Intervention de Denis Prieur

Commission d'enquête Autorités administratives indépendantes — Réunion du 22 juillet 2015 à 14h36
Audition de M. Denis Prieur président du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires civen

Denis Prieur, président du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) :

La brièveté de mon intervention liminaire sera à l'image de la courte vie à ce jour de l'autorité administrative indépendante qui m'amène devant vous aujourd'hui. Celle-ci n'a en effet que quelques mois d'existence, puisqu'elle est née le 16 mars dernier, date à laquelle se sont réunies pour la première fois les personnes la composant, désignées quelques jours auparavant par un décret du Président de la République daté du 24 février 2015.

Le législateur avait toutefois manifesté depuis un certain temps sa volonté de transformer l'instance qui existait déjà, sous forme de commission à caractère consultatif et avec la même dénomination de comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, en autorité administrative indépendante, en même temps qu'il apportait quelques correctifs au dispositif initial d'indemnisation établi par la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite « Loi Morin ». C'est en effet le II de l'article 53 de la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale qui, sous forme d'incise, fait du CIVEN une AAI. Suit le détail de la composition du comité, et des modalités de nomination de ses différents membres, modalités qui font notamment intervenir pour plusieurs d'entre eux le Haut conseil de la santé publique. Plus que le délai de parution du nouveau décret d'application de la loi rendu nécessaire par les modifications apportées et signé le 15 septembre 2014, ce sont ces modalités de désignation qui sont à l'origine du décalage entre la date de promulgation de la loi de programmation militaire et celle de la naissance effective de la nouvelle AAI.

Toutefois, la loi avait prévu qu'un tel délai puisse exister, et son article 54 dispose sagement dans son III que « le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires continue d'instruire les demandes d'indemnisation, dans la composition qui est la sienne à la date de promulgation de la présente loi, jusqu'à l'entrée en vigueur du décret en Conseil d'État prévu au VI de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 précitée, puis des décrets de nomination correspondant à la nouvelle composition du comité ». Sur le plan administratif, l'année 2014 a donc été une année « mixte », si je puis dire, ou si l'on préfère, « de transition » : pendant que le CIVEN continuait de travailler sous forme de commission instruisant les dossiers de demande d'indemnisation et préparant, par ses recommandations, les décisions du ministre de la défense sur lesdites demandes, les services du ministère de la défense et ceux du Premier ministre prenaient de concert les dispositions administratives et budgétaires nécessaires et adéquates pour permettre au CIVEN de fonctionner sous son nouveau statut juridique dès que serait fixée sa nouvelle composition.

Ces dispositions ont consisté pour l'essentiel à transférer du budget du ministère de la défense où ils étaient antérieurement inscrits au sein du programme « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant » à celui des services du Premier ministre au sein du programme « Coordination du travail gouvernemental » les crédits destinés à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires. Un transfert de même nature a également été opéré en ce qui concerne les moyens de fonctionnement du CIVEN, moyens qui sont aujourd'hui couverts budgétairement par les services du Premier ministre. Dans l'attente de la désignation du président et des membres du collège de la nouvelle AAI, les services concernés ont fait le choix, à mon avis judicieux, de minimiser l'impact de ces transferts sur le fonctionnement au quotidien du secrétariat du CIVEN. Ils se sont donc accompagnés de la passation de conventions entre la direction des services administratifs et financiers du Premier ministre d'une part et le secrétariat général pour l'administration du ministère de la défense d'autre part aux termes desquelles la première nommée confiait, par délégation, au second la gestion tant des personnels que des moyens logistiques nécessaires au fonctionnement du CIVEN.

Peu après ma nomination à la présidence du CIVEN, la question m'a été posée de savoir si je souhaitais revenir sur cette solution, qui dans l'esprit de ses auteurs, avait un caractère « conservatoire » en quelque sorte.

Je n'ai pas longtemps hésité pour confirmer et valider le système de conventions de gestion mis en place, considérant que la priorité absolue était d'assurer la continuité de la mission impartie à ce comité d'indemnisation. De nombreux dossiers étaient en cours d'instruction par la petite équipe du secrétariat du CIVEN, des contentieux avaient été engagés par des requérants à l'encontre de décisions de rejet prises par le ministre de la défense en conformité avec les recommandations du comité et nécessitaient un suivi attentif en liaison étroite avec la direction des affaires juridiques du ministère de la défense, des questions parlementaires étaient régulièrement adressées au CIVEN par le cabinet du ministre pour fournir les éléments de réponse, les séances programmées d'examen des dossiers instruits devaient être organisées, et toutes ces tâches passaient par une bonne organisation du travail, des compétences acquises au fil des mois et des années par les personnels en place, et le respect des délais.

