Nous entendons aujourd'hui M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Créé par la loi du 17 janvier 1989, le CSA a pour mission de garantir la liberté de communication audiovisuelle en France. La loi du 30 septembre 1986, modifiée à de nombreuses reprises, lui confie de larges responsabilités. L'article 1er de la loi du 15 novembre 2013 a modifié le statut du Conseil en lui conférant la qualité d'autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale. Cette même loi a aussi largement renforcé les compétences du CSA, qui a notamment retrouvé son pouvoir de nomination des dirigeants de l'audiovisuel public.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel était dirigé par un collège composé de neuf membres nommés par décret du Président de la République, mais la loi du 15 novembre 2013 a prévu de réduire progressivement ce collège à sept membres, dont trois désignés par le Président de l'Assemblée nationale et trois par le président du Sénat. Les membres du collège sont désignés en raison de leurs compétences en matière économique, juridique ou technique ou de leur expérience professionnelle dans le domaine de la communication, notamment dans le secteur audiovisuel ou des communications électroniques, après avis conforme des commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat en charge des affaires culturelles statuant à bulletin secret à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Actuellement le collège est composé de huit membres. Le président est nommé par le Président de la République pour la durée de ses fonctions de membre du Conseil. En cas d'empêchement du président, pour quelque cause que ce soit, la présidence est assurée par le doyen d'âge.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier Schrameck prête serment.
Vous avez rappelé l'historique du CSA. Il est constitutif. Le choix de créer une autorité indépendante, devenue, ainsi que vous l'avez rappelé, autorité publique indépendante, fait suite à l'ouverture des fréquences audiovisuelles et radiophoniques, au début des années 1980. Il avait alors été jugé que la protection des valeurs de droit et la promotion du secteur justifiaient, tant au plan juridique que social et économique, qu'une institution s'intercale entre les pouvoirs publics exécutifs et l'autorité législative qu'est le Parlement. Ce choix, qui n'a jamais été démenti, se situe dans la tradition européenne. Dans le droit de l'Union européenne, elle répond à l'exigence d'indépendance des médias et de la production audiovisuelle, qui irrigue l'ensemble de la directive sur les services de média audiovisuels (SMA), et à laquelle il est explicitement fait référence dans le considérant 94 et l'article 30. Une organisation des régulateurs européens a en outre été créée l'an dernier, l'ERGA (European Regulators Group for Audiovisual Media Services), dont le premier acte a consisté en une déclaration d'octobre 2014 qui met l'accent sur les critères garantissant l'indépendance de ces autorités - choix hors des pressions politiques, indépendance économique, autonomie financière, capacité à régler des différends sous le contrôle du juge.
La première fonction du CSA est de garantir les droits et libertés des citoyens que sont les téléspectateurs et auditeurs face aux pouvoirs publics exécutifs et aux groupes de pression, en particulier économiques. Il lui revient également de garantir la sauvegarde et l'équilibre économiques d'un secteur sensible, où l'État est partie prenante à la fois comme autorité normative et comme opérateur économique de marché.
Les principes susceptibles de limiter la liberté de communication audiovisuelle, qui reste la règle, sont énumérés à l'article 1er et, pour ce qui concerne plus spécifiquement le CSA, à l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986. Parmi eux, le principe de dignité humaine ou la sauvegarde de l'ordre public - nous en avons vu une illustration, qui fut au reste contestée, avec les attentats qui ont endeuillé notre pays en janvier dernier.
D'autres missions nous sont également confiées, comme la lutte contre les discriminations et la promotion de la diversité, certaines s'étendant à des objectifs sociaux, comme la promotion de la santé publique ou le développement durable.
Surtout, le CSA est chargé de veiller au pluralisme des médias. C'est là une mission essentielle, que nous exerçons par l'édiction de recommandations, par le contrôle des chaines et des stations, dont nous informons mensuellement le Parlement, et par la réglementation des campagnes officielles sur le service public.
En matière économique, la forte présence de l'État tient au fait que le réseau hertzien appartient au domaine public de l'État. J'ajoute que l'économie de l'audiovisuel est encore très réglementée, notamment dans le cadre de l'exception culturelle, ce qui donne lieu à régulation, laquelle s'exerce soit unilatéralement soit par le biais de conventions avec les chaines et stations. Ajoutons qu'un opérateur puissant sur le marché a pour seul actionnaire l'État : le service public de l'audiovisuel, qui fait partie des acteurs régulés par le Conseil.
Dans sa décision du 27 juillet 2000, le Conseil constitutionnel rappelait que l'objectif à réaliser consiste à s'assurer que les auditeurs et téléspectateurs, destinataires essentiels de la liberté de communication audiovisuelle, soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leur propre décision, ni que l'on puisse en faire les objets d'un marché. Il en résulte toute une série de compétences économiques, qui tiennent à la régulation de l'accès au marché - autorisation des services hertziens, conventionnement des services non-hertziens, déclarations préalables des distributeurs et des services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) - ou à la régulation du fonctionnement - contrôle de la concentration, de l'évolution des programmes, des changements de modèle économique entre payant et gratuit, résolution des litiges.
En matière de gouvernance de l'audiovisuel public, outre la compétence de nomination que vous avez rappelée, nous exerçons une compétence consultative sur le cahier des charges et les contrats d'objectifs et de moyens, à quoi s'ajoute, en vertu de la loi du 15 novembre 2013, une compétence de contrôle et d'évaluation du respect de ces instruments contractuels.
Pour cela, nous sommes soumis, j'y insiste, à un certain nombre de règles de procédure essentielles : consultation des intéressés, via des auditions, en général publiques ; études d'impact, qui se sont multipliées en vertu de la législation de 2013 ; principe de la mise en demeure préalable à l'engagement de toute procédure de sanction, affirmé par le Conseil constitutionnel dès 1989 ; exigence de motivation de toutes nos décisions et, comme il va de soi, contrôle du juge. La procédure disciplinaire a été modifiée en 2013, pour être parfaitement conforme aux jurisprudences constitutionnelle et conventionnelle, par la nomination d'un rapporteur indépendant désigné par le vice-président du Conseil d'État.
En matière d'organisation, vous avez rappelé l'essentiel. Je ne reviens donc pas sur le nombre des conseillers et les conditions requises par la législation. J'indique tout de même que l'implication du Parlement, qui nomme six membres sur sept à la majorité des trois cinquièmes, marque un lien structurel profond avec le pouvoir législatif sans équivalent dans d'autres autorités administratives indépendantes. Le collège est paritaire dans sa composition. Il compte deux juristes ayant l'expérience des affaires publiques, trois professionnels des médias, deux économistes et ingénieurs et un ancien sénateur, Nicolas About, qui fut président de la commission des affaires sociales du Sénat.
Les fonctions de membre du CSA s'exercent à temps plein ; les conseillers sont fortement mobilisés, chacun assurant la présidence ou la vice-présidence de groupes de travail qui, même si un effort de réduction a été consenti en janvier dernier, restent au nombre de dix-neuf, pour couvrir l'éventail des missions du Conseil.
Nous sommes soumis à un triple encadrement déontologique. Des dispositions législatives spécifiques de la loi de 1986 nous interdisent d'exercer dans six secteurs - l'audiovisuel, le cinéma, l'édition, la presse, la publicité et l'ensemble des communications électroniques - non seulement pour la durée de notre mandat mais un an au-delà. À quoi s'ajoute la réglementation relative aux conflits d'intérêt, l'ensemble des dispositions législatives applicables aux autorités administratives indépendantes en vertu de la loi du 11 octobre 2013 et un code de déontologie élaboré par le CSA lui-même. Quant aux collaborateurs, ils font l'objet d'une recommandation de 2008. Représentant 284 équivalent temps plein (ETP), ils sont en majorité hébergés dans la tour Mirabeau, avec d'autres services administratifs - ministère du travail, Inspection générale des affaires sociales, Bureau de recherches géologiques et minières - les autres étant en poste dans nos implantations territoriales, qui revêtent pour nous une très grande importance - 12 comités territoriaux de l'audiovisuel (CTA) en métropole et quatre outre-mer. Nous veillons là aussi à une mutualisation de nos locaux, dans une optique d'économie. Nathalie Morin, chef du service France Domaine, a évoqué, lors de son audition, cet aspect domanial.
En tant qu'autorité administrative indépendante, nous percevons une subvention de l'État sous un titre unique. Nos dépenses de fonctionnement ont diminué de 13 % depuis 2013. Nos dépenses de personnel ont également baissé, bien que nos missions aient été assez considérablement élargies, notamment par la loi de 2013.
Nous sommes attachés à entretenir un dialogue étroit avec les pouvoirs publics exécutifs. Nous avons ainsi des échanges très denses sur l'audiovisuel public ou le régime de financement de la production audiovisuelle. Nous avons également de nombreux liens avec d'autres autorités administratives indépendantes, notamment l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) ou l'Autorité de la concurrence, via des demandes d'avis croisés. Mais cette audition est une occasion précieuse de rappeler que le lien essentiel reste le lien avec le Parlement - qui fixe, depuis la révision de 2008, les règles relatives au pluralisme et à l'indépendance des médias - afin d'honorer au mieux les missions que celui-ci nous a fait la confiance de nous confier. J'ai souligné, dès avant ma nomination, combien je comptais sur les relations avec le Parlement pour orienter et accompagner, en la contrôlant, la démarche du CSA. Cette relation avec le législateur, qui joue aussi le rôle d'évaluateur, est indispensable à la légitimité même du CSA. Ceci s'exprime par de nombreux rapports au Parlement : le rapport annuel, considérablement enrichi par la loi de 2013, qui constitue une évaluation ex post de l'activité du Conseil, mais aussi de nombreux rapports à l'initiative du CSA - sur la promotion de la diversité de la société française, sur l'intensité sonore des programmes de télévision, par exemple. La pratique du CSA consiste également à établir de façon systématique un bilan public de l'application de sa réglementation sur les campagnes électorales - nous vous adresserons prochainement celui qui concerne les échéances de l'an dernier. Nous avons également consacré un rapport à la situation des personnes handicapées. Deux autres, enfin, vous ont été adressés en début d'année, l'un sur la concentration dans le secteur de la radio et l'autre sur la radio numérique terrestre. J'ajoute que vous m'offrez l'occasion de me présenter fréquemment devant vous puisque cette audition est la onzième à laquelle le Parlement me convie depuis le début de l'année.
Je vois que nous nous comprenons.
Vous faites partie des grands serviteurs de l'État - l'une des épines dorsales de notre République. Vous êtes doté d'une longue expérience, du Conseil d'État, du Conseil constitutionnel, des affaires étrangères, du Gouvernement. Quel est votre avis sur la multiplication des autorités administratives indépendantes ?
