Intervention de Jeanny Lorgeoux

Réunion du 15 juillet 2015 à 14h30
Entraide judiciaire avec le maroc — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jeanny LorgeouxJeanny Lorgeoux :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie d’excuser ma diction, mais j’ai une rage de dents.

Notre relation avec le Royaume du Maroc est, certes, une relation d’État à État, mais aussi une intense relation humaine, une connaissance intime, une sympathie inextinguible. Les décennies passées ont tissé entre nos deux peuples des liens si étroits que l’on peut, à bien des égards, parler de fraternité franco-marocaine.

Le Maroc est pour nous un allié, un ami précieux au Sahel, en Méditerranée, mais aussi en Europe. Ne dit-on pas que « le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe » ? Aujourd’hui, si le Maroc a besoin de respirer, l’Europe et la France doivent pouvoir compter sur cet enracinement africain.

Le fait est que, entre février 2014 et janvier 2015, ces relations bilatérales ont connu une crise à la suite du grave incident diplomatique survenu à la résidence de l’ambassadeur du Maroc. Le 25 février 2014, en effet, le ministre de la justice marocain a suspendu l’application de toutes les conventions d’entraide judiciaire en matière pénale et civile entre nos deux pays. Le magistrat de liaison marocain en poste à Paris a été rappelé en attendant « de convenir de solutions adéquates ».

À la fin du mois de janvier 2015, notre garde des sceaux, Christiane Taubira, et son alter ego marocain, Mustapha Ramid, ont signé un protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire franco-marocaine, que nous examinons actuellement.

C’est peu dire que le Maroc, ulcéré, a mal vécu ce malheureux épisode, comme en témoigne la suspension de la coopération dès le lendemain : une conséquence somme toute assez logique. Cette suspension a gravement entravé notre travail commun. Ainsi, quelque 230 dossiers, dont 119 commissions rogatoires internationales, restent aujourd’hui en suspens, des décisions n’ont pas été transmises et des demandes d’extradition ou de transfèrement de prisonniers français condamnés au Maroc n’ont pas été communiquées.

Plus délicates encore, à nos yeux, sont les conséquences en matière sécuritaire, alors que la lutte contre le terrorisme bat son plein et que notre coopération avec le Maroc revêt une dimension stratégique.

Le Maroc, comme la France, connaît l’expérience cruelle des attentats qui ont endeuillé de nombreuses familles. Celui de la place Jemaa El-Fna en 2011 et ses dix-sept victimes et, précédemment, celui de mai 2003 à Casablanca et ses quarante et une victimes font tragiquement écho aux atrocités commises par Mohamed Merah, aux attentats de Paris en janvier dernier et à celui, plus récent, du 26 juin, qui s’est déroulé à Saint-Quentin-Fallavier.

Le Maroc, comme la France, voit des jeunes partir vers les mirages ensanglantés du djihad, en Syrie et en Irak, après des parcours de radicalisation similaires. Ils partent s’enchaîner dans des cohortes obscurantistes et fanatiques, détruisant le message de paix du Coran.

Chacun comprend que, pour réduire les filières transnationales qui alimentent des réseaux terroristes structurés en rhizome, la coopération internationale est un impératif incontournable. Qui plus est, la présence de 48 800 Français établis de façon permanente au Maroc et celle de 1, 5 million de ressortissants marocains sur le territoire national français rend cruciaux les échanges entre nos services de renseignement et nos services judiciaires. Qui peut réellement le contester ?

Quant au protocole proprement dit, je livrerai quelques remarques.

Cela a déjà été dit, il faut faire litière des trois reproches adressés au protocole.

Il porterait atteinte au droit à un recours effectif des victimes françaises et étrangères de crimes et délits commis au Maroc ? S’il établit des procédures d’échange et de recueil d’observations, ce protocole ne prévoit aucunement le dessaisissement du juge français au profit du juge marocain, ou inversement. C’est au juge saisi, et à lui seul, qu’il revient de décider des suites à donner à la procédure dont il a été saisi.

Cet accord donnerait la priorité à la justice marocaine sur la justice française ? Le mécanisme matérialisé par l’accord est avant tout un dispositif de recueil d’observations et, en aucun cas, ce n’est un mécanisme de transfert de la compétence des juridictions.

Ce protocole additionnel instituerait un régime dérogatoire contraire aux obligations pesant sur la France de traduire en justice des auteurs présumés de crimes internationaux ? Le texte ne contient aucune clause de compétence. Dès lors qu’il n’y a aucune obligation à se dessaisir, il n’y a aucune atteinte aux dispositions du code pénal français, qui prévoient la compétence du juge français pour les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement dont seraient victimes les ressortissants français.

Enfin, la convention de 2008 comporte déjà des dispositions permettant les échanges d’informations et la coopération entre les juges, notamment, aux articles 23, pour les informations relatives à la dénonciation à des fins de poursuites, et 24, s’agissant des échanges spontanés d’informations. L’article 23 bis vient finalement apporter des précisions sur une partie de ces procédures.

En conclusion, je dirai que ce protocole renforce l’efficacité d’une coopération judiciaire ancienne : le premier accord du genre avait été signé un an à peine après l’indépendance du Maroc, le 5 octobre 1957. Il s’agit donc d’une coopération judiciaire éprouvée, et ce n’en déplaise aux spécialistes du byzantinisme textuel, dans le respect de nos législations, de nos institutions judiciaires et de nos engagements internationaux.

L’article 23 bis ne modifie en rien l’esprit ou l’équilibre de la convention d’entraide. Il vient mettre un point final à une irruption intempestive, une maladresse, un malentendu qui sont les nôtres et qui n’auraient jamais dû survenir. Cela se produit – monsieur le rapporteur, vous le savez bien – dans toutes les familles. La page est tournée. Allons de l’avant !

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