Intervention de Marie-Ève Aubin

Commission d'enquête Autorités administratives indépendantes — Réunion du 8 juillet 2015 à 14h40
Audition de Mme Marie-Eve Aubin présidente de la commission des sondages

Marie-Ève Aubin, présidente de la commission des sondages :

On peut, de prime abord, s'interroger sur les motifs de l'existence d'une commission chargée des sondages. Comme vous l'avez précédemment indiqué, celle-ci a été créée en 1977 à une époque où l'on craignait que les sondages électoraux, alors fort peu nombreux, n'influent sur la sincérité des scrutins. On le pense d'ailleurs toujours, sans savoir comment s'exerce cette influence car il est impossible d'avoir une élection avec sondage et de la refaire ultérieurement sans sondage, afin d'évaluer les éventuelles différences entre elles. On ne mesure d'ailleurs pas l'influence des sondages sur l'opinion et les électeurs : en effet, ces derniers suivent-ils l'opinion de la majorité des sondés ou, au contraire, se portent-ils au secours des candidats défavorisés par les sondages ? Personne ne le sait ! La prévention des manipulations a ainsi présidé à l'instauration de cette commission laquelle n'était pas, au moment de sa création, une autorité administrative indépendante. Certes, elle en était peut-être une, à l'instar de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, mais sa date de création est antérieure à l'émergence de la notion d'autorité administrative indépendance dans le paysage juridique français.

On peut s'interroger encore aujourd'hui sur la nécessité de cette commission qui n'a pas, à ce jour, été remise en cause. À cet égard, une proposition de loi d'initiative sénatoriale, qui n'a pas été votée par l'Assemblée nationale, visait à lui conférer davantage d'importance et de compétences et à accroître son coût pour la République.

Vous pourriez penser que je demeure sceptique sur l'utilité de la commission des sondages et ce, bien que je la préside depuis deux mandats et que je viens d'être nommée pour un troisième, soit au total pour une durée de neuf années. Cette commission a joué un rôle très important pour réguler l'activité des instituts de sondage qui sont en faible nombre. En outre, les sondages électoraux et politiques ne constituent, au final, qu'une petite partie des activités de ces entreprises. On constate également une grande volatilité des responsables de ces instituts qui passent d'un institut à un autre et sont clairement identifiés par notre commission. D'ailleurs, les problèmes que rencontre la commission proviennent moins des instituts de sondage que de ceux qui achètent les sondages et de leur interprétation.

Je rappelle que le champ de compétence de la commission est limité et concerne les sondages électoraux, c'est-à-dire ceux qui ont un lien direct ou indirect avec une élection, référendums compris, qui scande la vie politique de notre pays. Nous donnons un sens de plus en plus étendu aux liens indirects et surtout, plus l'élection approche, plus la commission considère qu'un sondage a un lien avec ladite élection. Nous avons ainsi pris l'habitude de contrôler les sondages qui précèdent les élections primaires des partis politiques.

Le nombre de sondages a augmenté de manière significative depuis la création de la commission en 1977. L'élection présidentielle donne lieu, bien évidemment, au nombre le plus conséquent de sondages. Ainsi, l'élection présidentielle de 2002 donna lieu à un peu moins de 200 sondages, tandis que celle de 2012 en a suscité plus de 400, soit plus d'un sondage par jour pendant la période qui a précédé le scrutin. D'autres élections, comme celles européennes, donnent lieu à peu de sondages, tandis que d'autres, comme celles régionales, tendent à générer un flux de sondages de plus en plus important, comme vous avez pu le constater dans la presse.

Le rôle de la commission est de faire respecter un certain nombre de règles par les instituts de sondage qui doivent d'abord se déclarer à la commission. Outre les grands instituts de sondage, d'autres sociétés, de taille plus modeste il est vrai et à l'occasion d'élections plus locales, peuvent être créées. Celles-ci doivent aussi déclarer leur existence à la commission.