Dans beaucoup de cas, elles sont nées comme la prose dans la bouche de Monsieur Jourdain. On a fait des autorités administratives indépendantes sans le savoir - et sans nécessairement le vouloir. Au reste, les premiers rapports du Conseil d'État sur la question se donnaient pour but de dénombrer ces autorités. Car si certaines ont été créées volontairement par la loi, ou par le pouvoir réglementaire, d'autres l'ont été par la pratique : un certain nombre de trait caractéristiques agrégés ont fait que l'on a considéré que telle ou telle institution entrait dans cette catégorie, sans que cela ait été le fruit d'un plan délibéré et d'une réflexion préalable sur le rôle qu'elles devaient jouer : distance par rapport au pouvoir exécutif, dans des domaines essentiels pour les droits et libertés ou dans des domaines où l'État jouait un rôle tel dans la sphère économique qu'une autorité de régulation était nécessaire au respect des équilibres économiques. Car tels sont bien les deux critères essentiels qui peuvent justifier l'existence d'une autorité administrative indépendante. Or, le foisonnement de ces AAI - il en existe une quarantaine - témoigne à lui seul d'un écart à cette aspiration fondamentale. J'ai eu l'occasion, comme membre de la commission Balladur, de me pencher sur ces questions. Nous nous étions alors beaucoup interrogés sur l'opportunité d'en fusionner certaines, et notre réflexion d'alors n'est pas étrangère à la création du Défenseur des droits, tandis qu'à l'inverse, le Conseil du pluralisme qui avait alors été envisagé est resté sans lendemain.
Cela n'est pas vraiment le cas du CSA, mais la composition des autorités administratives indépendantes est marquée, disent certains, par la consanguinité. Le mot est sans doute trop fort, mais disons que leur composition, qui puise beaucoup aux grands corps de l'État, est assez homogène. Après vote du Parlement, il est vrai, assumons-le. Mais en restant ainsi entre soi, ne risque-t-on pas de tourner en rond ? D'autant que les liens se multiplient entre certaines de ces autorités, appelées à collaborer en vertu de dispositions législatives ou par simple bon sens.
Ainsi que vous l'avez relevé, c'est un reproche qui ne peut être fait au CSA, dont les membres viennent d'horizons très divers.
Ces institutions sont par nature collégiales et reposent sur des principes de droit et déontologiques qui sont profondément ancrés dans les consciences de la haute fonction publique, notamment le respect du secret des délibérés et le devoir de réserve. Ce sont des atouts, je puis en attester, qui ne sont pas négligeables dans la vie d'une autorité administrative indépendante. A l'inverse, s'il est très important de faire appel à des compétences professionnelles, sociales, à une expérience qui ne soit pas limitée à l'expérience administrative, il est vrai que le recrutement de personnalités engagées dans la vie active peut soulever un problème. On leur demande de se consacrer, durant une partie de cette période, à un mandat social ou institutionnel, mais elles peuvent avoir ensuite beaucoup de mal, soit pour des raisons tenant à la législation - j'en ai rappelé quelques-unes - soit pour des raisons pratiques, à renouer avec une carrière professionnelle interrompue.
Oui, il est extrêmement utile que la composition des collèges soit diverse et équilibrée, mais à condition que soient strictement respectés les principes qui fondent la délibération collégiale et que puisse être fait appel à des personnalités dont la qualité et l'expérience se soient marquées antérieurement et soient encore susceptibles de le faire ultérieurement.
Votre souci de la perfection vous honore, mais nos auditions nous ont amenés à ce constat que le recrutement se faisait dans un vivier relativement restreint. Au point que nous nous demandons comment certains membres des collèges ou certains présidents parvenaient à faire autant de choses en même temps. Je n'oublie pas que vous avez siégé à la commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique, qui a conclu à la nécessité du non cumul pour les parlementaires. Mais les autorités administratives indépendantes ne sont pas concernées. Ses membres ont sans doute des qualités exceptionnelles que nous n'avons pas ?
Je rappelle que les membres du CSA ont obligation de se consacrer exclusivement à leurs fonctions, lourdes et astreignantes. Il nous est seulement permis de dispenser, à l'occasion, un enseignement non rémunéré et de nous livrer à ce qui entre dans les oeuvres de la propriété littéraire ou artistique, en vertu d'une exception très généralement reconnue dans notre droit.
Les membres du CSA se consacrent donc exclusivement à leur mission. Ils sont soumis non seulement au devoir de réserve et au respect du secret des délibérations mais n'ont de surcroît pas le droit de s'exprimer sur des affaires à l'instruction. Autant dire que d'une certaine manière, ils font retraite - même si cette retraite est très active.
Au-delà, il est vrai que les fonctions, dans certaines autorités administratives indépendantes, ne sont pas à plein temps. La question peut se poser d'un cumul d'activité au sein de la fonction publique - dans le respect de la réglementation existante - mais ce que j'ai dit tout à l'heure de la difficulté de faire appel à des personnalités du secteur privé ou social pendant une période longue - gage d'indépendance - et à plein temps, peut aussi justifier que l'on permette la poursuite d'une activité. J'entends bien que cela pose souvent des problèmes délicats, touchant à la question des conflits d'intérêt. On voit bien par exemple, dans le fonctionnement de telle ou telle autorité compétente en matière financière, que beaucoup de questions se posent sur les réseaux et relations que d'aucuns peuvent entretenir avec d'autres. Il y a là des équilibres délicats qui rendent difficile la généralisation de la référence singulière que constitue le CSA.
J'ai coutume, au cours de ces auditions, de poser la question suivante : vu le nombre de conseillers d'État qui siègent dans les autorités administratives indépendantes, ne pourrait-il y avoir difficulté en cas de recours devant le Conseil d'État ? Je ne vous mettrai pourtant pas sur la sellette, car c'est un reproche qu'il est difficile d'adresser au CSA, vu les conclusions de l'arrêt du 17 juin 2015 sur Paris Première.
Voilà bien un des rares avantages de ma situation...
Le CSA est désormais non plus autorité administrative indépendante, mais autorité publique indépendante. Pourquoi ce changement de statut ?
Il est inspiré par une mutation que vous n'aurez pas manqué de relever et qui veut que depuis la loi de 2003, qui a modifié, en particulier, le statut de l'Autorité des marchés financiers (AMF), par fusion d'institutions existantes, est apparue une nouvelle génération d'autorités indépendantes, ainsi que l'a analysé la doctrine, portant un certain nombre de novations dignes d'intérêt. La fongibilité des crédits en est une. À l'intérieur de la dotation allouée par l'État - dans le programme 308 « Protection des droits et libertés » pour ce qui nous concerne - les gestionnaires que nous sommes ont la possibilité de faire la part aux priorités du moment. Si, par exemple, on nous demande un très grand nombre d'études d'impact dans une période définie, nous pouvons imputer un certain nombre de crédits d'études en dépenses de fonctionnement, sans faire appel à des recrutements supplémentaires qui engageraient nos finances sur la durée, au-delà des exigences du moment.
Le deuxième avantage, c'est que le collège prend ses responsabilités. Il fonctionne un peu comme le conseil d'administration d'un établissement public - sans tutelle, dans notre cas. Pour moi, le fait que cette responsabilité collective et solidaire ne se limite pas au traitement des affaires sur le fond mais s'étende également à l'orientation et à la gestion de l'institution me paraît une bonne chose - sachant que les questions de financement ne sont que le décalque de ses priorités.
Dernière remarque enfin, qui pourra vous surprendre mais est pourtant, croyez-le bien, profonde et authentique : cela rend le contrôle plus rigoureux, plus étroit et plus efficace, car à un comptable du Trésor, qui n'est occupé qu'à temps partiel au contrôle de l'institution, se substitue une agence comptable, composée d'une équipe de quatre personnes et coordonnée par un agent comptable, une contrôleuse des finances publiques en l'occurrence, qui vérifie l'ensemble des comptes issus de la direction administrative, financière et des systèmes d'information et pousse à une modernisation de la comptabilité, pour favoriser une comptabilité patrimoniale et une comptabilité dite de destination, laquelle fait mieux apparaître les fonctions actuelles et à venir de l'institution que ne le fait la comptabilité analytique classique, beaucoup plus statique.
Si je comprends bien, outre que vous êtes désormais doté de la personnalité morale, vous avez plus de latitude sur l'usage de la dotation. Mais le contrôle parlementaire en est rendu plus difficile. On connaît le montant de la subvention, mais on ne sait pas ce qu'il en sera des dépenses.
Dans la réponse à votre questionnaire, nous vous avons livré la totalité des chiffres dont nous disposons. Et nous faisons le même exercice lorsque nous sommes interrogés, chaque année, par la commission des finances, dans le cadre de la préparation de la loi de finances. Dans les formulaires que nous renseignons, nous essayons d'être aussi précis que possible tant en ce qui concerne l'utilisation de nos ETP que pour la fixation de nos crédits de fonctionnement - 14,85 millions d'euros -, ainsi que sur le chiffre de ce qui nous revient de l'extérieur en complément de la dotation de l'État - 88 000 euros. Loin de nous l'idée de garder quelque chiffre que ce soit par devers nous.
Vous en avez fait la démonstration dans votre réponse au questionnaire. Mais ma question était d'ordre général. Le fait est que le contrôle des commissions des finances du Parlement est rendu plus difficile par le passage au statut d'autorité publique indépendante.
Envisagez-vous une mutualisation des fonctions dites « support » du CSA ?
Nous mutualisons au niveau territorial. À Caen, Dijon et Toulouse, nous avons ainsi mutualisé les locaux des CTA avec les directions régionales de l'action culturelle (DRAC). À Lyon, nous occupons une partie des locaux administratifs de la préfecture.
Pour le reste, les fonctions du CSA sont extrêmement spécialisées. Elle sont essentiellement techniques - liées à l'octroi, à la gestion et au contrôle des fréquences -, économiques - liées aux études d'impact -, juridiques, enfin, puisque le CSA s'exprime à travers des décisions de droit, soumises, ainsi que vous l'avez rappelé, au juge administratif. Nous développons également une activité internationale spécifique, à travers le rôle que nous jouons au sein de réseaux. Je rappelle qu'outre la présidence de l'ERGA, le CSA assure le secrétariat du réseau des régulateurs méditerranéens ainsi que du réseau francophone. C'est important, tant du point de vue des droits et libertés que de notre capacité à exporter notre savoir-faire.
En matière de gestion, nous mutualisons de plus en plus de marchés publics avec les services du Premier ministre, pour tous nos déplacements, par exemple. Nous passons systématiquement, quand nous avons une dépense à faire, par une procédure de marchés négociés communs comme celle de l'UGAP (Union des groupements d'achats publics).
Le passage au statut d'autorité publique indépendante a-t-il facilité vos négociations budgétaires avec l'État ?
Il est trop tôt pour faire un bilan. À la suite du vote de la loi du 15 novembre 2013, il a été convenu, avec les services de Bercy, de prévoir une période intermédiaire de préparation, sur l'année 2014. Nous ne sommes donc passés sous le nouveau régime, qui suppose une gestion via le logiciel Chorus, que depuis le 1er janvier 2015. Et nous sommes encore dans le cadre de la discussion budgétaire, dont nous ne sommes pas acteurs, même si, ainsi que l'a souligné Marc Guillaume lors de son audition, nous faisons partie du petit nombre des autorités indépendantes qui peuvent avoir accès à des conférences budgétaires.
Nous l'avons été à trois reprises, mais pas récemment.
Si j'en crois vos réponses à notre questionnaire, vos dépenses de communication sont modestes - 100 000 euros en 2014 sur un budget, hors masse salariale, de 14,5 millions d'euros - mais elles ont doublé en quatre ans.
