Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous faire part du regret de Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Najat Vallaud-Belkacem, de ne pouvoir participer à vos travaux de ce jour sur ce texte pourtant très important, dont l’un des articles, que M. Vallini vient d’évoquer, aborde la question de la transmission d’informations entre l’autorité judiciaire et l’éducation nationale.
Vous le savez, la volonté de la ministre de l’éducation nationale est de mettre fin à une situation juridique incertaine depuis trop d’années, qui a été précisément décrite dans un rapport rendu par l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche et l’inspection générale des services judicaires, que Mme Vallaud-Belkacem et Mme Taubira avaient conjointement saisies.
Sa volonté est également de mettre un terme à une situation insatisfaisante pour tous, les magistrats aussi bien que les personnels des rectorats.
Sa volonté est enfin et surtout de mettre fin à une situation légitimement considérée comme inadmissible par les parents d’élèves et par toute la collectivité nationale, que nous avons découverte à la fin du mois de mars de cette année à travers une affaire effroyable. Nous avons tous, aujourd’hui, la responsabilité de faire en sorte que de telles situations ne puissent plus se reproduire.
En effet, fin mars 2015, nous apprenions qu’à Villefontaine un enseignant, condamné par la justice en 2006 pour détention d’images pédopornographiques, était accusé d’agressions sexuelles répétées sur plusieurs de ses élèves. Les services du ministère de l’éducation nationale, comme l’ont confirmé les inspections générales, n’avaient jamais eu connaissance de la condamnation de cet homme ! À ce jour, vous le savez, ce sont soixante et une victimes potentielles qui se sont fait connaître.
Et quelques jours plus tard, hélas, nous apprenions qu’à Orgères un professeur, lui aussi déjà condamné par la justice, et qui se trouvait sous le coup d’une autre procédure pour une éventuelle corruption de mineur de moins de quinze ans, continuait à exercer dans son établissement sans que l’éducation nationale ait, là non plus, été avertie de sa condamnation.
Ces deux situations ont évidemment conduit chacun d’entre nous à s’interroger : comment des personnels condamnés pour des délits de nature sexuelle pouvaient-ils continuer à enseigner ? Comment était-il possible que des condamnations intervenues dans le passé à l’encontre de ces deux personnes n’aient pas donné lieu à une information de leur employeur, afin que celui-ci puisse prendre des mesures adaptées ?
Les deux ministres ne sont pas restées inactives : révocation de l’enseignant de Villefontaine, rencontre commune avec les familles traumatisées par cette découverte, mise en place d’un soutien psychologique pour les enfants et les familles, commande d’une mission aux inspections générales des deux ministères et, enfin, réunion des procureurs et recteurs pour travailler sur les processus de rapprochement entre les services sur le terrain.
Le rapport intermédiaire des inspections remis aux ministres a fait état de dysfonctionnements systémiques majeurs dans la transmission d’informations entre le ministère de l’éducation nationale et la justice.
Ce rapport a surtout pointé la nécessité d’une modification de la loi : sans obligation légale mettant en place un dispositif sécurisé et équilibré, point de transmission – ce sont quasiment les termes du rapport. Il ne s’agit pas là d’une opinion ; c’est le constat d’une pratique de transmission demeurée aléatoire et incertaine pour tous en dépit des vingt-deux instructions – pas moins ! – qui se sont succédé sur ce sujet depuis 1813.
Or, en cette matière, l’incertitude revient tout simplement à prendre un risque pour la sécurité des enfants ; un risque que le Gouvernement, tout comme l’ensemble des responsables de ce pays, ne veut pas prendre. C’est la raison pour laquelle les deux ministères ont travaillé d’arrache-pied depuis le mois de mai pour apporter une réponse, une réponse qui soit non de circonstance mais une réponse structurelle, une réponse qui associe la loi aux réalités de terrain, pour changer les procédures et les pratiques.
Il ne faut pas s’y tromper, le dispositif législatif qui vous est présenté sur cette question permettra de sécuriser les magistrats. Il assurera une meilleure effectivité des échanges d’informations et permettra à l’employeur de prendre des mesures conservatoires, voire des sanctions disciplinaires adéquates, en fonction des éléments en sa possession.
Je n’ignore pas que c’est à l’Assemblée nationale que cette discussion est intervenue en premier lieu. Il reste que, en dépit de l’absence d’accord en commission mixte paritaire, un vrai travail a été accompli, qui a permis de faire progresser le texte que vous a transmis l’Assemblée nationale.
