Intervention de Éric Doligé

Réunion du 15 juillet 2015 à 14h30
Entraide judiciaire avec le maroc — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Éric DoligéÉric Doligé :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je vous préviens tout de suite : je vais sortir de tout ce que je viens d’entendre, et si Jeanny Lorgeoux a une rage de dents, moi, j’ai la rage tout court !

Nous connaissons les raisons de ce protocole additionnel qui nous est proposé, « imposé » allais-je dire. J’en citerai deux.

La première, c’est pour mettre fin à la brouille avec le Maroc survenue à la suite de l’enquête judiciaire engagée en France mettant en cause M. Abdelatif Hammouchi, chef du contre-espionnage marocain. Était-ce une maladresse ? Je ne le pense pas. Quand les Marocains arrêtent des Français pour des motifs futiles, nous ne parlons pas de maladresse.

La deuxième raison, c’est pour renouer avec une source potentielle d’informations sur le terrorisme.

Pour ma part, je voterai sans hésitation contre cet accord de quelques lignes, qui est loin d’être aussi anodin que vous cherchez à nous le faire croire, monsieur le secrétaire d’État. J’ai prévenu votre hiérarchie de mon intervention et du contenu de mon propos. Contrairement à vos affirmations, le protocole qui nous est soumis porte bien atteinte au droit de recours des victimes de crimes et délits commis au Maroc. Je ne reprendrai pas les critiques, elles ont été bien décrites par Mme Prunaud du groupe CRC. Les ONG, le syndicat de la magistrature, la CNCDH ne peuvent pas tous se tromper...

Pour essayer de vous convaincre de ne pas continuer à forcer la main du Parlement, je vais vous décrire les tortures pratiquées dans les prisons marocaines. Vous ne saurez me contredire, car vous ne pouvez les ignorer. Nos services diplomatiques et de renseignement sont assez performants pour vous renseigner. Vous savez également qui supervise ces tortures.

J’ai rencontré nombre de Français brisés dans les geôles marocaines et abandonnés par la France, aussi bien au Maroc qu’en France. J’ai signalé, il y a plus d’un an, au ministre des affaires étrangères une incarcération dramatique. Il m’a été répondu par le conseiller parlementaire de l’époque qu’il « gérait ». C’était un pur mensonge. J’ai pu faire sortir la personne concernée après vingt et un mois passés dans les geôles marocaines. J’ai pu, à cette occasion, recevoir son témoignage sur les tortures et violences subies.

J’ai connaissance de plus de cent cas de Français emprisonnés et maltraités. Bien sûr, je ne citerai pas de noms ici pour ne pas mettre de vies en danger, mais, si vous vous intéressez au sujet, je pourrai vous en dire plus dans la confidentialité. Voilà plus d’un mois, j’ai demandé un rendez-vous à Mme Girardin, et je n’ai toujours pas la réponse. Je vous précise que cette demande a été faite par écrit.

Je vais vous décrire les tortures de base qui m’ont été détaillées par des personnes qui ont eu à les subir. Je parle de citoyens français. Il ne s’agit pas de « mésaventures » !

La première phase dure deux jours. Le prisonnier est placé en cellule individuelle, face au mur, les yeux et la bouche bandés pour ne pas voir et ne pas être entendu. Menotté dans le dos et pieds enchaînés, il est privé de ses vêtements et de toute nourriture. Dans cette situation, il est soumis quatre fois par jour à la torture : violences sexuelles, pénétration avec bâton et autres objets ; plantes des pieds fracturées ; suspension au plafond par les bras pendant vingt-quatre heures. Durant cette mise au secret, aucune question n’est posée.

La deuxième phase dure huit jours. C’est la phase de l’interrogatoire. Elle ne commence qu’après que le prisonnier a été humilié au maximum et brisé. L’objectif est d’obtenir des aveux forcés, voire des avantages financiers – car tout s’achète ! Le prisonnier est toujours yeux bandés et nu. Il subit le supplice de la noyade – pas besoin de dessin sur la technique ; l’électrocution sur des parties choisies – nul besoin de dessin non plus. Il est mis à genoux plusieurs heures sur une barre de fer. En général, on casse un pouce au passage, en menaçant de casser le second.

Ces deux phases se déroulent à la prison tristement connue de Témara, au siège de la DGST, la Direction générale de la surveillance du territoire.

La dernière phase, quant à elle, peut durer des mois, voire des années. Elle se déroule dans la prison de Salé 2 où l’on vous enferme à plus de cinquante dans une cellule de 50 mètres carrés – bien sûr, sans aucune hygiène ni aucun confort.

Vos services savent fort bien qui est le superviseur de ce système. C’est le directeur de la Direction générale de la surveillance du territoire, que j’ai cité au début de mon propos. Il y a un an, il était à l’origine de la brouille maroco-française. Il est vrai que c’était un crime de lèse-majesté…

Les tortures que je viens de décrire sont recensées par le comité des Nations unies contre la torture. Allons-nous aujourd’hui encourager ces méthodes barbares ?

J’ai écouté l’intervention de Mme Girardin à l’Assemblée nationale. Quel lyrisme pour cacher la réalité de ces drames honteux et la soumission de la France ! Le protocole que vous défendez va permettre au Maroc de continuer à pratiquer des actes odieux, à torturer et à spolier des Français trop naïfs, victimes de la corruption locale.

Le système judiciaire marocain ne permet pas de traitement équitable pour les victimes alléguant avoir subi des tortures. Contrairement à ce que vous soutenez, le présent texte n’apportera aucun plus à nos ressortissants. Vous tentez de nous faire croire, à l’article 3 du protocole additionnel, que ce texte contribue à la bonne mise en œuvre des conventions internationales. À ma connaissance, ces conventions bannissent la torture.

Non content de ce blanc-seing que vous offrez aux grands amis de la France, comme chacun aime à les décrire, vous y ajoutez une prime inadmissible.

En visite à Rabat le 14 février 2015, le ministre de l’intérieur, M. Bernard Cazeneuve, aurait annoncé que le patron du contre-espionnage marocain allait être prochainement élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur à la suite d’une décision du grand maître de l’Ordre. Cette promotion, qui devait avoir lieu hier, le 14 juillet, serait reportée à un prochain voyage du Président de la République. J’espère que ce « légionnaire » et ses faits d’armes interpellent tous ceux qui, dans cet hémicycle, portent cette haute distinction.

J’espère aussi que, avant de voter, certains d’entre vous, mes chers collègues, vont se poser de vraies questions : faut-il couvrir par notre silence ces atrocités ? Faut-il sacrifier des Français à l’opacité de la justice marocaine et aux prisons marocaines ? Pour ma part, je ne le ferai pas. Si certains d’entre vous me suivaient, ce serait rendre un grand service à nos amis marocains.

J’ajoute que nos services diplomatiques ne réagissent pas comme ils devraient aux retraits de passeports, qui sont nombreux au Maroc, de même que pour défendre nos ressortissants maltraités en prison. Leur mission première est pourtant de protéger les biens et les personnes. Interrogez tous ceux qui ont été privés de leurs papiers : les réponses que leur apportent nos services sont édifiantes.

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