Je vais essayer de répondre aussi complètement que possible à ces questions.
Permettez-moi tout d'abord d'insister sur le fait que les trois questionnements que vous avez soulevés sont de nature totalement différente. Tout au long de l'année, le CSA prend des dizaines de décisions plus ou moins importantes, en moyenne une quarantaine chaque semaine, dont certaines très attendues - attributions ou retraits de fréquences, etc. Ces décisions ne donnent lieu ni à polémiques, ni à contestations hors de cercles limités ou directement touchés.
Vous avez mentionné trois difficultés. Je les ai déjà rencontrées depuis deux ans et demi, et je vais les détailler l'une après l'autre.
En qui concerne la première, sur laquelle nous avons déjà échangé quelques observations, je rappelle que le principe qui consiste à confier la nomination aux membres d'un collège d'une autorité indépendante - Haute autorité de la communication audiovisuelle, Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL), puis CSA - remonte à 1982 et a été mis en oeuvre de 1982 à 2009, avant d'être remis en vigueur en 2013. Il n'y a donc, à cet égard, aucune surprise, mais il existe cependant peut-être quelques nouveautés.
En premier lieu, puisque vous avez bien voulu vous-même relever que j'ai été pendant assez longtemps un observateur voire parfois un acteur de la vie publique, permettez-moi de vous dire qu'il existait un certain halo d'incertitudes sur la responsabilité pleine et entière qui reposait sur les membres du CSA. On faisait fréquemment référence au fait que d'autres influences - politiques, économiques - pouvaient jouer, et les très nombreuses démarches effectuées par des candidats pouvaient supposer que leurs interlocuteurs n'étaient pas les seuls membres du CSA.
Cette fois, nul ne peut contester, je pense, que les choix qui ont été réalisés par le CSA l'ont été exclusivement par les membres du CSA, conformément à la loi, dans le seul respect de leur conscience et, comme ils l'ont affirmé dans le communiqué de juin dernier, en dehors de toute pression, qu'elle soit politique, économique ou sociale. L'éclairage diffère donc. C'est un premier point.
En second lieu, je rappelle qu'entre 2009 et 2014, quinze lois successives ont augmenté les pouvoirs du CSA - seize si l'on compte la loi organique. Le CSA d'aujourd'hui n'est donc pas le même que celui d'hier.
Ce n'est pas non plus le même paysage audiovisuel. Nous avons désormais affaire à 240 chaînes conventionnées ou déclarées, à 22 chaînes hertziennes, 15 gratuites, 7 payantes, ou à 549 stations de radio, sans compter les services de média à la demande, les webradios, les web télévisions et les différentes fonctions que nous avons aujourd'hui à exercer.
L'environnement a complètement changé, et l'on peut observer, indépendamment de ces affaires, qui n'ont pas toujours été du meilleur aloi, que la présence du CSA est sans cesse plus intense. Cela s'explique notamment du fait des compétences additionnelles que le législateur a accepté de lui confier.
Jusqu'à présent, j'ai pu le constater en prenant mes fonctions, le contrôle de l'audiovisuel public était à mes yeux assez paradoxalement bien moindre que le contrôle du secteur privé. Avec le secteur privé, c'était pratiquement le CSA qui fixait les règles, notamment via les conventionnements ou la surveillance des déclarations.
En revanche, pour le secteur public, il y avait peu d'examens et peu de contrôles. Nous venons de créer un département consacré au secteur public au sein de la direction des programmes, mais jusqu'alors, lorsqu'on examinait l'organisation du CSA, on voyait que sur 293 agents que comportait le tableau des effectifs, ceux qui s'occupaient à temps plein du secteur public se comptaient sur les doigts d'une main.
C'est un paradoxe, car la loi met aujourd'hui le secteur public de l'audiovisuel, dans ses articles 43 et suivants, au coeur même des fonctions, des missions, des références et des modèles de la communication audiovisuelle. Prévoir un régulateur qui ne s'occupe pas d'abord de l'audiovisuel public me paraît donc comporter une certaine contradiction.
Ces trois changements peuvent expliquer que le contexte a pu substantiellement changer, une fois la compétence des nominations à nouveau dévolue au CSA, en 2013. On est passé d'un système de droit commun relevant de la responsabilité du Président de la République, en vertu de l'article 13 de la Constitution, quel que soit l'organe concerné, à un système reposant sur neuf, puis sur sept personnes.
C'est la loi : les nominations ont été le fait de neuf puis de huit personnes, respectivement pour Radio France et France Télévisions, sans aucune interférence ni pression d'une autorité ou d'une autre. Or, une autorité, ou un groupe - fût-ce un groupe d'intérêts -, privé d'influence, peut éprouver un certain mécontentement.
En ce qui concerne LCI, l'affaire n'est pas de même nature. C'est le Parlement qui a explicitement confié, par une modification de l'article 42-3 de la loi, le pouvoir au CSA de faire passer un service de télévision du payant au gratuit ou du gratuit au payant. Jusqu'à présent, c'était considéré, en vertu de la jurisprudence du Conseil d'État, comme une condition substantielle que le CSA n'était pas habilité à modifier.