Après un dialogue riche et intense avec les députés, dialogue que nous sommes prêts à avoir avec vous, le projet dont vous avez été saisis garantit le respect de la présomption d’innocence, à laquelle chacun d’entre nous est très attaché. Il permet également de mettre fin à des décennies de dysfonctionnements, de manière à garantir la sécurité des enfants.
Que prévoient ces dispositions ?
S’agissant des infractions les plus graves et/ou à caractère sexuel, la justice doit transmettre les informations relatives aux personnels qui exercent une profession les mettant en contact avec des mineurs. Cette transmission devra intervenir en cas de condamnation, bien sûr, mais aussi lorsqu’un juge aura décidé d’un contrôle judiciaire assorti d’une interdiction d’exercer au contact de mineurs.
Je rappelle que cette faculté d’associer au contrôle judiciaire une interdiction d’exercer avec des mineurs est une innovation introduite par ce texte. Elle sera mise en œuvre, sur décision du juge, lorsque des faits sérieux auront été établis. Et si la personne n’a plus le droit d’exercer avec des mineurs, il est évident que l’administration doit en être alertée puisqu’on ne saurait laisser cette personne devant des élèves.
Pour ces mêmes infractions, qui sont les plus graves, une possibilité d’information est laissée à l’appréciation du procureur : lors de la garde à vue, dès lors qu’il existe, à l’issue de celle-ci, des raisons sérieuses et concordantes de soupçonner que cette personne a commis ou tenté de commettre une ou plusieurs infractions ; lors de la mise en examen ; enfin, lors de la saisine de la juridiction de jugement.
Sur tous les autres délits et crimes, il n’y a aucune obligation de transmission, mais il existe une possibilité d’information à trois moments : lors de la mise en examen ; lors de la saisine d’une juridiction de jugement par le procureur de la République ou le juge d’instruction ; lors de la condamnation.
Ces dispositions législatives sont équilibrées et respectent la présomption d’innocence, tout en permettant à l’administration de prendre des mesures conservatoires, bien sûr avec discernement puisqu’elle disposera des éléments nécessaires.
Par ailleurs, toute information transmise entre l’autorité judiciaire et l’administration sera soumise au strict secret professionnel et la personne mise en cause sera systématiquement informée de la transmission d’informations à son employeur.
Je le répète, le dispositif qui vous est proposé est équilibré, sécurisé, et il est attendu par les magistrats comme par les personnels des rectorats. En outre, il met fin à des décennies d’incertitudes dans les échanges d’informations entre la justice et l’éducation nationale.
Les législateurs que vous êtes savent bien que les seules dispositions législatives ne sont pas suffisantes. C’est pourquoi, depuis le mois de mai, les différents ministères concernés par ce projet de loi travaillent à l’élaboration des textes d’application et des procédures qui donneront à ce texte toute sa force et son effectivité.
Sans refonte des procédures ni création de nouveaux outils entre les deux ministères, les dispositions législatives ne produiront pas l’effet escompté. C’est ce qui a conduit les ministres à décider de créer dans chaque rectorat des référents « justice » et, au niveau de leurs homologues territoriaux, des référents « éducation nationale ». Les référents « justice » seront placés auprès des recteurs mais pourront être appuyés par des référents en département quand le nombre de tribunaux ou le nombre d’affaires le justifieront.
Pour assurer une transmission des informations, des boîtes de messagerie électronique sécurisées vont être mises en place. Elles suivront les recommandations faites par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, pour garantir la plus grande sécurité aux informations transmises.
Afin que nos agents partagent les mêmes principes, un guide sera édité dès la rentrée pour faire connaître les nouveaux processus et assurer la fluidité des informations.
Je veux le dire à nouveau, les mesures que nous vous proposons dans ce projet de loi et les procédures que nous mettons en place sont motivées par le souci d’un équilibre qui puisse respecter l’exigence essentielle de la présomption d’innocence et celle de la sécurité des mineurs.
Loin d’être une réponse à un seul fait divers, ce que nous proposons dans ce texte et ce sur quoi nous travaillons avec les magistrats et les personnels du ministère de l’éducation nationale sur le terrain constituent une réponse aux principaux dysfonctionnements auxquels il fallait mettre fin. Car l’école ne saurait être pour les enfants un environnement où des prédateurs peuvent évoluer en toute quiétude, faute pour les pouvoirs publics de s’être organisés et d’avoir tout mis en œuvre pour les empêcher de commettre leurs méfaits.