Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 1er mars 2006 à 21h30
Égalité des chances — Article 3 quinquies

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

Monsieur le ministre, l'émergence de la pratique des enchères inversées est la conséquence directe d'une politique libérale de l'emploi, dont plus personne ne doute qu'elle soit à l'oeuvre aujourd'hui.

Les systèmes d'enchères inversées reposent sur le principe d'une mise en concurrence des travailleurs sous forme d'appel d'offre au moins-disant.

De telles pratiques ont de graves conséquences en droit du travail, avec un risque de dumping social.

En Allemagne, par exemple, où les enchères inversées sont apparues, cette technique de recrutement à une incidence directe sur la rémunération. Dans les secteurs où le travail indépendant est monnaie courante, les enchères inversées entraînent une baisse sensible des rétributions.

En revanche, bien évidemment, elles engendrent des réductions notables de coûts pour les entreprises.

Cette pratique est la conséquence directe d'une politique qui vise à considérer les travailleurs comme de simples composantes de la production, et, surtout, leur coût comme unique critère d'évaluation

Depuis maintenant plusieurs années, la majorité martèle que le coût du travail est l'entrave principale au bon fonctionnement du marché du travail, et que son abaissement résoudra, par voie de conséquence, le chômage.

Cette idée, qu'aucune comparaison internationale, qu'aucune expérience passée ne confirme, mène tout naturellement à ce type de pratique, inefficace et dégradante pour les travailleurs.

À rechercher à tout prix toujours plus de flexibilité, on en vient à se résigner à accepter que les salariés se dévaluent, et dévaluent leur compétence, dans une compétition acharnée pour un emploi.

Les différents projets de loi qui nous ont été présentés par la majorité ces dernières années amènent tout naturellement à cela.

Vous ne pouvez développer ce que vous appelez les « services à la personne », c'est-à-dire les petits emplois de services aux particuliers, sans vous attendre à ce que des agences utilisent Internet pour orchestrer, à leur avantage, ce marché où la concurrence est totalement libre.

Vous ne pouvez faire la part belle aux agences intérimaires en lieu et place d'un service public de l'emploi de qualité sans vous attendre au développement de telles pratiques.

Surtout, la loi PME du 2 août 2005, en modifiant le code du commerce, a intégré des dispositions spécifiques relatives aux enchères inversées.

L'ambiguïté de votre position ne nous a pas échappé : en encadrant cette pratique, en fait, vous la légalisez.

Alors, avec cet article 3 quinquies, nous nous retrouvons aujourd'hui devant une sorte de mise en avant de la bonne conscience de la majorité, dont personne n'est dupe.

Par la formulation quelque peu confuse de cet article, vous ne dites pas grand-chose de plus que ce que dit déjà le code du travail, mais vous vous affichez a priori « contre » les enchères inversées.

Si la majorité est clairement contre cette pratique, honteuse et dégradante, qui en dit long sur l'état de délabrement du monde du travail aujourd'hui, alors, qu'elle agisse en conséquence ! Je veux dire par là qu'elle doit aller dans le sens d'une valorisation des règles encadrant le marché du travail, et revenir sur les dispositions ultra-libérales que nous dénonçons depuis le début de la discussion.

Les enchères inversées retrouveront alors leur juste place dans le débat sur le monde du travail et la politique de l'emploi.

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