Intervention de François Zocchetto

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 juillet 2015 à 9h30
Adaptation de la procédure pénale au droit de l'union européenne — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto, rapporteur :

Ce texte a été examiné une première fois selon la procédure accélérée par le Sénat, qui en a eu la primeur, puis par l'Assemblée nationale. L'échec de la commission mixte paritaire peut surprendre, toutes les conditions étant réunies pour une adoption conforme par les deux chambres d'un texte assez technique qui transpose des directives et des décisions-cadres européennes. Mais les députés ont choisi de l'utiliser pour adopter de nombreuses dispositions de procédure pénale qui n'avaient pu trouver d'autre vecteur législatif : le texte initial comptait huit articles, l'Assemblée nationale en a ajouté 28, dont aucun - à une exception près - ne concerne l'adaptation du droit pénal à celui l'Union européenne. Ils traitent, pêle-mêle, de la prise en compte des conditions de la détention pour l'obtention de remises de peine, de la transmission d'informations pénales aux administrations pour protéger les mineurs, de la majoration des amendes pénales au profit de l'aide aux victimes... Certaines mesures sont pertinentes, comme la correction de la malfaçon législative relative au financement des partis politiques. D'autres sont discutables, ou mériteraient pour le moins un débat approfondi, mais leur accumulation, dans le cadre de la procédure accélérée, pose une question de principe : les députés n'ont-ils pas dépassé les limites de leur droit d'amendement en première lecture et porté atteinte aux prérogatives du Sénat ?

Le rapporteur de l'Assemblée, Dominique Raimbourg, que j'ai rencontré à plusieurs reprises, reconnait être allé un peu loin. Depuis l'échec de la CMP, les députés et le Gouvernement s'évertuent à justifier ex-post le lien indubitable de ces dispositions avec l'objet initial du texte, mais personne n'est dupe. Au-delà du respect des prérogatives du Sénat, le texte adopté par les députés pose des questions d'opportunité et de légalité.

Plusieurs dispositions sont très contestables, comme l'article 5 septies C nouveau autorisant le juge à prononcer à nouveau un sursis avec mise à l'épreuve en faveur d'un récidiviste, ou l'article 5 quaterdecies qui oblige le juge d'application des peines à tenir compte, pour prononcer des remises de peine, de l'impact sur le condamné des conditions matérielles de sa détention et de la surpopulation carcérale : un détenu dans une prison surpeuplée bénéficierait automatiquement d'une remise de peine. Une telle mesure mérite un débat de fond. De même, le mécanisme de la sur-amende pénale prévu à l'article 4 quater pour financer l'aide aux victimes parait moins efficace qu'une affectation directe du produit des amendes à l'aide aux victimes.

On s'interroge en outre sur la légalité constitutionnelle de certaines dispositions, comme l'article 5 septdecies A qui autorise le parquet à informer l'administration employant ou exerçant la tutelle sur une personne impliquée dans une enquête pénale : le procureur de la République peut informer l'administration de toute condamnation pénale d'un agent, mais aussi de sa mise en examen ou de son renvoi devant une instance de jugement, avant toute condamnation, si tant est que cette information est nécessaire à l'exercice par cette administration de son contrôle sur l'agent ou ses missions. Le dispositif est renforcé pour les personnes exerçant une activité auprès de mineurs : la liste des infractions concernées est précisée, le Procureur peut informer l'administration dès la garde à vue et l'information est obligatoire en cas de condamnation ou de placement sous contrôle judiciaire assorti d'une interdiction d'exercer une activité en rapport avec les mineurs.

Ce dispositif présente trois défauts majeurs : il est trop général, puisqu'il ne se limite pas aux atteintes contre les mineurs ; il porte gravement atteinte à la présomption d'innocence, puisqu'il intervient avant toute condamnation pénale et hors du contrôle d'un juge ; enfin, il transfère la responsabilité de l'autorité judiciaire vers l'administration, par exemple le maire ou le président de conseil départemental ou régional, pour prendre des mesures conservatoires contre la personne mise en cause - mesures qui ne manqueront pas d'être analysées comme une sanction, alors qu'elles ne sont pas motivées, l'administration n'ayant pas accès au dossier... Verra-t-on le juge administratif, saisi de la mesure administrative, se prononcer avant le juge pénal? On autorise le procureur à sous-traiter la sanction, alors qu'il pourrait demander au juge des libertés et de la détention de prononcer à l'encontre de l'intéressé une mesure de contrôle judiciaire limitant son exercice professionnel. Un mécanisme s'appuyant sur les obligations de contrôle judiciaire et la transmission obligatoire des condamnations aurait été plus pertinent pour répondre à la situation dénoncée à Villefontaine et à Orgères.

Pour ces raisons de fond, qui font peser un vrai risque d'inconstitutionnalité, je vous propose d'adopter une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité au projet de loi. Pour les questions urgentes, des véhicules existent : la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur sur l'interdiction du financement des partis politiques par une personne morale, celle de notre collègue Catherine Troendlé sur la protection des mineurs - sujet qui mérite d'être examiné selon la procédure normale, après audition des syndicats de la fonction publique, des magistrats, de la Chancellerie. J'ai moi-même déposé une proposition de loi sur l'aide aux victimes. Mettons-les vite à l'ordre du jour.

Pour défendre les prérogatives du Sénat et le principe d'une loi pénale bien faite et non approximative, je vous demande de voter l'exception d'irrecevabilité.

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