Nous avons donc réalisé une première application de la loi. Celle-ci a reposé sur des auditions, des échanges, sur des études d'impact de plus de cent pages rendues publiques, et sur des motivations. Il se trouve que l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État a décidé que ce n'était pas suffisant au regard de ce qu'a voulu le législateur, estimant qu'il fallait procéder en deux temps, c'est-à-dire réunir tout ce matériau à travers des études et des consultations pour élaborer l'étude d'impact puis, à nouveau, rouvrir un débat contradictoire non seulement avec les demandeurs, mais également avec tout tiers intéressé et, à leur choix, sous forme d'auditions ou de contributions. Je signale que tous ceux qui se sont manifestés à propos de l'étude d'impact de la bande 700 ont préféré l'audition à la contribution.
Il s'agit d'une procédure infiniment plus lourde, en deux temps et deux volets, qui se trouve mise en oeuvre par l'application de la décision de l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État, si le législateur confirme cette interprétation. Elle va rendre infiniment plus lente et plus difficile la mise en oeuvre des d'études d'impact, je me permets de le faire remarquer.
C'est un problème de procédure. Nous n'avions pas compris ainsi la volonté du législateur ; nous avons cherché intensément dans les travaux préparatoires : nous n'y avons trouvé aucune indication de cette intention.
Toutefois, la méthode employée par le CSA, à travers les études d'impact, n'a pas été en elle-même contestée. Ces études économiques, programmatiques et éditoriales ont fait l'objet d'un débat public, mais n'ont nullement été mises en cause pour le sérieux et l'approfondissement de ses analyses.
Nous réexaminerons les dossiers de LCI, Paris Première et peut-être aussi, si elle le demande, de Planète Plus, selon les mêmes méthodes, et avec la procédure redoublée que nous a prescrite l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État.
En ce qui concerne la chaîne Numéro 23, je voudrais être extrêmement clair sur deux points.
En premier lieu - et je me permettrai une seconde et dernière fois de me citer moi-même - lorsque j'ai été entendu par les commissions des affaires culturelles des assemblées avant même d'être nommé, j'ai dit que la diversité ne saurait, dans mon esprit, se résumer à une chaîne qui s'en prévalait.
En second lieu, les choix ont été réalisés en mars 2012, mis en oeuvre en novembre 2012, et l'ouverture de ces chaînes a eu lieu le 12 décembre 2012. Je n'exerçais aucune responsabilité au CSA à ces différentes dates, et je ne me considérais pas comme ayant vocation à en exercer. J'ai trouvé comme legs du collège précédent les décisions que je viens de mentionner.
J'ai toujours entendu le président de la chaîne Numéro 23 dire publiquement qu'il n'avait aucune intention de revendre à court terme la chaîne qui lui avait été attribuée. Il l'a répété à plusieurs reprises, et en plusieurs lieux : je puis donc le répéter ici.
Face au contrat annoncé, le CSA a usé des deux voies qui lui sont ouvertes par la loi. La première concerne la vérification des modifications de contrôle opérées en application des alinéas 1 et 2 de l'article 42-3 de la loi. Elle a débouché sur la saisine par le directeur général, en vertu de l'article L. 42-7, du rapporteur indépendant du Conseil d'État, lequel a, presque immédiatement, dans un délai inférieur à 48 heures, notifié les griefs, notamment au vu d'un pacte d'actionnaires, à la société Numéro 23. Il rendra son rapport public très prochainement, comme la loi le prévoit, en laissant un délai minimal de quinze jours, qui ressort des travaux préparatoires, afin qu'il puisse en être discuté par les parties, en particulier lors d'une séance publique au cours de laquelle le rapport sera présenté, la décision étant prise ultérieurement.
Il s'agit du seul cas dans la loi où la mise en demeure ne soit pas prévue. La sanction, le cas échéant, si elle est proposée, est votée par le collège et directement applicable, et constitue un retrait de fréquence.
La deuxième voie est celle de l'agrément ; elle est prévue par le cinquième et le sixième alinéa du même article 42-3.
Les travaux préparatoires sont muets sur les conditions dans lesquelles le CSA doit attribuer ou ne pas attribuer un agrément. Il ne saurait être automatiquement délivré dans un sens ou un autre. Ce n'est pas une politique de guichet, mais d'appréciation.
Nous attendons à ce stade le rapport des services du CSA - mais je ne le connais pas plus que vous - et l'étude d'impact en cours d'élaboration. Il apparaît que l'ensemble des critères qui sont énumérés par les articles 29, 30-1 et 31 de la loi sont susceptibles d'être appliqués.
Nous verrons quelle sera la consistance de l'étude d'impact qui sera élaborée par le CSA ; il va de soi qu'elle sera soumise à la procédure dont je viens de parler, en vertu de la décision de l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État.
Nous ferons en sorte de rendre publique cette étude d'impact le plus rapidement possible, mais la multiplicité des études d'impact auxquelles nous devons procéder, qui touchent en même temps Numéro 23, les décisions relatives à LCI, Paris Première ou d'autres, les conséquences considérables du basculement de la bande 700 et de l'extension des services haute définition liés à l'adoption de la compression MP4, les demandes très nombreuses dont nous sommes saisis par des chaînes concernant W9, D 17, D 8, Chérie 25, font que la charge du CSA est considérable. Cette charge, je vous en donne ici l'assurance, sera menée avec le plus grand sérieux, la plus grande minutie, et dans le respect le plus scrupuleux de la loi.