière, puisque, s’il est voté ce soir, le dispositif d’entraide judiciaire sera achevé et tous les nuages auront été dissipés.

J’aborderai très rapidement le cadre et les modalités de la coopération judiciaire entre la France et le Maroc.

La première convention relative à la coopération judiciaire entre la France et le Maroc remonte au 5 octobre 1957. Les dispositions de cette convention ont été modernisées par la signature, le 18 avril 2008, d’une convention d’entraide judiciaire. C’est cette convention que le protocole qui nous est aujourd’hui présenté vient compléter.

La coopération judiciaire entre nos deux pays était très active avant sa suspension unilatérale par le Maroc. Depuis 1998, la France avait adressé au Maroc 952 demandes d’entraide, contre 77 demandes adressées par le Maroc à la France. Le délai moyen constaté pour l’exécution des demandes françaises au Maroc était d’environ six mois, ce qui prouve que le dispositif était particulièrement performant.

Enfin, la création, en 2002, d’un binôme de magistrats de liaison a permis d’obtenir, dans la plupart des cas, que l’entraide soit accordée aux autorités judiciaires françaises, y compris dans des situations d’urgence.

Dans ce contexte, quelles ont été les conséquences de la suspension de la coopération à partir de février 2014 ?

Cette suspension a empêché pendant environ un an l’exécution de l’ensemble des actes judiciaires nécessitant un dialogue avec le Maroc. Ainsi, entre février 2014 et janvier 2015, la Chancellerie n’a plus reçu aucune demande d’entraide, d’extradition ou de transfèrement du Maroc. De même, le total des demandes françaises en attente a atteint le nombre de 150 avant la reprise effective de la relation. La coopération en matière de justice civile a aussi été très affectée.

Les conséquences ont également été très graves en matière de lutte contre le terrorisme et contre la criminalité organisée. En effet, la coopération entre nos deux pays est d’abord essentielle en ce qui concerne la répression des filières djihadistes qui œuvrent sur notre territoire et sur le territoire marocain.

Par ailleurs, nos forces engagées au Sahel ne pouvaient plus bénéficier des informations recueillies par les services de renseignement marocains, particulièrement performants, et transmises à nos propres services. Ainsi, alors même que la menace terroriste grandissait au Sahel, en Syrie et en Irak, et que le phénomène des combattants étrangers touchait chaque jour davantage aussi bien la France que le Maroc, le gel des échanges d’informations a porté un grave préjudice à nos deux pays.

Par chance, cette crise est dépassée depuis janvier dernier. La coopération judiciaire a repris dès le lendemain de la signature, en février 2015, du protocole additionnel que nous examinons aujourd’hui. Les magistrats de liaison ont également été réinstallés.

Les rencontres à haut niveau ont repris rapidement après la signature du protocole : dès le 9 février 2015, le Président de la République, et le roi du Maroc se sont entretenus à Paris et d’autres rencontres officielles ont eu lieu depuis lors.

Les relations franco-marocaines vont en outre revêtir une nouvelle dimension au cours des mois et des années à venir grâce à la montée en puissance de certains dossiers, comme le dialogue 5+5 ou encore les négociations sur le climat, avec la tenue de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques, dite aussi COP 21, à Paris en décembre 2015, le Maroc étant chargé, quant à lui, de l’organisation de la COP 22 qui aura lieu à Marrakech en 2016.

Enfin, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, il faut souligner que la « diplomatie parlementaire » n’a jamais cessé d’être active tout au long de la suspension de la coopération judiciaire.

Venons-en à présent au protocole additionnel.

S’il faut bien reconnaître que la rédaction de ce protocole peut paraître imparfaite sur plusieurs points, son sens général est toutefois très clair : il vise à développer les échanges d’informations en amont et au cours des procédures d’entraide judiciaire, notamment dans le cas d’affaires portant sur des faits commis sur le territoire de l’autre partie et susceptibles d’impliquer des ressortissants de cette dernière. En effet, les procédures sont souvent longues et complexes quand les éléments de preuve se trouvent sur un autre territoire que celui où la plainte a été déposée.

Comme vous le savez, plusieurs associations – l’ACAT, Amnesty International, Human Rights Watch, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, la FIDH, et la Ligue des droits de l’homme, la LDH – ainsi que la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, ont émis un certain nombre de protestations contre ce protocole, en estimant que les imprécisions rédactionnelles qu’il contenait constituaient autant de zones d’ombre qui pourraient favoriser le non-respect de certains de nos principes fondamentaux. J’ai personnellement reçu l’ensemble de ces organisations pour écouter et prendre connaissance de manière approfondie de leur argumentation, certes intéressante, mais qui me semble inexacte sur deux points essentiels que je souhaite évoquer.

Revenons au texte du protocole.

Tout d’abord, le titre du nouvel article 23 bis qu’il introduit, « Application des conventions internationales », permet de souligner que les parties ont souhaité inscrire strictement le dispositif d’information et d’échanges créé par le protocole, à la fois, dans le cadre des obligations internationales incombant à chacune des parties au titre des conventions internationales qu’elles ont chacune signées et dans le cadre des conventions internationales signées par les deux parties. Ni la France ni le Maroc n’ont aucunement entendu modifier la portée de ces engagements internationaux.

Concrètement, le dispositif créé à l’article 23 bis s’applique, par exemple, au titre de la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984 – convention signée aussi bien par la France que par le Maroc –, et dans le strict respect de cette convention.

Ensuite, le deuxième paragraphe de l’article 23 bis prévoit une obligation d’information immédiate entre les parties dans le cas où les faits ont été commis sur le territoire de l’autre partie par un de ses ressortissants. La CNCDH ainsi que le collectif d’associations que j’ai auditionnés ont regretté que cette obligation d’information ne soit pas davantage encadrée, craignant un risque de disparition des preuves ou de pression sur les témoins dans certaines affaires sensibles. Toutefois, si ce risque ne peut jamais être totalement écarté, je souhaite insister sur le fait que l’information dont il est ici question ne concerne que l’existence des procédures, et non le contenu ou le détail de celles-ci. Cette précision est d’une importance fondamentale.

Le troisième paragraphe constitue le cœur du protocole additionnel. Il concerne notamment le cas dans lequel une procédure est engagée auprès d’un juge français par un Marocain ou une personne d’une autre nationalité que française ou marocaine, pour des faits commis au Maroc par un Marocain. Dans ce cas, l’autorité judiciaire française devra recueillir dès que possible auprès de l’autorité judiciaire de l’autre partie ses observations ou informations. Une fois informée, l’autorité marocaine « prend toutes les mesures qu’elle juge appropriées y compris le cas échéant l’ouverture d’une procédure ». Puis l’autorité judiciaire française, au vu des informations reçues, « détermine les suites à donner à la procédure, prioritairement son renvoi à l’autorité judiciaire de l’autre partie ou sa clôture ».

La CNCDH et le collectif d’associations ont fait valoir que ce qui est visé ici, s’agissant de faits commis à l’étranger par un étranger et sur une victime étrangère, pour lesquels une procédure serait ouverte en France, est ce qu’on appelle la « compétence universelle ou quasi universelle ». Selon les associations, en prévoyant le renvoi ou la clôture de l’affaire, le protocole remettrait en cause cette compétence universelle que la France s’efforce pourtant par ailleurs de promouvoir, pour lutter contre l’impunité. En outre, inciter au « renvoi » de l’affaire équivaudrait, selon elles, à renoncer à l’application effective de la justice en raison d’un risque d’inertie de la justice marocaine dans certaines affaires sensibles.

À la suite de l’ensemble des auditions que j’ai menées, je ne partage cependant pas cette appréciation. En effet, le protocole ne va en réalité nullement à l’encontre de la compétence universelle. Il organise certes une forme de priorité de l’exercice de la compétence territoriale du juge du pays où se sont produits les faits, pour des raisons évidentes de disponibilité des preuves, mais il ne crée en aucun cas une procédure de subsidiarité obligatoire devant nécessairement aboutir au dessaisissement du juge français et à une renonciation à la mise en œuvre de la compétence universelle. En d’autres termes, le juge français conserve l’intégralité de ses droits d’investigation tout au long de la procédure.

