Nous reprenons nos travaux cet après-midi, en recevant M. Denis Prieur, président du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN). Un questionnaire détaillé vous a été adressé par notre rapporteur Jacques Mézard et vous y avez répondu.
La loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a créé le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) comme un organisme consultatif. L'article 53 de la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019, a érigé ce comité consultatif en une autorité administrative indépendante (AAI) décisionnelle. Cette initiative résulte d'un amendement du groupe écologiste du Sénat afin de « lever tout soupçon de partialité que certains détracteurs de la loi formulent concernant le rôle décisionnel du ministre de la défense en matière d'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ».
L'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 comprend désormais les dispositions garantissant l'indépendance du CIVEN : composition, modalités de désignation de ses membres, conditions d'exercice de leur mandat. Vous nous les détaillerez dans votre propos introductif et vous nous présenterez également vos compétences, notamment en matière d'indemnisation des victimes, puisque depuis la loi de 2013, la décision d'indemnisation vous appartient en lieu et place du ministre de la défense.
Comme la loi le permet, votre audition fera l'objet d'un compte rendu publié dans le compte rendu détaillé des réunions des commissions, qui est diffusé en version papier et sur le site Internet du Sénat. Par ailleurs, votre audition est ouverte au public et à la presse et fait l'objet d'une captation vidéo. Avant de vous passer la parole, le formalisme des commissions d'enquête me conduit à vous demander de prêter serment. Je suis également tenue de vous indiquer que tout faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal...
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Denis Prieur prête serment.
La brièveté de mon intervention liminaire sera à l'image de la courte vie à ce jour de l'autorité administrative indépendante qui m'amène devant vous aujourd'hui. Celle-ci n'a en effet que quelques mois d'existence, puisqu'elle est née le 16 mars dernier, date à laquelle se sont réunies pour la première fois les personnes la composant, désignées quelques jours auparavant par un décret du Président de la République daté du 24 février 2015.
Le législateur avait toutefois manifesté depuis un certain temps sa volonté de transformer l'instance qui existait déjà, sous forme de commission à caractère consultatif et avec la même dénomination de comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, en autorité administrative indépendante, en même temps qu'il apportait quelques correctifs au dispositif initial d'indemnisation établi par la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite « Loi Morin ». C'est en effet le II de l'article 53 de la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale qui, sous forme d'incise, fait du CIVEN une AAI. Suit le détail de la composition du comité, et des modalités de nomination de ses différents membres, modalités qui font notamment intervenir pour plusieurs d'entre eux le Haut conseil de la santé publique. Plus que le délai de parution du nouveau décret d'application de la loi rendu nécessaire par les modifications apportées et signé le 15 septembre 2014, ce sont ces modalités de désignation qui sont à l'origine du décalage entre la date de promulgation de la loi de programmation militaire et celle de la naissance effective de la nouvelle AAI.
Toutefois, la loi avait prévu qu'un tel délai puisse exister, et son article 54 dispose sagement dans son III que « le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires continue d'instruire les demandes d'indemnisation, dans la composition qui est la sienne à la date de promulgation de la présente loi, jusqu'à l'entrée en vigueur du décret en Conseil d'État prévu au VI de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 précitée, puis des décrets de nomination correspondant à la nouvelle composition du comité ». Sur le plan administratif, l'année 2014 a donc été une année « mixte », si je puis dire, ou si l'on préfère, « de transition » : pendant que le CIVEN continuait de travailler sous forme de commission instruisant les dossiers de demande d'indemnisation et préparant, par ses recommandations, les décisions du ministre de la défense sur lesdites demandes, les services du ministère de la défense et ceux du Premier ministre prenaient de concert les dispositions administratives et budgétaires nécessaires et adéquates pour permettre au CIVEN de fonctionner sous son nouveau statut juridique dès que serait fixée sa nouvelle composition.
Ces dispositions ont consisté pour l'essentiel à transférer du budget du ministère de la défense où ils étaient antérieurement inscrits au sein du programme « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant » à celui des services du Premier ministre au sein du programme « Coordination du travail gouvernemental » les crédits destinés à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires. Un transfert de même nature a également été opéré en ce qui concerne les moyens de fonctionnement du CIVEN, moyens qui sont aujourd'hui couverts budgétairement par les services du Premier ministre. Dans l'attente de la désignation du président et des membres du collège de la nouvelle AAI, les services concernés ont fait le choix, à mon avis judicieux, de minimiser l'impact de ces transferts sur le fonctionnement au quotidien du secrétariat du CIVEN. Ils se sont donc accompagnés de la passation de conventions entre la direction des services administratifs et financiers du Premier ministre d'une part et le secrétariat général pour l'administration du ministère de la défense d'autre part aux termes desquelles la première nommée confiait, par délégation, au second la gestion tant des personnels que des moyens logistiques nécessaires au fonctionnement du CIVEN.