S'agissant de la conception des sondages électoraux, notre commission contrôle la qualité des échantillons retenus en appréciant, au niveau sociogéographique leur représentativité : répartition par sexe, par âge, par profession et en fonction du lieu de résidence. Surtout, nous veillons à la représentativité politique des échantillons, qui s'avère une question extrêmement délicate. Les instituts de sondage interrogent leur public sur leur souvenir de votes et ils procèdent à ce que l'on nomme des redressements, c'est-à-dire qu'ils pondèrent les réponses obtenues afin d'affiner la représentativité de leur échantillon. Cette démarche demeure très technique et fournit l'un des objets sur lesquels notre commission exerce son contrôle. Elle veille également à ce que le libellé des questions n'influe pas les réponses qui y sont apportées et que les instituts n'occultent pas les limites de leurs sondages, s'agissant notamment des marges d'erreur. J'ai d'ailleurs été étonnée par un sondage qui a récemment eu lieu en Grèce, et qui a depuis lors été démenti par les résultats du référendum. En effet, celui-ci atteignait un niveau de prévision totalement impossible à obtenir ! Ainsi, les marges d'erreur sont d'autant plus grandes que les scores sont rapprochés.

Quels sont les moyens dont dispose notre commission ? Comme vous l'avez indiqué dans votre intervention liminaire, Madame la Présidente, notre commission compte trois membres titulaires et trois suppléants issus de chacune des hautes juridictions. Son secrétariat général est assuré par l'un de mes collègues du Conseil d'État. En outre, nous disposons d'un secrétariat permanent, assuré par un attaché du ministère de la justice. Hiérarchiquement, nous dépendons - encore faut-il relativiser cette expression puisque nous sommes une autorité administrative indépendante - du ministère de la justice puisque sa nomination procède d'une décision du garde des Sceaux. En outre, trois experts statisticiens assurent l'expertise de chaque sondage. Ainsi, lorsqu'un institut réalise un sondage, il doit adresser préalablement à la commission une notice technique précisant les modalités de sa démarche.

Quelles sont nos méthodes de travail ? Chaque fois qu'un sondage est publié ou sur le point de l'être, nos experts l'analysent afin d'examiner sa conformité avec la doctrine qui est la nôtre. S'il apparaît que le sondage n'est pas conforme, par exemple parce que l'échantillon est trop peu nombreux, ou parce que les questions n'ont pas été posées dans un ordre convenable, ou encore parce que les redressements politiques ne sont pas conformes, notre arme suprême consiste en une mise au point. Nous convoquons l'institut de sondages pour lui demander de s'expliquer et si ses explications ne convainquent pas la commission, nous publions une mise au point, qui est notre arme atomique en quelque sorte. Cette possibilité fait très peur aux instituts de sondages - les organes de presse n'aiment pas cette mise au point non plus, car ils doivent publier un communiqué indiquant que la commission des sondages a estimé que le sondage n'est pas représentatif, pas fiable.

Si la commission rencontre peu de difficultés avec les instituts de sondage, la situation est plus difficile avec les commanditaires, et notamment avec la presse. Après l'effet de choc recherché par un sondage, la commission des sondages se réunit dans l'urgence - les membres sont généralement convoqués le matin pour l'après-midi - mais la mise au point est publiée dans un petit coin du journal... Mais je vous le répète, les instituts de sondage n'aiment pas ça.

Néanmoins, nous faisons très peu de mises au point, nous procédons beaucoup par recommandations, admonestations, lettres de réprimande. Nous disposons de méthodes assez pacifiques de régulation.

Nous ne pesons pas beaucoup sur le budget de la République : le président et le secrétaire général perçoivent une petite rémunération et les experts sont payés à la vacation. Les membres perçoivent également une indemnité lorsque la commission se réunit, dont le montant a été fixé en 1977. Ces sommes sont prélevées sur le budget du Conseil d'État, je ne sais pas pourquoi.

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