Premier élément : ce sera bien le juge – en l’occurrence le juge français – qui décidera en dernier ressort s’il va clôturer l’affaire ou la renvoyer à l’autorité judiciaire de l’autre partie. Je souhaite tout particulièrement insister sur ce point dans la mesure où la plupart des critiques faites à l’encontre du protocole ne vaudraient, en réalité, que si le magistrat devait automatiquement renvoyer ou clôturer l’affaire, ce qui n’est pas le cas. D’ailleurs, il est également précisé que, « en l’absence de réponse ou en cas d’inertie de l’autre partie, » – donc de la partie supposée marocaine – « l’autorité judiciaire saisie poursuit la procédure ». Le juge français conserve donc bien la totalité de ses droits. C’est du reste ce que le Conseil d’État a repris et souligné dans son avis favorable.

Second élément important : même si le juge choisit le « renvoi », celui-ci ne constitue pas un dessaisissement. Il consiste en réalité en l’application de la procédure de « dénonciation aux fins de poursuite » définie par l’article 23 de la convention de 2008. Cette procédure, tout à fait courante dans l’entraide judiciaire franco-marocaine, permet au juge français de transférer le traitement d’une affaire à l’autorité judiciaire marocaine, tout en ne renonçant pas à sa compétence.

Dans cette procédure, il y a en effet des garanties. Ainsi, la Chancellerie réexamine tous les quatre à six mois les procédures faisant l’objet d’une dénonciation officielle. Nous tenons ces informations de la Chancellerie elle-même, notamment du directeur des affaires criminelles et des grâces.

En outre, les autorités de l’État requis doivent informer régulièrement les autorités requérantes des suites réservées à leur demande. L’autorité judiciaire française peut ainsi apprécier les suites qu’elle donnera, dans la mesure où elle reste toujours saisie de la procédure.

Enfin, tant que la procédure n’est pas close, la victime dispose des recours juridictionnels habituels liés à la procédure engagée en France.

Mes chers collègues, le vote que vous allez émettre aujourd’hui est très important, car il va définitivement mettre un terme à une séquence négative et très préjudiciable à nos deux pays.

Le Maroc est l’un de nos plus sûrs alliés au Maghreb et dans une Afrique martyrisée par le terrorisme. La sécurité même de nos soldats engagés dans l’opération Barkhane repose sur la coopération sans faille du Maroc dans la lutte contre le djihadisme.

Une longue histoire commune, des relations économiques et culturelles exemplaires sont déjà des motifs précieux pour tirer un trait sur cet épisode. Mais plus encore, vous le savez, le Maroc poursuit une expérience de modernisation que nous nous devons d’encourager, alors que tant de pays de la région se sont abîmés dans des « printemps » qui n’ont guère fait progresser la démocratie.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

M. Christian Cambon, rapporteur. Certes, tout n’est pas parfait... Pourtant, comme nous l’avons fait pour la Grèce, nous devons être aux côtés du Maroc, non pour le condamner, mais pour l’accompagner sur le chemin menant vers davantage de justice, de démocratie et de sécurité dans cette région du monde.

Applaudissementssur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, finalement, on ne mesure la valeur des choses qu’une fois qu’on les a perdues. Ainsi ne s’est-on jamais autant rendu compte de l’importance de la coopération avec le Maroc que lorsque celle-ci s’est arrêtée.

On l’a compris à l’écoute des interventions de M. le secrétaire d’État et de M. le rapporteur, la présente convention vient clore une brouille diplomatique assez sérieuse entre la France et le Maroc, laquelle a beaucoup pénalisé les relations entre nos deux pays et, au-delà, la sécurité globale de ce pourtour de la Méditerranée si touché par le terrorisme.

La Tunisie connaît une transition démocratique difficile, la Libye est plongée dans le chaos et, dans le Sahel et plus au sud encore, le terrorisme prolifère. Lorsque nous avons coprésidé, avec André Reichardt, la commission d’enquête sénatoriale sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, nous avons pu constater combien nous étions concernés par les problèmes du pourtour de la Méditerranée, notamment ceux liés au terrorisme.

Trois organisations terroristes majeures sévissent au sud de l’Europe : l’État islamique en Libye, AQMI dans le Maghreb et Boko Haram au Nigeria. Que faire sans le soutien des services marocains ? Cette situation, nous l’avons connue pendant plus d’un an.

Les attentats de Paris nous ont rappelé la nécessité de ces coopérations. Il est indéniable que nous avons besoin du Maroc pour parvenir à assurer la sécurité de nos concitoyens. Nous ne pouvons donc que regretter et déplorer les incidents, sur lesquels personne n’a envie de revenir, qui ont altéré nos relations dans le passé, des relations dont nous tournons une nouvelle page avec cette convention.

La France et le Maroc entretiennent des relations étroites depuis plusieurs décennies, et notre pays semble être le principal bénéficiaire du régime existant d’entraide judiciaire. En effet, depuis 1998, plus de 990 demandes d’entraides ont été adressées au Maroc par la France. Du côté marocain, sur la même période, nous en avons enregistré seulement 77.

Au-delà du péril terroriste, qui est une réalité, il existe entre la France et le Maroc des flux criminels alimentés par des trafics en tous genres, notamment celui de produits stupéfiants. Il est fondamental de lutter contre ces flux qui sévissent du côté français, et il est tout aussi fondamental pour le Maroc de lutter contre ces trafics. L’échange d’informations à tous les niveaux est une nécessité absolue, comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises.

Je souscris aux félicitations adressées par M. le rapporteur, également président du groupe d’amitié France-Maroc. Nous avons bien compris à l’écoute de son exposé toute l’affection qu’il porte à ce pays, une affection constructive puisqu’elle a permis de maintenir des relations entre nos deux nations. C’est le moment de rappeler le rôle de la diplomatie parlementaire, si importante pour maintenir un lien lorsque plus rien ne fonctionne. Elle continue en effet à exister dans des conditions diplomatiquement difficiles et il convient de lui en rendre hommage.

Au demeurant, l’échange d’informations est encore le meilleur moyen de parvenir à une collaboration effective. Certes, ce texte est sûrement perfectible, mais il a le mérite d’exister. Il illustre également la bonne santé de nos relations bilatérales.

Parfois, nous hésitons entre nos valeurs et nos intérêts. De ce point de vue, ce texte assure un parfait équilibre et, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, les inquiétudes des associations des droits de l’homme n’ont pas lieu d’être : nos principes étant respectés, tout comme nos valeurs, nos intérêts le sont tout autant. Cette convention semble donc excellente. C’est pourquoi le groupe UDI-UC la votera.

Je conclurai en insistant sur le caractère exemplaire du délai de ratification de cette convention. Très modestement, je souhaite encourager vos services, monsieur le secrétaire d’État, à profiter de l’été, que j’espère paisible, pour se pencher sur les conventions qui se trouvent encore dans vos tiroirs et qui n’ont pas encore fait l’objet d’une ratification. Il s’agit de leur éviter le classement vertical auquel la saison se prête.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Je pense notamment à une convention d’entraide sur le terrorisme avec la Turquie en matière de sécurité, signée voilà fort longtemps, sur laquelle un rapporteur a été désigné à l'Assemblée nationale en 2012 – j’ai moi-même été nommée rapporteur la même année au Sénat. Ce texte n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour des travaux du Parlement. Pourtant, en ce moment, les questions de sécurité avec la Turquie sont au moins aussi essentielles que celles avec le Maroc. Je profite donc de l’occasion qui m’est donnée pour vous rappeler que cette convention est actuellement en panne sèche à l'Assemblée nationale. Je compte beaucoup sur votre diligence pour la réactiver avant la rentrée parlementaire.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte dont nous sommes saisis vise à ajouter un article 23 bis à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale qui lie la France et le Maroc. La première version de cette convention date de 1957 et couvre la coopération aussi bien civile que pénale. Renouvelée en 2008, la convention comporte non seulement des éléments assez traditionnels, mais également des dispositifs spécifiques sur lesquels je reviendrai.

L’article 23 bis vient apporter une réponse diplomatique, politique et juridique, mettant un terme à une année entière de fortes crispations entre la France et le Maroc. M. le rapporteur ayant rappelé les faits à l’origine de cette situation, je me contenterai de souligner que, au Maroc, la stupeur fut d’autant plus aiguë que Rabat, partenaire stratégique dans la région, apportait un soutien sans faille à notre intervention militaire au Mali. Ces faits ont été vécus par les autorités marocaines comme un outrage. Je veux souligner que l’indignation marocaine, à mon sens parfaitement légitime, a néanmoins été mesurée et maîtrisée. Elle a pris la forme d’une suspension unilatérale et immédiate de toute forme de coopération judiciaire, en matière tant pénale que civile.