Peu après ma nomination à la présidence du CIVEN, la question m'a été posée de savoir si je souhaitais revenir sur cette solution, qui dans l'esprit de ses auteurs, avait un caractère « conservatoire » en quelque sorte.
Je n'ai pas longtemps hésité pour confirmer et valider le système de conventions de gestion mis en place, considérant que la priorité absolue était d'assurer la continuité de la mission impartie à ce comité d'indemnisation. De nombreux dossiers étaient en cours d'instruction par la petite équipe du secrétariat du CIVEN, des contentieux avaient été engagés par des requérants à l'encontre de décisions de rejet prises par le ministre de la défense en conformité avec les recommandations du comité et nécessitaient un suivi attentif en liaison étroite avec la direction des affaires juridiques du ministère de la défense, des questions parlementaires étaient régulièrement adressées au CIVEN par le cabinet du ministre pour fournir les éléments de réponse, les séances programmées d'examen des dossiers instruits devaient être organisées, et toutes ces tâches passaient par une bonne organisation du travail, des compétences acquises au fil des mois et des années par les personnels en place, et le respect des délais.
Les sept personnes composant le secrétariat du CIVEN notamment étaient inquiètes sur leur avenir, craignant que la transformation du comité en AAI et l'arrivée d'un nouveau président ne soient synonymes de bouleversements remettant en cause la localisation voire l'existence même de leur emploi. Il m'a paru nécessaire de prendre en compte cette inquiétude et de rassurer les intéressés en leur faisant part de mon intention de ne pas modifier l'organisation mise en place en bonne concertation entre les services du Premier ministre et le ministère de la défense. Ils conservent donc leur qualité de fonctionnaires du ministère de la défense et leur lieu de travail respectif est resté le même.
Ce choix de la continuité n'est en rien antinomique avec le changement de statut juridique du CIVEN. En effet, les personnels en question n'assurent que l'instruction administrative des dossiers, ainsi que l'accueil téléphonique et le courrier électronique avec les requérants, qu'ils renseignent avec beaucoup d'attention et de délicatesse, dans un contexte psychologique qui n'est pas toujours facile. Inutile de dire qu'ils le font avec la plus grande objectivité, et même, je puis en témoigner, en manifestant de l'empathie à l'égard de leurs interlocuteurs. L'instruction médicale des dossiers, quant à elle, incombe au médecin expert du comité, tenu au secret médical et au respect des autres règles déontologiques de sa profession. Cette instruction n'a d'ailleurs pour objet que de réunir les informations à caractère médical qui ne sont accessibles, aussi bien matériellement qu'intellectuellement, qu'à un médecin et qui concourront à la détermination de la probabilité de causalité, pierre angulaire du dispositif.
Mais c'est évidemment aux membres eux-mêmes du CIVEN que revient désormais la décision d'accepter ou de rejeter, au terme d'une instruction qui donne sa place au contradictoire, les demandes d'indemnisation dont il est saisi. Or, quelle que puisse être la manière dont sont apportés au CIVEN les moyens humains et matériels de son fonctionnement, la composition même de son collège, constitué en majorité d'éminents médecins, est garante de sa totale indépendance, comme c'était déjà le cas d'ailleurs, naturellement, dans la configuration précédente.
J'ai toutefois souhaité, symboliquement, que les séances du CIVEN puissent se tenir ailleurs que là où il avait l'habitude de se réunir auparavant, dans une salle de réunion du Fort de Montrouge, à Arcueil, à proximité immédiate de l'antenne parisienne du secrétariat du comité. Ce voeu a été exaucé puisque le collège du CIVEN se réunit désormais dans une salle située quai de Javel à Paris, dans la tour Mirabeau, salle qui sert ordinairement aux réunions organisées par l'une ou l'autre des directions relevant des services du Premier ministre qu'abrite cette tour de bureaux, la direction de l'information légale et administrative, notamment. Le CIVEN y dispose également d'une pièce de 16 m2, qui me permet de recevoir, plus commodément et dans un lieu dépourvu de toute connotation « défense », toute personne souhaitant me rencontrer pour une question relative à la compétence du comité.