La dépense moyenne est de 70 000 euros sur quatre ans. Il est vrai qu'elle est passée, entre 2013 et 2014, de 0,07 à 0,1 million. C'est certes une augmentation significative, mais qui s'explique par l'organisation, en octobre 2014, d'un grand colloque intitulé L'audiovisuel, enjeu économique, qui a été clôturé par le Président de la République, et que nous avons entièrement organisé, sans rien déléguer. Le 9 décembre de la même année, nous avons également organisé, au collège de France, un colloque intitulé Des écrans pour les jeunes, autour des grandes thématiques de l'évolution de la communication audiovisuelle parmi ce public. Cela dit, nous nous efforçons de limiter au maximum nos dépenses de communication. Le grand colloque de cette année, sur le thème de la diversité, sera ainsi organisé, le 6 octobre prochain, dans les locaux mêmes du CSA, par souci d'économie.
Cela étant, si j'en crois l'écho qu'ont reçu vos communications au cours des six derniers mois, vous n'avez pas besoin de consacrer à ce chapitre un important budget : il suffit que vous vous exprimiez publiquement...
Dois-je le prendre comme un compliment ?...
Absolument, car la lecture de ces excellentes déclarations est fort roborative, et j'invite d'ailleurs mes collègues à s'en imprégner.
Vous avez indiqué à la commission d'enquête que 4,4 millions d'euros correspondaient à des prestations externes relatives à des « missions du CSA (études, contrôles des programmes, projets informatiques et contrôle des mesures y compris TNT, RNT, etc.) ». Or, toujours selon la réponse transmise, « les prestations externes concernent les loyers, les charges locatives, les travaux d'entretien et de réparation, les contrats d'assurance et les rémunérations des prestataires techniques ». Pouvez-vous nous expliquer ce dont il s'agit exactement et pourquoi cette dépense qui « touche le coeur de métier » du CSA, selon vos propres mots, est considérée comme une prestation externe ?
Il y a, comme vous le mentionnez, deux sources de dépenses. Tout d'abord, tout ce qui relève du pôle immobilier, et en particulier des loyers, qui représentent 6 millions d'euros - une somme importante. Nous avons réussi à réduire d'un million d'euros les coûts de location de notre siège parisien, ramenés de 575 euros à 431 euros le mètre carré. Nathalie Morin a souligné que cela ne soulevait aucune observation de la part de France Domaine. Par ailleurs, lorsque, dans un souci de mutualisation, nous nous installons dans des locaux administratifs, nous n'exposons plus que les dépenses locatives. Avec la bascule de quatre des CTA de la métropole dans le giron administratif commun, nous avons ainsi réalisé d'importantes économies.
La seconde source de dépenses vient des prestations externes, auxquelles nous faisons appel le moins possible pour les études d'impact, dont nous préférons garder la maîtrise dans le souci d'éviter les conflits d'intérêt - bien que quand la charge se révèle trop importante, nous devions déléguer, tout en assurant un contrôle. En revanche, nous sommes contraints de recourir à des prestations de cabinet, par exemple pour la signalétique, qui fait partie des missions que le Parlement nous a confiées pour la protection du jeune public mais nous coûte très cher - près de 240 000 euros par an. Nous avons également la responsabilité d'établir des baromètres, soit par nous-mêmes, soit en coopération, comme cela est le cas pour le baromètre de l'équipement des foyers en télévision, essentiel pour la question du basculement de la bande des 700 MHz en cours d'examen devant le Parlement. Ce baromètre est financé de façon tripartite par le ministère de la culture, l'Agence nationale des fréquences et nous-mêmes. C'est d'ailleurs une pratique que nous essayons de généraliser avec d'autres services administratifs ou autorités indépendantes. Si bien que le nombre d'études que nous prenons en charge à titre exclusif est minoritaire.
Comment expliquer que près de la moitié de l'effectif de vos collaborateurs soit sous contrat à durée indéterminée (CDI) de droit public ?
Ils sont au nombre de 146, en effet. C'est un véritable problème - qui ne tient en rien à la qualité des intéressés, auxquels je tiens à rendre hommage. Les contrats à durée déterminée qui se muent en CDI installent ces collaborateurs dans une situation spécifique au sein de l'institution. Alors que la quarantaine de nos fonctionnaires détachés sont sous un régime statutaire qui leur permet de changer régulièrement d'affectation, il n'en va pas de même des collaborateurs en CDI. Nous avons donc mis en place une politique de mobilité et de promotion, récemment favorisée par une décision du 12 mai dernier, qui a refondu notre organigramme. Ce processus est en cours, et a permis des promotions méritées. En revanche, la pratique d'échange de personnels en CDI entre autorités administratives indépendantes reste difficile. La tentative que nous avions engagée avec l'Autorité de la concurrence s'est rapidement heurtée à des limites. Nous avons également des contacts avec le Défenseur des droits, mais il reste que le détenteur d'un CDI ne bénéficie pas des mêmes garanties de mobilité qu'un fonctionnaire statutaire. On touche par là du doigt ce paradoxe de la fonction publique qui veut que le statut soit gage de liberté, tandis que le contrat est une contrainte.
Vous nous avez communiqué le montant des traitements et rémunérations servis aux membres du CSA et à son président. Ces montants varient-ils beaucoup selon les autorités, sachant que les responsabilités assumées peuvent être sans commune mesure ? Considérez-vous que ceux du CSA correspondent aux responsabilités exercées ?
Il m'est difficile de porter une appréciation sur la rémunération d'autrui. Ce que je peux dire, c'est que celle dont bénéficient les membres du collège du CSA n'est pas sans soulever les difficultés que j'ai indiquées : des professionnels engagés dans une carrière où ils sont reconnus pour leurs compétences se voient allouer un traitement net de 9 000 euros mensuels. C'est sans doute beaucoup au regard de bien des situations, mais dans le monde des médias, cela peut poser problème. Quant au travail accompli, j'ai rappelé qu'il l'était à plein temps et j'ai dit la diversité des compétences des membres du collège, garanties par l'autorité qui les désigne.
Quant à moi, au regard de ma situation antérieure de président de section au Conseil d'État, je n'ai tiré aucun avantage des responsabilités qui m'ont été confiées. Et je n'ai droit, par ailleurs, d'exercer aucune autre activité, ce qui me paraît parfaitement justifié compte tenu de la lourdeur de la charge.
Le régime indemnitaire est important - quelque 80 000 euros au-delà du traitement.
Pour les membres du collège, l'indemnité est de 50 500 euros.
Ils perçoivent quelque 76 000 euros, ce qui correspond à un traitement hors échelle à la lettre F, et un complément de rémunération fixé, ainsi que le précise l'article 5, par la loi et le règlement.
Faut-il le considérer comme un gage d'indépendance, eu égard à leur origine professionnelle ? Vous nous avez indiqué que certains membres du collège ont exercé des fonctions importantes dans le monde de l'audiovisuel, avec des revenus à l'avenant, ce qui peut poser problème quand ils acceptent de siéger au CSA.
Je pense que cela peut présenter un problème substantiel, d'autant que des incompatibilités professionnelles s'appliquent durant une année ; parmi les trois membres du CSA qui ont quitté le collège, l'un, issu de la fonction publique, est revenu dans son corps d'origine, et les deux autres, qui touchent la mesure compensatoire en matière de rémunérations, n'ont pas été en mesure de retrouver une activité professionnelle.
Par ailleurs, s'applique ensuite une période de deux années durant laquelle les conflits d'intérêt sont très normalement contrôlés au titre de l'article L. 432-12 du nouveau code pénal.
Le problème serait encore aggravé si, comme il en avait été question, et comme c'est le cas pour une institution qui va se présenter devant vous en la personne de sa présidente, ces incompatibilités s'appliquaient a priori ex ante, et interdisaient à des personnes appartenant à ces milieux d'intégrer l'institution en cause - mais je ne vais pas parler en lieu et place de Mme Marais.
C'est pour moi, en tant que président de l'institution, une préoccupation car le rôle de régulateur peut comporter un effet de césure en cours de parcours. Je ne crois pas qu'il serait bon que ce rôle soit confié uniquement aux plus jeunes, ni aux plus anciens.
Si j'ai bien compris, ce n'est plus possible au-delà de soixante-cinq ans...
On ne peut plus être nommé lorsqu'on a dépassé l'âge de soixante-cinq ans mais, comme l'article 5 de la loi le garantit, on peut et on doit poursuivre ses fonctions au-delà, dans le cadre de son mandat.
Toutefois, dans ce type d'expérience professionnelle, cela peut devenir un réel problème.
Estimez-vous que le CSA pourrait absorber d'autres autorités administratives indépendantes ? J'ai lu un certain nombre de vos déclarations...
Vous me permettrez tout d'abord de dire que le terme d'absorption est très loin de ma réflexion, et encore plus de ma vision de ce que pourrait être l'avenir des autorités administratives indépendantes.
En réalité, un certain nombre de questions ont été posées. J'en distinguerai trois.
La première concerne les rapports entre le CSA et l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), dont certaines fonctions communes sont très importantes. Elles tiennent au fait que le monde des communications électroniques est un, et que s'applique le principe de neutralité technologique, d'ailleurs explicitement souligné par l'article 1er de la loi de 1986, selon lequel, quelle que soit la nature des services audiovisuels numériques, ceux-ci ont vocation à relever de la même autorité, indépendamment du canal de diffusion qu'ils empruntent.
D'autres problèmes nous sont communs, comme la question du basculement de la bande 700, à laquelle j'ai déjà fait référence, le principe de neutralité du Net, le règlement des différends entre les distributeurs et les éditeurs en ligne, ou le marché de gros en amont de la radiodiffusion, etc.
Le Président de la République a fait une déclaration valant position de principe le 2 octobre 2014 ; il a même parlé d'intégration progressive, invitant les ministres concernés à lui soumettre des rapports : je n'ai pas d'information sur la rédaction de ceux-ci. Je ne peux que le constater.
En ce qui concerne le CSA et la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI), nous n'avions absolument rien demandé à cet égard, mais un rapport qui avait marqué, le rapport de Pierre Lescure, avait proposé que le CSA puisse reprendre un certain nombre des attributions de la HAODPI. Nous avions simplement remarqué que nous étions prêts à en reprendre certaines, si telle était la décision des pouvoirs publics, notamment au regard des capacités importantes et remarquables de veille et d'observation des marchés du numérique assurées par la HADOPI, et pour entrer plus aisément en contact avec quelques grands acteurs du numérique qui pourraient mettre en oeuvre une politique de conventionnement favorable à la création culturelle française et européenne. Nous avions également relevé que nous n'étions pas prêts à prendre en charge, même indirectement, le travail d'une commission qui a pour objet de surveiller le comportement des individus, ce qui n'est absolument pas conforme à l'équilibre et à l'inspiration des tâches du CSA. Les pouvoirs publics ont renoncé à cette perspective. Dont acte !
Quant à la troisième question, mentionnée par certains plus à titre de crainte que de projet, le CSA n'a assurément pas vocation à être un régulateur d'ensemble du Net, mais à rester celui des services audiovisuels au sens le plus moderne et le plus numérisé qui puisse être, le cas échéant. Le numérique englobe aujourd'hui toutes les activités. De façon générale, il me semblerait imprudent, peut-être même pour nos droits et libertés, qu'un seul organisme puisse exercer des fonctions de régulation dans un domaine aussi vaste et dont la croissance est quasiment exponentielle.
