Intervention de Annick Billon

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 2 juillet 2015 : 1ère réunion
Santé des femmes — Examen du rapport d'information et des propositions de recommandations de mmes annick billon et françoise laborde sur le projet de loi de modernisation de notre système de santé

Photo de Annick BillonAnnick Billon, co-rapporteure :

Je vais vous présenter la seconde partie de notre rapport. Il semble que les acquis, en matière de santé sexuelle et reproductive, doivent être consolidés.

S'agissant tout d'abord de la contraception, les difficultés d'accès aux méthodes contraceptives et à une information complète dans ce domaine pour certaines femmes et jeunes filles, ainsi que la formation probablement perfectible des professionnels de santé à la diversité des méthodes existant actuellement, nous ont conduites à formuler plusieurs recommandations dans ce domaine.

Rappelons que le dispositif initial du projet de loi supprime la double condition de situation de détresse caractérisée et d'absence d'accessibilité immédiate d'un médecin, d'une sage-femme ou d'un centre de planification pour autoriser les infirmiers des établissements du second degré à administrer aux élèves mineures et majeures une contraception d'urgence.

Ce dispositif va dans le bon sens et peut contribuer à éviter la détérioration de situations potentiellement très graves.

Cependant, comme l'a souligné la co-présidente du Mouvement français pour le planning familial (MFPF) lors de notre table ronde du 15 janvier 2015, ce dispositif n'apporte pas toutes les réponses aux questions que pose l'accès à la contraception des très jeunes femmes, plus particulièrement pour deux catégories : les élèves non scolarisées ainsi que les jeunes femmes de 18 à 25 ans, qui n'ont pas accès à la contraception gratuite en centres de planification, réservée aux mineures.

C'est pour répondre à ces situations que nous vous proposons d'envisager la possibilité, pour les médecins, de distribuer gratuitement une contraception à leurs patientes, sous réserve de la généralisation d'une formation approfondie aux nouvelles méthodes de contraception. C'est l'objet de la recommandation n° 13.

La délégation s'est depuis longtemps prononcée pour qu'une véritable politique de santé sexuelle soit mise en place à destination des mineures, qui leur permette un accès à la contraception, au dépistage et aux soins. Or, trop souvent, les jeunes femmes craignent le sida, mais relativement peu la grossesse, comme cela a été souligné au cours de la table ronde du 15 janvier dernier. C'est pourquoi nous sommes d'avis d'organiser une consultation gratuite, avec une sage-femme ou un médecin, pour informer les mineures en matière de contraception, dans des conditions leur garantissant la plus totale discrétion. C'est le sens de la recommandation n° 14.

La sensibilisation des jeunes, en milieu scolaire, aux questions de santé sexuelle participe pleinement à l'objectif de prévention. Or, les trois séances annuelles prescrites par le code de l'éducation se limitent le plus souvent à une séance au cours de la scolarité, généralement en classe de quatrième ou de troisième.

Nous souhaitons, en cohérence avec le précédent rapport d'information de la délégation sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, que les chefs d'établissement organisent obligatoirement les séances d'éducation à la sexualité et d'information sur l'égalité prévues par le code de l'éducation, que les moyens nécessaires leur soient attribués à cet effet, et que ces séances fassent l'objet d'un suivi. Tel est l'objet de la recommandation n° 15.

Enfin, l'article 3 bis, inséré dans le texte adopté par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, améliore l'information sur les méthodes contraceptives en en faisant un droit. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Ceci va de pair avec notre recommandation concernant la formation à la diversité des méthodes contraceptives susceptibles d'être conseillées à chaque patiente.

Nous le savons, la liberté des femmes de maîtriser leur fécondité va de pair avec leur consentement libre et éclairé, ce qui suppose une véritable éducation thérapeutique du patient. Le dispositif du nouvel article 3 bis s'inscrit pleinement dans cet esprit et nous souhaitons qu'il soit adopté en l'état par le Sénat : c'est l'objet de la recommandation n° 16.

Venons-en maintenant à un sujet qui ne fait pas partie des dispositions initiales du texte examiné, mais qui entre pleinement dans notre problématique, à savoir ce que nous avons appelé le « parcours du combattant » des femmes engagées dans un processus de PMA.