Je n'ai pas abordé le fond du problème de l'indemnisation des victimes des essais nucléaires et pour plusieurs raisons. La première tient à la complexité de ce problème qui, rapportée au caractère récent de ma désignation comme président de cette instance, m'incite à la modestie et, plus encore, à la prudence sur un tel sujet. La deuxième est que l'objet de votre commission ne porte pas, à ce que j'ai compris, sur la mission proprement dite de cette toute jeune AAI, mais sur son fonctionnement, comme en témoigne le contenu du questionnaire auquel nous avons essayé de répondre aussi précisément que possible et avec la plus grande transparence.
La troisième et dernière raison, qui n'est pas la moindre, est l'existence d'un rapport d'information récent, puisqu'il date de septembre 2013, fait au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, par deux sénateurs, Mme Corinne Bouchoux et M. Jean-Claude Lenoir. S'il ne m'appartient évidemment pas de porter la moindre appréciation sur un rapport parlementaire, je ne peux que constater que les deux auteurs de ce rapport y exposent, infiniment mieux que je ne pourrais le faire, tout ce qu'il y a dire sur les difficiles questions que soulève l'accomplissement de ce devoir national de reconnaissance et de réparation à l'égard des personnes qui ont contribué aux essais nucléaires français, ou qui en ont simplement été les témoins involontaires, afin de les faire bénéficier, dans le cas où elles en ont subi des conséquences sur leur santé et en ont souffert, « d'un dispositif d'indemnisation juste, rigoureux et équilibré », pour reprendre les trois adjectifs utilisés dans l'introduction du rapport pour qualifier l'objectif poursuivi par le législateur à travers cette loi. Ce rapport d'information, dont plusieurs des préconisations ont d'ailleurs été suivies d'effet, reste d'une grande actualité et constitue un guide très précieux pour ceux que les circonstances amènent à s'intéresser, pour la première fois, à cette question.
Avant que le CIVEN ne devienne une autorité administrative indépendante, son travail y était déjà conduit dans la plus grande indépendance. Je ne doute pas que les médecins qui la composaient agissaient avec une grande déontologie. Puisque vous nous avez déclaré que l'instruction des dossiers se faisait alors dans la plus grande indépendance, quel est l'intérêt de devenir autorité administrative indépendante ?
Comme l'a rappelé madame la présidente, cette disposition provient d'un amendement parlementaire.
Tout ce qui concerne les autorités administratives indépendantes découle, dans l'immense majorité des cas, de lois qui ont été adoptées par le Parlement. Dès lors, la réponse qui consiste à indiquer qu'une telle situation reflète la volonté du Parlement a certes un sens, mais ma question est adressée au président d'une autorité administrative indépendante sur l'intérêt d'un tel statut. Ce qui importe, c'est la manière dont les dossiers des requérants sont traités et vous venez de nous dire que ceux-ci étaient auparavant traités correctement.
Auparavant, le CIVEN émettait des recommandations et le ministre prenait la décision. D'ailleurs, la grande majorité de ses décisions consistait à rejeter les demandes d'indemnisation, engendrant ainsi un certain nombre de recours contentieux. Ces décisions ministérielles s'avéraient toutes, je crois - puisque je n'étais ni acteur ni témoin de ce passé encore très récent -, dans le sens des recommandations émises par le comité. Désormais, l'autorité administrative indépendante assume la pleine et entière responsabilité des décisions sur les dossiers qui lui sont soumis. La composition du collège du CIVEN, telle qu'elle a été fixée par le décret du 24 février 2015, ressemble très fortement à celle du comité précédent. En outre, plusieurs membres du comité précédent ont été reconduits dans le collège de l'actuelle AAI. Ceci s'expliquant d'ailleurs par la précision des détails fixés par la loi elle-même pour la composition de ce collège dont elle prévoit, non seulement le nombre mais aussi la qualité de ces membres, en particulier les spécialités des médecins y siégeant. Le collège doit ainsi comprendre deux médecins choisis sur proposition du Haut conseil de la santé publique, en raison de leurs compétences en matière de radio-pathologie, un médecin compétent dans le domaine de l'épidémiologie, un médecin choisi, sur proposition de ce même conseil, compétent en matière de réparation de dommages subis par les victimes. L'une des novations liées au statut d'AAI qui vise à rassembler les conditions d'une objectivité et d'une indépendance accrues par rapport à celles de l'instance précédente, réside dans la présence d'un médecin désigné, avec avis conforme même conseil, par les associations représentatives des victimes des essais nucléaires. Ces éléments présentent une différence notable avec le système antérieur.
