Intervention de Rémy Pointereau

Réunion du 29 juin 2011 à 14h30
Certificats d'obtention végétale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Rémy PointereauRémy Pointereau, rapporteur :

Or, si le Parlement a autorisé en 2006 la ratification par la France de la convention de 1991, cette ratification ne peut pas intervenir tant que notre pays n’a pas modifié son droit national pour le rendre compatible avec le texte international. La France reste l’un des rares États membres de l’Union européenne dans cette situation, avec l’Irlande, l’Italie et le Portugal.

Il est vrai que le sujet est très technique.

Il faut aujourd’hui avancer sur la question des obtentions végétales, et ce pour quatre raisons principales.

D’abord, il s’agit de conforter le système du certificat d’obtention végétale face au brevet, système alternatif qui gagne du terrain, cela a été dit tout à l’heure. Près d’une centaine de pays n’ont pas encore choisi leur système de protection intellectuelle sur les plantes. Or la tentation est forte chez certains d’adopter le système du brevet, qui est plus simple. La France est fragilisée lorsqu’elle défend le certificat d’obtention végétale, alors que son droit interne n’a pas été modifié pour être rendu conforme à une convention signée voilà maintenant vingt ans !

Ensuite, il s’agit de mettre en cohérence le droit national et le droit européen. Au niveau de l’Union européenne, un règlement adopté en 1994 met en place un dispositif de protection communautaire des obtentions végétales.

Des certificats européens sont délivrés par l’Office communautaire des variétés végétales, ou OCVV. Ils offrent une protection des droits de propriété intellectuelle de l’obtenteur conforme au cadre fixé par la convention UPOV de 1991 Un obtenteur peut donc indifféremment solliciter un COV national ou européen, le certificat d’obtention végétale européen étant, il est vrai, plus coûteux.

Or l’existence de discordances entre les deux régimes, national et européen, est source de confusion dans un domaine, la propriété intellectuelle, qui n’est déjà pas simple.

L’objectif de ce texte est également de donner – enfin ! – un cadre juridique aux semences de ferme. Si surprenant que cela puisse paraître, la pratique de la semence de ferme sur des variétés protégées par un titre de propriété intellectuelle est aujourd’hui illégale. Aucune disposition de la loi de 1970 ne l’autorise. Plusieurs agriculteurs, en particulier des producteurs de pommes de terre, ont été condamnés, et parfois très lourdement, pour s’être livrés à cette pratique.

Enfin, ce texte vise à encourager la recherche sur les nouvelles variétés végétales. La progression des rendements a été rendue en grande partie possible depuis les années cinquante grâce à la sélection végétale. Cependant, nous constatons depuis dix, vingt ans, une tendance à la stagnation de ces rendements, toutes espèces confondues. Cette stagnation est due en partie aux aléas climatiques, en partie à la diminution des intrants, mais aussi à une baisse de la recherche. Celle-ci s’est orientée vers d’autres priorités : une meilleure résistance des plantes à certains parasites, une meilleure capacité à se développer avec moins d’intrants.

Face aux enjeux de l’alimentation mondiale et de l’adaptation de notre appareil de production agricole au changement climatique, aux nouveaux impératifs de gestion plus économe en eau, en fertilisants ou en produits phytosanitaires, la recherche doit apporter des solutions. À cet effet, les entreprises de sélection doivent pouvoir tirer les fruits de leur travail pour, ensuite, financer la recherche.

Nos entreprises proposent chaque année 500 à 600 variétés nouvelles, toutes espèces confondues, céréales, légumes et, à hauteur de 60 %, plantes ornementales.

La proposition de loi reprend pour l’essentiel, en l’adaptant à la marge, le dispositif voté en 2006 par le Sénat. Ses apports principaux par rapport au droit existant sont de trois ordres.

D’abord, la proposition de loi étend le droit de l’obtenteur d’une variété à une variété différente mais dite « essentiellement dérivée » Il s’agit d’éviter, conformément à l’une des principales avancées de la convention de 1991, que, par des rétrocroisements ou des modifications à la marge d’une variété existante, le droit de propriété de l’obtenteur ne soit contourné.

Ensuite, la proposition de loi autorise la production de semences de ferme à des fins de réensemencement sur la même exploitation et sous réserve du paiement d’une indemnité à l’obtenteur.

Cette « dérogation en faveur des agriculteurs » s’explique par une pratique ancienne. Il convenait toutefois de faire évoluer une situation particulièrement curieuse : alors que la pratique des semences de ferme se poursuit dans les campagnes, le droit l’interdit pour les variétés protégées par un COV national, mais l’autorise pour les variétés protégées par un COV européen…

La proposition de loi procède à une clarification bienvenue, en s’appuyant sur la pratique mise en place par les professionnels eux-mêmes, dans le cadre de l’accord interprofessionnel sur le blé tendre.