Plus de 23 000 bébés naissent chaque année en France dans le cadre d'une procréation médicalement assistée (PMA), ce qui représente 2,8 % des naissances et 21,5 % des accouchements multiples.

Depuis la première fécondation in vitro (FIV) réussie en France, en 1982, ce sont environ 300 000 enfants qui sont nés à la suite d'une PMA. L'assistance médicale à la procréation n'est donc plus un phénomène marginal. Une étude de l'INSERM, publiée en 2012, évalue à 10 % la proportion des couples concernés par l'infertilité.

Or, si la loi garantit aux donneuses d'ovocytes des autorisations d'absence, aucune disposition ne protège les femmes engagées dans un processus de PMA. Il nous semble donc souhaitable de combler cette lacune en modifiant la législation de manière à prévoir, pour les salariées bénéficiant d'une assistance médicale à la procréation, un régime d'autorisation d'absence analogue à celui qui est prévu pour le suivi des grossesses et pour les donneuses d'ovocytes, et à empêcher que l'engagement dans un processus de PMA ne puisse entraîner de discrimination à l'embauche : c'est le sens de la recommandation n° 17.

Nous en arrivons maintenant aux dispositions relatives à l'interruption volontaire de grossesse, qui ont fait l'objet de vifs débats lors de l'examen en première lecture du texte à l'Assemblée nationale. Rappelons tout d'abord que, en dépit d'un arsenal juridique très protecteur - depuis la loi Veil du 17 janvier 1975, des lois successives ont permis une amélioration croissante du droit à l'IVG - des obstacles d'ordre pratique non négligeables fragilisent en France le droit à l'IVG.

Outre la fermeture de plus de 130 établissements de santé pratiquant des IVG depuis dix ans, mentionnons le manque croissant de moyens et de personnels formés et des délais d'attente parfois trop longs, imputables notamment au fait que la première consultation doive être réalisée par un médecin et au délai de réflexion de sept jours entre la première et la deuxième consultation.

L'article 31 du texte initial du projet de loi proposait d'étendre les compétences des sages-femmes à la pratique des interruptions volontaires de grossesse médicamenteuses et à la vaccination.

En première lecture, les députés ont renforcé ce dispositif par ce que nous considérons être des avancées.

D'une part, dans la même logique que la mesure symétrique adoptée en matière de contraception, les députés ont modifié l'article L. 2212-1 du code de la santé publique pour intégrer dans la future loi le principe du droit, pour toute personne, d'être informée sur les méthodes abortives et d'en choisir une librement. Nous vous proposerons, par la recommandation n° 18, de soutenir cette disposition pour qu'elle soit maintenue par le Sénat.

D'autre part, l'Assemblée nationale a étendu aux centres de santé la possibilité de pratiquer des IVG instrumentales, dans la logique du Programme national d'action présenté le 16 janvier 2015 par le ministère des affaires sociales pour améliorer l'accès à l'IVG. À notre sens, cette extension peut être analysée comme une mesure de plus pour offrir un égal accès à l'IVG. La recommandation n° 19 propose donc de soutenir ce dispositif pour favoriser l'égal accès à l'IVG sur le territoire.

Selon nous, il est aujourd'hui urgent de renforcer le service public hospitalier - le seul à même de garantir l'égalité d'accès des femmes à leur droit à la maitrise de leur grossesse. Il est important à ce stade de rappeler que la loi du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception prévoit qu'il existe un centre ou un lieu pratiquant des IVG dans chaque hôpital. Or, les auditions ont confirmé que ce n'est pas le cas partout actuellement. Dans cet esprit, la recommandation n° 20 que nous vous proposerons d'adopter demande la mise en place d'unités fonctionnelles, voire de services hospitaliers dédiés au sein de chaque hôpital public.

Cette recommandation risquerait de constituer un voeu pieux s'il n'existait pas une véritable politique de contrôle de la pratique des IVG. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons soutenir la disposition adoptée par l'Assemblée nationale qui recommande l'élaboration d'un plan d'accès à l'IVG dans chaque région, par l'agence régionale de santé, et que, par ailleurs, nous demandons la généralisation du contrôle de la pratique des IVG par les ARS : c'est le sens de la recommandation n° 21.

