Je vais vous présenter la première partie du rapport qui s'intitule : « Pour une approche de la santé des femmes qui prenne mieux en compte les spécificités féminines ».
En premier lieu, notre rapport revient sur quatre idées reçues sur la santé des femmes.
Première idée reçue : les femmes ont, certes, une espérance de vie plus longue (85 ans contre 78 pour les hommes), mais les statistiques sont formelles : l'avantage comparatif est beaucoup moins élevé si l'on considère l'espérance de vie en bonne santé, c'est-à-dire sans limitation d'activité ni incapacités majeures : 62,7 ans pour les hommes, 63,6 ans pour les femmes. Les femmes ont la perspective de vivre pendant 21 ans avec des limitations d'activité, contre 16 ans pour les hommes. Ces chiffres traduisent des difficultés de santé particulières pour les femmes âgées.
Deuxième idée reçue : les risques liés aux maladies cardiovasculaires pour les femmes sont insuffisamment connus. Même si le nombre de décès dus à ces maladies reste plus élevé pour les hommes, elles sont la première cause de mortalité pour les femmes et tuent huit fois plus que le cancer du sein.
Selon la Fédération française de cardiologie, la prise en charge d'un infarctus pour les femmes est souvent trop tardive. Le diagnostic chez les femmes semble à certains égards plus complexe car les symptômes sont souvent différents. Ce constat d'une fragilité méconnue des femmes nous a conduites à formuler une recommandation visant à améliorer la formation des professionnels de santé et à sensibiliser les femmes et leur entourage par une campagne d'information. Il s'agit de la recommandation n° 1.
Troisième idée reçue : en matière de cancer, le vrai danger pour les femmes est le cancer du poumon, qui sera plus mortel en 2016 que le cancer du sein.
Dans ce domaine du cancer, il semble que les femmes soient plus sensibles que les hommes aux messages de prévention et d'éducation à la santé et qu'elles soient plus raisonnables en matière de dépistage. Des progrès peuvent toutefois encore être accomplis en matière de prévention du cancer du col de l'utérus, selon la présidente de l'Institut national du cancer (INCa) : la recommandation n° 2 vise à accroître la sensibilisation à la nécessité de procéder régulièrement au dépistage de ce cancer.
Quatrième idée reçue : les femmes ne sont pas à l'abri des comportements à risques et l'augmentation du tabagisme féminin semble être une spécificité française. Il s'agit d'un véritable fléau, directement responsable de l'augmentation de la mortalité des femmes par cancer du poumon, alors que cette cause de mortalité a diminué pour les hommes.
Une prévention précoce est donc d'autant plus indispensable que, selon la Direction de la recherche, de l'évaluation et des statistiques du ministère de la Santé (DREES), une femme sur six fumait encore quotidiennement, en 2010, au cours du troisième trimestre de sa grossesse. La France serait le pays d'Europe où le nombre de femmes qui fument pendant le dernier trimestre de la grossesse est le plus élevé ! Or le sevrage tabagique semble plus difficile pour les femmes, selon le professeur Dautzenberg, pneumologue et tabacologue, que nous avons auditionné.
D'où notre recommandation n° 3 visant à une prévention précoce du tabagisme féminin, qui peut passer par une campagne d'information ciblée sur les femmes et par un suivi personnalisé des femmes enceintes consommant du tabac, comme le propose de manière opportune l'Assemblée nationale à l'article 33 bis du projet de loi.
En second lieu, l'autre constat auquel nos travaux nous ont conduites est que certains risques spécifiques aux femmes semblent insuffisamment connus, à la fois des professionnels de santé et du public.
Il apparaît tout d'abord qu'en matière de violences sexuelles, dont les conséquences sur la santé sont évidemment considérables et très diversifiées, le repérage des victimes par les professionnels de santé puisse être amélioré. En effet, d'après les spécialistes, ce repérage est rendu compliqué par le comportement des victimes elles-mêmes, qui peut déstabiliser les praticiens.
Nous proposons donc une formation plus adaptée des professionnels de santé, qui comprenne les aspects juridiques des violences sexuelles : voies de signalement, importance des certificats médicaux de coups et blessures et notion d'incapacité totale de travail (ITT). Il s'agit de la recommandation n° 4.
La plus grande vulnérabilité des femmes aux troubles musculo-squelettiques impose à notre avis une véritable réflexion sur la pénibilité spécifique subie par les femmes au travail, comme l'a déjà relevé notre délégation à diverses reprises, et notamment, pour citer le rapport le plus récent, à l'occasion de l'examen en 2013 de la loi sur les retraites : il s'agit de la recommandation n° 5.
La menace croissante que constitue, pour les femmes, la contamination par le VIH doit absolument être mieux connue. Il faut le marteler : 51 % des personnes vivant avec le VIH et le sida dans le monde sont des femmes.
Or la politique de prévention et d'information du public est axée sur la contamination au cours de rapports homosexuels et sur le danger lié aux échanges de seringues. Pourtant, d'après les personnes que nous avons auditionnées, le corps médical semble insuffisamment conscient de la vulnérabilité des femmes de plus de 50 ans, notamment parce qu'elles sont supposées n'avoir pas de vie sexuelle, surtout quand elles vivent seules... C'est pourquoi notre recommandation n° 6 concerne la réorientation de la politique de prévention et de sensibilisation du public vers les femmes, en particulier de plus de 50 ans.
