Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Réunion du 20 juillet 2015 à 16h00
Dialogue social et emploi — Adoption en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Baptiste LemoyneJean-Baptiste Lemoyne :

… ce qui me va droit au cœur, je ne puis pour autant renoncer à lire ce que j’avais écrit.

Force est de constater que si le dialogue social que vous envisagez est à l’image du dialogue entre le Gouvernement et le Sénat, nous sommes assez « mal barrés », si vous me permettez cette expression.

En effet, les conditions d’examen de ce projet de loi depuis notre première lecture relèvent du coup de force permanent. Je passerai sur la procédure accélérée. En revanche, la CMP qui se réunit deux heures seulement après le vote solennel du Sénat, comme l’a relevé Mme la rapporteur, c’est, me semble-t-il, une première, un tel délai ne laissant que peu de temps à nos collègues députés pour s’imprégner des nombreux ajouts et enrichissements du Sénat !

J’en profite pour souligner que ces conditions d’examen acrobatiques justifient d’autant plus la Légion d’honneur décernée au chef de secrétariat de la commission des affaires sociales. Au-delà, je tiens à saluer le travail de toutes celles et tous ceux qui nous accompagnent dans ce marathon législatif. Aux courageux, la patrie reconnaissante !

J’ai affirmé précédemment que le Sénat avait été à l’origine d’enrichissements, car j’ai lu, monsieur le ministre, que vous aviez estimé, à l’Assemblée nationale, que nous avions « dénaturé » ce texte. Au contraire, grâce à l’énorme travail de Mme la rapporteur et de tous nos collègues, nous avions rendu ce texte audacieux, pour reprendre un terme à la mode !

Reprenons le fil de la discussion du projet de loi : la CMP ayant échoué, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale était convoquée séance tenante – sifflée, pourrait-on dire –, afin de rétablir un texte 100 % compatible avec la vision du Gouvernement.

Avec ce travail conduit au pas de charge, à la hussarde, vous aurez au total une loi sur le dialogue social qui n’aura fait consensus ni chez les partenaires sociaux ni au Parlement. Ce point mérite d’être souligné, car, au-delà de l’aspect formel, ce qui fait la force de la loi, c’est aussi le consentement des acteurs concernés. Or nous en sommes loin.

C’est sûrement une occasion ratée, car, vous le savez, monsieur le ministre, les salariés, les chefs d’entreprise, mais aussi les chômeurs attendent beaucoup de nous sur ce dossier de l’emploi et du dialogue social.

Vous le savez, le plafond symbolique des 6 millions d’inscrits à Pôle emploi a été atteint en mai dernier, selon les statistiques dévoilées à la fin du mois de juin par votre ministère. Le nombre de chômeurs de catégorie A dépasse quant à lui les 3, 5 millions.

En outre, une récente note publiée dans INSEE Conjoncture nous apprend que, parmi les inactifs au sens du BIT, 1, 5 million de personnes souhaitent exercer un emploi sans être comptées comme chômeurs au sens du BIT. Le nombre de personnes concernées par ce « halo du chômage » a encore augmenté de 71 000 au cours du deuxième trimestre...

Une fois ce constat effectué, nous ne pouvons pas rester les bras ballants ni nous contenter de nous mettre sous antidépresseurs. Après avoir regardé la vérité en face, il est indispensable de prendre les mesures fortes qui nous permettront, qui vous permettront, monsieur le ministre, de regarder les Français en face.

Une autre méthode était possible : celle qui a prévalu, par exemple, pour un texte qui recelait au moins autant de complexité ; je veux parler du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit « projet de loi NOTRe ». Pour ce texte, un accord a été trouvé, alors même qu’il y avait une forte tension entre les objectifs du Gouvernement et ceux du Parlement ; les sujets de dissension ne manquaient pas, mais cette tension s’est finalement révélée positive.

Je suis persuadé que, si vous aviez appliqué une méthode similaire, en organisant un réel dialogue avec les commissions, le résultat aurait été beaucoup plus spectaculaire, sur le fond comme sur la forme. Si nous avions dépassé nos désaccords, c’est un texte plus fort qui serait sorti du Parlement.

Oui, nous avons des désaccords sur l’article 1er. La commission avait imaginé un système qui avait au moins le mérite de renvoyer l’élaboration du dispositif au dialogue social, comme c’est le cas dans d’autres secteurs. Vous n’en avez pas voulu, et le Sénat a donc supprimé les dispositions prévoyant l’institution de commissions paritaires régionales interprofessionnelles, les CPRI. Vous vous entêtez à vouloir créer un dispositif qui crispe bien des chefs d’entreprise. Ceux-ci vous disent, comme à nous, qu’ils souhaitent se consacrer au développement de leur entreprise grâce à la richesse de leurs ressources humaines, et non pas contre elles.

Le Gouvernement est adepte des conférences. Vous souhaitiez une conférence des territoires, on s’en souvient. Puisque vous vouliez que le vote – déjà acquis depuis 2010 – des salariés de très petites entreprises, ou TPE, trouve un débouché concret, vous auriez pu instituer une conférence permanente nationale des TPE, afin de valoriser les bonnes pratiques et de faire avancer des chantiers. Vous auriez pu obtenir un large consensus sur cette question.

Dans un autre registre, oui, nous vous invitions à plus d’ampleur dans la simplification des seuils. Cependant, plutôt que de suivre votre ambition initiale – il faut reconnaître que vous aviez fait des déclarations ambitieuses en la matière –, vous défendez un texte au rabais. La commission a utilement rétabli, sur la proposition de Mme la rapporteur, un mécanisme de lissage des seuils. Nous vous proposerons de nouveau, dans le débat, de donner de la souplesse, au cas où – sait-on jamais ! – vous seriez frappé d’un éclair d’union nationale autour de l’objectif d’emploi…

Pour habiller quelque peu la chose, je veux dire le projet de loi, vous brandissez quelques mesures qui relèvent moins de la loi que de l’effet d’affichage. C’est le cas du compte personnel d’activité. Vous en faites un marqueur, alors que l’article renvoie à une loi ultérieure et que les travaux des experts que vous avez chargés de dessiner ce compte ont déjà commencé, sans attendre que nous ayons adopté le texte. C’est bien la preuve que nous n’avons pas besoin de ce texte pour agir concrètement.

L’article sur le burn-out est lui aussi un bon exemple. Un tel phénomène existe ; c’est incontestable. Il s’agit d’une sorte de mal du siècle, qu’il faut combattre. Néanmoins, je pense que, comme pour d’autres pathologies, ce n’est pas tant la loi que l’évolution des comportements qui sera efficace. Face à l’intensification du travail – 35 heures obligent – et à l’irruption des nouvelles technologies, les cadres doivent relier les hommes et non pas seulement relayer les ordres.

Bref, à défaut de faire vraiment du social de façon approfondie, vous faites du sociétal. C’est un travers très contemporain. Au fur et à mesure que le Gouvernement et le Parlement perdent leur capacité à intervenir réellement dans l’organisation et le fonctionnement de la nation, ils se concentrent sur le sociétal.

Compte tenu de la méthode employée et de nos oppositions sur le fond, nous pourrions nous demander « à quoi bon ? », comme l’a fait Jean Desessard. À quoi bon débattre à nouveau ? À quoi bon rétablir un certain nombre des dispositifs que le Sénat a votés ?

Nous voulons ainsi montrer que l’opposition prépare sérieusement, minutieusement, méthodiquement les mesures qui permettront de redonner confiance à la fois aux employeurs et aux employés.

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