Le CSA publie beaucoup de rapports, vous l'avez indiqué. Ceci résulte de la réponse que vous nous avez transmise. De plus en plus de ces rapports sont publiés à l'initiative du CSA. J'en reviens en partie à un propos antérieur : pensez-vous que la multiplication des prises de position publiques du CSA soit souhaitable ?
Les pouvoirs publics nous y invitent en grande partie. Tout d'abord, l'article 18 de la loi qui fixe le contenu de notre rapport annuel mentionne qu'il nous incombe de proposer les adaptations législatives et réglementaires qu'appellerait l'évolution de notre environnement. C'est ce que nous avons fait à nouveau depuis le rapport publié en 2013 sur l'exercice 2012, première année durant laquelle j'ai exercé mes responsabilités. Ceci a été poursuivi les années suivantes.
Ce même article 18 comporte une autre disposition, dont nous n'avons jamais usé jusqu'à présent, qui consiste à donner un avis sur la répartition de la contribution à l'audiovisuel public, et sur la répartition des ressources publicitaires.
Par ailleurs, le rapport nous a invités à faire un bilan de notre activité. Enfin, la loi de 2013, en particulier - mais ce n'est pas la seule - a multiplié les demandes de rapports qui doivent être adressés au Parlement, et en particulier aux commissions parlementaires chargées des affaires culturelles. Je veux parler en particulier des rapports sur les modifications et applications annuelles des cahiers des charges et contrats d'objectif et de moyens s'agissant du secteur public de l'audiovisuel, et du rapport de la situation de ces mêmes sociétés publiques au bout de quatre années d'exercice du mandat de leur dirigeant.
Le Parlement, à chaque fois qu'il a prévu une étude d'impact, l'a assortie d'une consultation publique, qui constitue en quelque sorte, dans le monde des médias, un rapport, si j'ose dire, urbi et orbi.
Revenons-en à des problèmes d'actualité : la loi organique du 15 novembre 2013, relative à la l'indépendance de l'audiovisuel public a rendu au CSA son pouvoir en matière de nomination du président de France Télévisions, de Radio France et de l'audiovisuel extérieur français, France 24.
Du fait de cette décision, ces nominations ne sont plus soumises pour avis aux commissions parlementaires. Considérez-vous que cette forme de nomination soit une avancée en termes de transparence démocratique ?
En ce qui concerne votre observation sur le rôle des commissions parlementaires, il s'agit, comme vous le savez, de l'application d'une décision du 13 décembre 2012 du Conseil constitutionnel relative au Haut Conseil des finances publiques, qui interdit, lorsqu'une autorité administrative ou judiciaire exerce un pouvoir de nomination, que celui-ci soit soumis à l'avis d'une instance parlementaire. Nous ne sommes pas responsable des conséquences de cette décision, ni même à l'origine de celle-ci. Le législateur a prévu que, dans un délai maximal de deux mois suivant sa nomination, la nouvelle présidente ou le nouveau président d'une société publique de l'audiovisuel vienne présenter son rapport d'orientation, c'est-à-dire le projet qu'elle ou qu'il propose pour son mandat.
En ce qui concerne le mode de nomination, le CSA a toujours dit qu'il s'estimait prêt à exercer à nouveau la compétence que, sous une forme quelque peu différente, avec des règles nouvelles, le législateur lui a à nouveau confiée après l'interruption de la loi de 2009. Mais quant aux choix de la procédure, il s'agit bien évidemment d'une question politique, sur laquelle le CSA n'a pas lieu de se prononcer.
Lorsque ces nominations ont été soumises pour avis au Parlement, la procédure mise en place par la loi de juillet 2010 fixait les conditions précises de procédure pour en assurer une réelle transparence. Un délai minimum de huit jours était ainsi prévu entre la proposition de nomination et l'audition publique par les commissions. Quelles règles avez-vous fixé, qui puissent équivaloir à une telle transparence, pour la désignation par le CSA des présidents de ces sociétés ?
Tout d'abord, nous avons strictement appliqué la loi et la jurisprudence constitutionnelle. La loi a prévu de se fonder sur un projet stratégique, qui a mis en place des conditions préalables d'appréciation de compétences et d'expérience. Nous avons mis en oeuvre une procédure que nous avons annoncée par des communiqués de presse successifs, qui ont conduit à un choix très largement ouvert : à la différence des cas précédents, il y a eu, s'agissant de Radio France, douze candidats ou candidates et, s'agissant de France Télévisions, trente-trois.
La question s'est posée de savoir si nous devions rendre publics les noms et les auditions elles-mêmes. En ce qui concerne les noms, nous avons - et c'est la seule différence entre Radio France et France Télévisions - adopté une démarche légèrement différente pour France Télévisions, dans la mesure où plusieurs des candidats qui pouvaient se réclamer d'une très grande compétence et d'une très grande expérience nous ont fait savoir que la condition de leur candidature était que leur nom ne fut pas rendu public par le CSA.
Parmi les sept candidats auditionnés par le CSA, trois d'entre eux, que je ne puis naturellement citer, en ont notamment fait la condition même de la poursuite de leur démarche de candidature.
En ce qui concerne les auditions, nous avons été contraints par la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2000, qui indique très clairement qu'il n'est pas possible de rendre les auditions publiques dès lors que - et je me permets de citer cette décision - « ne serait plus assurée en pareil cas l'entière liberté de parole tant des candidats que des membres du Conseil eux-mêmes, condition nécessaire à l'élaboration d'une décision collégiale éclairée, fondée sur la seule prise en compte de l'intérêt général et du bon fonctionnement du secteur public de l'audiovisuel dans le respect de son indépendance ».
Le Conseil constitutionnel a même relevé que « la publication intégrale de ces auditions et débats pourrait porter atteinte à la nécessaire sauvegarde du respect de la vie privée des personnes concernées ».
Nous sommes tout à fait conscients du problème et, dans une déclaration collective, les huit membres du CSA, le 4 juin 2015, ont à la fois marqué qu'ils assumaient complètement le choix qui avait été le leur, qu'ils n'avaient subi aucune pression et que les délibérés s'étaient déroulés dans la plus totale indépendance, selon une procédure collégialement acceptée, mais qu'une réflexion pouvait assurément être utilement ouverte sur des voies de publicité plus larges, qui pourraient concerner le nom des candidates et candidats, les auditions - à condition que le Conseil constitutionnel ne soit pas conduit à s'y opposer - voire des auditions publiques de tiers intéressés, notamment de différents acteurs de l'audiovisuel.
Nous demandons à cet égard au législateur, selon notre démarche habituelle, de nous indiquer une voie à suivre, et nous pensons qu'il y a lieu de rechercher un équilibre entre le compte rendu, qui est une condition importante de la vie démocratique, et la prévention de toute pression qui pourrait déformer l'appréciation collective que le législateur nous a chargés d'élaborer.
Nous estimons par ailleurs qu'il convient de faire appel à une gamme suffisamment large de compétences et d'expériences.
Je me permets de noter que, même si les rémunérations des sociétés publiques de l'audiovisuel n'ont rien à voir avec celle des autorités administratives indépendantes, nous nous heurtons malheureusement au même problème vis-à-vis de responsables reconnus et compétents des médias ou de secteurs annexes, comme les télécommunications, qui sont extrêmement réticents à l'idée de diviser leur rémunération par deux, trois, quatre, voire plus, pour exercer des responsabilités publiques, aussi éminentes et essentielles pour le pays fussent-elles.
C'est là aussi, me semble-t-il, une question d'équilibre et c'est, je crois, au législateur qu'il incombe de déterminer cet équilibre, auquel le CSA se tiendra strictement.
Vous avez fait référence au communiqué du 4 juin 2015, que j'ai sous les yeux, intitulé : « Nomination à France Télévisions : un choix assumé, un débat pour l'avenir ».
On comprend ce que signifie le choix assumé mais, s'il y a débat pour l'avenir, c'est que la situation actuelle pose problème, sans quoi le communiqué n'aurait pas lieu d'être !
Le débat qui a eu lieu repose à la fois sur des problématiques que je viens de reprendre, dont j'ai exposé la justification, et sur un certain nombre de procès d'intention, qui m'ont même conduit à parler de déstabilisation devant la commission de l'Assemblée nationale.
Le Conseil constitutionnel a lui-même évoqué les différentes pistes que je viens de mentionner, mais ses membres ont ajouté, je les cite : « Nous attirons toutefois l'attention sur le risque, réel, de dissuader des candidatures particulièrement intéressantes pour le bon fonctionnement de l'audiovisuel public, et de mettre en cause la précision, l'authenticité et, finalement, la sincérité des débats. Nous mesurons la difficulté à renforcer la transparence sans fragiliser l'indépendance ». Transparence et indépendance sont un couple précieux, mais qu'il est difficile, parfois, d'unir dans la durée !
Ce pouvoir de nomination doit-il vraiment être confié à une autorité administrative indépendante ? Personnellement, je ne le pense pas. Contrairement au Gouvernement, l'autorité administrative indépendante n'est pas responsable de ses décisions devant le Parlement. Cette question mérite d'être étudiée attentivement.
Madame la présidente, ce principe a été appliqué depuis la Haute Autorité de la communication audiovisuelle. Un principe tout à fait différent a été utilisé entre 2009 et 2013. Je répète qu'il s'agit là de choix du Parlement, et qu'il ne revient pas au CSA de revendiquer ou de refuser de mettre en oeuvre quoi que ce quoi soit en la matière.
Certes, mais vous pouvez nous dire quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés. Le Parlement prend parfois des décisions sans en réaliser les conséquences. On est dans une situation un peu particulière : votre expérience est utile, et la commission d'enquête désire vous entendre sur ce point précis.
Je pense qu'une réflexion serait utile sur la répartition de l'accompagnement de la gouvernance des sociétés publiques. Il revient au Gouvernement, sous le contrôle du Parlement, d'exercer ses activités d'actionnaire et d'autorité de tutelle.
En revanche, le législateur a beaucoup insisté, tout récemment encore, fin 2013, sur la nécessité que le CSA puisse rendre compte au Parlement de l'activité des sociétés publiques de l'audiovisuel, et ce pour une raison fondamentale : le service public de l'audiovisuel est défini par la loi de 1986 modifiée comme la référence de toutes les qualités que le Parlement souhaite voir porter par le secteur audiovisuel. Il a pu lui paraître important, en tant qu'autorité régulatrice, que le CSA en atteste, d'où la série de rapports qui lui sont demandés.
Or, ceux-ci ne portent pas simplement sur les aspects programmatiques des sociétés de l'audiovisuel. En effet, dans la mesure où ils touchent les contrats d'objectifs et de moyens, ou les résultats des sociétés de l'audiovisuel, ils touchent également à des problèmes qui concernent la gestion des ressources humaines ou la gestion de ressources financières.
