Intervention de Christian Cambon

Réunion du 15 juillet 2015 à 14h30
Entraide judiciaire avec le maroc — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Christian CambonChristian Cambon :

Monsieur le secrétaire d’État, je tiens à vous remercier des paroles bienveillantes que vous avez tenues à l’endroit de la commission des affaires étrangères et à mon égard.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc, adopté par l’Assemblée nationale le mardi 23 juin.

Comme vous le savez, la signature de ce protocole est intervenue dans un contexte difficile, la coopération judiciaire entre la France et le Maroc ayant été totalement gelée entre le 26 février 2014 et le 31 janvier 2015, à la suite d’une série d’incidents malheureux sur lesquels il est inutile de revenir. La signature de ce protocole a permis la reprise de relations normales et celui-ci revêt donc une importance particulière, puisque, s’il est voté ce soir, le dispositif d’entraide judiciaire sera achevé et tous les nuages auront été dissipés.

J’aborderai très rapidement le cadre et les modalités de la coopération judiciaire entre la France et le Maroc.

La première convention relative à la coopération judiciaire entre la France et le Maroc remonte au 5 octobre 1957. Les dispositions de cette convention ont été modernisées par la signature, le 18 avril 2008, d’une convention d’entraide judiciaire. C’est cette convention que le protocole qui nous est aujourd’hui présenté vient compléter.

La coopération judiciaire entre nos deux pays était très active avant sa suspension unilatérale par le Maroc. Depuis 1998, la France avait adressé au Maroc 952 demandes d’entraide, contre 77 demandes adressées par le Maroc à la France. Le délai moyen constaté pour l’exécution des demandes françaises au Maroc était d’environ six mois, ce qui prouve que le dispositif était particulièrement performant.

Enfin, la création, en 2002, d’un binôme de magistrats de liaison a permis d’obtenir, dans la plupart des cas, que l’entraide soit accordée aux autorités judiciaires françaises, y compris dans des situations d’urgence.

Dans ce contexte, quelles ont été les conséquences de la suspension de la coopération à partir de février 2014 ?

Cette suspension a empêché pendant environ un an l’exécution de l’ensemble des actes judiciaires nécessitant un dialogue avec le Maroc. Ainsi, entre février 2014 et janvier 2015, la Chancellerie n’a plus reçu aucune demande d’entraide, d’extradition ou de transfèrement du Maroc. De même, le total des demandes françaises en attente a atteint le nombre de 150 avant la reprise effective de la relation. La coopération en matière de justice civile a aussi été très affectée.

Les conséquences ont également été très graves en matière de lutte contre le terrorisme et contre la criminalité organisée. En effet, la coopération entre nos deux pays est d’abord essentielle en ce qui concerne la répression des filières djihadistes qui œuvrent sur notre territoire et sur le territoire marocain.

Par ailleurs, nos forces engagées au Sahel ne pouvaient plus bénéficier des informations recueillies par les services de renseignement marocains, particulièrement performants, et transmises à nos propres services. Ainsi, alors même que la menace terroriste grandissait au Sahel, en Syrie et en Irak, et que le phénomène des combattants étrangers touchait chaque jour davantage aussi bien la France que le Maroc, le gel des échanges d’informations a porté un grave préjudice à nos deux pays.

Par chance, cette crise est dépassée depuis janvier dernier. La coopération judiciaire a repris dès le lendemain de la signature, en février 2015, du protocole additionnel que nous examinons aujourd’hui. Les magistrats de liaison ont également été réinstallés.

Les rencontres à haut niveau ont repris rapidement après la signature du protocole : dès le 9 février 2015, le Président de la République, et le roi du Maroc se sont entretenus à Paris et d’autres rencontres officielles ont eu lieu depuis lors.

Les relations franco-marocaines vont en outre revêtir une nouvelle dimension au cours des mois et des années à venir grâce à la montée en puissance de certains dossiers, comme le dialogue 5+5 ou encore les négociations sur le climat, avec la tenue de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques, dite aussi COP 21, à Paris en décembre 2015, le Maroc étant chargé, quant à lui, de l’organisation de la COP 22 qui aura lieu à Marrakech en 2016.