À titre d’exemple, pendant une année entière, des Français détenus au Maroc n’ont pu être extradés, provoquant le désarroi des familles. La coopération civile a également été enrayée. C’est d’autant plus problématique que la communauté française au Maroc comme la communauté marocaine en France sont importantes. Enfin, le Maroc n’a plus fourni d’informations à nos services de renseignement. Je ne précise pas davantage le préjudice que cela a pu représenter dans le contexte actuel. Le rétablissement de cette coopération est donc stratégique pour la France.

S’il fallait retenir un aspect positif de cette mésaventure, c’est que nous avons pu mesurer très concrètement tous les enjeux de la coopération franco-marocaine, en réaliser la richesse, l’importance stratégique, la dimension humaine. L’année de brouille a été paradoxalement l’occasion de très nombreux échanges. Je pense notamment à la tenue du premier forum parlementaire franco-marocain. La coopération culturelle en a été galvanisée avec l’organisation de deux événements majeurs, l’un à l’Institut du monde arabe, l’autre au musée du Louvre. Je tiens aussi à signaler le rôle tenu par la diplomatie parlementaire durant ces longs mois et saluer l’action d’Élisabeth Guigou et de Luc Chatel à l’Assemblée nationale et celle du président du groupe d’amitié du Sénat, Christian Cambon, rapporteur de ce texte, qui n’a pas ménagé ses efforts.

La crise s’est enfin dénouée à la fin du mois de janvier 2015, les deux ministres de la justice s’accordant sur le protocole additionnel soumis aujourd’hui à notre ratification. À l’occasion de l’examen de ce texte, je souhaite adresser deux messages.

Le premier s’adresse au Maroc. Sans faire repentance, nous regrettons ces maladresses qui ont été à l’origine de cette brouille. Notre mobilisation aujourd'hui est une preuve réelle d’amitié.

Le second message s’adresse à toutes les organisations de défense des droits de l’homme qui ont bien voulu attirer notre attention sur les éventuelles imperfections du texte.

Nous ne méconnaissons pas l’extraordinaire énergie qu’il faut déployer pour attirer l’attention de l’opinion sur un texte aussi aride que ce protocole. Les grandes associations de défense des droits de l’homme ont une histoire riche en belles batailles. Il ne faudrait pas que cette histoire, qui est dans l’ADN même et dans la mémoire de ces associations, altère l’acuité de leur regard sur les avancées considérables opérées par le Maroc depuis plus d’une décennie.

J’observe parfois des réactions, qui dépassent le strict cadre juridique, qui se nourrissent davantage des blessures du passé que des avancées du présent et qui, surtout, ne tiennent pas compte des promesses de l’avenir. Au rang de ces avancées considérables se trouvent les comités de réconciliation, qui ont permis aux Marocains de tourner la page des années de plomb. Citons aussi le nouveau code de la famille, la Moudawana, beaucoup plus favorable aux femmes. Ces réformes ont été engagées bien avant ce qu’on appelle les « printemps arabes ». Je n’oublie pas non plus la réforme constitutionnelle de 2011, tournant politique et démocratique considérable dans l’histoire de la monarchie marocaine, qui inscrit notamment l’objectif de parité dans la Loi fondamentale.

Très récemment, certains faits divers ayant trait aux mœurs ont fait réagir la société civile marocaine. Cette société civile est aujourd’hui vigilante et mobilisée. Comme partout, des marges de progression existent, mais il serait malhonnête de ne pas reconnaître les évolutions positives en matière de protection des droits. Il nous faut réellement mesurer et saluer la rapidité des avancées dans une région qui doit faire face à de nombreux défis. Il y a un Maroc nouveau. Ce protocole doit être lu non avec les lunettes d’un passé révolu, mais à l’aune de toutes les promesses marocaines.

L’article 23 bis a un cadre bien défini. Le paragraphe 2 crée une obligation d’information dans le cas d’une plainte concernant des faits commis dans le territoire de l’une des parties par un ressortissant de l’autre partie. Néanmoins, monsieur le secrétaire d'État, je relève une fragilité dans la rédaction du paragraphe 4, lequel vise ceux qui ont la nationalité de l’une et de l’autre partie. Vous venez d’en préciser les modalités d’application. Il faut donc rappeler, comme l’a fait M. le rapporteur en commission, que cet accord ne s’inscrit que dans le cadre des conventions internationales. Cela permettra d’en rassurer plus d’un.

Mes chers collègues, nous soutenons cet accord pour de nombreuses raisons.

Ce texte ne contient pas de procédure de subsidiarité. Il est conforme aux engagements internationaux de la France. Il est fidèle au principe de la compétence universelle, auquel nous sommes tous attachés. Il facilite l’information du juge initialement saisi. Il est respectueux des principes d’indépendance et de pleine souveraineté du juge français. Le juge français n’est pas dessaisi au profit du juge marocain, contrairement à ce qui a été dit. Il peut désormais recueillir des observations auprès du juge de l’autre partie. Le droit à un recours effectif des victimes est assuré. Le juge pourra s’appuyer sur des éléments d’information supplémentaires, souvent difficiles à obtenir pour des faits commis à l’étranger.

Vous l’aurez compris, je vous invite à voter cette convention et à ouvrir ainsi une nouvelle ère, faite de respect mutuel, entre la France et le Maroc.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Prunaud

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, le protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire entre la France et le Maroc que nous sommes amenés à ratifier ce soir a pour vocation de réconcilier nos deux pays après une année de brouille diplomatique. Notre collègue Christian Cambon a rappelé le contexte particulier et l’origine de cette crise. Le fait qui l’a provoquée n’est en effet pas anodin.

Au mois de février 2014, une juge d’instruction française a souhaité auditionner le principal responsable des services de renseignement marocains, de passage en France, qui était sous le coup de plusieurs plaintes pour torture. Elle a ainsi fait directement remettre cette convocation à la résidence de l’ambassadeur du Maroc. Cet acte de justice, sans doute maladroit, mais qui est une preuve de l’indépendance de l’autorité judiciaire et de la séparation des pouvoirs en France, a provoqué une très vive réaction au Maroc.

La suspension de la coopération judiciaire a entraîné un gel de toutes les procédures : le transfèrement de prisonniers, les affaires familiales ainsi que les échanges d’informations entre nos services de renseignement. Les dirigeants marocains ont en outre exigé une remise à plat des règles régissant notre entraide judiciaire.

Cette affaire est en quelque sorte exemplaire de ce que peut être la confrontation entre le respect des grands principes qui régissent notre régime républicain, son système judiciaire et la réalité concrète des relations que nous entretenons avec d’autres pays.

Cet arrêt complet de la coopération judiciaire a avant tout porté un préjudice très grave à nos deux populations, qui ont été les premières à en souffrir, mais nos relations ont aussi été gravement affectées avec un pays qui est l’un de nos alliés dans cette région et avec lequel nous entretenons des liens historiques et culturels très étroits.

Dès lors, comment sortir de ce blocage ? C’est là que se pose la question de l’équilibre à trouver entre le respect des principes de notre droit national et de nos engagements internationaux. À cet égard, le groupe CRC a été très attentif aux critiques émises par un ensemble d’associations – Amnesty International, l’ACAT, la Ligue des droits de l’homme – et la Commission nationale consultative des droits de l’homme à la suite des ambiguïtés qu’elles ont relevées dans le texte.

Est ainsi dénoncée l’obligation d’information réciproque entre nos services judiciaires qu’instaure le protocole additionnel. Cette disposition semble contradictoire avec notre principe du secret de l’enquête et de l’instruction.

Est également critiqué le fait que « l’autorité judiciaire saisie détermine les suites à donner à la procédure, prioritairement son renvoi à l’autorité judiciaire de l’autre partie ou sa clôture ». C’est précisément sur ce point que les réticences du groupe CRC sur ce texte sont les plus fortes.

Nous pensons que, sur le fond, cet accord favoriserait de facto l’impunité des responsables marocains suspectés de graves violations des droits humains. D’une certaine façon, on abandonne ainsi les intérêts des victimes à la raison d’État d’un pays ami.

Aussi, compte tenu des risques liés à la rédaction de ce protocole d’accord et du fait que les progrès du régime marocain en matière de respect des droits de l’homme et des droits de la défense demeurent insuffisants, le groupe CRC ne peut approuver le projet de loi autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale.

Approuver ce protocole reviendrait à envoyer un bien triste message : cela signifierait que la France renonce à poursuivre les auteurs présumés des crimes les plus graves.

