Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est, à l’évidence, un texte technique, dont la lecture peut sembler complexe et dont les enjeux peuvent ne pas apparaître clairement pour les Français.
Pourtant, ce texte comporte des choix politiques majeurs, qui peuvent être discutables, et qui doivent, en tout cas, être discutés.
De plus, il est porteur d’évolutions capitales pour le développement tant d’internet que de l’audiovisuel, et il nous incombe de nous assurer que ces évolutions, que nous estimons tous indispensables, se feront dans le respect des différents acteurs, avec les précautions requises.
De quoi s’agit-il ?
La proposition de loi prévoit de moderniser la diffusion audiovisuelle, en organisant un changement de norme de compression vidéo, en passant du MPEG-2 au MPEG-4, qui constitue une condition de la généralisation de la haute définition. C’est une modification considérable si l’on garde à l’esprit que, pour ce qui concerne France Télévisions, seules les émissions de France 2 sont aujourd’hui diffusées en HD ; les programmes des autres chaînes du groupe ne le sont pas.
Par ailleurs, ce changement de norme de compression doit permettre de mieux utiliser les fréquences, en regroupant les chaînes sur un nombre plus réduit de multiplexes. Cela libérera la bande des 700 mégahertz, afin qu’elle soit attribuée aux opérateurs de télécommunications, qui pourront ainsi accompagner la hausse du trafic de données sur l’internet mobile dans les années à venir.
Cette évolution est donc positive et nécessaire, tant pour l’audiovisuel que pour le numérique ; une évolution générale est d’ailleurs engagée en Europe et dans le monde.
Toutefois, quelles sont les difficultés ? Quels sont les points de vigilance ?
J’évoquerai tout d’abord le calendrier.
Pascal Lamy, que la commission a auditionné, a proposé dans son rapport que le transfert de la bande des 700 mégahertz aux opérateurs de télécommunications intervienne autour de 2020 – entre 2018 et 2022 – lorsque les besoins se feront véritablement sentir. Dès lors, pourquoi avoir décidé d’anticiper ce transfert au mois d’avril 2016 en Île-de-France ? Aucun intérêt technique ne le justifie. Il est même établi que cette anticipation aura pour effet de rapporter moins d’argent à l’État que ne l’aurait permis une vente en 2017 ou en 2018, par exemple.
La véritable raison, nous la connaissons tous : elle est d’ordre budgétaire. On peut regretter que des actifs publics soient soldés pour boucler le financement de la loi de programmation militaire ou, en tout cas, pour alimenter le budget de l’État. On peut s’interroger sur ce choix de politique publique qui risque de fragiliser les investissements dans le numérique au cours des années à venir.
On l’a dit, les sommes que les opérateurs devront verser pour acheter aujourd’hui ces fréquences, dont ils n’ont pas actuellement besoin, ne pourront être investies dans les réseaux, ce qui entraînera le ralentissement du développement de la 4G et de l’émergence de la 5G en France.
Les questions que nous nous posons quant au choix stratégique du calendrier concernant le basculement de la bande 700 visent aussi des conséquences plus immédiates, qui peuvent déstabiliser la filière audiovisuelle.
Un besoin impérieux du produit de la vente des fréquences s’étant fait sentir, les enchères ont été prévues en décembre prochain. On ne s’embarrasse pas outre mesure du débat parlementaire, puisque les conclusions du travail législatif sont de fait anticipées ! Et la date du 5 avril 2016 a été retenue pour l’arrêt de la norme actuelle de compression et la généralisation de la nouvelle norme MPEG-4.
Or que se passe-t-il ?
Tous les acteurs de l’audiovisuel nous ont avertis que cette date n’était franchement pas réaliste : elle est globalement tendue et difficilement soutenable, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, elle se situe au milieu des vacances de printemps de la zone B : des millions de foyers risquent de retrouver un écran noir à leur retour de vacances.