L'idée de faire de cette instance une autorité administrative indépendante est aussi de l'ordre du symbole, car les symboles ont eux aussi leur importance. Cette démarche est l'assurance pour les associations et victimes des essais nucléaires qui se feraient connaître pour demander réparation pour les dommages subis, que leur demande sera traitée par une instance qui n'a de compte à rendre à aucun ministre et ne pourra statuer qu'en pleine objectivité et en toute impartialité. Du reste, mon jugement sur ce que faisait l'instance précédente exprime une conviction, qui n'est pas seulement la mienne et qui reflète l'opinion de l'ensemble des observateurs, résultant de la composition du comité qui veille à l'application la plus objective de la loi du 5 janvier 2010.
L'État ne se défausse-t-il pas en définitive puisque l'expertise du précédent comité ne faisait nullement débat et que désormais seule l'autorité administrative indépendante assume sa décision.
Je ne le dis nullement ainsi !
L'indemnisation des victimes est un processus complexe, puisque celui-ci repose sur la détermination de la probabilité d'un lien de causalité entre la présence d'un intéressé dans une zone où ont été conduits des essais nucléaires atmosphériques.
En effet.
Tout à fait. La possibilité de demander réparation est ouverte aux victimes elles-mêmes, qui ont été exposées à des rayonnements ionisants consécutifs à des essais nucléaires, ainsi qu'à leurs ayant-droits pendant une période qui a d'abord été fixée à cinq ans à compter de la promulgation de la loi de 2010 avant de se voir prorogée pour une nouvelle période de cinq ans coïncidant avec la loi de programmation militaire 2014-2019. Les dossiers qui nous arrivent actuellement sont plus souvent déposés par des ayant-droits que par les victimes elles-mêmes. Mais nous traitons également des dossiers de victimes lesquelles, tout en souffrant de maladies graves, sont encore en vie.
Tout ce système repose sur une présomption de causalité inscrite dans la loi : ainsi, se trouver sur un territoire où se sont déroulés des essais nucléaires, en y exerçant des fonctions susceptibles d'exposer à des rayonnements ionisants, crée une présomption de causalité expliquant le développement ultérieur de l'une des vingt-et-une maladies relatives à l'exposition nucléaire et figurant à l'annexe du décret. Dans de telles conditions, la loi prévoit que l'État apporte une réparation intégrale au préjudice subi. Toutefois, cette présomption ne s'applique pas si, au regard de la nature de la maladie et des conditions d'exposition, le risque relatif à l'exposition aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable. Tout tient dans cette restriction.
Par ailleurs, la loi ne détermine pas de seuil ni n'établit de présomption irréfragable, car si tel était le cas, il n'y aurait pas besoin d'un comité chargé d'examiner les dossiers. La loi instaure une présomption de causalité qui peut être renversée si le lien entre la situation des personnes et le déclenchement d'une des vingt-et-une maladies n'est pas fermement établi. Le décret d'application de la loi indique clairement que la détermination de la méthode, destinée à établir cette causalité, incombe au CIVEN. Comment le comité a-t-il fait depuis sa création ? Il s'est inspiré des méthodes utilisées notamment aux États-Unis qui ont également pris la décision d'indemniser les personnes exposées à la radioactivité provoquée par les essais. Ces derniers ont ainsi développé un système, qui ne s'adresse pas aux vétérans, mais aux personnes qui exercent des activités les mettant en contact avec les rayonnements ionisants. Cette méthode, qui a été reconnue valide par la communauté scientifique mondiale et par l'Agence internationale de l'énergie atomique, est désignée sous le label de NIOSH-IREP. Elle procède par un calcul de probabilités à partir des données individuelles, dans lesquelles figurent des données de dosimétrie et une série de paramètres normés, et permet d'assigner à chaque cas une probabilité de causalité, s'agissant notamment de pathologies comme des cancers qui peuvent par ailleurs être considérées comme des maladies « sans signature », c'est-à-dire difficilement explicables par l'imputation d'une seule causalité possible. On ne peut donc raisonner qu'en termes statistiques à partir de données épidémiologiques.
