Intervention de Bruno Sido

Réunion du 22 juillet 2015 à 14h30
Deuxième dividende numérique et modernisation de la télévision numérique terrestre — Discussion générale

Photo de Bruno SidoBruno Sido :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques s’est saisie pour avis des articles 8, 9 et 10 ter de la présente proposition de loi.

Je ne reviendrai pas sur le contexte général de ce texte, fort bien présenté par Mme la ministre – c’est pourquoi j’ai applaudi son intervention liminaire –, et par Mme la rapporteur Catherine Morin-Desailly, limitant mon propos aux aspects auxquels s’est intéressée la commission à laquelle j’appartiens.

Au stade de l’examen en commission, nous n’avons pas souhaité présenter d’amendements sur ces trois articles. Pour autant, nous avons fait état de préoccupations sur différents points, que j’ai approfondis par la suite et qui m’ont conduit à cosigner deux amendements de Philippe Leroy que j’évoquerai ensuite.

Permettez-moi, tout d’abord, de rappeler quelques éléments sur le « pourquoi » et le « comment » de ce texte, du point de vue des télécommunications bien entendu.

Le premier dividende numérique concernant la bande des 800 mégahertz avait été libéré par l’arrêt de la diffusion hertzienne analogique de la télévision, qui s’est achevé à la fin de l’année 2011. Bruno Retailleau, ici présent, avait alors présidé la commission saisie. Quel grand moment ! Or ce n’est pas fini.

Ces fréquences dites « en or » avaient déjà à l’époque été attribuées aux opérateurs de communications électroniques pour qu’ils déploient la 4G sur le territoire. La procédure d’enchères « à l’aveugle » avait permis à l’État de récupérer une somme rondelette de 3, 6 milliards d’euros. Seul l’opérateur Free n’avait pas obtenu de fréquences.

Ce deuxième dividende numérique provient, lui, d’un changement des normes de compression et de diffusion de la TNT, ainsi que vous l’avez souligné, madame la ministre. Les fréquences libérées le seront au profit du secteur des télécommunications, ce qui est une très bonne chose.

Cela permettra tout d’abord une augmentation des débits, avec la 4G+, puis la 5G, à l’horizon de 2020. Le trafic mobile, nous le savons tous dans cette enceinte, ne cesse d’augmenter, bien davantage d’ailleurs pour les données, les fameuses « data », que pour la voix. En France, par exemple, le trafic 4G va être multiplié par 17 entre 2014 et 2019.

Par ailleurs, l’affectation de la bande des 700 mégahertz aux télécommunications permettra d’améliorer la couverture mobile et la qualité de service, puisque ces fréquences couvrent plus de territoire et pénètrent davantage dans les immeubles, des questions pratiques physiques sur lesquelles je ne reviendrai pas.

L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, aura la haute main sur la procédure, ainsi que sur la bande 700, alors que cette responsabilité relevait jusqu’à présent du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA. L’ARCEP a déjà préparé un cahier des charges pour la mise aux enchères des fréquences qui aura lieu cet automne. Ainsi, ce sont des recettes de l’ordre de 2, 5 milliards d’euros – une somme un peu moins rondelette ! – qui sont attendues pour l’État, au terme d’enchères dont le dynamisme devrait être assuré par l’opérateur Free, qui n’avait pas bénéficié du premier dividende numérique.

J’en viens désormais aux difficultés posées par cette opération de transfert, pour ce qui concerne particulièrement le secteur des communications électroniques.

J’en conviens, madame la ministre, il s’agit d’un texte de loi très technique. Toutefois, on est bien obligé de mettre les mains dans le cambouis !

Le premier enjeu est celui de l’utilité immédiate de la bande 700 pour les opérateurs. Hormis pour Free, qui n’avait pas concouru à l’occasion du premier dividende numérique, celle-ci n’est pas évidente. En effet, les auditions ont fait ressortir une certaine contradiction à ce sujet.

D’un côté, les opérateurs affirment ne pas avoir besoin, dans l’immédiat, de cette bande de fréquences – je note d’ailleurs qu’elle ne sera pas complètement disponible avant 2019 –, parce qu’ils sont capables de faire face à l’augmentation du trafic grâce aux fréquences dont ils disposent depuis le premier dividende numérique.

