Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui est un texte ancien, qui traite d’une question importante.
Ancien, ce texte reprend, en effet, un texte déposé sur le bureau du Sénat le 11 décembre 1996 et adopté par la Haute Assemblée le 2 février 2006, soit dix ans plus tard, mais qui n’a jamais abouti. De 1996 à 2011, nous avons donc pu bénéficier d’un certain délai de réflexion pour améliorer, perfectionner et actualiser le dispositif.
La question est importante, puisqu’elle concerne les obtentions végétales, qui, certes, présentent quelques aspects techniques, mais constituent en fait un enjeu essentiel pour notre agriculture et pour bien des territoires ruraux et agricoles, à commencer par le mien !
Pendant des millénaires, les semences ont été exclues du système marchand : les agriculteurs se les échangeaient. Cette pratique a permis l’évolution des variétés agricoles, leur sélection au regard des besoins du terrain, ainsi que, plus récemment, la sauvegarde de nombreuses variétés anciennes jugées sans intérêt par l’industrie semencière.
Avec l’arrivée de nouvelles techniques de sélections variétales, un nouvel acteur est apparu dans le monde agricole : le semencier.
Celui-ci a voulu protéger ses innovations ; ainsi est né le certificat d’obtention végétale, version « soft » du brevet, et qui s’en distingue, d’une part, par la procédure de reconnaissance d’une variété nouvelle expérimentée en plein champ, et, d’autre part, par la possibilité offerte à des tiers d’utiliser la variété pour en créer de nouvelles, ce que l’on appelle l’« exception du sélectionneur ».
La présente proposition de loi vise à adapter notre droit national et à permettre ainsi la ratification par la France de la convention UPOV de 1991, qui a apporté des modifications substantielles à la convention initiale de 1961.
Cette ratification s’est heurtée au conflit entre obtenteurs et agriculteurs sur les semences fermières. L’accord interprofessionnel sur les semences de blé tendre, conclu en 2001, a ouvert des perspectives plus favorables, sans pour autant régler le problème en son entier. Encore aujourd’hui, des agriculteurs sont menacés de poursuites en contrefaçon devant les tribunaux pour avoir ressemé leur propre récolte, ce qui est inacceptable, comme M. le ministre vient de le rappeler. En 2010, le plan protéine, découlant du bilan de santé de la PAC, n’aurait pu atteindre ses objectifs sans le concours des trieurs et de la semence de ferme.
Faut-il rappeler que la totalité des semences industrielles sont issues des variétés sélectionnées par des centaines de générations de paysans sans que la moindre rémunération leur ait jamais été versée ? La multiplication d’une partie de la récolte à la ferme est aussi le seul moyen de pouvoir adapter les variétés à la diversité des terroirs et aux changements climatiques de plus en plus brutaux ; elle permet de répondre aux nécessités de l’agriculture locale.
Les membres du groupe du RDSE sont, bien entendu, favorables à certaines des évolutions proposées par la présente proposition de loi.
Le certificat d’obtention végétale protège la propriété intellectuelle et rend possible la rémunération du travail des chercheurs, ce qui est à la fois tout à fait légitime et nécessaire, dans un pays en pointe sur les obtentions végétales.
La place qu’occupe la recherche française dans le secteur « semences et plants » est très dynamique et remarquable. Je pense notamment à l’INRA, l’Institut national de la recherche agronomique, aux instituts techniques, au pôle de compétitivité du végétal spécialisé d’Angers.
La recherche a permis d’élaborer des variétés végétales nouvelles favorisant la hausse des rendements agricoles, tout en réduisant la consommation d’intrants, tels que les engrais, les produits phytosanitaires ou l’eau, grâce à une résistance accrue aux maladies et à une meilleure adaptation à l’environnement.
En reconnaissant les efforts fournis par les entreprises pour créer ces variétés, le présent texte leur ouvre de nouvelles perspectives de marché. Nos entreprises, présentes dans le monde entier, doivent disposer des mêmes droits que leurs concurrents. C’est tout à fait normal.