Cette application NIOSH-IREP permet de définir un taux de probabilité et le CIVEN a considéré que, dès que le taux d'imputation d'une maladie à l'exposition aux éléments ionisants atteignait 1 %, la présomption de causalité devait être prise en compte. On n'a jamais de certitude quant à une causalité directe. Cette méthode a eu pour résultat jusqu'à présent que rares sont les cas présentant un taux de probabilité supérieur à 1 %.
L'un des objectifs de la loi était de simplifier les dispositifs d'indemnisation qui étaient différents pour les militaires comme pour les civils, que ce soient celles qui assumaient des fonctions sur les sites où se déroulaient les essais ou les populations préalablement évacuées. Certes, certains nuages radioactifs ont pu se déplacer par rapport à la trajectoire qui en avait été initialement calculée. En outre, la loi a unifié les systèmes d'indemnisation qui étaient différents en prévoyant un même dispositif pour les militaires, les civils et les populations. Cette loi avait pour objectif également de rendre plus aisé l'accès à l'indemnisation et aux réparations, tout en posant les règles de la méthodologie appliquée en la matière. Puisque ce constat a été réalisé, il est apparu que l'image donnée par ce comité d'indemnisation auprès des personnes qui n'avaient pu obtenir réparation devait être modifiée afin qu'aucune suspicion ne pèse sur l'efficacité de la loi et sur le dispositif d'indemnisation qu'elle unifie.
Mais quel était l'intérêt de transformer le comité en autorité administrative indépendante puisque, d'une part, le travail qui y était accompli était de qualité et que, d'autre part, l'indépendance de ses membres était avérée ? En outre, les recours à l'encontre des décisions rendues par ce comité avaient également échoué ! Certes, vous nous avez indiqué que cette transformation prenait valeur de symbole, mais le fonctionnement de nos institutions deviendrait compliqué s'il fallait créer des autorités administratives indépendantes pour des motifs symboliques ! Il existe par ailleurs l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), qui traite de l'indemnisation des accidents médicaux. Or, il est placé sous la tutelle du ministre de la santé.
La création ou non d'une autorité administrative indépendante ne relève pas de votre responsabilité. Vous nous avez cependant confirmé que le dispositif antérieur fonctionnait bien et qu'il n'était pas forcément utile, si ce n'est pour le symbole, de le changer ! Le contenu de la loi du 5 janvier 2010 n'a guère été modifié par la loi de programmation militaire pour les années 2014-2019 et on peut estimer que la situation, qui ne satisfait pas tout le monde, ne devrait pas évoluer. Autre élément, qui ne touche aucunement à mes yeux à votre indépendance : vous disposez d'un secrétariat qui est accueilli à La Rochelle par le ministère de la défense et devriez bénéficier de fonctions support, à la lecture des réponses à votre questionnaire, mises à disposition par ce même ministère et par les services du Premier ministre. Sans enlever à votre souci d'indépendance, la même remarque vaut pour votre statut d'ancien auditeur de l'Institut des hautes études de la défense nationale. Ainsi, on ne peut qu'être interpellé par le hiatus entre le caractère symbolique du statut d'autorité administrative indépendante et la dépendance de votre instance, en ce qui concerne ses fonctions support, soit du ministère de la défense, soit des services du Premier ministre !
Vous essayez d'avoir l'approche la plus objective possible de la situation. Personne ne conteste donc la méthode que vous suivez ? En outre, faire preuve de la plus grande objectivité possible rend secondaire l'indépendance à laquelle vous aspirez également.
Une fois que les personnes ont été reconnues bénéficiaires d'une indemnisation, comment évaluez-vous le montant de cette dernière ? La qualité de professeur de médecine confère-t-elle une expertise sur cette question du dédommagement ou celle-ci relève-t-elle d'un acte plus politique ?
Je salue l'honnêteté qui a été la vôtre pour nous présenter la situation de votre autorité. Nous nous interrogeons sur la valeur ajoutée qu'apporte la structure d'autorité administrative indépendante. Puisqu'il y a manifestement une continuité entre votre instance et le comité auquel elle s'est substituée, ne pourrait-on pas aborder votre transformation en AAI du point de vue de l'efficience, puisqu'il s'agit d'une sorte « d'externalisation ». Celle-ci permet-elle de faire apparaître des synergies et des économies financières qui légitimeraient parfaitement de recourir à ce statut d'autorité administrative indépendante ?