Enfin, voter contre ce projet de loi, c’est soutenir nos amis marocains qui se battent pour le respect des droits humains, des droits sociaux et politiques.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Jean-Yves Leconte et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Maroc fait partie de ces pays avec lesquels nous entretenons une relation particulière et fidèle, parce que l’histoire nous a un temps rassemblés. Tous les orateurs l’ont rappelé, nous entretenons des liens d’amitié très denses avec ce pays, et le choix du roi Mohammed VI d’effectuer en France sa première visite d’État à l’étranger en mars 2000 témoigne d’un attachement réciproque entre nos deux pays.

Depuis les années quatre-vingt-dix, le dialogue politique entre la France et le Maroc est constant et du même niveau que celui qui existe avec nos partenaires européens. Le regrettable incident qui s’est produit en 2014 ne pouvait pas remettre en cause les relations bilatérales entre nos deux pays, lesquelles ont d’ailleurs repris dans les meilleures conditions depuis le début de l’année.

Au-delà des initiatives diplomatiques, cette entente est naturellement fondée sur des échanges concrets, dans les domaines tant économiques que culturels. Sans détailler l’ensemble de nos intérêts communs, je rappelle que la France est le premier partenaire commercial du Maroc. Quant à nos échanges culturels, ils reposent en partie sur un réseau très actif d’enseignement du français au Maroc.

C’est dans ce contexte que la France et le Maroc ont décidé d’approfondir leur coopération judiciaire en signant un protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire du 18 avril 2008. Ce protocole, signé le 6 février 2015, marque la reprise de notre coopération judiciaire, laquelle constitue un volet fondamental de nos relations bilatérales au regard de la question terroriste, même si, bien sûr, le protocole concerne la criminalité dans un sens plus large. Malheureusement, le Maroc, comme la France, fait face à la menace terroriste. Plusieurs attentats sanglants ont en effet frappé ce pays, en 2003 à Casablanca, puis en 2011 au cœur de Marrakech, sur la célèbre place Djemaa El-Fna.

Les récents et dramatiques événements survenus en Tunisie invitent plus que jamais à des contacts rapprochés et à une coopération exemplaire avec tous les pays du Maghreb afin de tenter d’endiguer le fléau du terrorisme.

En outre, le phénomène de radicalisation s’intensifie des deux côtés de la Méditerranée. Ainsi, 1 500 personnes auraient quitté la France pour rejoindre des groupes terroristes en Syrie et en Irak, tandis qu’elles seraient environ 2 000 à avoir fait la même démarche depuis le Maroc.

Parce que la communauté française au Maroc compte près de 48 000 personnes établies de façon permanente et la communauté marocaine en France pas moins d’un million et demi de personnes, l’entraide judiciaire est une nécessité évidente. Elle est d’ailleurs très ancienne puisque la première convention d’entraide judiciaire date de 1957. Son volet pénal, vous le savez, a été modernisé dans la convention du 18 avril 2008.

Le protocole additionnel, comme cela a été dit, prévoit de favoriser les échanges d’information en amont et au cours des procédures d’entraide judiciaire, notamment dans les cas d’affaires portant sur des faits commis sur le territoire de l’autre partie et susceptibles d’impliquer des ressortissants de cette dernière. Comme l’a indiqué M. le rapporteur, ce texte n’est pas parfait, mais il a le mérite de répondre à l’évolution dynamique des demandes d’entraide judiciaire, celles de la France étant bien plus nombreuses.

Il n’a échappé à personne que des associations se sont émues de plusieurs imprécisions rédactionnelles de ce protocole susceptibles d’entraîner des abus. Ces associations s’inquiètent notamment de l’obligation d’information immédiate entre les parties, de la remise en cause de la compétence universelle, ou quasi universelle, ou encore du fait que la convention s’applique « aux individus possédant la nationalité de l’une ou l’autre partie ». Vous l’avez démontré minutieusement, monsieur le rapporteur, certains engagements internationaux signés par les deux parties peuvent constituer des verrous dans la mesure où le dispositif d’information et d’échange s’inscrit dans le cadre de ces conventions internationales.

Quant à la crainte du dessaisissement, elle n’est pas fondée dans la mesure où le juge initialement saisi d’une affaire a la possibilité de poursuivre son enquête.

Enfin, vous avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, que le texte s’appliquait bien aux binationaux, ce qui devrait aussi rassurer les associations.

Au-delà du contenu technique du texte, il faut aborder de façon plus globale cette coopération judiciaire. Il nous faut notamment l’appréhender sous l’angle des réformes que le Maroc a récemment entreprises pour rénover son cadre institutionnel et le rendre plus démocratique et plus transparent. Je pense à la nouvelle Constitution de 2011, laquelle prévoit que le Royaume s’engage à « protéger et promouvoir les dispositifs des droits de l’Homme et du droit international humanitaire ».

Si le Maroc peut certes encore accomplir des progrès, force est de constater qu’il a depuis longtemps atteint une maturité politique au sein du monde arabe qui en fait un partenaire incontournable dans le contexte de multiplication des crises et des menaces pesant au sud de la Méditerranée. Nous devons donc poursuivre avec ce pays un dialogue ouvert et fondé sur la confiance.

Notre groupe votera en très grande majorité cette convention, en espérant, en cette période estivale, que le soleil continuera à briller sur nos relations comme dans le ciel bleu du Maroc !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Maroc s’inscrit dans un contexte particulier, ainsi que notre rapporteur Christian Cambon l’a bien expliqué.

Pour ma part, je rappellerai quelques éléments importants qui doivent nous inciter à regarder sereinement l’avenir.

Nos deux pays entretiennent une relation d’amitié privilégiée, qui se traduit par une coopération très active dans les domaines économique, culturel et sécuritaire. L’importance historique des communautés française au Maroc et marocaine en France renforce ces liens précieux.

Une série d’incidents diplomatiques a abouti à la suspension de notre coopération en matière pénale et judiciaire, comme cela a été rappelé. Cette situation était dommageable et paradoxale à un moment où la géopolitique expose nos deux pays aux mêmes défis, chacun cherchant à atteindre, à son niveau, un objectif commun. Chacun sait que la paix est une priorité, dans une région qui paie chèrement sa transition démocratique. Dans ce contexte, nos deux pays œuvrent pour le rétablissement de l’équilibre politique régional.

Au moment où les soldats français se battent dans la bande sahélo-saharienne, la diplomatie marocaine redouble d’efforts pour réunir les parlements libyens rivaux et tenter de former un gouvernement d’union nationale.

Le Maroc, comme la France, a fait la dramatique expérience du terrorisme. À Paris ou à Rabat, on fait le même constat : des jeunes s’engagent dans le djihad, en Syrie et en Irak. De part et d’autre, les responsables politiques sont confrontés au retour des djihadistes sur leur territoire.

En mars dernier, le roi du Maroc a inauguré le premier institut de formation des imams. C’est un signal important pour la communauté musulmane, qui pâtit de l’imposture – je n’hésite pas à le dire – de faux prédicateurs, mais c’est aussi un signe très fort en faveur de la laïcité adressé aux terroristes qui détournent l’islam. Former des imams, c’est rappeler que les religions ne peuvent pas se soustraire aux lois des États.

Nos deux pays ont une stratégie globale consistant à contrôler, à surveiller les réseaux terroristes, à réprimer les auteurs des attentats et à lutter contre l’embrigadement des personnes, notamment par le biais d’internet.

En 2013, a été créé le « G4 ». Il réunit les ministres de l’intérieur français, espagnol, marocain et portugais sur les questions de sécurité, l’objectif étant de renforcer la coopération technique et opérationnelle entre les services de renseignement.

De fait, alors que nos deux pays sont fortement engagés dans la lutte contre le terrorisme, nos relations diplomatiques ne pouvaient rester en l’état. Les services de renseignement et les services judiciaires doivent et veulent de nouveau travailler ensemble et échanger de façon permanente et sereine. Ce protocole est un premier pas vers une coopération judiciaire et pénale renforcée et modernisée. Le premier objectif est de parvenir à un traitement plus efficace et plus rapide des affaires pénales mettant en cause des ressortissants, grâce à un meilleur échange d’informations entre les deux justices.

Les ONG et d’autres défenseurs de droits ont émis des réserves sur les modifications prévues par ce protocole. Ils étaient sans doute dans leur rôle. Leur audition par le rapporteur, M. Cambon, a permis de lever les points d’inquiétudes.