Les sept personnes composant le secrétariat du CIVEN notamment étaient inquiètes sur leur avenir, craignant que la transformation du comité en AAI et l'arrivée d'un nouveau président ne soient synonymes de bouleversements remettant en cause la localisation voire l'existence même de leur emploi. Il m'a paru nécessaire de prendre en compte cette inquiétude et de rassurer les intéressés en leur faisant part de mon intention de ne pas modifier l'organisation mise en place en bonne concertation entre les services du Premier ministre et le ministère de la défense. Ils conservent donc leur qualité de fonctionnaires du ministère de la défense et leur lieu de travail respectif est resté le même.

Ce choix de la continuité n'est en rien antinomique avec le changement de statut juridique du CIVEN. En effet, les personnels en question n'assurent que l'instruction administrative des dossiers, ainsi que l'accueil téléphonique et le courrier électronique avec les requérants, qu'ils renseignent avec beaucoup d'attention et de délicatesse, dans un contexte psychologique qui n'est pas toujours facile. Inutile de dire qu'ils le font avec la plus grande objectivité, et même, je puis en témoigner, en manifestant de l'empathie à l'égard de leurs interlocuteurs. L'instruction médicale des dossiers, quant à elle, incombe au médecin expert du comité, tenu au secret médical et au respect des autres règles déontologiques de sa profession. Cette instruction n'a d'ailleurs pour objet que de réunir les informations à caractère médical qui ne sont accessibles, aussi bien matériellement qu'intellectuellement, qu'à un médecin et qui concourront à la détermination de la probabilité de causalité, pierre angulaire du dispositif.

Mais c'est évidemment aux membres eux-mêmes du CIVEN que revient désormais la décision d'accepter ou de rejeter, au terme d'une instruction qui donne sa place au contradictoire, les demandes d'indemnisation dont il est saisi. Or, quelle que puisse être la manière dont sont apportés au CIVEN les moyens humains et matériels de son fonctionnement, la composition même de son collège, constitué en majorité d'éminents médecins, est garante de sa totale indépendance, comme c'était déjà le cas d'ailleurs, naturellement, dans la configuration précédente.

J'ai toutefois souhaité, symboliquement, que les séances du CIVEN puissent se tenir ailleurs que là où il avait l'habitude de se réunir auparavant, dans une salle de réunion du Fort de Montrouge, à Arcueil, à proximité immédiate de l'antenne parisienne du secrétariat du comité. Ce voeu a été exaucé puisque le collège du CIVEN se réunit désormais dans une salle située quai de Javel à Paris, dans la tour Mirabeau, salle qui sert ordinairement aux réunions organisées par l'une ou l'autre des directions relevant des services du Premier ministre qu'abrite cette tour de bureaux, la direction de l'information légale et administrative, notamment. Le CIVEN y dispose également d'une pièce de 16 m2, qui me permet de recevoir, plus commodément et dans un lieu dépourvu de toute connotation « défense », toute personne souhaitant me rencontrer pour une question relative à la compétence du comité.

Je n'ai pas abordé le fond du problème de l'indemnisation des victimes des essais nucléaires et pour plusieurs raisons. La première tient à la complexité de ce problème qui, rapportée au caractère récent de ma désignation comme président de cette instance, m'incite à la modestie et, plus encore, à la prudence sur un tel sujet. La deuxième est que l'objet de votre commission ne porte pas, à ce que j'ai compris, sur la mission proprement dite de cette toute jeune AAI, mais sur son fonctionnement, comme en témoigne le contenu du questionnaire auquel nous avons essayé de répondre aussi précisément que possible et avec la plus grande transparence.

La troisième et dernière raison, qui n'est pas la moindre, est l'existence d'un rapport d'information récent, puisqu'il date de septembre 2013, fait au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, par deux sénateurs, Mme Corinne Bouchoux et M. Jean-Claude Lenoir. S'il ne m'appartient évidemment pas de porter la moindre appréciation sur un rapport parlementaire, je ne peux que constater que les deux auteurs de ce rapport y exposent, infiniment mieux que je ne pourrais le faire, tout ce qu'il y a dire sur les difficiles questions que soulève l'accomplissement de ce devoir national de reconnaissance et de réparation à l'égard des personnes qui ont contribué aux essais nucléaires français, ou qui en ont simplement été les témoins involontaires, afin de les faire bénéficier, dans le cas où elles en ont subi des conséquences sur leur santé et en ont souffert, « d'un dispositif d'indemnisation juste, rigoureux et équilibré », pour reprendre les trois adjectifs utilisés dans l'introduction du rapport pour qualifier l'objectif poursuivi par le législateur à travers cette loi. Ce rapport d'information, dont plusieurs des préconisations ont d'ailleurs été suivies d'effet, reste d'une grande actualité et constitue un guide très précieux pour ceux que les circonstances amènent à s'intéresser, pour la première fois, à cette question.

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