S'agissant de l'évaluation, lorsqu'un dossier donne lieu à une décision d'acceptation qui ouvre la voie à une indemnisation, un expert médical est désigné pour évaluer le préjudice donnant lieu à une réparation intégrale. Cette méthode d'évaluation est tout à fait classique, puisqu'elle concerne à la fois le préjudice permanent et temporaire, ainsi que ses incidences patrimoniales. Cette évaluation procède selon la nomenclature Dintillac, qui est bien connue, et qui conduit à une estimation.
Nous validons cette estimation si celle-ci ne fait pas apparaître d'erreur manifeste et le versement est effectué au profit de la personne concernée, en lui précisant que cette indemnisation est exclusive de toute autre action qu'elle pourrait engager sur le même motif. Devenir bénéficiaire de ce versement implique ainsi le renoncement à toute autre action conduite auprès d'autres juridictions éventuelles. Est également déduit du montant versé directement à la personne ce qui a été au préalable octroyé par les autres organismes de sécurité sociale pour faire face aux affections dont souffrent les bénéficiaires du versement. Dans la majorité des cas, nous nous en tenons à l'expertise qui a été réalisée. Cette méthode a-t-elle été contestée ? Je n'ai pas connaissance de controverses au sein de la communauté scientifique sur la validité de cette méthodologie qui repose sur le maniement d'outils mathématiques donnant lieu à un calcul de probabilités.
Nous ne disposons que d'une seule méthode !
Parmi les novations introduites par les articles 53 et 54 de la loi de 2013 figure la nomination d'un médecin désigné sur proposition des associations de victimes. Au moment où j'ai pris la présidence du CIVEN, j'ai interrogé les membres, dont les compétences techniques sont supérieures aux miennes, quant à la pertinence de la méthode suivie. À l'unanimité, ceux-ci, y compris donc le médecin désigné sur proposition des associations, ont décidé d'en poursuivre l'utilisation ! Et il me paraissait essentiel qu'une telle orientation figurât parmi les premières décisions prises par le CIVEN puisqu'à ce jour, aucune décision scientifique n'a remis en cause la méthode suivie.
Sur le plan contentieux, certains recours ont été formés à l'encontre de décisions ministérielles de rejet et plusieurs d'entre eux concernent le premier échelon de la juridiction administrative et ont abouti à des décisions d'annulation. À la lecture que j'ai pu en avoir, ces décisions du tribunal administratif ne se fondent pas sur un défaut inhérent à la méthodologie qui est généralement validée. En revanche, la loi fait obligation au comité d'examiner chaque dossier individuel de manière exhaustive afin de fonder en droit la décision. Ainsi, on ne traite pas de la même manière le dossier d'un technicien qui était affecté au travail de décontamination d'aéronefs et le militaire, appelé du contingent, qui était cuisinier dans la base vie des personnels qui assuraient la logistique des essais nucléaires. Sur le plan des données quantitatives dont on peut disposer, les livrets médicaux peuvent parfois attester que ces deux personnes peuvent avoir toutes deux reçues de très faibles doses de radioactivité du fait de leur situation particulière. Nous prenons ainsi en compte ces différents éléments afin d'être à la fois le plus fidèle à l'esprit de la loi et le plus objectif possible, tout en essayant de faire jouer l'hypothèse la plus favorable à l'intéressé.
Pourquoi ces liens maintenus avec l'État ? Comment le CIVEN peut-il travailler, sinon avec les archives et les documents conservés sur les personnes en contact, d'une manière ou d'une autre, avec les essais nucléaires ? Ceux-ci sont détenus, pour l'essentiel, par le ministère de la défense et tous les dossiers individuels des anciens militaires sont conservés par le service des pensions de la défense implanté à La Rochelle et l'ensemble des éléments sur lesquels le CIVEN fonde ses décisions s'y trouve. C'est d'ailleurs l'une des raisons de l'implantation dans cette localité de son secrétariat.