Autre danger sur lequel l'alerte pourrait être améliorée : d'après la professeure Karine Clément, directrice de l'Institut de cardio-métabolisme et de nutrition (ICAN), que nous avons auditionnée, les risques particuliers liés à l'hypertension et au diabète, notamment au diabète gestationnel, sont insuffisamment connus et justifient un renforcement de l'information à cet égard des femmes enceintes et de leur entourage. Tel est l'objet de la recommandation n° 7.
En ce qui concerne les risques environnementaux, qui justifient un effort particulier en matière de santé maternelle et infantile, il faut, là aussi, faire un effort d'information et de sensibilisation. On sait en effet que l'exposition à des substances nocives au cours des périodes prénatale et périnatale et pendant l'adolescence a des conséquences tout au long de la vie.
Le bisphénol A et les perturbateurs endocriniens sont bien sûr un exemple frappant de ces dangers. Malheureusement, ces exemples n'épuisent pas la longue liste des produits toxiques auxquels nous sommes exposés, et plus particulièrement nos enfants. La liste des composants entrant dans la fabrication de certains produits de toilette pour enfants est inquiétante ! Il nous a donc semblé souhaitable de vous proposer le renforcement de l'information des femmes enceintes, des parents et de tous les professionnels en contact avec de jeunes enfants à la toxicité de certains produits. Tel est le sens de la recommandation n° 8.
Venons-en à la lutte contre la maigreur excessive, qui touche une majorité de filles mais qui est aussi un danger pour les hommes. Il s'agit là d'un impératif de santé publique, qui a fait l'objet d'un dispositif complet adopté par l'Assemblée nationale en première lecture. À bien des égards, ces dispositions rejoignent le constat établi dans le rapport sur l'hypersexualisation des petites filles de notre présidente Chantal Jouanno.
Nous vous proposons donc, par la recommandation n° 9, de demander le maintien par le Sénat du dispositif adopté dans ce domaine par l'Assemblée nationale.
Nous nous sommes aussi intéressées à la condition des femmes en situation de précarité, qui cumulent deux vulnérabilités : le fait d'être des femmes et le fait de n'avoir pas de domicile.
Leur éloignement des soins, et plus particulièrement des soins gynécologiques, les fait dépendre des associations en raison d'une certaine inadaptation des structures institutionnelles à leurs besoins. Ce constat souligne l'importance du maintien des financements attribués par l'État à ces associations : tel est l'objet de la recommandation n° 10.
La préparation de ce rapport nous a conduites à constater que les recherches biomédicales et l'exercice de la médecine ne sont pas exempts de stéréotypes, voire de clichés. Nous nous sommes interrogées sur l'existence d'une sous-représentation des femmes dans les essais thérapeutiques et, nous référant au titre d'un article paru dans un quotidien en ligne, sur le fait que la médecine puisse à certains égards être qualifiée de « sexiste ».
Selon un récent rapport de l'INSERM, les recherches de biologie et de médecine sont fondées sur l'idée que le corps mâle est le « prototype » de l'être humain. De fait, pendant longtemps, les essais cliniques se sont fondés sur des sujets masculins, au motif - pertinent d'ailleurs - que ces essais induisaient des risques pour les femmes susceptibles d'être enceintes.
D'après les spécialistes, il serait plus facile de tester les souris mâles que les souris femelles, soumises au rythme hormonal. Ainsi, pour obtenir dix souris femelles au même stade du cycle, il faudrait en fait en tester le double...
Le résultat est que, comme l'a relevé la professeure Karine Clément, spécialiste des maladies cardio-métaboliques et du diabète, on parle d'evidence based medecine, mais on devrait plutôt dire male evidence based medecine.
D'où une prise en compte insuffisante des spécificités de certaines pathologies chez la femme, tant au niveau de la recherche qu'au niveau clinique, dont les maladies cardiovasculaires dont nous avons déjà parlé offrent un exemple frappant.
Mais, il faut le souligner, les hommes sont, eux aussi, victimes de ces stéréotypes médicaux, si l'on se réfère par exemple à l'ignorance longtemps répandue de l'ostéoporose et de l'anorexie chez les hommes.
Les Américains sont intervenus contre ce risque de démarche stéréotypée en matière de médecine et de recherche biomédicale en obligeant les responsables de projets de recherche financés sur fonds publics à recruter des sujets féminins pour tous les essais cliniques, à condition que ces femmes aient accès à une forme de contraception.
Notre recommandation n° 11 propose que les recherches mettant en évidence les différences entre hommes et femmes soient encouragées et que les chercheurs et les soignants soient mieux sensibilisés aux spécificités que présentent les femmes s'agissant de certaines pathologies.
Par ailleurs, l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité dans les structures compétentes en matière de santé et dans les agences régionales de santé, l'encouragement des carrières de chercheures et de l'orientation des filles vers les carrières scientifiques peuvent permettre à terme une meilleure prise en compte des spécificités des femmes en matière de santé.
Tel est le sens de la recommandation n° 12 que nous vous soumettons.