Il y a, là aussi, un équilibre entre les différentes compétences qui se trouvent exercées : compétence de nominations, qui ne touchent pas que les dirigeants, mais aussi les membres des conseils d'administration en nombre non négligeable - quatre ou cinq selon les sociétés ; évaluation ex ante, à travers les études d'impact et les modifications ou conclusions projetées des contrats d'objectifs et de moyens - il en est un fort important en cours de négociations à Radio France ; évaluation ex post, à travers les bilans annuels ; exécution des cahiers des charges et des contrats d'objectifs et de moyens ; rapport annuel général prévu par l'article 18 de la loi.
C'est un ensemble qui comporte des problèmes d'articulation et d'équilibre. Je crois que l'expérience des sociétés de l'audiovisuel public elles-mêmes, telles qu'exprimée par ses présidentes et présidents, est importante en l'espèce. Ont-elles ou non vocation à être accompagnées par une pluralité d'acteurs, au sein desquels l'autorité régulatrice a naturellement une place importante, où doit-on se trouver dans le cas classique du dialogue entre une autorité de tutelle et une société publique ? Pour l'instant, le législateur a considéré que les sociétés publiques consacrées à la communication audiovisuelle étaient dans une situation particulière, qui devait conduire à préserver au maximum l'autonomie et la largeur de compétences aujourd'hui reconnues à l'autorité régulatrice. Il pourrait en aller différemment si le législateur en décidait ainsi.
Je reconnais bien volontiers qu'il reste des ajustements à opérer en ce qui concerne le suivi de l'accompagnement multiple réalisé par l'autorité de régulation, les corps de contrôle et l'ensemble des administrations chargées de la tutelle : je veux évidemment parler du ministère de la culture et de la communication, du ministère de l'économie et des finances, et notamment de la direction du budget, comme de l'Agence des participations de l'État. Il y a là une pluralité d'acteurs qui invite à la réflexion.
Ce débat ne constitue pas le fil rouge de notre commission d'enquête, mais force est de reconnaître qu'on est passé d'un système où l'on reprochait à l'exécutif politique d'avoir la haute main sur la désignation des présidents de ces sociétés audiovisuelles publiques à un système où l'on a confié cette responsabilité à une autorité publique indépendante, en pensant que cela ne poserait pas de problèmes. On se rend aujourd'hui compte, sans vouloir faire de polémiques, que les débats qui ont suivi certaines nominations sont de même nature, voire pires, que ceux ayant concerné la désignation de M. Pflimlin, qu'il s'agisse de celle de Mme Ernotte, de la décision du Conseil d'État du 17 juin 2015 relative à LCI, ou de la revente de la chaîne Numéro 23. Vous en êtes d'ailleurs conscient : dans le cas contraire, vous n'auriez pas réagi de la manière dont vous l'avez fait.
Vous allez certes nous donner votre sentiment sur l'accumulation et les difficultés liées à ces trois dossiers, mais il s'agit d'une responsabilité collective. Vous l'avez souligné, le législateur a voté des lois. Nous voyons bien, ici, au Sénat, comment les textes arrivent, s'accumulent, et la difficulté à trier le bon grain de l'ivraie parmi les projets de loi, voire les propositions de loi.
Aujourd'hui, le CSA est sur la sellette en raison des dossiers que je viens de citer. J'aimerais donc connaître votre sentiment à ce sujet. Nous ne sommes pas devant un tribunal, mais devant une commission d'enquête, qui travaille sur la question des autorités administratives indépendantes. Comment le président du CSA pense-t-il sortir de cette situation ? Une autorité administrative indépendante et, encore plus, une autorité publique indépendante, pas plus que la femme de César, ne peut être soupçonnée. Vous le savez mieux que quiconque, pour avoir servi l'État depuis toujours.
Cela signifie qu'il existe en la matière un dysfonctionnement. Je n'emploie pas d'autres termes : ce serait discourtois, et je ne dispose pas de tous les éléments pour qualifier la situation, mais cela révèle un problème.
Je voudrais aller dans le sens du rapporteur, en reformulant toutefois les choses : je ne suis pas sûre qu'il faille parler de simples « ajustements ». On doit aussi se poser certaines questions de fond dans cette affaire.
Vous nommez en effet des dirigeants que vous allez contrôler. Le conflit d'intérêts qu'on avait pointé au niveau de l'État, on l'a déplacé vers le CSA ! Une autorité de nomination peut-elle se confondre avec une autorité de régulation ?
Je vais essayer de répondre aussi complètement que possible à ces questions.
Permettez-moi tout d'abord d'insister sur le fait que les trois questionnements que vous avez soulevés sont de nature totalement différente. Tout au long de l'année, le CSA prend des dizaines de décisions plus ou moins importantes, en moyenne une quarantaine chaque semaine, dont certaines très attendues - attributions ou retraits de fréquences, etc. Ces décisions ne donnent lieu ni à polémiques, ni à contestations hors de cercles limités ou directement touchés.
Vous avez mentionné trois difficultés. Je les ai déjà rencontrées depuis deux ans et demi, et je vais les détailler l'une après l'autre.
En qui concerne la première, sur laquelle nous avons déjà échangé quelques observations, je rappelle que le principe qui consiste à confier la nomination aux membres d'un collège d'une autorité indépendante - Haute autorité de la communication audiovisuelle, Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL), puis CSA - remonte à 1982 et a été mis en oeuvre de 1982 à 2009, avant d'être remis en vigueur en 2013. Il n'y a donc, à cet égard, aucune surprise, mais il existe cependant peut-être quelques nouveautés.
En premier lieu, puisque vous avez bien voulu vous-même relever que j'ai été pendant assez longtemps un observateur voire parfois un acteur de la vie publique, permettez-moi de vous dire qu'il existait un certain halo d'incertitudes sur la responsabilité pleine et entière qui reposait sur les membres du CSA. On faisait fréquemment référence au fait que d'autres influences - politiques, économiques - pouvaient jouer, et les très nombreuses démarches effectuées par des candidats pouvaient supposer que leurs interlocuteurs n'étaient pas les seuls membres du CSA.
Cette fois, nul ne peut contester, je pense, que les choix qui ont été réalisés par le CSA l'ont été exclusivement par les membres du CSA, conformément à la loi, dans le seul respect de leur conscience et, comme ils l'ont affirmé dans le communiqué de juin dernier, en dehors de toute pression, qu'elle soit politique, économique ou sociale. L'éclairage diffère donc. C'est un premier point.
En second lieu, je rappelle qu'entre 2009 et 2014, quinze lois successives ont augmenté les pouvoirs du CSA - seize si l'on compte la loi organique. Le CSA d'aujourd'hui n'est donc pas le même que celui d'hier.
Ce n'est pas non plus le même paysage audiovisuel. Nous avons désormais affaire à 240 chaînes conventionnées ou déclarées, à 22 chaînes hertziennes, 15 gratuites, 7 payantes, ou à 549 stations de radio, sans compter les services de média à la demande, les webradios, les web télévisions et les différentes fonctions que nous avons aujourd'hui à exercer.
L'environnement a complètement changé, et l'on peut observer, indépendamment de ces affaires, qui n'ont pas toujours été du meilleur aloi, que la présence du CSA est sans cesse plus intense. Cela s'explique notamment du fait des compétences additionnelles que le législateur a accepté de lui confier.
Jusqu'à présent, j'ai pu le constater en prenant mes fonctions, le contrôle de l'audiovisuel public était à mes yeux assez paradoxalement bien moindre que le contrôle du secteur privé. Avec le secteur privé, c'était pratiquement le CSA qui fixait les règles, notamment via les conventionnements ou la surveillance des déclarations.
En revanche, pour le secteur public, il y avait peu d'examens et peu de contrôles. Nous venons de créer un département consacré au secteur public au sein de la direction des programmes, mais jusqu'alors, lorsqu'on examinait l'organisation du CSA, on voyait que sur 293 agents que comportait le tableau des effectifs, ceux qui s'occupaient à temps plein du secteur public se comptaient sur les doigts d'une main.
C'est un paradoxe, car la loi met aujourd'hui le secteur public de l'audiovisuel, dans ses articles 43 et suivants, au coeur même des fonctions, des missions, des références et des modèles de la communication audiovisuelle. Prévoir un régulateur qui ne s'occupe pas d'abord de l'audiovisuel public me paraît donc comporter une certaine contradiction.
Ces trois changements peuvent expliquer que le contexte a pu substantiellement changer, une fois la compétence des nominations à nouveau dévolue au CSA, en 2013. On est passé d'un système de droit commun relevant de la responsabilité du Président de la République, en vertu de l'article 13 de la Constitution, quel que soit l'organe concerné, à un système reposant sur neuf, puis sur sept personnes.
C'est la loi : les nominations ont été le fait de neuf puis de huit personnes, respectivement pour Radio France et France Télévisions, sans aucune interférence ni pression d'une autorité ou d'une autre. Or, une autorité, ou un groupe - fût-ce un groupe d'intérêts -, privé d'influence, peut éprouver un certain mécontentement.
En ce qui concerne LCI, l'affaire n'est pas de même nature. C'est le Parlement qui a explicitement confié, par une modification de l'article 42-3 de la loi, le pouvoir au CSA de faire passer un service de télévision du payant au gratuit ou du gratuit au payant. Jusqu'à présent, c'était considéré, en vertu de la jurisprudence du Conseil d'État, comme une condition substantielle que le CSA n'était pas habilité à modifier.
Nous avons donc réalisé une première application de la loi. Celle-ci a reposé sur des auditions, des échanges, sur des études d'impact de plus de cent pages rendues publiques, et sur des motivations. Il se trouve que l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État a décidé que ce n'était pas suffisant au regard de ce qu'a voulu le législateur, estimant qu'il fallait procéder en deux temps, c'est-à-dire réunir tout ce matériau à travers des études et des consultations pour élaborer l'étude d'impact puis, à nouveau, rouvrir un débat contradictoire non seulement avec les demandeurs, mais également avec tout tiers intéressé et, à leur choix, sous forme d'auditions ou de contributions. Je signale que tous ceux qui se sont manifestés à propos de l'étude d'impact de la bande 700 ont préféré l'audition à la contribution.
Il s'agit d'une procédure infiniment plus lourde, en deux temps et deux volets, qui se trouve mise en oeuvre par l'application de la décision de l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État, si le législateur confirme cette interprétation. Elle va rendre infiniment plus lente et plus difficile la mise en oeuvre des d'études d'impact, je me permets de le faire remarquer.
C'est un problème de procédure. Nous n'avions pas compris ainsi la volonté du législateur ; nous avons cherché intensément dans les travaux préparatoires : nous n'y avons trouvé aucune indication de cette intention.
Toutefois, la méthode employée par le CSA, à travers les études d'impact, n'a pas été en elle-même contestée. Ces études économiques, programmatiques et éditoriales ont fait l'objet d'un débat public, mais n'ont nullement été mises en cause pour le sérieux et l'approfondissement de ses analyses.
Nous réexaminerons les dossiers de LCI, Paris Première et peut-être aussi, si elle le demande, de Planète Plus, selon les mêmes méthodes, et avec la procédure redoublée que nous a prescrite l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État.
En ce qui concerne la chaîne Numéro 23, je voudrais être extrêmement clair sur deux points.
En premier lieu - et je me permettrai une seconde et dernière fois de me citer moi-même - lorsque j'ai été entendu par les commissions des affaires culturelles des assemblées avant même d'être nommé, j'ai dit que la diversité ne saurait, dans mon esprit, se résumer à une chaîne qui s'en prévalait.