Enfin, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, il faut souligner que la « diplomatie parlementaire » n’a jamais cessé d’être active tout au long de la suspension de la coopération judiciaire.

Venons-en à présent au protocole additionnel.

S’il faut bien reconnaître que la rédaction de ce protocole peut paraître imparfaite sur plusieurs points, son sens général est toutefois très clair : il vise à développer les échanges d’informations en amont et au cours des procédures d’entraide judiciaire, notamment dans le cas d’affaires portant sur des faits commis sur le territoire de l’autre partie et susceptibles d’impliquer des ressortissants de cette dernière. En effet, les procédures sont souvent longues et complexes quand les éléments de preuve se trouvent sur un autre territoire que celui où la plainte a été déposée.

Comme vous le savez, plusieurs associations – l’ACAT, Amnesty International, Human Rights Watch, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, la FIDH, et la Ligue des droits de l’homme, la LDH – ainsi que la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, ont émis un certain nombre de protestations contre ce protocole, en estimant que les imprécisions rédactionnelles qu’il contenait constituaient autant de zones d’ombre qui pourraient favoriser le non-respect de certains de nos principes fondamentaux. J’ai personnellement reçu l’ensemble de ces organisations pour écouter et prendre connaissance de manière approfondie de leur argumentation, certes intéressante, mais qui me semble inexacte sur deux points essentiels que je souhaite évoquer.

Revenons au texte du protocole.

Tout d’abord, le titre du nouvel article 23 bis qu’il introduit, « Application des conventions internationales », permet de souligner que les parties ont souhaité inscrire strictement le dispositif d’information et d’échanges créé par le protocole, à la fois, dans le cadre des obligations internationales incombant à chacune des parties au titre des conventions internationales qu’elles ont chacune signées et dans le cadre des conventions internationales signées par les deux parties. Ni la France ni le Maroc n’ont aucunement entendu modifier la portée de ces engagements internationaux.

Concrètement, le dispositif créé à l’article 23 bis s’applique, par exemple, au titre de la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984 – convention signée aussi bien par la France que par le Maroc –, et dans le strict respect de cette convention.

Ensuite, le deuxième paragraphe de l’article 23 bis prévoit une obligation d’information immédiate entre les parties dans le cas où les faits ont été commis sur le territoire de l’autre partie par un de ses ressortissants. La CNCDH ainsi que le collectif d’associations que j’ai auditionnés ont regretté que cette obligation d’information ne soit pas davantage encadrée, craignant un risque de disparition des preuves ou de pression sur les témoins dans certaines affaires sensibles. Toutefois, si ce risque ne peut jamais être totalement écarté, je souhaite insister sur le fait que l’information dont il est ici question ne concerne que l’existence des procédures, et non le contenu ou le détail de celles-ci. Cette précision est d’une importance fondamentale.

Le troisième paragraphe constitue le cœur du protocole additionnel. Il concerne notamment le cas dans lequel une procédure est engagée auprès d’un juge français par un Marocain ou une personne d’une autre nationalité que française ou marocaine, pour des faits commis au Maroc par un Marocain. Dans ce cas, l’autorité judiciaire française devra recueillir dès que possible auprès de l’autorité judiciaire de l’autre partie ses observations ou informations. Une fois informée, l’autorité marocaine « prend toutes les mesures qu’elle juge appropriées y compris le cas échéant l’ouverture d’une procédure ». Puis l’autorité judiciaire française, au vu des informations reçues, « détermine les suites à donner à la procédure, prioritairement son renvoi à l’autorité judiciaire de l’autre partie ou sa clôture ».

