Intervention de Christine Prunaud

Réunion du 15 juillet 2015 à 14h30
Entraide judiciaire avec le maroc — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Christine PrunaudChristine Prunaud :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, le protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire entre la France et le Maroc que nous sommes amenés à ratifier ce soir a pour vocation de réconcilier nos deux pays après une année de brouille diplomatique. Notre collègue Christian Cambon a rappelé le contexte particulier et l’origine de cette crise. Le fait qui l’a provoquée n’est en effet pas anodin.

Au mois de février 2014, une juge d’instruction française a souhaité auditionner le principal responsable des services de renseignement marocains, de passage en France, qui était sous le coup de plusieurs plaintes pour torture. Elle a ainsi fait directement remettre cette convocation à la résidence de l’ambassadeur du Maroc. Cet acte de justice, sans doute maladroit, mais qui est une preuve de l’indépendance de l’autorité judiciaire et de la séparation des pouvoirs en France, a provoqué une très vive réaction au Maroc.

La suspension de la coopération judiciaire a entraîné un gel de toutes les procédures : le transfèrement de prisonniers, les affaires familiales ainsi que les échanges d’informations entre nos services de renseignement. Les dirigeants marocains ont en outre exigé une remise à plat des règles régissant notre entraide judiciaire.

Cette affaire est en quelque sorte exemplaire de ce que peut être la confrontation entre le respect des grands principes qui régissent notre régime républicain, son système judiciaire et la réalité concrète des relations que nous entretenons avec d’autres pays.

Cet arrêt complet de la coopération judiciaire a avant tout porté un préjudice très grave à nos deux populations, qui ont été les premières à en souffrir, mais nos relations ont aussi été gravement affectées avec un pays qui est l’un de nos alliés dans cette région et avec lequel nous entretenons des liens historiques et culturels très étroits.

Dès lors, comment sortir de ce blocage ? C’est là que se pose la question de l’équilibre à trouver entre le respect des principes de notre droit national et de nos engagements internationaux. À cet égard, le groupe CRC a été très attentif aux critiques émises par un ensemble d’associations – Amnesty International, l’ACAT, la Ligue des droits de l’homme – et la Commission nationale consultative des droits de l’homme à la suite des ambiguïtés qu’elles ont relevées dans le texte.

Est ainsi dénoncée l’obligation d’information réciproque entre nos services judiciaires qu’instaure le protocole additionnel. Cette disposition semble contradictoire avec notre principe du secret de l’enquête et de l’instruction.

Est également critiqué le fait que « l’autorité judiciaire saisie détermine les suites à donner à la procédure, prioritairement son renvoi à l’autorité judiciaire de l’autre partie ou sa clôture ». C’est précisément sur ce point que les réticences du groupe CRC sur ce texte sont les plus fortes.

Nous pensons que, sur le fond, cet accord favoriserait de facto l’impunité des responsables marocains suspectés de graves violations des droits humains. D’une certaine façon, on abandonne ainsi les intérêts des victimes à la raison d’État d’un pays ami.

Aussi, compte tenu des risques liés à la rédaction de ce protocole d’accord et du fait que les progrès du régime marocain en matière de respect des droits de l’homme et des droits de la défense demeurent insuffisants, le groupe CRC ne peut approuver le projet de loi autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale.

Approuver ce protocole reviendrait à envoyer un bien triste message : cela signifierait que la France renonce à poursuivre les auteurs présumés des crimes les plus graves.

Enfin, voter contre ce projet de loi, c’est soutenir nos amis marocains qui se battent pour le respect des droits humains, des droits sociaux et politiques.

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