En second lieu, les choix ont été réalisés en mars 2012, mis en oeuvre en novembre 2012, et l'ouverture de ces chaînes a eu lieu le 12 décembre 2012. Je n'exerçais aucune responsabilité au CSA à ces différentes dates, et je ne me considérais pas comme ayant vocation à en exercer. J'ai trouvé comme legs du collège précédent les décisions que je viens de mentionner.
J'ai toujours entendu le président de la chaîne Numéro 23 dire publiquement qu'il n'avait aucune intention de revendre à court terme la chaîne qui lui avait été attribuée. Il l'a répété à plusieurs reprises, et en plusieurs lieux : je puis donc le répéter ici.
Face au contrat annoncé, le CSA a usé des deux voies qui lui sont ouvertes par la loi. La première concerne la vérification des modifications de contrôle opérées en application des alinéas 1 et 2 de l'article 42-3 de la loi. Elle a débouché sur la saisine par le directeur général, en vertu de l'article L. 42-7, du rapporteur indépendant du Conseil d'État, lequel a, presque immédiatement, dans un délai inférieur à 48 heures, notifié les griefs, notamment au vu d'un pacte d'actionnaires, à la société Numéro 23. Il rendra son rapport public très prochainement, comme la loi le prévoit, en laissant un délai minimal de quinze jours, qui ressort des travaux préparatoires, afin qu'il puisse en être discuté par les parties, en particulier lors d'une séance publique au cours de laquelle le rapport sera présenté, la décision étant prise ultérieurement.
Il s'agit du seul cas dans la loi où la mise en demeure ne soit pas prévue. La sanction, le cas échéant, si elle est proposée, est votée par le collège et directement applicable, et constitue un retrait de fréquence.
La deuxième voie est celle de l'agrément ; elle est prévue par le cinquième et le sixième alinéa du même article 42-3.
Les travaux préparatoires sont muets sur les conditions dans lesquelles le CSA doit attribuer ou ne pas attribuer un agrément. Il ne saurait être automatiquement délivré dans un sens ou un autre. Ce n'est pas une politique de guichet, mais d'appréciation.
Nous attendons à ce stade le rapport des services du CSA - mais je ne le connais pas plus que vous - et l'étude d'impact en cours d'élaboration. Il apparaît que l'ensemble des critères qui sont énumérés par les articles 29, 30-1 et 31 de la loi sont susceptibles d'être appliqués.
Nous verrons quelle sera la consistance de l'étude d'impact qui sera élaborée par le CSA ; il va de soi qu'elle sera soumise à la procédure dont je viens de parler, en vertu de la décision de l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État.
Nous ferons en sorte de rendre publique cette étude d'impact le plus rapidement possible, mais la multiplicité des études d'impact auxquelles nous devons procéder, qui touchent en même temps Numéro 23, les décisions relatives à LCI, Paris Première ou d'autres, les conséquences considérables du basculement de la bande 700 et de l'extension des services haute définition liés à l'adoption de la compression MP4, les demandes très nombreuses dont nous sommes saisis par des chaînes concernant W9, D 17, D 8, Chérie 25, font que la charge du CSA est considérable. Cette charge, je vous en donne ici l'assurance, sera menée avec le plus grand sérieux, la plus grande minutie, et dans le respect le plus scrupuleux de la loi.
Vous avez rappelé que le CSA avait fait l'objet de quinze modifications législatives entre 2009 et 2014. Il y a là une responsabilité collective, tant de l'exécutif que du législatif. Je doute que l'on puisse continuer à travailler efficacement à ce rythme.
Nous nous étonnons de la multiplication des autorités administratives indépendante, dont la création est souvent approuvée par le Parlement, mais l'on peut aussi s'étonner du nombre de modifications législatives qui interviennent. C'est une remarque que nous nous faisons les uns et les autres très souvent.
Pour en revenir aux questions récentes qui font débat dans les médias, ce qui est normal s'agissant d'audiovisuel, la presse, que nous lisons, même si c'est parfois sans enthousiasme, a mis en cause des fuites à propos d'un prérapport sur la gestion de M. Pflimlin. Ces fuites posent un certain nombre de problèmes. Il faut donc trouver des solutions qui permettent de sortir cette situation, je le dis avec mesure !
Monsieur le rapporteur, c'est un problème difficile et sensible, et je comprends parfaitement que vous l'abordiez de front. Vous êtes en droit d'attendre que je fasse de même.
Je dirai que l'histoire du CSA et des organismes qui l'ont précédé a été ponctuée de fuites. Certaines ont même touché au secret des affaires. À partir du moment où vous confiez une responsabilité à un organisme collégial et qu'il ne s'agit pas de personnes formées comme de futurs magistrats administratifs, comptables ou judiciaires, sur un certain nombre de principes, ou d'individus - je ne vise personne - dont le métier a consisté pendant des dizaines d'années à se faire la recherche et l'écho d'informations, le risque existe plus au CSA qu'au Conseil constitutionnel ou à l'Assemblée générale ordinaire du Conseil d'État.
Depuis le 24 janvier 2013, date à laquelle j'ai commencé à exercer mes responsabilités, il y a eu deux exemples de fuites - et non des moindres.
Le premier a concerné un rapport que je n'avais même pas encore vu, qui a été élaboré au sein d'un groupe de travail sur la situation de France Télévisions. L'affaire a été reprise selon la procédure habituelle, examinée par le groupe de travail, puis par le collège ; elle a donné lieu à un rapport, qui a pu être critiqué, mais dont je remarque qu'il a été la référence de beaucoup, en particulier en réponse à certaines attaques du président Rémy Pflimlin lui-même.
Le second exemple découle d'un certain nombre d'articles de presse, qui ne peuvent guère laisser de doute sur la provenance des informations qui y sont dévoilées, et a trait au vote qui a eu lieu lors de la désignation de la présidente de France Télévisions.
Je n'ai jamais menacé qui que ce soit de poursuites judiciaires, mais je dois relever que l'article 5 de la loi garantit strictement le secret des délibérations, qui est même protégé par la loi du 16 novembre 2013, qui rappelle que sa transgression est strictement prohibée et punie par le code pénal.
En outre, je rappelle que l'article 40 du code de procédure pénale peut conduire le président, sur demande d'un membre ou de plusieurs d'entre eux, à saisir le juge si la fuite provient d'un de leurs collègues.
Si je peux répondre intégralement de tous mes actes et de toutes les procédures auxquelles je participe, dans le secret des délibérations, je ne suis qu'un membre d'un collège dont j'exerce la présidence, et je n'ai ni autorité, ni vocation à surveiller les conversations, quel qu'en soit le canal, de tel ou tel de mes collègues.
Je n'ai jamais eu d'informations me permettant d'identifier la source de ces indications, vraies ou fausses. Noter une indication n'est assurément pas en confirmer la véracité : c'est simplement en caractériser la nature. Au regard du respect du secret des sources prévu par le législateur, je n'ai personnellement aucun moyen d'user d'une quelconque procédure qui permette d'empêcher ce type de phénomène, au-delà de l'autorité purement morale que l'on voudrait bien me reconnaître.
Faut-il renoncer à une obligation parce qu'en de très rares circonstances, mêmes si elles sont significatives, elle ne paraît pas avoir été observée ? Je ne le pense pas. Je crois qu'elle doit être réitérée, et je fais confiance, par principe et par raison, à la conscience de mes collègues, comme à celle des collaborateurs du CSA, pour respecter la loi.
Il faut se garder d'attacher une importance exagérée à des faits isolés. Cela me rappelle un raisonnement d'une tout autre nature, souvent opposé à l'action du CSA, qui consiste à lui demander pourquoi il contrôle avec une minutie la protection de l'enfance ou de l'adolescence, ou le pluralisme politique, puisque tout est possible et permis sur les réseaux sociaux. Je caricature, mais c'est le même type de problématique : nous devons veiller aux principes et nous assurer de leur respect chaque fois que c'est possible. C'est essentiel, et il y va de la nature et de la portée de la délibération collégiale. Je crois que cette délibération collégiale, au sein du CSA, a beaucoup apporté et continue à beaucoup apporter. Qu'il y ait eu des incidents, c'est incontestable. Ils ne sont pas limités à la période dont j'ai eu la responsabilité. Cela ne doit pas conduire à des conclusions générales négatives.
Monsieur le président, vous nous avez dit que l'environnement du CSA avait totalement changé. Vous excuserez le caractère primaire de mon observation, mais mon impression de téléspectateur est que si le paysage est certes plus encombré, il n'est pas forcément plus divers, et ce qui peut être compris s'agissant de chaînes privées, qui visent d'abord à faire de l'argent, est plus étonnant s'agissant de l'audiovisuel public. Sur le plan culturel, quand on passe les chaînes en revue, on reste souvent sur sa faim !
Vous avez affirmé que vous veilliez à la diversité des programmes. J'aurais souhaité que vous veilliez aussi au pluralisme, non pas seulement en répartissant les temps de parole au moment des élections. En matière culturelle, il s'agit d'un problème bien plus large. Ce n'est qu'une impression, mais vous me direz si vous la partagez ou non.
Pour prendre le problème par un autre bout, j'ai l'impression que les choix s'opèrent entre des personnes qui ont finalement toutes le même profil. Pour vous, c'est une question de compétences, d'expérience, etc., mais on a surtout un sentiment d'uniformité, là où on aurait attendu plus de variété.
Cela me fait penser à la justification que François Léotard avait fournie lorsque TF1 avait été privatisée au profit de Francis Bouygues, qui constituait soi-disant le « mieux-disant culturel ». Je crains que ce ne soit une formule de rhétorique qui entre peu dans les choix qui sont arrêtés. Je souhaite me tromper complètement ; si c'est le cas, vous me rassurerez complètement, je n'en doute pas !
Je crois que, derrière votre intervention, se profilent deux préoccupations majeures, la diversité et la qualité. Les deux sont liées dans votre esprit, me semble-t-il.
La diversité est un problème constant auquel nous nous heurtons. Je rappelais tout à l'heure que nous y consacrerons un colloque cette année. Il s'agit d'un outil de promotion des médias. J'ai parfois employé la formule suivante, ces dernières semaines : « Pour mieux rassembler, il faut plus complètement ressembler ». Un des problèmes que connaissent les médias vient de ce que certaines catégories de la population, même si je n'apprécie guère de tronçonner une population en catégories - classes d'âge, conditions sociales ou d'habitat - ne se reconnaissent pas toujours vraiment dans les émissions qui leur sont proposées.
C'est pourquoi nous avons élaboré un prérapport, que nous avons soumis à une procédure contradictoire auprès des chaînes de télévision, qui sont en train de faire leurs observations. Nous publierons donc un rapport supplémentaire, que nous vous adresserons sur ce sujet, car nous le pensons extrêmement important.
Nous ne pouvons avoir, s'agissant de la représentation de la diversité au sein des programmes des chaînes, qu'un pouvoir de stimulation et d'incitation. Nous entrons dans la semaine du 14 juillet. Nous avons enregistré un message, à l'initiative de notre collègue Mémona Hintermann-Afféjee, ainsi libellé : « Nous sommes la France », qui sera reproduit tout au long de la journée, ainsi que sous des formes de rattrapage tout au long de la semaine, et qui sera également présent sur le site du CSA. Il sera étendu, pour la première année, à toutes les radios - et elles sont très nombreuses - qui veulent bien s'y associer.