De l’autre, ces mêmes opérateurs – c’est ce qui est apparu assez curieux lors des auditions – se sont également alarmés du fait que l’article 2 du texte sanctuarise l’affectation de la bande des fréquences entre 470 et 694 mégahertz à la télévision numérique terrestre jusqu’en 2030 – je suis d’accord avec les propos qu’a tenus précédemment M. Assouline à ce sujet. En somme, ils n’ont pas besoin de la bande des 700 mégahertz, mais ils s’inquiètent de la « préemption » de la bande 470-694 mégahertz par la TNT – et, par extension, par la commission des affaires culturelles – jusqu’en 2030, avec une clause de revoyure en 2025 ! Il nous faudra donc travailler sur la question, car, on le constate, tout cela est assez compliqué.

Pour le coup, ces fréquences basses sont des fréquences en « or plaqué » : en effet, plus les fréquences sont basses, plus elles vont loin et pénètrent dans les bâtiments et, par conséquent, plus elles sont utiles aux opérateurs.

Aussi, nous nous sommes interrogés sur le bien-fondé de la décision de fixer dans la loi, dès maintenant, une échéance en 2030, sachant que des pays comme les États-Unis ou le Japon sont en passe de libérer leurs fréquences basses pour les télécommunications. N’est-ce pas se lier les mains pour l’avenir, madame la ministre ? Du reste, dans cette affaire, c’est la convergence entre fixe et mobile qui est en jeu...

Le deuxième enjeu concerne le coût du basculement. Tout d’abord, l’évaluation de celui-ci est incertaine. L’Agence nationale des fréquences estime ce coût à une trentaine de millions d’euros – ce qui n’est tout de même pas rien ! –, tandis qu’une étude, qui a été citée par l’un des opérateurs et qui fait référence à la Grande-Bretagne, considère qu’il s’établira entre 900 et 950 millions d’euros au total, soit environ trente fois plus !

Ces différences d’estimation sont importantes, dès lors que l’article 8 du présent texte prévoit qu’il revient aux seuls opérateurs de supporter ces coûts au travers d’un fonds de réaménagement du spectre qu’ils alimentent. Les opérateurs risquent donc de réviser à la baisse leurs enchères pour intégrer l’aléa lié à l’incertitude sur le coût réel du réaménagement.

Par ailleurs, les moyens de financement des opérateurs seront fortement sollicités par ces enchères, au moment où il leur est demandé d’investir dans les réseaux fixe et mobile à très haut débit, et alors même qu’ils ne disposeront de toute la bande des fréquences des 700 mégahertz qu’en 2019 ! Par conséquent, ces investissements risquent également d’être revus à la baisse, tout comme il est à craindre que les tarifs des abonnements ne soient révisés à la hausse, ce dont pâtiraient naturellement les consommateurs.

Or l’État lui-même est intéressé par la réaffectation des fréquences, puisqu’un quart de la bande 700 sera réservé au ministère de l’intérieur – à juste titre, d’ailleurs, je ne le critique pas ! – pour la mise en place de systèmes de communications sécurisés. Il faudra, en tout état de cause, que la commission compétente sur le fond vérifie si le ministère de l’intérieur a réellement besoin de cette fraction de la bande.

Cette situation explique que certains opérateurs demandent que l’État contribue à due proportion au financement de ce fonds de réaménagement. On notera que, en Grande-Bretagne, le coût du réaménagement est totalement imputé au budget de l’État, alors que l’article 40 de la Constitution nous en empêche en France. Nous avons déposé un amendement en ce sens, qui consiste à emprunter une voie rendue étroite par l’irrecevabilité financière.

Cette situation explique également la demande de plafonner cette contribution en fonction du montant de l’estimation la plus fiable à ce jour, de sorte que les opérateurs puissent enchérir en toute connaissance de cause. Or on nous annonce la remise d’un rapport au mois de septembre, ce qui crée un décalage, puisque nous discutons de cette proposition de loi au mois de juillet. Il aurait mieux valu que le phasage soit inverse et que nous puissions disposer du rapport avant d’examiner ce texte. Mais enfin, c’est ainsi !

Dans l’attente des éclaircissements du Gouvernement sur ces points, j’avais initialement renoncé à déposer en commission des amendements en ce sens. Néanmoins, les éléments qui m’ont été transmis ne m’ayant pas pleinement satisfait, j’ai cosigné avec mon collègue Philippe Leroy deux amendements.

Pour l’essentiel, je pense toutefois qu’il importe d’aller vite, même si cette proposition de loi ne sera vraisemblablement pas votée dans les mêmes termes qu’à l’Assemblée nationale, puisque quelques amendements – je l’espère ! – seront adoptés au Sénat.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion