Intervention de François Pillet

Réunion du 30 juin 2015 à 14h30
Croissance activité et égalité des chances économiques — Suite de la discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de François PilletFrançois Pillet :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ici ou ailleurs, de multiples observateurs ou experts s’interrogent encore sur la place prise, dans le projet de loi, par les dispositions relatives aux activités des professions juridiques ou de certaines juridictions, au droit des sociétés, au droit des procédures collectives, au transfert de prérogatives gouvernementales à l’Autorité de la concurrence. Cette énumération ne saurait d’ailleurs être exhaustive, eu égard à l’exubérante variété des domaines abordés !

Devez-vous passer par ces chemins inattendus, peu fréquentés par les entreprises productrices de richesses partageables, pour atteindre votre objectif, tel que vous l’avez à de multiples reprises exposé, monsieur le ministre ? Les professions dont l’activité consiste à mettre en œuvre le droit participent à la vie économique, mais il ne viendrait à l’idée de personne de soutenir qu’elles en sont les moteurs. Elles ont une mission essentielle : assurer, sur l’ensemble du territoire, au plus près de nos concitoyens, la force et la stabilité des règles qui structurent notre société et harmonisent son fonctionnement.

Parmi elles, les professions appelées à juste titre « réglementées », parce qu’entièrement soumises au ministère de la justice quant à leur nombre, leurs champs de compétence et leurs tarifs, se voient reprocher de ne pas avoir été aussi placées sous la tutelle du ministère de l’économie et des finances ! En sont-elles responsables et ont-elles été coupables de nuire au pouvoir d’achat quotidien, annuel, voire décennal, du citoyen ?

Les autorités, fussent-elles proclamées indépendantes, ne sont pas légitimes à limiter, ou pire à entraver, l’expression des pouvoirs du Gouvernement. Elles émettent des avis simples et rendent des décisions encadrées par des procédures contradictoires et susceptibles de recours. Qui peut prétendre décider seul de l’opportunité, de la régularité et de la loyauté de la concurrence ?

Monsieur le ministre, voulez-vous réellement écouter nos réserves et entendre nos propositions ? À titre personnel, je ne pense pas que le recours au 49-3 soit, pour reprendre les termes du Président de la République, « une brutalité, […] un déni de démocratie », mais je constate avec lui qu’il constitue « une manière de freiner ou d’empêcher le débat parlementaire ».

À cet égard, il est très important que nos concitoyens constatent et se souviennent que ce procédé ne peut pas être infligé au Sénat, qui est seul maître de ses textes : c’est, soit dit en passant, l’un des exemples indiscutables de la protection que le bicamérisme confère au fonctionnement des démocraties.

À réception du projet de loi, non voté par l’Assemblée nationale en première lecture, le Sénat a entamé l’examen de ses dispositions avec le souci du respect de notre système juridique et de ses principes fondamentaux, en partageant les objectifs tels qu’exposés dans vos propos, monsieur le ministre, et animé par la volonté de les atteindre et de les renforcer.

Au terme d’échanges nombreux avec tous les professionnels concernés et d’un travail minutieux, nous avons, encouragés par les engagements que vous avez pris, amendé, enrichi votre texte, qui n’a pas été rejeté par le groupe socialiste du Sénat. Sous réserve de quelques corrections, que la commission permanente aurait certainement pu apporter, le Gouvernement aurait pu compter sur une large majorité à l’Assemblée nationale.

Or, pour la deuxième fois, votre projet de loi nous revient sans avoir été débattu ni voté par l’Assemblée nationale, sans que les règles d’installation des professions réglementées sur notre territoire ne soient précisément définies et que leur fixation relève du seul pouvoir du Gouvernement. Ainsi, les ministres ne pourront prendre, en la matière, une autre décision que celle qui aura été dictée par l’Autorité de la concurrence.

En deuxième lieu, votre texte nous est transmis sans que l’accès à ces professions soit conditionné aux niveaux de compétences et de responsabilités nécessaires. Je pense, par exemple, aux nouvelles conditions d’accès aux professions d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire.

En troisième lieu, il nous revient sans que les modifications des dispositions relatives aux tarifs ne libèrent un espace pour l’installation de nouveaux professionnels et en allègent le coût financier. J’en veux pour preuve votre refus réitéré de faire en sorte que les fonds obtenus dans le cadre d’une péréquation puissent être utilisés pour indemniser les professionnels en place et ainsi décharger de ce fardeau financier ceux qui s’installent, a priori des jeunes.

Pour la deuxième fois, votre projet de loi nous revient sans avoir été voté par l’Assemblée nationale, en prévoyant, dans l’optique d’une dérégulation sans frein, la possibilité de créer des sociétés interprofessionnelles susceptibles d’entraîner, au grave préjudice des justiciables, perte d’indépendance, atteinte au secret professionnel, conflits d’intérêts, en instaurant un nouveau fonds de péréquation professionnelle, inégalitaire quant au rôle qui lui est assigné en matière d’aide juridique et totalement déséquilibré dans son financement, assuré par une nouvelle taxe, tandis qu’une autre taxe, inutile, est maintenue pour la gestion des données du registre du commerce, la solution élaborée par le Sénat, pourtant parfaitement conforme à vos objectifs, n’ayant, curieusement, pas été conservée…

Lors de l’examen du texte par l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, vous avez à juste titre retenu certaines propositions du Sénat, qui permettront, par exemple, aux juridictions commerciales de poursuivre le travail considérable qu’elles réalisent sans frais pour l’État.

Vous avez également conservé différentes constructions juridiques plus compatibles avec notre Constitution ou les conventions et traités européens. Toutefois, tous les risques en la matière ne sont pas écartés, eu égard à différentes dispositions que vous avez maintenues ou réintroduites.

Constant dans son attitude, le Sénat ne cessera pas, une fois cette discussion générale achevée, de rechercher le dialogue avant d’exprimer ses choix. Êtes-vous réellement dans le même état d’esprit, monsieur le ministre ?

On ne cesse de clamer, de tous côtés, que notre pays a besoin de réformes. Si nous ne nous entendons pas tous sur le contenu de celles-ci, au moins pouvons-nous nous épargner l’illusion de réformer, en évitant que ce contenu même ne rende bientôt nécessaire la correction de leurs excès et de leurs insuffisances.

Ainsi, à peine leur encre sèche, les dispositions de la loi ALUR pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, de la loi relative à l'économie sociale et solidaire et de la loi relative à la consommation ont dû être rediscutées, revues et corrigées ! À l’image de ces textes, en raison des profondes déficiences de son élaboration, votre projet de loi nécessitera très prochainement, de façon impérieuse, une correction.

(Sourires.) Nous vous proposons courtoisement de reporter l’exercice de ce divertissement à d’autres occasions, afin de consacrer les heures et les jours à venir à l’examen de véritables et justes mesures propres à favoriser la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

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