Le protocole prévoit l’insertion dans la convention de 2008 d’un nouvel article qui ne remet pas en cause la compétence universelle. S’il fait primer l’exercice de la compétence territoriale sur la compétence universelle, il ne crée pas une procédure de subsidiarité obligatoire. Il n’y aura donc pas de dessaisissement automatique du juge français ni de renonciation à la compétence universelle. En dernier ressort, le magistrat saisi décidera souverainement soit de clôturer l’affaire, soit de la renvoyer à l’autorité judiciaire de l’autre partie, soit de continuer les poursuites. Mais rien n’obligera le juge à se dessaisir.

De la même façon, le mécanisme de « renvoi » évoqué dans le protocole ne constitue pas un transfert de compétence dès lors que l’autorité judiciaire saisie ne renonce pas à l’exercice de son droit de poursuivre.

Par ailleurs, le réexamen régulier par le ministère de la justice des procédures faisant l’objet d’une dénonciation officielle est un gage d’assurance.

Enfin, tant que la procédure n’est pas close, la victime continuera de disposer des recours juridictionnels habituels, liés à la procédure engagée en France.

Certes, le protocole permet au juge français, dans un souci d’efficacité, de transférer le traitement d’une affaire à l’autorité judiciaire marocaine, mais pensez-vous que nos magistrats renonceront à leur compétence ? Pour ma part, je ne le pense pas.

Avant de conclure, mes chers collègues, permettez-moi de partager avec vous mon sentiment. Le Royaume du Maroc et la France ont des relations que nous devons protéger, sans que cela nous exempte de faire preuve d’esprit critique, à condition, toutefois, de nous montrer constructifs. La diplomatie, comme l’amitié, doit reposer sur la confiance. Nous devons être solidaires de ce qu’a accompli le Maroc, notamment de ses progrès en matière de défense des droits de l’homme. Le processus issu de la révision constitutionnelle de 2011, dont nous avons parlé, est un acte symbolique et une promesse qui acte les printemps arabes. Alors plutôt que de camper dans l’impatience, sachons, par notre présence vigilante, plus que par des exigences péremptoires, encourager les évolutions positives.

La majorité de notre groupe votera ce texte, car il permettra à deux pays non seulement de renforcer une amitié privilégiée, mais aussi de renouer avec la sincérité et la confiance.

Je tiens enfin à saluer ici les efforts et le travail de longue haleine de Christian Cambon et du président du Sénat. Si les sénateurs ne sont pas des ambassadeurs, leur connaissance des dossiers et leur finesse d’approche peuvent être précieuses.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de René Danesi

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en avril dernier, une délégation de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’est rendue au Maroc sous la conduite de sa présidente, Catherine Morin-Desailly. Nous avons pu constater sur place que l’amitié entre la France et le Maroc est une réalité, dont l’origine est enracinée dans l’histoire.

L’amitié entre nos deux peuples repose surtout sur des relations bilatérales dans les domaines économique, éducatif et culturel. La France accueille actuellement 35 000 étudiants marocains, lesquels constituent le premier contingent d’étudiants étrangers. Au Maroc, l’Institut français compte douze sites et abrite trois espaces Campus France. Plus de 31 000 élèves marocains fréquentent les écoles françaises implantées au Maroc. Les échanges sont également très riches en matière culturelle, la saison culturelle France-Maroc 2015 ayant compté plus de 300 événements.

Il y a plus important encore : face aux enjeux de sécurité, la France a besoin du Maroc. Celui-ci est notre partenaire incontournable au Sahel. Il est aux côtés de la France dans la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, qui se développent chez nous.

On rappellera utilement que le Maroc réserve cinquante places à des imams français dans son institut de formation Mohammed VI, car il partage avec nous la volonté de développer une religion privilégiant la tolérance.

En conséquence, nous ne pouvons que déplorer l’incident du 20 février 2014, qui a conduit le roi du Maroc à suspendre la coopération judiciaire entre nos deux pays. Je rappelle qu’un juge d’instruction français a envoyé six policiers à la porte de l’ambassade du Maroc pour porter une convocation dudit juge adressée à M. Abdellatif Hammouchi, patron du contre-espionnage marocain. Celui-ci était spécialement venu à Paris pour participer avec les services français à une réunion consacrée à la lutte contre le terrorisme. L’indépendance de la justice française a ainsi été prouvée. Son manque de discernement aussi !

Cet incident a entraîné la suspension par le roi de la convention franco-marocaine de coopération judiciaire de 2008, qui remplaçait celle de 1957 – ce qui montre bien l’ancienneté de cette coopération. On précisera utilement que l’entraide judiciaire entre la France et le Maroc est très forte et que les demandes françaises sont près de dix fois plus nombreuses que les demandes marocaines. Il est donc heureux que nos deux pays aient négocié le protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale, dont nous débattons aujourd’hui.

Des esprits sourcilleux ont immédiatement lancé l’alerte en interprétant tel ou tel mot de la convention dans un sens alarmiste. Personnellement, je pense que l’argumentaire développé par les détracteurs de cette convention révèle une certaine condescendance à l’égard de l’État marocain. On ne veut pas voir l’évolution de la justice et du droit marocains. On rappellera que le Maroc a signé la convention internationale contre la torture. Il s’est également doté d’une commission de défense des droits de l’homme, qui a présenté ses premières recommandations en 2014.

L’excellent rapport de notre collègue Christian Cambon démontre juridiquement que le protocole respecte bien le principe de compétence universelle, l’indépendance du juge et le secret de l’instruction. Ce protocole ne bouleverse donc en rien ce qui existe déjà. Il n’implique d’ailleurs aucune adaptation des dispositions législatives et réglementaires nationales. Cette convention respecte aussi un pays ami qu’il faut enfin traiter sur un pied d’égalité.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie d’excuser ma diction, mais j’ai une rage de dents.

Notre relation avec le Royaume du Maroc est, certes, une relation d’État à État, mais aussi une intense relation humaine, une connaissance intime, une sympathie inextinguible. Les décennies passées ont tissé entre nos deux peuples des liens si étroits que l’on peut, à bien des égards, parler de fraternité franco-marocaine.

Le Maroc est pour nous un allié, un ami précieux au Sahel, en Méditerranée, mais aussi en Europe. Ne dit-on pas que « le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe » ? Aujourd’hui, si le Maroc a besoin de respirer, l’Europe et la France doivent pouvoir compter sur cet enracinement africain.

Le fait est que, entre février 2014 et janvier 2015, ces relations bilatérales ont connu une crise à la suite du grave incident diplomatique survenu à la résidence de l’ambassadeur du Maroc. Le 25 février 2014, en effet, le ministre de la justice marocain a suspendu l’application de toutes les conventions d’entraide judiciaire en matière pénale et civile entre nos deux pays. Le magistrat de liaison marocain en poste à Paris a été rappelé en attendant « de convenir de solutions adéquates ».

À la fin du mois de janvier 2015, notre garde des sceaux, Christiane Taubira, et son alter ego marocain, Mustapha Ramid, ont signé un protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire franco-marocaine, que nous examinons actuellement.

C’est peu dire que le Maroc, ulcéré, a mal vécu ce malheureux épisode, comme en témoigne la suspension de la coopération dès le lendemain : une conséquence somme toute assez logique. Cette suspension a gravement entravé notre travail commun. Ainsi, quelque 230 dossiers, dont 119 commissions rogatoires internationales, restent aujourd’hui en suspens, des décisions n’ont pas été transmises et des demandes d’extradition ou de transfèrement de prisonniers français condamnés au Maroc n’ont pas été communiquées.

Plus délicates encore, à nos yeux, sont les conséquences en matière sécuritaire, alors que la lutte contre le terrorisme bat son plein et que notre coopération avec le Maroc revêt une dimension stratégique.

Le Maroc, comme la France, connaît l’expérience cruelle des attentats qui ont endeuillé de nombreuses familles. Celui de la place Jemaa El-Fna en 2011 et ses dix-sept victimes et, précédemment, celui de mai 2003 à Casablanca et ses quarante et une victimes font tragiquement écho aux atrocités commises par Mohamed Merah, aux attentats de Paris en janvier dernier et à celui, plus récent, du 26 juin, qui s’est déroulé à Saint-Quentin-Fallavier.

Le Maroc, comme la France, voit des jeunes partir vers les mirages ensanglantés du djihad, en Syrie et en Irak, après des parcours de radicalisation similaires. Ils partent s’enchaîner dans des cohortes obscurantistes et fanatiques, détruisant le message de paix du Coran.

Chacun comprend que, pour réduire les filières transnationales qui alimentent des réseaux terroristes structurés en rhizome, la coopération internationale est un impératif incontournable. Qui plus est, la présence de 48 800 Français établis de façon permanente au Maroc et celle de 1, 5 million de ressortissants marocains sur le territoire national français rend cruciaux les échanges entre nos services de renseignement et nos services judiciaires. Qui peut réellement le contester ?

