Intervention de Marie-Christine Blandin

Réunion du 29 juin 2011 à 14h30
Certificats d'obtention végétale — Discussion générale

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin :

La France semble se tenir à l’écart de la brevetabilité du vivant, mais elle évolue dans un environnement européen et mondial plus complaisant aux aspirations des multinationales.

Une première raison de regarder ce texte, c’est donc de voir sur quels intérêts il veille.

Depuis Beaumarchais, la France défend la propriété intellectuelle, dont je rappelle les deux volets en matière de création artistique : le droit moral, qui reconnaît le créateur, et le droit patrimonial, qui engendre rémunération.

En matière d’innovation technologique, le brevet protège l’inventeur et informe en partie le citoyen.

Mais, en matière d’obtention végétale, nous entrons dans la complexité d’une œuvre collective, dont il ne faudrait pas que seul le dernier acteur devienne ayant droit.

Une deuxième raison d’évaluer ce texte, c’est donc de voir s’il prévoit la juste part de revenu, et pas plus, pour l’obtenteur.

Enfin, jamais les droits d’auteur n’ont empêché d’autres peintres de se nourrir des mêmes sources d’inspiration. Et jamais prix Nobel n’a revendiqué qu’après lui plus personne ne se penche sur la résonance magnétique ou la lumière cohérente, à moins de lui verser des royalties.

Le vivant ne saurait être un domaine dans lequel seul le marché ferait la règle. Tel est le troisième critère du débat.

Alors, que vend-on ?

Il a fallu 3, 5 milliards d’années d’interactions du vivant pour engendrer la diversité génétique, cette palette de possibilités et d’expressions de caractères. Cela ne saurait être la propriété de quiconque !

Puis, les sociétés paysannes ont identifié, sélectionné, transporté, échangé durant quelques dizaines de milliers d’années.

Ce savoir collectif a contribué à la survie et à faire civilisation.

Convenons-en aussi, ce bien commun naturel et culturel ne saurait être confisqué : il est patrimoine de l’humanité. Le « découvreur » d’une variété ne saurait se l’accaparer !

Mais alors, de quoi parlons-nous ici ? D’un travail « d’obtention », c’est-à-dire d’une mise au point par reproduction d’une variété végétale si sélectionnée qu’elle en devient « distincte, homogène et stable ».

Tout travail mérite rémunération. Tout service vendu mérite rémunération.

Je dis bien le « service » et non la matière, car, nous l’avons démontré, la matière vivante première, fruit de l’évolution et des sociétés, appartient à tous.

Mais quel est le « service » ? Une garantie d’uniformité des graines, l’assurance de plantes conformes à la description.

Cela peut rassurer les cultivateurs soucieux d’orienter leur production vers tel ou tel type de céréales. Cela convient aux distributeurs et publicitaires chargés de promouvoir ces « nouveautés ».

Mais la tendance à la réduction des types de plantes et grains comestibles que nous observons depuis que les firmes semencières sont à l’œuvre et harcèlent le législateur pour gagner des droits ne va pas forcément dans le sens de l’intérêt général.

En effet, la fixité souhaitée des caractères, exigée pour l’inscription, tend davantage vers le clone que vers la biodiversité et mérite mal son appellation de « variété ».

Or l’humanité a besoin de diversité : c’est un facteur d’adaptation au climat, au sol, à l’hygrométrie. Si la nature avait été aussi rigide que le cahier des charges de l’UPOV, eh bien, l’humanité ne serait plus là !

Si vous vendez une invention, un moteur hybride et qu’un utilisateur ou un concurrent la reproduise, il y a acte de spoliation. Mais les firmes semencières ont beau faire, la nature réveille toute seule ses fonctions vitales, et du grain semé sort une plante qui porte des grains que l’on peut ressemer !

Heureusement, en France, un certain sens de l’éthique a garanti les semences fermières.

Ces limites vertueuses à la mainmise de quelques-uns sur le vivant et à la négation du métier de paysan doivent être consolidées, et non fragilisées.

C'est pourquoi je trouve inacceptable que les articles 3 et 14 entravent les autres pratiques, celles des paysans qui échangent régulièrement de petites quantités de semences, renouvelant la variabilité des populations indispensable à l’adaptation aux milieux.

Il est du devoir du législateur de garantir le respect des droits de l’ensemble des acteurs, petits ou grands, ainsi qu’un modèle agricole durable tel que les générations futures pourront disposer de ressources nécessaires à leur alimentation.

En conclusion, les écologistes pensent que nous avons besoin d’une recherche ambitieuse, attentive aux différences des territoires, à l’humus, à l’emploi rural et au climat à venir.

La légitimité de l’obtenteur doit se limiter à la vente d’un service, qu’il ajoute à un bien commun. Pour ce service, et seulement pour ce service, il mérite rémunération.

Le champ de ses prérogatives ne saurait donner la règle pour les autres semences qui sont utilisées et qui circulent.

Les intérêts ici défendus ne sont pas, en l’état du texte, ceux de tous les paysans, ni ceux des générations futures, dont l’alimentation dépendra de la souplesse d’adaptation et de la réelle variété, sans jeu de mots, des céréales, légumes et fruits, ce qui ne figure pas actuellement parmi les priorités des industries semencières !

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