Parallèlement à la poursuite de la mise en place d'unités dédiées, nous considérons qu'il est indispensable de garantir des moyens nécessaires pour recruter des professionnels qui pratiquent les IVG. Rappelons que la pratique de l'IVG reposait principalement sur un militantisme hérité des luttes féministes « pionnières ». Les militants de la première heure arrivant en fin de carrière, la relève doit maintenant être assurée, faute de quoi, la situation risque de se dégrader.

Il est indispensable de conférer aux professionnels qui acceptent la pratique de l'IVG un statut convenable. Par la recommandation n° 22 que nous vous proposons d'adopter, nous souhaitons que soit engagée une réflexion sur la revalorisation du statut des praticiens exerçant dans les centres d'IVG, incluant la question de la révision de la tarification.

Lors de la table ronde du 15 janvier dernier a par ailleurs été soulevé le risque que le recours à la sage-femme dans le cadre d'une IVG médicamenteuse devienne la solution face aux difficulté d'accéder à un centre pluridisciplinaire mieux outillé, au détriment du libre choix des femmes qui se verraient dans l'obligation de choisir cette méthode « par défaut », en quelque sorte.

L'un des médecins ayant participé à la table ronde du 15 janvier 2015 s'est également inquiété que le développement de l'IVG médicamenteuse en ville puisse déstabiliser, dans certaines régions, des unités ou services d'orthogénie, alors que ces derniers sont les mieux placés pour une prise en charge de qualité, grâce à leurs équipes pluridisciplinaires et parce que l'ensemble des méthodes peut être pratiqué, y compris les IVG médicamenteuses sans hospitalisation.

Nous avons été sensibles à ces remarques. C'est la raison pour laquelle nous vous proposons d'adopter une recommandation n° 23 afin que la pratique par les sages-femmes des IVG médicamenteuses soit assortie d'une convention avec des centres référents qui pratiquent les IVG, dans un souci de qualité, de sécurité et de respect des femmes qui demandent une interruption de grossesse et pour leur garantir le libre choix de la méthode d'IVG.

Nous en arrivons maintenant à la question des délais d'attente, cruciale pour assurer une intervention à un stade précoce. La Haute Autorité de santé a d'ailleurs préconisé en 2001 un délai de cinq jours maximum entre l'appel d'une femme et l'obtention d'un rendez-vous. Or, des cas de délais d'attente de plus de quinze jours avant la première consultation sont signalés dans un rapport de l'IGAS de 2009.

Deux obstacles juridiques ont été identifiés par le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE|fh), s'agissant de l'importance des délais imposés aux femmes avant une IVG : le fait que la première consultation doive être réalisée par un médecin et le délai de réflexion de sept jours entre la première et la deuxième consultation.

Concernant le premier point, la délégation estime nécessaire que la première demande d'IVG puisse être recueillie par un autre professionnel qu'un médecin : c'est l'objet de la recommandation n° 24.

La recommandation suivante, n° 25, vous propose de soutenir la suppression du délai de réflexion de sept jours en matière d'IVG, adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale.

Rappelons que le délai de sept jours après la première consultation médicale est le plus long d'Europe. Selon les certains médecins ayant participé à la table ronde du 15 janvier dernier, ce délai est trop long, voire inutile, car dans la plupart des cas, la constatation de la grossesse a été faite bien en amont de la consultation médicale, et parce que les femmes ne prennent pas la décision d'avorter sans réfléchir. Nous sommes en accord avec certains participants à la table ronde du 15 janvier dernier : penser que les femmes doivent consulter un médecin pour prendre leur décision revient à les infantiliser.

S'agissant de la question, elle aussi cruciale, de la confidentialité et de l'accessibilité à l'IVG des mineures, même si le remboursement à 100 % de l'IVG a considérablement amélioré la situation, nous vous proposerons de réfléchir à la simplification et à l'extension de la procédure de prise en charge globale de tous les actes liés à l'IVG pour les mineures : c'est le sens de la recommandation n° 26.

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