Cet accord permet la collecte d’une contribution dite « contribution volontaire obligatoire », ou CVO, sur toutes les ventes de blé tendre pour un montant de 0, 50 euro par tonne. Les agriculteurs ayant acheté des semences certifiées sont remboursés, car ils ont déjà payé des royalties aux obtenteurs en achetant les semences. Les petits agriculteurs, qui ne sont pas redevables d’une indemnité pour utilisation de semences de ferme, sont aussi remboursés. Le produit net de la contribution est ensuite reversé aux obtenteurs et une fraction de 15 % alimente un fonds permettant de soutenir la recherche dans un cadre plus collectif.

Critiqué à ses débuts, le dispositif fonctionne désormais correctement et est relativement bien accepté. Les auteurs de la proposition de loi s’appuient sur cette expérience pour définir un régime d’autorisation des semences de ferme, en contrepartie d’une indemnité.

Enfin, la proposition de loi procède à divers ajustements du code de la propriété intellectuelle sur des points mineurs, pour l’adapter à la convention UPOV de 1991. La définition de la variété végétale est ainsi précisée, mais sans que soient modifiées les conditions dans lesquelles ces variétés peuvent faire l’objet d’un certificat. Pour bénéficier d’un COV, un obtenteur devra toujours prouver que sa variété est nouvelle, distincte des variétés qui existent déjà, homogène et stable : il s’agit des fameux critères « DHS ».

Au titre des modifications mineures, le texte prévoit aussi un nouveau cas de licence obligatoire pour faciliter l’exploitation d’une variété nouvelle si le propriétaire de la variété n’est pas capable de fournir lui-même le marché.

Le texte prévoit également les cas de nullité du certificat lorsque la variété ne correspond plus aux critères qui avaient permis d’attribuer le COV initial.

Au terme des dix-sept auditions que j’ai menées sur ce sujet, je n’ai pas proposé de remettre en cause l’économie générale de la proposition de loi. La commission a toutefois apporté quelques modifications qui permettent de l’adapter et de l’enrichir.

Ainsi, l’article 1er a été modifié pour restreindre la définition de la notion de « variété » au seul champ de la propriété intellectuelle. L’idée était de ne pas empêcher les évolutions futures du catalogue des variétés commercialisables et de permettre éventuellement, demain, l’inscription de variétés dites « population ».

L’article 2 a également été modifié, à la demande de notre collègue Daniel Raoul, pour préciser qu’il n’est pas permis de s’approprier une ressource naturelle existante et que l’on aurait seulement découverte. Il faut un vrai travail de l’obtenteur pour bénéficier d’une obtention végétale.

L’article 14 relatif aux semences de ferme a été légèrement remanié afin de prévoir une place pour les accords interprofessionnels définissant les conditions d’utilisation des semences de ferme, sur le modèle de l’accord de 2001 concernant le blé tendre.

Quelques retouches rédactionnelles, que je ne détaillerai pas ici, ont également été apportées.

Un article a été ajouté pour permettre une évolution du statut de l’organisme qui attribue aujourd’hui les certificats, à savoir le Comité pour la protection des obtentions végétales, le CPOV.

Le texte initial a été complété par un article permettant d’aller plus loin dans la mise en œuvre du traité international sur les ressources phylogénétiques pour l’agriculture et l’alimentation, lequel prévoit la conservation de variétés anciennes du domaine public, ce que j’appellerai les « semences paysannes », dans un but d’intérêt général. Cette conservation ne va pas de soi, car les végétaux sont des organismes vivants. Si personne ne se soucie de les reproduire, ils disparaissent.

La proposition de loi met donc en place les bases d’un système de conservation de ces ressources au niveau national, et en renvoie les modalités à un décret d’application.

Enfin, je signale qu’un article additionnel numéroté 11 bis figurait bizarrement dans le texte de la proposition de loi. Dans le texte adopté par la commission, nous avons renuméroté les articles à partir de celui-ci, qui est devenu l’article 12.

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vingt ans après la signature par la France de la dernière version en date de la convention UPOV, il est plus que temps d’en tirer les conséquences dans notre code de la propriété intellectuelle.

L’existence d’un système efficace de protection de la propriété intellectuelle est une condition du maintien de l’effort de recherche sur les végétaux.

Nos obtenteurs, qui sont souvent de petites et moyennes entreprises, ont besoin d’être confortés.

Le secteur semencier français est dynamique. La France est le premier producteur européen et le deuxième exportateur mondial de semences, avec 74 entreprises de sélection, 257 stations de multiplication et près de 19 000 agriculteurs multiplicateurs, pour un chiffre d’affaires de 2, 4 milliards d’euros.

Conserver nos atouts et trouver un juste équilibre, telle est l’ambition de ce texte, et je la partage pleinement, comme je vous invite, mes chers collègues, à la partager, en adoptant, à l’issue de nos travaux, cette proposition de loi.

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