Quant au protocole proprement dit, je livrerai quelques remarques.

Cela a déjà été dit, il faut faire litière des trois reproches adressés au protocole.

Il porterait atteinte au droit à un recours effectif des victimes françaises et étrangères de crimes et délits commis au Maroc ? S’il établit des procédures d’échange et de recueil d’observations, ce protocole ne prévoit aucunement le dessaisissement du juge français au profit du juge marocain, ou inversement. C’est au juge saisi, et à lui seul, qu’il revient de décider des suites à donner à la procédure dont il a été saisi.

Cet accord donnerait la priorité à la justice marocaine sur la justice française ? Le mécanisme matérialisé par l’accord est avant tout un dispositif de recueil d’observations et, en aucun cas, ce n’est un mécanisme de transfert de la compétence des juridictions.

Ce protocole additionnel instituerait un régime dérogatoire contraire aux obligations pesant sur la France de traduire en justice des auteurs présumés de crimes internationaux ? Le texte ne contient aucune clause de compétence. Dès lors qu’il n’y a aucune obligation à se dessaisir, il n’y a aucune atteinte aux dispositions du code pénal français, qui prévoient la compétence du juge français pour les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement dont seraient victimes les ressortissants français.

Enfin, la convention de 2008 comporte déjà des dispositions permettant les échanges d’informations et la coopération entre les juges, notamment, aux articles 23, pour les informations relatives à la dénonciation à des fins de poursuites, et 24, s’agissant des échanges spontanés d’informations. L’article 23 bis vient finalement apporter des précisions sur une partie de ces procédures.

En conclusion, je dirai que ce protocole renforce l’efficacité d’une coopération judiciaire ancienne : le premier accord du genre avait été signé un an à peine après l’indépendance du Maroc, le 5 octobre 1957. Il s’agit donc d’une coopération judiciaire éprouvée, et ce n’en déplaise aux spécialistes du byzantinisme textuel, dans le respect de nos législations, de nos institutions judiciaires et de nos engagements internationaux.

L’article 23 bis ne modifie en rien l’esprit ou l’équilibre de la convention d’entraide. Il vient mettre un point final à une irruption intempestive, une maladresse, un malentendu qui sont les nôtres et qui n’auraient jamais dû survenir. Cela se produit – monsieur le rapporteur, vous le savez bien – dans toutes les familles. La page est tournée. Allons de l’avant !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je vous préviens tout de suite : je vais sortir de tout ce que je viens d’entendre, et si Jeanny Lorgeoux a une rage de dents, moi, j’ai la rage tout court !

Nous connaissons les raisons de ce protocole additionnel qui nous est proposé, « imposé » allais-je dire. J’en citerai deux.

La première, c’est pour mettre fin à la brouille avec le Maroc survenue à la suite de l’enquête judiciaire engagée en France mettant en cause M. Abdelatif Hammouchi, chef du contre-espionnage marocain. Était-ce une maladresse ? Je ne le pense pas. Quand les Marocains arrêtent des Français pour des motifs futiles, nous ne parlons pas de maladresse.

La deuxième raison, c’est pour renouer avec une source potentielle d’informations sur le terrorisme.

Pour ma part, je voterai sans hésitation contre cet accord de quelques lignes, qui est loin d’être aussi anodin que vous cherchez à nous le faire croire, monsieur le secrétaire d’État. J’ai prévenu votre hiérarchie de mon intervention et du contenu de mon propos. Contrairement à vos affirmations, le protocole qui nous est soumis porte bien atteinte au droit de recours des victimes de crimes et délits commis au Maroc. Je ne reprendrai pas les critiques, elles ont été bien décrites par Mme Prunaud du groupe CRC. Les ONG, le syndicat de la magistrature, la CNCDH ne peuvent pas tous se tromper...

Pour essayer de vous convaincre de ne pas continuer à forcer la main du Parlement, je vais vous décrire les tortures pratiquées dans les prisons marocaines. Vous ne saurez me contredire, car vous ne pouvez les ignorer. Nos services diplomatiques et de renseignement sont assez performants pour vous renseigner. Vous savez également qui supervise ces tortures.

J’ai rencontré nombre de Français brisés dans les geôles marocaines et abandonnés par la France, aussi bien au Maroc qu’en France. J’ai signalé, il y a plus d’un an, au ministre des affaires étrangères une incarcération dramatique. Il m’a été répondu par le conseiller parlementaire de l’époque qu’il « gérait ». C’était un pur mensonge. J’ai pu faire sortir la personne concernée après vingt et un mois passés dans les geôles marocaines. J’ai pu, à cette occasion, recevoir son témoignage sur les tortures et violences subies.

J’ai connaissance de plus de cent cas de Français emprisonnés et maltraités. Bien sûr, je ne citerai pas de noms ici pour ne pas mettre de vies en danger, mais, si vous vous intéressez au sujet, je pourrai vous en dire plus dans la confidentialité. Voilà plus d’un mois, j’ai demandé un rendez-vous à Mme Girardin, et je n’ai toujours pas la réponse. Je vous précise que cette demande a été faite par écrit.

Je vais vous décrire les tortures de base qui m’ont été détaillées par des personnes qui ont eu à les subir. Je parle de citoyens français. Il ne s’agit pas de « mésaventures » !

La première phase dure deux jours. Le prisonnier est placé en cellule individuelle, face au mur, les yeux et la bouche bandés pour ne pas voir et ne pas être entendu. Menotté dans le dos et pieds enchaînés, il est privé de ses vêtements et de toute nourriture. Dans cette situation, il est soumis quatre fois par jour à la torture : violences sexuelles, pénétration avec bâton et autres objets ; plantes des pieds fracturées ; suspension au plafond par les bras pendant vingt-quatre heures. Durant cette mise au secret, aucune question n’est posée.

La deuxième phase dure huit jours. C’est la phase de l’interrogatoire. Elle ne commence qu’après que le prisonnier a été humilié au maximum et brisé. L’objectif est d’obtenir des aveux forcés, voire des avantages financiers – car tout s’achète ! Le prisonnier est toujours yeux bandés et nu. Il subit le supplice de la noyade – pas besoin de dessin sur la technique ; l’électrocution sur des parties choisies – nul besoin de dessin non plus. Il est mis à genoux plusieurs heures sur une barre de fer. En général, on casse un pouce au passage, en menaçant de casser le second.

Ces deux phases se déroulent à la prison tristement connue de Témara, au siège de la DGST, la Direction générale de la surveillance du territoire.

La dernière phase, quant à elle, peut durer des mois, voire des années. Elle se déroule dans la prison de Salé 2 où l’on vous enferme à plus de cinquante dans une cellule de 50 mètres carrés – bien sûr, sans aucune hygiène ni aucun confort.

Vos services savent fort bien qui est le superviseur de ce système. C’est le directeur de la Direction générale de la surveillance du territoire, que j’ai cité au début de mon propos. Il y a un an, il était à l’origine de la brouille maroco-française. Il est vrai que c’était un crime de lèse-majesté…

Les tortures que je viens de décrire sont recensées par le comité des Nations unies contre la torture. Allons-nous aujourd’hui encourager ces méthodes barbares ?

J’ai écouté l’intervention de Mme Girardin à l’Assemblée nationale. Quel lyrisme pour cacher la réalité de ces drames honteux et la soumission de la France ! Le protocole que vous défendez va permettre au Maroc de continuer à pratiquer des actes odieux, à torturer et à spolier des Français trop naïfs, victimes de la corruption locale.

Le système judiciaire marocain ne permet pas de traitement équitable pour les victimes alléguant avoir subi des tortures. Contrairement à ce que vous soutenez, le présent texte n’apportera aucun plus à nos ressortissants. Vous tentez de nous faire croire, à l’article 3 du protocole additionnel, que ce texte contribue à la bonne mise en œuvre des conventions internationales. À ma connaissance, ces conventions bannissent la torture.

Non content de ce blanc-seing que vous offrez aux grands amis de la France, comme chacun aime à les décrire, vous y ajoutez une prime inadmissible.

En visite à Rabat le 14 février 2015, le ministre de l’intérieur, M. Bernard Cazeneuve, aurait annoncé que le patron du contre-espionnage marocain allait être prochainement élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur à la suite d’une décision du grand maître de l’Ordre. Cette promotion, qui devait avoir lieu hier, le 14 juillet, serait reportée à un prochain voyage du Président de la République. J’espère que ce « légionnaire » et ses faits d’armes interpellent tous ceux qui, dans cet hémicycle, portent cette haute distinction.