Cela marque bien nos limites, car nous n'avons ni l'argent pour financer ces séquences, ni la force juridique pour les imposer. Sans doute d'ailleurs une méthode unilatérale ne serait-elle pas très satisfaisante.
Par ailleurs, lorsque nous nous heurtons à certaines anomalies, nous nous devons de rappeler que la loi nous a confié le pouvoir d'intervenir une fois la diffusion opérée, par crainte, bien évidemment, que nous soyons tentés d'exercer le moindre pouvoir de censure. Ce n'est nullement notre état d'esprit, mais le principe posé par la loi est cardinal.
En ce qui concerne la diversité même des chaînes et des stations à laquelle vous avez fait référence, c'est incontestablement en soi un facteur positif que d'offrir au public une gamme aussi large que possible de programmes. Cela soulève des difficultés, notamment les distinctions entre télévision payante et télévision gratuite, qui sont l'un des grands sujets des médias d'aujourd'hui. On pense en particulier aux retransmissions des manifestations sportives. Il est vrai qu'il peut y avoir des effets de doublon ; on peut avoir l'impression, face à certaines chaînes ou certaines stations dites « généralistes », « mini-généralistes » ou « semi-généralistes » - les spécialistes ne sont pas avares de termes - que la profusion n'est pas nécessairement une garantie de richesse et de liberté de choix.
J'ai personnellement insisté sur le fait qu'il y a, dans l'évolution des médias d'aujourd'hui, en particulier la télévision, un phénomène qui peut être inquiétant dans le passage d'une télévision de l'offre séquencée, programmée, dans sa diversité affichée par les différentes chaînes, à une télévision à la demande, façonnée selon les penchants antérieurement exprimés par les téléspectateurs, en particulier par l'application d'algorithmes plus ou moins complexes, susceptibles d'enfermer et de cloisonner ceux-ci dans des goûts supposés être les leurs, par nature et dans la durée, en les privant de l'ouverture, de la curiosité intellectuelle et de l'envie de voir ce qu'ils n'ont pas eu immédiatement la tentation de regarder.
Vous avez tout à fait raison : la profusion n'est pas une garantie en elle-même. Elle doit s'allier à un souci de qualité. Cette interrogation, vous l'avez aussi souligné, est au centre de nos réflexions sur la télévision publique. Je rappelle qu'en 2014, nous avons rédigé un rapport particulier sur la programmation culturelle à la télévision publique. « L'été et la nuit » est le titre de l'étude assez connue d'une personnalité sur la tentation de remplir ses obligations à des moments de faible écoute. On la retrouve chez beaucoup de nos interlocuteurs, en particulier dans des radios ou des chaînes musicales.
Nous devons sans cesse nous focaliser sur des problèmes qualitatifs plutôt que quantitatifs. C'est la raison pour laquelle la régulation me semble irremplaçable, car la réglementation ne peut fixer que des quotas généraux, permanents, stables, lesquels donnent lieu à des tentations d'évasion dans leur application concrète, alors que la régulation, réactive, interactive, immédiate, mobile, permet un véritable dialogue, fut-il un dialogue a posteriori qui permette d'orienter pour le futur les politiques des différentes chaînes et stations.
Reste que nous devons respecter la responsabilité éditoriale des chaînes et des télévisions. Si nous souhaitions nous faire programmateurs à la place des programmateurs, il nous serait justement reproché d'aller au-delà de nos pouvoirs d'autorité administrative indépendante.
Quant à la diversité des dirigeants, on a tendance à se focaliser en particulier sur le dirigeant principal de telle ou telle société, ou de tel ou tel groupe. Il existe des compétences variées - gestion financière, humaines, économique - des compétences de programmation, d'antenne, d'information. Le rôle d'un groupe important, quel qu'il soit, est de faire se réunir et s'agréger, pour la plus grande qualité possible des programmes, ces différentes compétences.
La désignation d'un président ou d'une présidente à la tête d'un grand groupe ne vaut pas garantie pour la programmation de telle ou telle des chaînes du bouquet de ce groupe.
On a quand même l'impression que c'est un jeu des chaises musicales ! Ce sont toujours les mêmes qui se partagent les responsabilités. C'est un vrai problème.
Y a-t-il une différence entre l'audiovisuel public et le privé ? Qu'est-ce que cela aurait d'extraordinaire pour l'audiovisuel public que d'autres règles que celle de l'audience ou du marketing influent sur le choix de la programmation ?
Il ne s'agit pas uniquement de faire respecter la loi dans le secteur privé ! La commission de la concurrence est là pour s'en occuper ! C'est bien parce qu'il s'agit d'un domaine particulier que l'audiovisuel bénéficie d'une instance spécialement chargée du sujet. Veiller au respect des règles de la concurrence n'est pas un problème spécifique à l'audiovisuel ! Les fréquences sont un bien public : c'est bien là le fond du débat...
Certainement.
Le débat que vous soulevez est d'une telle ampleur qu'on ne peut y apporter que des éléments de réponses.
Tout d'abord, je note que l'un des reproches essentiels qui a été fait à la désignation de la future présidente de France Télévisions est qu'elle n'a pas exercé de responsabilités équivalentes dans l'audiovisuel public ou privé. Cela démontre que le réflexe général a été précisément contrebattu par le CSA, qui a voulu choisir une personnalité dont les qualités étaient incontestables, et qui, précisément, apportait une expérience nouvelle dans le métier. Il a été rappelé à cette occasion que M. Meheut n'exerçait aucune compétence dans l'audiovisuel lorsqu'il a reçu les responsabilités qui sont les siennes au sein du groupe Canal Plus, pas plus que M. Le Lay au sein du groupe TF1. Par conséquent, allier la compétence et la diversité n'est absolument pas contradictoire : c'est un argument qui pourrait être versé au débat qui a eu lieu ces dernières semaines.
En ce qui concerne l'évaluation de la qualité, je me permets de me référer au projet stratégique de Mme Ernotte, qui a été rendu public. Celle-ci insiste sur la nécessité de privilégier le « qualimat » sur l'audimat, et de mettre en oeuvre un baromètre de satisfaction.
Pour ce qui est des chaînes privées, il m'est plus difficile de vous répondre : comme vous le savez, les chaînes gratuites dépendent des ressources publicitaires. C'est d'ailleurs l'un des éléments fondamentaux de la problématique, qui a été débattu à propos de LCI, de Paris Première, et de Planète Plus.
Pas plus que dans un autre métier, on ne peut s'improviser dans une fonction aussi difficile que celle de responsable d'un groupe de l'audiovisuel, mais je crois comme vous que cette sorte de fonctionnement en vase clos, qui peut transparaître à travers le discours de certains acteurs - je ne parle pas que des éditeurs - n'est pas nécessairement un gage de qualité, de renouvellement, ni d'inventivité dans la durée. La création culturelle est très largement fondée sur l'innovation, ce que reflète, en ce qui concerne France Télévisions, le diagnostic porté par la future présidente de ce groupe.
Quelle appréciation portez-vous sur les programmes, sur leur nature et leur contenu, ainsi que sur les éventuels conflits d'intérêts entre des sociétés qui sont l'objet de grandes commandes de l'État et qui possèdent des chaînes importantes dont la diffusion est extrêmement large ? Cela conduit-il à des perversions et à des dérives en matière de programmes que vous êtes capables d'apprécier, voire de corriger ?
Je comprends que la réponse puisse être difficile ; malgré tout, c'est une question permanente qui se pose sur la possibilité de disposer de grands médias, tout en étant dépendant de l'État pour d'autres activités.
En second lieu, pensez-vous que vos missions seraient moins efficaces et que leur exercice serait moins aisé si, au lieu d'être installés à Paris, vous vous trouviez à Rennes, Brest, Limoges ou Montpellier ? Quelle est la raison qui exige que vous soyez à Paris ? Quelle en est la plus-value, alors que vous pourriez participer à l'aménagement du territoire, et connaître un autre terrain que celui que vous fréquentez habituellement ? Vos missions en seraient-elles plus difficiles ?
Ce sont là deux questions très différentes.
La première a trait au problème général des cumuls au sein des médias et en dehors des médias. Cette question a connu des législations successives. La dernière remonte à 1994. Elle a régi ce que l'on appelle le « plurimédia » ou « transmédia », et les cumuls de responsabilités. Il existe des plafonds de concentration aussi bien en matière de télévision, quant au nombre des chaînes - sept -, ou quant à l'importance de l'audience, qu'en matière de radio. C'est l'objet d'un rapport transmis récemment au Parlement. Le problème a été débattu à plusieurs reprises dans la vie publique de savoir si certaines activités étaient ou non conciliables.
Vous me permettrez de vous répondre sur ce point que c'est une question éminemment politique, et que le CSA n'a vraiment pas à se prononcer sur la capacité d'un groupe implanté dans les médias à s'engager dans d'autres activités : il sortirait complètement de ses compétences !
Ma question n'était pas celle-là !
Je comprends fort bien que ce ne soit pas de votre responsabilité, ni de votre compétence, mais ressentez-vous vous-mêmes une certaine influence sur le contenu des programmes et sur ces programmes eux-mêmes du fait de ces concentrations ?
Ma réponse va peut-être vous décevoir, mais je ne puis en donner d'autres : la question n'a jamais été délibérée au sein du collège du CSA. Aucun fait précis ne nous a conduits à nous interroger sur cette question.
Si c'est mon opinion personnelle que vous me demandez, je suis forcé, tout en ayant conscience d'être devant une commission d'enquête, de respecter le devoir de réserve lié à mes fonctions. Je ne peux, en tant que président du CSA, me livrer devant vous à des appréciations à caractère purement personnel.
En ce qui concerne la territorialisation, il existe des raisons objectives pour qu'il existe un établissement principal en région parisienne. Cela tient tout simplement au contact physique et concret avec l'ensemble de nos interlocuteurs. Les pouvoirs publics, qui sont très importants pour nous, sont installés en région parisienne. L'ensemble des sièges des grandes sociétés nationales de radio et de télévision le sont également. D'ailleurs, notre implantation à Issy-les-Moulineaux, qui est limitrophe du XVe arrondissement, nous permet d'être voisins d'un certain nombre de sociétés, comme l'Institut national de l'audiovisuel (INA), France Médias Monde, Eurosport, Orange, Bouygues, qui pratiquent des activités semblables ou voisines de la sphère de la régulation qui est la nôtre.
En revanche, je suis persuadé que le CSA ne doit rester, ni dans les faits, ni en image, comme une institution parisienne. C'est une institution des territoires. C'est pourquoi, depuis que j'ai pris mes responsabilités, j'ai porté constamment l'accent sur l'importance du rôle des comités territoriaux de l'audiovisuel. Mon souci, avec le directeur général et le directeur général adjoint, est d'accroître sans cesse leurs compétences et leurs moyens.