En dehors des neuf membres que compte son collège, le CIVEN comprend sept agents qui se répartissent ainsi : deux agents de catégorie A, un agent de catégorie B et quatre agents de catégorie C. Notre structure est ainsi extraordinairement fragile ! Est-il vraiment défendable que deux de ces agents se trouvent basés à Arcueil, tandis que les autres le sont à La Rochelle ? Ceux-ci ne pourraient pas changer de localisation sans mettre en péril le fonctionnement de notre comité. Il faut tenir compte des réalités humaines et je ne vois pas en quoi recruter de nouveaux agents présenterait un gage d'efficience, car il nous faudrait alors attendre plus de dix-huit mois avant de retrouver un CIVEN opérationnel et capable de traiter un dossier ! Je ne pense absolument pas que le choix consistant à utiliser les compétences là où elles se trouvent actuellement soit attentatoire à son indépendance.
S'agissant du fonctionnement du CIVEN, comment expliquez-vous que l'un de vos vice-présidents perçoive près de trois cent euros par séance, soit trois fois les émoluments des autres membres ? Exerce-t-il un rôle particulier pour se distinguer ainsi ?
D'une part, le président peut désigner, conformément à la loi, un vice-président et au cours de la première réunion du CIVEN qui s'est tenue le 16 mars dernier, je ne l'ai pas fait. Le vice-président n'a ainsi été désigné que le 1er juillet dernier. Celui-ci appartenait déjà au comité dans sa configuration antérieure et possède de réelles compétences de fond sur les questions qui nous sont soumises. Aussi, cette différence de rémunération, dont cette personne est bénéficiaire, s'explique par le soutien constant qu'il apporte à l'autorité administrative indépendante. Ce vice-président peut d'ailleurs être appelé à me suppléer, lors des séances de réunion de notre comité.
J'aurai une question plus générale qui concerne l'objet de notre commission d'enquête. Vous êtes membre du collège d'une autre autorité administrative indépendante. Que pensez-vous de cette évolution qui tend à la création d'un nombre sans cesse croissant d'autorités administratives indépendantes, qui sont au nombre de 42. Que pensez-vous de l'appartenance simultanée aux collèges de différentes autorités administratives indépendantes ? Sans remettre en cause vos qualités professionnelles unanimement reconnues, vous êtes membre de toute une série de comités interministériels, d'autorités administratives indépendantes et de hauts comités d'évaluation. Au-delà de la reconnaissance de la diversité des compétences de notre haute fonction publique, que vous inspire une telle situation ?
Je n'ai pas demandé à être nommé à ces fonctions !
S'agissant des deux autorités administratives indépendantes auxquelles j'appartiens, celles-ci ne sont pas du tout de même nature. Je suis en effet suppléant de la commission des sanctions de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, à la demande de son président. Une telle situation est classique car j'étais conseiller d'État en activité jusqu'au 15 mars dernier et désormais retraité. Cette nouvelle autorité existe en raison de l'impossibilité d'être à la fois autorité de régulation et de supervision, ainsi que de sanction. Cette autorité intervient si la commission de régulation la saisit lorsqu'un établissement est reconnu fautif d'un grave manquement. Les activités de cette commission ne sont pas du tout de même nature que celles du CIVEN. À cet égard, je ne pense pas qu'il y ait une unité par essence des différentes autorités administratives indépendantes.
Vous avez une longue carrière dans l'administration puisque vous avez été un préfet aux compétences reconnues avant d'être nommé conseiller d'État. Ce qui nous interpelle, c'est de constater que la composition des collèges de ces autorités administratives indépendantes reflète essentiellement la haute fonction publique et surtout ses grands corps. Certains textes législatifs disposent également de l'impossibilité d'être nommé dans certaines autorités administratives indépendantes au-delà de l'âge de soixante-cinq ans. Si une telle disposition était appliquée à l'ensemble des AAI, imaginez les difficultés qui s'ensuivraient ! Une telle réalité marque l'attachement de notre haute fonction publique à poursuivre, souvent d'ailleurs bénévolement, ses fonctions au-delà de l'âge de la retraite. Mais pour les autres, la question porte sur la pertinence de ce cumul de fonctions par ceux qui sont déjà membres de cette haute fonction publique ! Une telle question ne nous conduit nullement à remettre en cause la compétence de ces personnes d'expérience qui assument une véritable mission de service public. D'ailleurs, est-ce qu'au-delà du symbole affiché, la création d'une autorité administrative indépendante n'était en définitive pas une manière pour l'État de garantir le caractère incontestable des décisions qui étaient auparavant prises par le ministère de la défense ? Est-ce que vos statuts de membre, en qualité de personnalité qualifiée, du comité de rémunération des personnels du ministère de la défense ou de vice-président du haut comité d'évaluation de la condition militaire, sont de nature à rassurer les associations, du fait de vos liens avec le ministère de la défense. Je suis un peu provocateur, certes, mais vous avez saisi le sens de mes questions.