J’espère aussi que, avant de voter, certains d’entre vous, mes chers collègues, vont se poser de vraies questions : faut-il couvrir par notre silence ces atrocités ? Faut-il sacrifier des Français à l’opacité de la justice marocaine et aux prisons marocaines ? Pour ma part, je ne le ferai pas. Si certains d’entre vous me suivaient, ce serait rendre un grand service à nos amis marocains.

J’ajoute que nos services diplomatiques ne réagissent pas comme ils devraient aux retraits de passeports, qui sont nombreux au Maroc, de même que pour défendre nos ressortissants maltraités en prison. Leur mission première est pourtant de protéger les biens et les personnes. Interrogez tous ceux qui ont été privés de leurs papiers : les réponses que leur apportent nos services sont édifiantes.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de me préciser si vous réfutez les tortures que je vous ai décrites et si vous jugez normal qu’une personne poursuivie – par maladresse, si j’ai bien compris – pour torture en France puisse être promue dans l’ordre de la Légion d’honneur.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe écologiste partage bien évidemment le but affiché de ce protocole : reprendre et approfondir les relations en matière d’entraide judiciaire avec le partenaire marocain. Il est en effet malheureux que nos relations en matière d’entraide judiciaire avec le Maroc aient été suspendues durant un an. En revanche, la majorité d’entre nous se trouve être en opposition avec le contenu de ce protocole. Les mécanismes qu’il insère au sein de la convention d’entraide judiciaire avec le Maroc, par l’ajout d’un article 23 bis, portent de graves risques d’atteinte à la compétence universelle du juge français et à son indépendance.

En réalité, ce texte s’apparente à un accord de circonstance, répondant à la procédure en cours devant la justice française contre M. Hammouchi pour actes présumés de torture au Maroc, procédure qui est à l’origine de la crise diplomatique entre nos deux pays.

Je tiens ici à rappeler que la Commission nationale consultative des droits de l’homme a rendu, le 21 mai 2015, après s’être saisie d’office du sujet, un avis extrêmement critique sur ce protocole, au demeurant adopté à l’unanimité. De nombreuses ONG ont également dénoncé un accord dangereux, contraire à plusieurs principes essentiels du fonctionnement de notre justice, soucieuse des droits de l’homme et du droit de chaque citoyen à un procès équitable. En effet, ce texte, par son contexte et son économie, amènera nécessairement le juge à prendre en compte des considérations diplomatiques. Il est donc très difficile d’anticiper sur l’interprétation qui en sera retenue.

Plus encore, la possibilité de divergences d’interprétation tient au caractère flou, imprécis et ambigu du texte, ce qui est problématique au regard de l’exigence de clarté de la norme. Or retenir des formulations vagues et imprécises, a fortiori dans un domaine aussi sensible pour les droits fondamentaux que le droit pénal, laisse la porte ouverte à de nombreuses dérives. Ainsi, le mécanisme instauré par ce protocole, à savoir l’obligation d’informer l’autre partie des procédures en cours pour des faits commis sur son territoire par l’un de ses ressortissants, ne définit pas précisément le périmètre des informations transmises. Malgré l’assurance apportée que les données visées ne porteront pas atteinte au secret de l’instruction et ne concerneront que l’existence d’une procédure, on ne peut qu’exprimer de fortes réserves à ce sujet.

Compte tenu du caractère sensible des affaires concernées et des considérations diplomatiques entrant en ligne de compte, l’absence de cadre textuel clair laisse planer la menace de pressions politiques sur la nature des données transmises et, in fine, sur la procédure elle-même.

Dans le cas de plainte pour des faits commis par un ressortissant marocain au Maroc, le protocole enjoint à l’autorité judiciaire de déterminer les suites à donner à la procédure, prioritairement le renvoi à l’autorité judiciaire marocaine ou sa clôture. Je prends acte de l’interprétation défendue selon laquelle l’adverbe « prioritairement » signifie une priorité d’examen et ne lie pas le juge quant au choix de la solution qu’il retiendra. Il n’en reste pas moins que la rédaction de ce paragraphe corsète le travail du juge : comme le souligne la CNCDH dans son avis, le magistrat pourrait en pratique s’estimer lié. De plus, le texte prévoit la poursuite de la procédure en l’absence de réponse ou en cas d’inertie de l’autre partie, ce qui veut bien dire, en creux, que le renvoi ou la clôture est le principe et la possibilité de poursuivre la procédure en France de la poudre aux yeux.

L’emploi du terme « renvoi » est également problématique. Le code de procédure pénale ne prévoit aucun mécanisme de renvoi à un juge étranger, puisque – faut-il le rappeler ? – nos juges sont indépendants, de notre État, et a fortiori d’un État étranger. Cela laisse donc à penser qu’il s’agit d’un mécanisme sui generis entraînant un dessaisissement du juge français. On nous oppose qu’il faut comprendre ce terme comme l’institution d’un mécanisme classique de dénonciation officielle aux fins de poursuite et donc comme l’organisation d’une simple délégation de poursuite qui ne dessaisit pas le juge français. Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir utilisé ce terme dans le protocole lui-même ? En droit, les mots ont un sens ! Là encore, l’imprécision du texte nous laisse dans l’incertitude la plus totale.

Ainsi, ce paragraphe laisse le sentiment qu’il vise à démanteler la compétence universelle du juge français pour les crimes où cette compétence est retenue, au profit de la compétence territoriale du juge marocain. En outre, ce paragraphe heurte la compétence personnelle active et passive du juge français, puisqu’il semble qu’il trouve également à s’appliquer lorsque l’auteur ou la victime est binational, et pas seulement lorsque l’auteur est marocain et la victime non française. Quelle que soit l’interprétation alors retenue de ce mécanisme, il est évident que nos compatriotes franco-marocains se voient placés dans une situation différente de celle de leurs concitoyens ne possédant pas cette double nationalité. Au regard du principe d’égalité entre citoyens français, cette disposition contrevient à nos textes de loi.

Enfin se pose la question des standards de la justice marocaine. Des progrès importants ont certes été accomplis ; il faut le reconnaître et encourager ce mouvement. Toutefois, l’indépendance de la justice y reste encore mal assurée, ce qui laisse craindre que les enquêtes mettant en cause des dignitaires n’y soient pas conduites de manière diligente. Pareillement, la situation des droits humains et des droits de la défense, si elle a connu de nettes améliorations, reste encore insuffisante.

L’État de droit est une construction lente et difficile : l’histoire française, y compris récente, en témoigne. Il appartient donc à la France d’accompagner le Maroc sur ce chemin, tout en restant fidèle à ses principes et consciente de ses propres insuffisances en la matière.

Pour ces raisons, la majorité du groupe écologiste votera contre l’approbation de ce protocole.

M. Éric Doligé applaudit.

Debut de section - Permalien
Harlem Désir

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous remercier pour ce débat. Les orateurs ont placé ces échanges au niveau requis en évoquant l’intensité et la qualité des relations exceptionnelles entre la France et le Maroc, un pays ami, un pays allié, un pays avec lequel nous entretenons des liens de fraternité.

Au cours de cette discussion générale, vous avez soulevé des questions importantes et légitimes.

Des questions importantes, car le Maroc est un pôle de stabilité dans un monde arabe déchiré par les conflits, un pays qui a fait des choix courageux pour se moderniser et qu’il est essentiel d’encourager dans cette voie. C’est aussi un partenaire de premier plan pour la France non seulement dans la lutte contre le terrorisme et les dérives radicales, mais aussi sur le plan économique et culturel.

Des questions légitimes, car l’accord qui nous occupe aujourd’hui traite de points fondamentaux pour notre démocratie tels que la séparation des pouvoirs, l’accès des citoyens à la justice, l’égalité de tous devant la loi ou encore la vocation universelle des droits de l’homme.

Nous devons donc traiter ces sujets avec la gravité qui convient et prendre le temps d’aller au fond des choses. C’est pourquoi je reprends la parole pour vous apporter les éclaircissements nécessaires, notamment à la suite de vos remarques sur une possible imprécision rédactionnelle de l’accord, à laquelle je ne souscris pas.

Tout d’abord, sur les aspects juridiques de l’accord et la nature des informations transmises, les autorités se transmettront les informations que l’autorité judiciaire aura portées à leur connaissance à cette fin. C’est donc bien à l’autorité judiciaire, dont notre Constitution garantit l’indépendance et la vocation de gardienne des libertés individuelles, qu’il reviendra d’apprécier le contenu exact des informations transmises.