La CNCDH et le collectif d’associations ont fait valoir que ce qui est visé ici, s’agissant de faits commis à l’étranger par un étranger et sur une victime étrangère, pour lesquels une procédure serait ouverte en France, est ce qu’on appelle la « compétence universelle ou quasi universelle ». Selon les associations, en prévoyant le renvoi ou la clôture de l’affaire, le protocole remettrait en cause cette compétence universelle que la France s’efforce pourtant par ailleurs de promouvoir, pour lutter contre l’impunité. En outre, inciter au « renvoi » de l’affaire équivaudrait, selon elles, à renoncer à l’application effective de la justice en raison d’un risque d’inertie de la justice marocaine dans certaines affaires sensibles.

À la suite de l’ensemble des auditions que j’ai menées, je ne partage cependant pas cette appréciation. En effet, le protocole ne va en réalité nullement à l’encontre de la compétence universelle. Il organise certes une forme de priorité de l’exercice de la compétence territoriale du juge du pays où se sont produits les faits, pour des raisons évidentes de disponibilité des preuves, mais il ne crée en aucun cas une procédure de subsidiarité obligatoire devant nécessairement aboutir au dessaisissement du juge français et à une renonciation à la mise en œuvre de la compétence universelle. En d’autres termes, le juge français conserve l’intégralité de ses droits d’investigation tout au long de la procédure.

Premier élément : ce sera bien le juge – en l’occurrence le juge français – qui décidera en dernier ressort s’il va clôturer l’affaire ou la renvoyer à l’autorité judiciaire de l’autre partie. Je souhaite tout particulièrement insister sur ce point dans la mesure où la plupart des critiques faites à l’encontre du protocole ne vaudraient, en réalité, que si le magistrat devait automatiquement renvoyer ou clôturer l’affaire, ce qui n’est pas le cas. D’ailleurs, il est également précisé que, « en l’absence de réponse ou en cas d’inertie de l’autre partie, » – donc de la partie supposée marocaine – « l’autorité judiciaire saisie poursuit la procédure ». Le juge français conserve donc bien la totalité de ses droits. C’est du reste ce que le Conseil d’État a repris et souligné dans son avis favorable.

Second élément important : même si le juge choisit le « renvoi », celui-ci ne constitue pas un dessaisissement. Il consiste en réalité en l’application de la procédure de « dénonciation aux fins de poursuite » définie par l’article 23 de la convention de 2008. Cette procédure, tout à fait courante dans l’entraide judiciaire franco-marocaine, permet au juge français de transférer le traitement d’une affaire à l’autorité judiciaire marocaine, tout en ne renonçant pas à sa compétence.

Dans cette procédure, il y a en effet des garanties. Ainsi, la Chancellerie réexamine tous les quatre à six mois les procédures faisant l’objet d’une dénonciation officielle. Nous tenons ces informations de la Chancellerie elle-même, notamment du directeur des affaires criminelles et des grâces.

En outre, les autorités de l’État requis doivent informer régulièrement les autorités requérantes des suites réservées à leur demande. L’autorité judiciaire française peut ainsi apprécier les suites qu’elle donnera, dans la mesure où elle reste toujours saisie de la procédure.

Enfin, tant que la procédure n’est pas close, la victime dispose des recours juridictionnels habituels liés à la procédure engagée en France.

Mes chers collègues, le vote que vous allez émettre aujourd’hui est très important, car il va définitivement mettre un terme à une séquence négative et très préjudiciable à nos deux pays.

Le Maroc est l’un de nos plus sûrs alliés au Maghreb et dans une Afrique martyrisée par le terrorisme. La sécurité même de nos soldats engagés dans l’opération Barkhane repose sur la coopération sans faille du Maroc dans la lutte contre le djihadisme.

Une longue histoire commune, des relations économiques et culturelles exemplaires sont déjà des motifs précieux pour tirer un trait sur cet épisode. Mais plus encore, vous le savez, le Maroc poursuit une expérience de modernisation que nous nous devons d’encourager, alors que tant de pays de la région se sont abîmés dans des « printemps » qui n’ont guère fait progresser la démocratie.

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