Je vais tenter de répondre. Dès que j'ai été sollicité pour la présidence du CIVEN, j'ai demandé à ne plus siéger au sein du comité de rémunération des personnels du ministère de la défense. J'appartiens à un certain nombre d'instances dont certaines ne se réunissent qu'une à deux fois par an, ce qui est loin d'obérer ma capacité à assumer la présidence du CIVEN ! Cette dernière fonction me prend le plus de temps, en raison de deux à trois jours par semaine et je suis suffisamment disponible pour en assumer la présidence de manière suivie et rigoureuse. Peut-être aviez-vous l'idée qu'une personne ne présentant aucun lien avec l'administration renforcerait la crédibilité de l'AAI qu'elle présiderait ? Sans me prévaloir de l'opinion que pourraient en avoir les intéressés, je constate cependant qu'avoir une culture juridique et administrative, dans de telles fonctions, est loin d'être inutile. Je regrette vivement de ne pas avoir de culture médicale autre que familiale, mais je me familiarise avec les problématiques médicales spécifiques au CIVEN au contact des membres de son collège.
J'ajouterai que le CIVEN demeure avant tout une instance collégiale et n'est nullement personnifié par son président. Certes, en assumer la présidence demande du temps, mais ne confère nullement la qualité d'être une autorité décisionnaire en lieu et place du collège.
Nous sommes dans l'interrogation les uns les autres, que ce soit au sein des collectivités locales, qu'au niveau de l'État, de l'efficacité de la gestion de la dépense publique. Je souhaiterais ainsi savoir si, de votre point de vue, le passage par une autorité administrative indépendante induit a priori une économie de gestion, une équivalence de frais de gestion ou une augmentation des coûts de gestion. Ma question ne remet pas du tout en cause ni l'expertise des gens qui y travaillent, ni la qualité du travail qui y est réalisé. Je m'interroge seulement sur les implications budgétaires qu'une telle démarche entraîne. D'ailleurs, j'ai bien compris que, dans un certain nombre d'autorités, des personnes travaillaient bénévolement et je trouve cela d'autant plus respectable au regard de l'expertise de ces personnes. Mais j'ai cru comprendre qu'ici ou là se trouvaient des dépenses supplémentaires !
S'agissant du CIVEN, je ne vois pas de poste de dépense qui serait directement imputable à la modification de son statut juridique. Le fait d'avoir pris comme option de maintenir le fonctionnement aussi proche qu'il était conduit à la conclusion d'une absence d'effets financiers.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'amendement sur le CIVEN n'avait pas été déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution.
Je note cependant qu'on y retrouve quelques rigidités, y compris dans la réorganisation et la réimplantation de ces services. Il me semble tout de même que la finalité est d'obtenir un service public qui reste au service du plus grand nombre, et non une organisation qui réponde aux demandes, y compris personnelles, des acteurs. On pourrait ainsi penser que le recours à une autorité administrative indépendante donne plus de flexibilité dans une organisation efficiente.
Avez-vous eu connaissance de dossiers impliquant des essais nucléaires autres que ceux dans l'Océan Pacifique ? Certains épisodes ont été relatés.
Un essai nucléaire est en effet bien connu pour avoir été raté et a été d'ailleurs conduit en présence de hautes personnalités. Il y a en effet eu une période durant laquelle de telles informations n'étaient pas accessibles, car elles relevaient du secret-défense. Mais aujourd'hui, l'épisode, auquel vous faites référence, est connu et reconnu. À ce titre, dans notre rôle d'instruction des dossiers, nous sommes amenés à extraire des éléments d'information des documents militaires. En tant que président, je n'ai d'ailleurs aucunement l'impression d'une quelconque forme de rétention d'information. Tout le monde souhaite que l'application de cette loi apporte toute la satisfaction possible aux personnes concernées et l'accès aux sources ne souffre d'aucune difficulté particulière.
Cette audition s'étant déroulée à huis clos, le compte rendu ne sera pas publié.
La réunion est levée à 17 h 02