Ensuite, comme je l’ai indiqué dans mon intervention liminaire, le texte s’appliquera bien aux binationaux. Le juge français, au vu des observations ou informations éventuellement reçues du juge marocain, déterminera les suites de la procédure. Sa décision sera guidée par le souci d’assurer la meilleure administration de la justice, ce qui comprend, dans notre conception, la place de la victime dans la procédure.

En ce qui concerne l’indépendance des juges, le texte est strictement conforme aux principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire consacrés par la Constitution. L’autorité judiciaire conservera donc, en toute hypothèse, le dernier mot sur les suites à donner.

Le texte est également conforme à nos engagements internationaux, notamment ceux qui créent une compétence quasi universelle des autorités françaises. Il ne crée aucun mécanisme de dessaisissement – j’insiste sur ce point –, et l’article 23 bis rappelle que le dispositif de coopération et d’échange s’inscrit dans le cadre des engagements internationaux de la France et du Maroc – Jean-Claude Requier est lui-même revenu sur ce point.

Ce texte respecte par ailleurs pleinement le droit des victimes d’avoir accès à un tribunal en France. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante : le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit.

Sur le respect du secret de l’enquête, ce protocole ne porte pas atteinte aux exigences de notre droit interne telles que l’indépendance de l’autorité judiciaire ou le secret de l’enquête et de l’instruction. Il permet au contraire d’assurer une meilleure administration de la justice et la conduite efficace et diligente des procédures, au regard notamment du principe de territorialité des poursuites.

Enfin, sur la question plus générale de la démocratie et des droits de l’homme au Maroc, soulevée notamment par Bariza Khiari, de façon positive, mais aussi par Mme Prunaud ou par M. Doligé, je rappelle que le Maroc est engagé depuis quinze ans dans un processus important de modernisation politique et sociale. La réforme constitutionnelle de 2011, approuvée par référendum, a marqué une accélération de ce processus en clarifiant les relations entre les pouvoirs et en renforçant les rôles du chef du gouvernement et du Parlement. Le Maroc est un pays qui connaît des alternances démocratiques, un pluralisme politique et une liberté d’expression des citoyens et de la presse reconnus et remarquables.

Debut de section - Permalien
Harlem Désir, secrétaire d'État

Sur la persistance de la torture, telle qu’évoquée par Éric Doligé, le Maroc a accompli d’importants efforts en matière de droits de l’homme ces dernières années, en souscrivant à des engagements internationaux contraignants, en particulier le protocole facultatif à la convention internationale contre la torture. Il a également mis en place des institutions et des mécanismes autonomes de contrôle des droits de l’homme. Il existe ainsi un Conseil national des droits de l’homme, dont le travail a été salué sur le plan international. Nous ne pouvons qu’encourager le Maroc dans cette voie.

En conclusion, je souhaite encore, mesdames, messieurs les sénateurs, vous remercier, au nom du Gouvernement, pour la qualité de ces échanges. Ils ont été à la hauteur des enjeux, envisageant, d’une part, la place de la justice, des victimes et des droits de l’homme dans notre société et dans les relations internationales et, d’autre part, la relation bilatérale avec un partenaire essentiel pour la France, dans un contexte où nous faisons face aux mêmes défis et où notre partenariat nous offre de formidables opportunités. La mer Méditerranée ne peut pas être seulement une frontière, un lieu de désespoir et de naufrage. Elle doit être une mer commune, un espace de coopération et d’amitié, en particulier entre la France et le Maroc.

Le texte soumis à votre approbation aujourd’hui répond à ces enjeux, en créant les conditions d’une coopération judiciaire plus efficace entre nos deux pays, dans le plein respect de nos principes constitutionnels et de nos engagements internationaux.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Est autorisée l'approbation du protocole additionnel à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc, signé à Rabat le 6 février 2015, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je m’abstiendrai sur ce projet de loi, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues. Je souhaite m’en expliquer.

Je suis évidemment favorable au développement de la coopération en matière judiciaire entre la France et le Maroc.

Si je ne puis voter le présent texte, c’est en raison des dispositions juridiques précises qui figurent dans le protocole qu’il nous est demandé d’adopter.

Un certain nombre de critiques ont été formulées. Je ne reviendrai pas sur l’ensemble de celles-ci. Je m’en tiendrai à une seule, qui est pour moi dirimante.

J’ai été le premier signataire de la proposition de loi tendant à modifier l’article 689-11 du code de procédure pénale relatif à la compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la Cour pénale internationale.

Cette proposition de loi, qui a été déposée le 6 septembre 2012, a été adoptée à l’unanimité – j’insiste sur ce point – le 26 février 2013 par le Sénat, sur le rapport d’Alain Anziani. Elle donne une pleine et totale compétence, sans aucune restriction, aux juges français pour poursuivre et juger les auteurs de génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis à l’étranger, conformément aux termes de la convention de Rome et du traité du 18 juillet 1998, ratifié par la France.

Or le protocole qu’il nous est proposé de ratifier va à l’encontre non seulement de l’engagement de la France à traduire en justice les personnes accusées des crimes les plus graves sur la base de cette compétence universelle, mais aussi des termes de la proposition de loi précitée. Son adoption constituerait à cet égard un précédent dont les conséquences méritent réflexion.

Telles sont les raisons de mon abstention.

Au demeurant, monsieur le secrétaire d'État, il me paraît profondément anormal que la proposition de loi susvisée, appelée de leurs vœux par Robert Badinter, Mireille Delmas-Marty et un très grand nombre de juristes, adoptée, j’y insiste, à l’unanimité par le Sénat le 26 février 2013 et transmise le même jour à l’Assemblée nationale, n’ait toujours pas été inscrite à l’ordre du jour des travaux de nos collègues députés.

C’est pourquoi je demande au Gouvernement de bien vouloir m’indiquer à quelle date il compte inscrire ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Je partage les interrogations de mon collègue Jean-Pierre Sueur sur la proposition de loi en question.

À l’instar de la plupart des intervenants précédents, je souhaite souligner la nécessité de tourner définitivement la page d’une année 2014 particulièrement préoccupante pour les relations entre la France et le Maroc.

Cet accord, qui organise un échange d’informations entre nos deux justices pour les cas de crimes particulièrement graves, est un signe de confiance de la France vis-à-vis de la justice marocaine et du Maroc à l’égard de la justice française. Le risque est que de nombreux États demandent le même type d’accord. Cela provoquerait alors un ralentissement réel de la capacité de la justice française, dans les cas de crimes particulièrement graves, à engager et poursuivre une instruction.

Certes, après analyse, il apparaît effectivement que l’échange d’informations prévu par le protocole, s’il peut retarder une instruction, ne limite pas la souveraineté de la justice française.

Toutefois, je ne pourrai pas voter le protocole, car il est très imprécis. L’interprétation qui lui est donnée est même contraire à sa lecture ! Ainsi, l’alinéa 3 de l’article 2 relatif à des « procédures engagées auprès de l’autorité judiciaire d’une partie par une personne qui n’en possède pas la nationalité et pour des faits commis sur le territoire de l’autre partie par un de ses ressortissants » mérite quelques remarques.

D’une part, le texte n’indique pas clairement si le ressortissant qui fait office de défendeur a la nationalité de la partie où sont engagées les poursuites ou celle du pays où l’acte a été commis. Il faut consulter l’étude d’impact pour le savoir.

D’autre part, il est écrit que le demandeur ne possède pas la nationalité du pays qui reçoit la plainte. Cela exclut clairement les binationaux, malgré l’alinéa 4. Pourtant, le Gouvernement a donné une interprétation différente du texte devant le Parlement.

Je ne peux pas accepter qu’un Français soit traité différemment par notre pays selon qu’il a ou non une seconde nationalité. La binationalité est une question très sensible entre la France et le Maroc. Les binationaux franco-marocains vivant au Maroc vous parleraient probablement, mes chers collègues, de la contribution libératoire, qui limite leurs droits financiers en France.

C’est pourquoi je m’abstiendrai. En conclusion, vive l’amitié entre la France et le Maroc !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n°227 :

Le Sénat a adopté le projet de loi autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.

En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du 8 juillet dernier prennent effet.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu’il a été saisi le mercredi 15 juillet 2015, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Les textes des saisines du Conseil constitutionnel sont disponibles au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le neuvième rapport du Haut comité d’évaluation de la condition militaire.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de Mme Isabelle Debré.