Néanmoins, plusieurs questions se posent. Quelle recherche voulons-nous ? Dans quel but ? Et par qui ? Les conditions de l’équilibre entre obtenteurs et agriculteurs sont-elles réunies dans le présent texte ?
Il est clair que l’obtention doit sanctionner un réel travail de recherche, en d’autres termes, l’innovation.
Aujourd’hui, le secteur semencier, en raison de ses bons résultats, assure le financement de la recherche. Mais l’orientation de cette dernière ne répond pas toujours aux besoins des agriculteurs. Une telle profusion de variétés de blé génétiquement très proches est-elle réellement nécessaire pour satisfaire les besoins des réseaux commerciaux, alors que les rendements plafonnent depuis quinze ans ?
De surcroît, la recherche se dirige vers le verrouillage des semences par la sélection de variétés hybrides ou modifiées. Récemment, certaines grandes firmes ont décidé d’orienter 100 % de leurs programmes de recherche sur des variétés hybrides, non reproductibles à la ferme. Va-t-on assister au contrôle de la totalité des semences et de la nourriture par une poignée de multinationales ?
La contribution volontaire obligatoire prélevée sur le blé tendre des agriculteurs qui reproduisent leurs semences à la ferme rapporte entre 7 et 10 millions d’euros chaque année. Or cette rente ne garantit en rien le réinvestissement dans la recherche. En tout cas, il y a de quoi alimenter une recherche axée sur l’amélioration des variétés au profit des agriculteurs et de l’environnement !
Nous nous interrogeons également sur la durée de protection. Il est proposé, dans le texte que nous examinons, de la porter à vingt-cinq ans, et à trente ans pour certaines espèces. Un tel laps de temps est énorme eu égard à la durée de vie actuelle d’une variété, qui s’établit entre cinq et six ans ! De surcroît, il n’existe que très peu de variétés « génériques » libres de droits sur le marché.
La présente proposition de loi met fin à une situation choquante : l’utilisation illégale, mais tolérée, des semences de ferme. Comme je l’ai déjà indiqué, la semence de ferme est une pratique incontournable pour faire face aux défis futurs et doit être reconnue comme un droit inaliénable de tous les agriculteurs ! Soit dit en passant, le démantèlement des aides de la PAC et les réglementations européennes en matière d’environnement ne sont pas étrangères au recours accru à ce type de semences.
Les agriculteurs qui produisent du blé, du soja et assurent une couverture végétale de tous les sols pendant la période hivernale doivent également faire des marges ! Or, quand le prix des céréales baisse, le prix des semences certifiées, lui, ne diminue pas.
Entre une semence de ferme à 20 euros par hectare et une semence certifiée à 120 euros, vous l’aurez compris, l’arbitrage est vite fait !
De prime abord, le texte paraît équilibré, puisqu’il reconnaît aux agriculteurs le droit de ressemer leur récolte et organise les modalités d’une indemnisation équitable des obtenteurs.
Toutefois, à y regarder de plus près, je ne suis pas tout à fait sûr qu’il soit si équilibré... Qu’en est-il exactement de l’autoconsommation et de l’alimentation du bétail ? Quelles seront les espèces autorisées ? À défaut de prendre en compte toutes les espèces, il faudrait se fonder au minimum sur les vingt et une que comprend la liste communautaire.
Quel sera le montant de la rémunération ? Ce sera certes aux acteurs d’en décider dans le cadre d’accords interprofessionnels, mais encore faut-il donner une indication... Comment s’assurer que les cotisations volontaires obligatoires prélevées sur les agriculteurs servent bien à financer la recherche ?
Nous sommes tentés de voter ce texte, à condition, toutefois, que ces questions trouvent des réponses. À cette fin, il serait judicieux que soient adoptés au moins certains des amendements de notre collègue Daniel Raoul.