Ensuite, tous les éditeurs de programmes estiment que la campagne d’information devrait commencer au mois de septembre prochain, alors que son début est prévu en novembre du fait même du calendrier arrêté par l’Agence nationale des fréquences, l’ANFR, dans le cadre de son appel d’offres. Pour justifier son calendrier, le Gouvernement invoque le fait qu’il doive inciter les foyers à renouveler leur matériel lors des fêtes de fin d’année. Mais le rôle du Gouvernement devrait être avant tout de s’assurer que des adaptateurs seront disponibles en nombre suffisant le moment venu. Or, là encore, le calendrier retenu ne peut que susciter des inquiétudes, en particulier pour ce qui concerne l’équipement des postes secondaires.
J’évoquerai un dernier problème spécifique concernant France Télévisions.
Voilà quelques jours, le président de ce groupe vous a saisie, madame la ministre, pour vous faire part de ses craintes quant au calendrier retenu eu égard aux délais propres à la commande publique et au nombre très important de sites de France 3 à équiper. Pourquoi ne pas accepter d’envisager la possibilité d’un report de quelques mois, par exemple, jusqu’à septembre 2016, en vue de rassurer les acteurs, comme le propose la commission ? Un peu de souplesse, avec ce délai supplémentaire, n’est pas de nature à remettre en cause le calendrier initial global et permettrait de répondre aux vives inquiétudes des acteurs, au premier rang desquels les opérateurs de diffusion.
Comme vous le savez, il existe trois opérateurs de diffusion dans notre pays. Or chacun d’entre eux est très inquiet des conséquences, d’une part, de l’arrêt de deux multiplexes et, d’autre part, de la réorganisation des multiplexes restants. Comment amortir les investissements réalisés ? Comment gérer une surcapacité en émetteurs qui pourrait provoquer une baisse des prix ?
Au moins deux opérateurs ont de sérieuses interrogations sur leur capacité à survivre à ces changements et attendent de l’État une indemnisation de leur préjudice. Cette indemnisation a été reconnue comme possible dans le rapport de Pascal Lamy. D’ailleurs, certains pays, tel le Royaume-Uni, ont déjà prévu des crédits à cette fin.
Aujourd’hui, je le déplore, le Gouvernement refuse d’inscrire dans la loi le principe de l’indemnisation de ce préjudice ainsi que ses modalités, au motif, notamment, qu’un rapport a été demandé à l’Inspection générale des finances, l’IGF, pour faire le point sur l’incidence du transfert de la bande des 700 mégahertz sur les différents acteurs. L’IGF devait rendre son rapport à la fin de ce mois. Or je crois savoir, madame la ministre, que les trois opérateurs de diffusion ont indiqué, dans un courrier qui vous a été adressé hier, qu’aucun d’entre eux n’avait été à ce jour contacté par les services de l’IGF. D’ailleurs, les conclusions devraient au final être rendues, nous dit-on, à la mi-septembre. Que doit-on comprendre ? Comment s’étonner alors que les opérateurs temporisent avant de s’engager dans ce processus ?
Notre dernière inquiétude concerne, vous le savez, les foyers qui reçoivent la TNT par satellite. À l’image de ceux qui reçoivent la télévision par voie hertzienne, ces derniers devront adapter leur matériel à la nouvelle norme de compression. Or ils recourent le plus souvent au satellite par contrainte technique, car ils sont situés dans un territoire reculé ou dans un territoire de montagne. Ils ont, par ailleurs, été incités par le Gouvernement à recourir au satellite. C’est pourquoi nous regrettons que vous refusiez, madame la ministre, d’étendre le dispositif d’aides à ces publics. Vous avez dit vouloir aider les plus fragiles. Mais ceux-ci se trouvent aussi dans les territoires isolés, et ils sont finalement condamnés à une double peine.
Enfin, dans le cadre du débat, j’aurai l’occasion de revenir sur plusieurs amendements, adoptés par la commission, visant à enrichir la proposition de loi pour ce qui concerne la couverture de la population par la TNT et la moralisation des ventes de chaînes de la TNT. Nous sommes, sachez-le, madame la ministre, prêts à améliorer le texte et à trouver un accord. Ainsi que vous l’avez indiqué dans votre propos liminaire, nous avons déjà commencé à clarifier et préciser certaines dispositions. Au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, je souhaite que le débat nous permette d’avancer dans cette voie.
Pour terminer, j’indique que, en application de l’article 44, alinéa 6, du règlement, la commission demande la réserve de l’article 6, pour que son examen soit abordé après la discussion de l’article 7.