Je vous en donnerai comme exemple le fait que nous venons de leur transférer, outre les compétences en matière de radio locale, les compétences en matière de télévision locale. Tout ce qui est territorial, dans le monde de la radio et de la télévision, doit relever au premier chef des comités territoriaux de l'audiovisuel. Nous venons d'abandonner une pratique qui avait cours jusqu'à présent, qui permettait de contredire une décision du comité territorial de l'audiovisuel, de l'inviter à en prendre une nouvelle, différente de la première, et conforme à l'orientation que nous lui donnions.
Chacun doit détenir ses propres responsabilités. Le principe veut que c'est le comité territorial de l'audiovisuel qui décide. Il le fait dans plus de 95 % des cas. Lorsqu'il y a une différence d'appréciation, qui peut parfaitement s'expliquer du fait d'une contradiction entre une optique locale et une optique nationale de la régulation, le CSA doit prendre ses responsabilités, évoquer l'affaire et décider de ce qui lui paraît approprié.
Je voudrais que vous preniez conscience du fait que l'argument que vous venez d'employer relève de la logique qui préside à toutes les concentrations ! Cette nécessaire promiscuité aboutit inévitablement à rassembler autour d'un même pôle tous ceux qui doivent travailler ensemble. Avec cette logique, il faudrait que toutes les mairies quittent leur commune pour s'installer près du ministère de l'intérieur, parce qu'il existe de nécessaires voisinages...
Je sais que je ne vous apprendrai rien, mais le législateur a voulu que les comités territoriaux de l'audiovisuel soient des échelons déconcentrés du CSA : ce ne sont pas des mairies ! Si le législateur décide de créer des conseils régionaux, des conseils départementaux, et des conseils communaux de l'audiovisuel, cette décision sera appliquée.
Toutefois, cela se produit souvent au détour de tout un tas de textes. La difficulté est de tout rassembler et d'avoir une vue globale des choses.
Assurant le suivi des crédits du programme 308 pour la commission des finances, je voudrais évoquer quelques questions financières et matérielles.
Vous avez rappelé que le budget du CSA avait diminué de 13 % depuis 2013 ; cela correspond à l'effort qui est demandé à l'ensemble des administrations publiques, aux collectivités locales et à beaucoup d'autres partenaires : il faut en effet que l'argent public soit géré avec la plus grande rigueur possible.
Or, j'observe qu'en ce qui concerne l'exercice 2015, le budget du CSA augmente assez significativement, passant de 35,7 millions d'euros en 2014 à 38,1 millions d'euros en 2015, s'agissant des crédits de paiement. Comment justifiez-vous cette augmentation importante ?
Le rapporteur a par ailleurs évoqué un certain nombre d'articles parus dans les médias dans différentes affaires. Vous avez bien voulu nous apporter un certain nombre d'explications sur les dossiers en cours. Je me rappelle, l'année passée, qu'un hebdomadaire satirique paraissant le mercredi avait évoqué la manière dont s'opéraient vos déplacements en province. Pourriez-vous nous apporter des explications à ce sujet ?
Enfin, disposez-vous d'un cabinet ? Si tel est le cas, de combien de personnes est-il composé ? Quelles sont ses fonctions précises ?
L'augmentation dont vous parlez est optique : elle tient à notre transformation en autorité publique indépendante, qui nous conduit à acquitter la taxe sur les salaires. C'est une mesure d'ordre décidée dans le cadre de la négociation budgétaire.
En ce qui concerne les deux déplacements dont il a été question, il s'agit de déplacements qui, l'un pour des raisons liées à une prise de parole nécessaire, pour laquelle je suis malgré tout arrivé avec une demi-heure de retard, et l'autre pour des raisons d'éloignement, rendaient l'utilisation de la voiture de service dévolue aux besoins du président dans l'exercice de ses fonctions parfaitement justifiable et financièrement équilibrée par rapport à des frais de location ou de taxi, à mes yeux comme à ceux de la direction générale. Je souligne que je n'utilise bien entendu ce véhicule que dans l'exercice strict de mes fonctions.
En ce qui concerne le cabinet, je relève tout d'abord que c'est un problème de choix des affectations à l'intérieur du tableau des emplois. Cela n'a rien à voir avec la problématique que je connais un peu, et sur laquelle j'ai écrit quelque peu, des cabinets ministériels, pour lesquels on ajoute des ressources supplémentaires en faisant appel à des compétences extérieures de la fonction publique, ou même d'ailleurs.
En quoi consiste-t-il, ce fameux cabinet ? Il comporte un directeur de cabinet, comme c'était le cas pour MM. Bourges et Baudis. J'ai pensé qu'il était utile qu'un fonctionnaire des services de très grande qualité vienne me seconder, car l'expérience publique m'a appris que le lien entre l'administration et le collaborateur personnel du président est très important pour la connaissance de l'administration dans sa diversité et sa qualité. Ce cabinet compte également un chef de cabinet pour organiser les très nombreuses manifestations auxquelles nous participons, un conseiller ou une conseillère pour la communication, qui est d'ailleurs la même que pour mon prédécesseur, et de grande qualité, enfin un chargé de mission, qui m'aide à rassembler la documentation nécessaire aux prises de parole que je suis conduit à effectuer en général plusieurs fois par semaine.
J'ajoute que, par rapport à d'autres autorités, le milieu des médias est très particulier. Je dois avoir des contacts permanents avec l'ensemble des pouvoirs publics et des médias. Quant à la communication, comment imaginer que le CSA puisse être privé d'un conseiller ou d'une conseillère chargée de la communication ?
Vous avez évoqué à l'instant les télévisions locales. On a l'impression que ce modèle est aujourd'hui à bout de souffle. Dans le Sud, Télé Toulouse vient de fermer, après les chaînes locales de Montpellier et de Marseille. Certains acteurs émettent vaguement la volonté de reprendre les fréquences, sans qu'un modèle ne se dessine aujourd'hui très clairement. Pensez-vous qu'il en existe aujourd'hui un permettant de faire vivre les réseaux de télévision locale ou est-ce derrière nous ?
S'agissant du rôle du CSA en matière d'éthique, je trouve, à titre personnel, qu'il existe une grande variété de chaînes par rapport au passé, mais je trouve les chaînes d'information en continu aujourd'hui extrêmement critiquables du point de vue déontologique. Les choses vont de plus en plus vite et les informations sont de moins en moins contrôlées. On assiste à une course effrénée, dont l'impact est considérable sur les réseaux sociaux, qui servent de relais. Cela renvoie une image très négative et maintient une chape de plomb sur le pays. Quand on regarde CNN ou la BBC, où les informations sont justes, on n'a pas cette impression. Étudiez-vous cette problématique ? Quelles règles éthiques demandez-vous à ces chaînes d'appliquer ?
Les télévisions locales sont d'une très grande importance, et la place qu'elles occupent me frappe à chaque fois que je me déplace sur le territoire.
C'est un monde économiquement très instable, qui connaît beaucoup de disparitions, mais aussi beaucoup de naissances. Depuis le début de l'année, nous avons fait quatre appels d'offres. À chaque fois, des candidats ont été susceptibles d'être retenus, mais toutes les procédures ne sont toutefois pas allées à leur terme.
Récemment, en Île-de-France, la renonciation à une fréquence par le groupe NRJ a donné lieu, dans un premier temps, à treize puis à onze candidatures. Nous avons passé toute une journée à auditionner les candidats, qui montraient des ambitions, des vocations et des appétits divers et variés. Il ne faut donc pas être trop pessimiste.
En revanche, il faut avoir conscience de la très grande fragilité de ces télévisions locales et, en particulier, de leur dépendance, au centre des débats à propos de Télé Toulouse, par rapport aux collectivités publiques qui les soutiennent plus ou moins : elles sont, elles aussi, aujourd'hui frappées par les contraintes des finances publiques - vous le savez mieux que quiconque.
L'appétit et le dynamisme demeurent, mais l'environnement est de plus en plus difficile. Je voudrais, sur ce point, insister sur la préoccupation qui s'est fait jour au sein du CSA concernant une meilleure coordination entre les stations régionales, qui comportent parfois des antennes départementales de France 3, et les chaînes de télévision locale. Il existe parfois de très bons exemples de coordination, mais aussi une certaine ignorance, voire des affrontements feutrés.
Il ne faut cependant pas renoncer à soutenir les télévisions locales, qui sont fondamentales pour faire vivre les territoires. Accepter leur repli, c'est s'inscrire dans une optique générale à laquelle je sais à quel point votre Haute Assemblée est hostile, à juste titre.
La problématique à propos de laquelle vous posez une question a été très présente dans l'étude d'impact concernant LCI. J'ai d'ailleurs noté des déclarations de dirigeants de TF1 qui ont fait savoir que, s'ils présentaient au CSA de nouveaux projets, ce serait dans une optique éditoriale différente. C'est une marque du débat que vous venez de soulever.
Il est sûr que l'absence de recul, la recherche de recettes publicitaires, la concurrence des réseaux sociaux, sur laquelle les intéressés insistent beaucoup, fait qu'il existe une tentation d'information à tout prix. Celle-ci peut être à nos yeux, dans certains cas, déviante.
Un contentieux devant le Conseil d'État est en cours, et je ne sais ce que celui-ci dira, mais nous avons affirmé que, pour une chaîne publique, montrer les derniers instants d'un policier assassiné et faire entendre ses cris de grâce était attentatoire à la dignité humaine - même s'il nous a été répondu que CNN ou Al Jazeera faisaient la même chose.
Nous avons pensé qu'indiquer la présence de personnes que ne connaissaient pas des assassins dans des locaux qu'ils occupaient, ou de personnes susceptibles d'être prises en otage, montrer un assaut dont risquait de dépendre la vie d'autres personnes pouvait constituer une atteinte à la préservation de la vie d'autrui, à la sauvegarde de l'ordre public, ou encore à la dignité de la personne humaine.
Nous n'avons pas entendu beaucoup de voix, en dehors du CSA, s'élever pour le dire ! Cela ne nous désoriente pas, mais nous confirme dans la vocation singulière et peut-être irremplaçable du CSA, qui est d'attirer l'attention sur les déviances et les anomalies possibles, heureusement rares, susceptibles de se manifester. Nous le faisons dans l'exercice de notre responsabilité collective, et sous le contrôle du juge.
Même si aucun sondage n'est paru sur ce point, cela peut correspondre à une sensibilité du public, pour lequel la responsabilité éditoriale, tout comme pour nous, est fondamentale. Ce qui différencie une chaîne de télévision, quelle qu'elle soit, quel que soit le type d'informations qu'elle produit, d'un réseau social sur lequel on poste des messages ou des vidéos, c'est la responsabilité éditoriale, qui consiste à analyser, à étudier, à sélectionner et à présenter les informations que l'on diffuse !
Le fait que vous estimiez que le CSA ait été assez seul à réagir à propos de certains comportements des chaînes d'information en continu à la suite des attentats terroristes constitue un message clair.
Toutefois, le CSA a les moyens d'agir, qui sont prévus par la loi. Ceux du Parlement sont relativement limités, y compris vis-à-vis de chaînes publiques comme France 3, lorsqu'elles vomissent sur le Sénat ! Même si vous avez réagi à ce sujet, on ne peut pas dire que les réactions de la Haute Assemblée vis-à-vis de la chaîne ont été suivies d'un quelconque effet !
Monsieur le président, je vous remercie d'avoir répondu à nos interrogations.
Merci à vous.
La réunion est levée à 18 heures 13.