Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 15 juillet 2015 à 14h30
Entraide judiciaire avec le maroc — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte dont nous sommes saisis vise à ajouter un article 23 bis à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale qui lie la France et le Maroc. La première version de cette convention date de 1957 et couvre la coopération aussi bien civile que pénale. Renouvelée en 2008, la convention comporte non seulement des éléments assez traditionnels, mais également des dispositifs spécifiques sur lesquels je reviendrai.

L’article 23 bis vient apporter une réponse diplomatique, politique et juridique, mettant un terme à une année entière de fortes crispations entre la France et le Maroc. M. le rapporteur ayant rappelé les faits à l’origine de cette situation, je me contenterai de souligner que, au Maroc, la stupeur fut d’autant plus aiguë que Rabat, partenaire stratégique dans la région, apportait un soutien sans faille à notre intervention militaire au Mali. Ces faits ont été vécus par les autorités marocaines comme un outrage. Je veux souligner que l’indignation marocaine, à mon sens parfaitement légitime, a néanmoins été mesurée et maîtrisée. Elle a pris la forme d’une suspension unilatérale et immédiate de toute forme de coopération judiciaire, en matière tant pénale que civile.

À titre d’exemple, pendant une année entière, des Français détenus au Maroc n’ont pu être extradés, provoquant le désarroi des familles. La coopération civile a également été enrayée. C’est d’autant plus problématique que la communauté française au Maroc comme la communauté marocaine en France sont importantes. Enfin, le Maroc n’a plus fourni d’informations à nos services de renseignement. Je ne précise pas davantage le préjudice que cela a pu représenter dans le contexte actuel. Le rétablissement de cette coopération est donc stratégique pour la France.

S’il fallait retenir un aspect positif de cette mésaventure, c’est que nous avons pu mesurer très concrètement tous les enjeux de la coopération franco-marocaine, en réaliser la richesse, l’importance stratégique, la dimension humaine. L’année de brouille a été paradoxalement l’occasion de très nombreux échanges. Je pense notamment à la tenue du premier forum parlementaire franco-marocain. La coopération culturelle en a été galvanisée avec l’organisation de deux événements majeurs, l’un à l’Institut du monde arabe, l’autre au musée du Louvre. Je tiens aussi à signaler le rôle tenu par la diplomatie parlementaire durant ces longs mois et saluer l’action d’Élisabeth Guigou et de Luc Chatel à l’Assemblée nationale et celle du président du groupe d’amitié du Sénat, Christian Cambon, rapporteur de ce texte, qui n’a pas ménagé ses efforts.

La crise s’est enfin dénouée à la fin du mois de janvier 2015, les deux ministres de la justice s’accordant sur le protocole additionnel soumis aujourd’hui à notre ratification. À l’occasion de l’examen de ce texte, je souhaite adresser deux messages.

Le premier s’adresse au Maroc. Sans faire repentance, nous regrettons ces maladresses qui ont été à l’origine de cette brouille. Notre mobilisation aujourd'hui est une preuve réelle d’amitié.

Le second message s’adresse à toutes les organisations de défense des droits de l’homme qui ont bien voulu attirer notre attention sur les éventuelles imperfections du texte.

Nous ne méconnaissons pas l’extraordinaire énergie qu’il faut déployer pour attirer l’attention de l’opinion sur un texte aussi aride que ce protocole. Les grandes associations de défense des droits de l’homme ont une histoire riche en belles batailles. Il ne faudrait pas que cette histoire, qui est dans l’ADN même et dans la mémoire de ces associations, altère l’acuité de leur regard sur les avancées considérables opérées par le Maroc depuis plus d’une décennie.

J’observe parfois des réactions, qui dépassent le strict cadre juridique, qui se nourrissent davantage des blessures du passé que des avancées du présent et qui, surtout, ne tiennent pas compte des promesses de l’avenir. Au rang de ces avancées considérables se trouvent les comités de réconciliation, qui ont permis aux Marocains de tourner la page des années de plomb. Citons aussi le nouveau code de la famille, la Moudawana, beaucoup plus favorable aux femmes. Ces réformes ont été engagées bien avant ce qu’on appelle les « printemps arabes ». Je n’oublie pas non plus la réforme constitutionnelle de 2011, tournant politique et démocratique considérable dans l’histoire de la monarchie marocaine, qui inscrit notamment l’objectif de parité dans la Loi fondamentale.

Très récemment, certains faits divers ayant trait aux mœurs ont fait réagir la société civile marocaine. Cette société civile est aujourd’hui vigilante et mobilisée. Comme partout, des marges de progression existent, mais il serait malhonnête de ne pas reconnaître les évolutions positives en matière de protection des droits. Il nous faut réellement mesurer et saluer la rapidité des avancées dans une région qui doit faire face à de nombreux défis. Il y a un Maroc nouveau. Ce protocole doit être lu non avec les lunettes d’un passé révolu, mais à l’aune de toutes les promesses marocaines.

L’article 23 bis a un cadre bien défini. Le paragraphe 2 crée une obligation d’information dans le cas d’une plainte concernant des faits commis dans le territoire de l’une des parties par un ressortissant de l’autre partie. Néanmoins, monsieur le secrétaire d'État, je relève une fragilité dans la rédaction du paragraphe 4, lequel vise ceux qui ont la nationalité de l’une et de l’autre partie. Vous venez d’en préciser les modalités d’application. Il faut donc rappeler, comme l’a fait M. le rapporteur en commission, que cet accord ne s’inscrit que dans le cadre des conventions internationales. Cela permettra d’en rassurer plus d’un.

Mes chers collègues, nous soutenons cet accord pour de nombreuses raisons.

Ce texte ne contient pas de procédure de subsidiarité. Il est conforme aux engagements internationaux de la France. Il est fidèle au principe de la compétence universelle, auquel nous sommes tous attachés. Il facilite l’information du juge initialement saisi. Il est respectueux des principes d’indépendance et de pleine souveraineté du juge français. Le juge français n’est pas dessaisi au profit du juge marocain, contrairement à ce qui a été dit. Il peut désormais recueillir des observations auprès du juge de l’autre partie. Le droit à un recours effectif des victimes est assuré. Le juge pourra s’appuyer sur des éléments d’information supplémentaires, souvent difficiles à obtenir pour des faits commis à l’étranger.

Vous l’aurez compris, je vous invite à voter cette convention et à ouvrir ainsi une nouvelle ère, faite de respect mutuel, entre la France et le Maroc.

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