Intervention de André Trillard

Réunion du 15 juillet 2015 à 14h30
Entraide judiciaire avec le maroc — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de André TrillardAndré Trillard :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Maroc s’inscrit dans un contexte particulier, ainsi que notre rapporteur Christian Cambon l’a bien expliqué.

Pour ma part, je rappellerai quelques éléments importants qui doivent nous inciter à regarder sereinement l’avenir.

Nos deux pays entretiennent une relation d’amitié privilégiée, qui se traduit par une coopération très active dans les domaines économique, culturel et sécuritaire. L’importance historique des communautés française au Maroc et marocaine en France renforce ces liens précieux.

Une série d’incidents diplomatiques a abouti à la suspension de notre coopération en matière pénale et judiciaire, comme cela a été rappelé. Cette situation était dommageable et paradoxale à un moment où la géopolitique expose nos deux pays aux mêmes défis, chacun cherchant à atteindre, à son niveau, un objectif commun. Chacun sait que la paix est une priorité, dans une région qui paie chèrement sa transition démocratique. Dans ce contexte, nos deux pays œuvrent pour le rétablissement de l’équilibre politique régional.

Au moment où les soldats français se battent dans la bande sahélo-saharienne, la diplomatie marocaine redouble d’efforts pour réunir les parlements libyens rivaux et tenter de former un gouvernement d’union nationale.

Le Maroc, comme la France, a fait la dramatique expérience du terrorisme. À Paris ou à Rabat, on fait le même constat : des jeunes s’engagent dans le djihad, en Syrie et en Irak. De part et d’autre, les responsables politiques sont confrontés au retour des djihadistes sur leur territoire.

En mars dernier, le roi du Maroc a inauguré le premier institut de formation des imams. C’est un signal important pour la communauté musulmane, qui pâtit de l’imposture – je n’hésite pas à le dire – de faux prédicateurs, mais c’est aussi un signe très fort en faveur de la laïcité adressé aux terroristes qui détournent l’islam. Former des imams, c’est rappeler que les religions ne peuvent pas se soustraire aux lois des États.

Nos deux pays ont une stratégie globale consistant à contrôler, à surveiller les réseaux terroristes, à réprimer les auteurs des attentats et à lutter contre l’embrigadement des personnes, notamment par le biais d’internet.

En 2013, a été créé le « G4 ». Il réunit les ministres de l’intérieur français, espagnol, marocain et portugais sur les questions de sécurité, l’objectif étant de renforcer la coopération technique et opérationnelle entre les services de renseignement.

De fait, alors que nos deux pays sont fortement engagés dans la lutte contre le terrorisme, nos relations diplomatiques ne pouvaient rester en l’état. Les services de renseignement et les services judiciaires doivent et veulent de nouveau travailler ensemble et échanger de façon permanente et sereine. Ce protocole est un premier pas vers une coopération judiciaire et pénale renforcée et modernisée. Le premier objectif est de parvenir à un traitement plus efficace et plus rapide des affaires pénales mettant en cause des ressortissants, grâce à un meilleur échange d’informations entre les deux justices.

Les ONG et d’autres défenseurs de droits ont émis des réserves sur les modifications prévues par ce protocole. Ils étaient sans doute dans leur rôle. Leur audition par le rapporteur, M. Cambon, a permis de lever les points d’inquiétudes.

Le protocole prévoit l’insertion dans la convention de 2008 d’un nouvel article qui ne remet pas en cause la compétence universelle. S’il fait primer l’exercice de la compétence territoriale sur la compétence universelle, il ne crée pas une procédure de subsidiarité obligatoire. Il n’y aura donc pas de dessaisissement automatique du juge français ni de renonciation à la compétence universelle. En dernier ressort, le magistrat saisi décidera souverainement soit de clôturer l’affaire, soit de la renvoyer à l’autorité judiciaire de l’autre partie, soit de continuer les poursuites. Mais rien n’obligera le juge à se dessaisir.

De la même façon, le mécanisme de « renvoi » évoqué dans le protocole ne constitue pas un transfert de compétence dès lors que l’autorité judiciaire saisie ne renonce pas à l’exercice de son droit de poursuivre.

Par ailleurs, le réexamen régulier par le ministère de la justice des procédures faisant l’objet d’une dénonciation officielle est un gage d’assurance.

Enfin, tant que la procédure n’est pas close, la victime continuera de disposer des recours juridictionnels habituels, liés à la procédure engagée en France.

Certes, le protocole permet au juge français, dans un souci d’efficacité, de transférer le traitement d’une affaire à l’autorité judiciaire marocaine, mais pensez-vous que nos magistrats renonceront à leur compétence ? Pour ma part, je ne le pense pas.

Avant de conclure, mes chers collègues, permettez-moi de partager avec vous mon sentiment. Le Royaume du Maroc et la France ont des relations que nous devons protéger, sans que cela nous exempte de faire preuve d’esprit critique, à condition, toutefois, de nous montrer constructifs. La diplomatie, comme l’amitié, doit reposer sur la confiance. Nous devons être solidaires de ce qu’a accompli le Maroc, notamment de ses progrès en matière de défense des droits de l’homme. Le processus issu de la révision constitutionnelle de 2011, dont nous avons parlé, est un acte symbolique et une promesse qui acte les printemps arabes. Alors plutôt que de camper dans l’impatience, sachons, par notre présence vigilante, plus que par des exigences péremptoires, encourager les évolutions positives.

La majorité de notre groupe votera ce texte, car il permettra à deux pays non seulement de renforcer une amitié privilégiée, mais aussi de renouer avec la sincérité et la confiance.

Je tiens enfin à saluer ici les efforts et le travail de longue haleine de Christian Cambon et du président du Sénat. Si les sénateurs ne sont pas des ambassadeurs, leur connaissance des dossiers et leur finesse d’approche peuvent être précieuses.

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