Intervention de Laurence Engel

Commission d'enquête Autorités administratives indépendantes — Réunion du 29 juillet 2015 : 1ère réunion
Audition de Mme Laurence Engel médiateur du livre

Laurence Engel, médiateur du livre :

Madame la présidente, vous avez déjà présenté en partie la fonction que j'exerce et je m'efforcerai donc d'être brève. J'ai été nommée médiateur du livre le 5 septembre 2014. Comme vous le savez, je suis la première à exercer cette fonction et je dispose donc d'un recul assez limité pour esquisser un bilan. Toutefois, après quelques mois d'exercice, il me semble possible d'évoquer le rôle de cette autorité de manière concrète et non plus seulement théorique.

Il me semble important de replacer la création récente du médiateur du livre dans la perspective historique non pas des autorités administratives indépendantes, mais du secteur du livre. En effet, la création de cette fonction avait été évoquée au tout début des années quatre-vingt-dix : un médiateur avait alors été nommé intuitu personae pour régler une question. À l'issue de ses travaux, les professionnels avaient évoqué pour la première fois l'hypothèse de l'institutionnalisation de cette fonction. Depuis le début des années 2000, chaque fois que la situation du secteur du livre est évoquée, l'hypothèse de la création d'un médiateur du livre l'est également ; elle a même fait l'objet d'une formalisation juridique assez précise en 2003.

Cependant, la fonction n'a été créée qu'en 2014. Je pense que deux éléments déclencheurs ont joué pour que les professionnels, notamment les libraires, réinscrivent la question à l'ordre du jour.

Premier élément déclencheur : les libraires se sont mobilisés en 2012 pour rappeler les difficultés qu'ils rencontraient : le Gouvernement a alors engagé une réflexion qui s'est traduite par un certain nombre de dispositions législatives, dont celle créant le médiateur du livre, constituant ce que l'on a appelé le « plan librairie » - ce n'est pas le premier et je crains que ce ne soit pas le dernier. Quoi qu'il en soit, un lien a toujours été établi entre la situation de la librairie et la création d'un médiateur, puisque les lois sur le livre avaient toutes pour vocation de préserver le tissu existant de librairies. Or leurs dispositions ne sont pas toujours parfaitement respectées par les professionnels eux-mêmes. C'est pour cette raison que les libraires souhaitaient la création d'un médiateur chargé de veiller à la bonne application de la loi.

Dans le cadre du « plan librairie », les libraires ont reformulé leur demande qui a prospéré davantage qu'elle ne l'avait fait précédemment, parce que les enjeux du numérique ont conduit l'ensemble de la filière, y compris les éditeurs, à se poser un certain nombre de questions sur la viabilité de la loi et la manière de la faire respecter, en particulier la loi du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique - selon moi, c'est le deuxième élément déclencheur. En 2012 et en 2013, ce qui ne s'était jamais vu jusque-là, l'ensemble des acteurs de la filière du livre sont tombés d'accord pour demander la création d'un médiateur pour discuter de l'avenir de la filière et de la bonne application de la loi.

En toile de fond, un exemple s'imposait, celui du cinéma où un médiateur existe depuis une trentaine d'années - vous avez sûrement eu l'occasion de le rencontrer dans le cadre de vos travaux. Le recul dont nous disposons pour évaluer son activité a permis d'observer que son activité ne fluctue pas tant en fonction du nombre de litiges à régler qu'en fonction de leur importance qualitative : selon l'évolution des pratiques, de la vie économique des différents secteurs, le besoin d'une intervention est plus ou moins fort.

La fonction de médiateur du livre, telle qu'elle a été créée dans ce contexte, consiste, premièrement, à résoudre des conflits au niveau préjuridictionnel, puisque sa médiation est subsidiaire, par rapport aux instances professionnelles existantes, mais obligatoire, dans la mesure où elle est un préalable nécessaire avant la saisine du juge - les lois sur le livre comportant en effet des dispositions pénales. Le médiateur du livre n'a que peu de pouvoirs, puisqu'il ne peut adresser d'injonction. Il exerce simplement un pouvoir de recommandation, les parties ayant la possibilité de saisir ensuite les autorités judiciaires.

Deuxièmement, le médiateur ne joue pas uniquement un rôle préjuridictionnel, mais il joue aussi un rôle de régulateur, compte tenu de ses modalités d'intervention. Ce rôle de régulation apparaît dans le cadre du pouvoir de recommandation, qui résulte nécessairement d'un dialogue, dans l'obligation de rendre un rapport annuel d'activité au ministre et dans la possibilité de suggérer des évolutions du cadre réglementaire et législatif qui organise la filière du livre. Il joue donc un rôle d'instance de dialogue à deux niveaux : au sein de la profession et entre les professionnels et les autres organes de l'État, qu'il s'agisse du pouvoir exécutif ou législatif.

Troisièmement et enfin, le médiateur du livre a repris les fonctions de médiateur de l'édition publique, qui existait précédemment. D'une certaine manière, le médiateur de l'édition publique a vu ses fonctions étendues en 2014, pour devenir médiateur du livre. En outre, dans le secteur de l'édition publique, son intervention a été élargie au livre numérique.

Le contexte actuel est marqué par la réflexion portant sur la modernisation de l'action publique et sur une éventuelle redéfinition de ses contours. Il est important que les acteurs publics éditent et publient au format numérique. L'État a décidé de soutenir cette politique de manière consensuelle. De son côté, le médiateur du livre est chargé de résoudre un certain nombre de problèmes qui demeurent.

Le médiateur du livre doit être à disposition de la filière. Il constitue, à mon sens, un outil au service d'un secteur économique.

C'est d'ailleurs toute la logique du « plan librairie » : réactiver ou étendre un certain nombre d'outils mis à la disposition des professionnels du secteur. Ces outils peuvent être de nature économique, comme l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles, l'IFCIC. Ils peuvent également être de nature juridique. Je pense au médiateur du livre, ou encore aux agents assermentés, qui, sur l'ensemble du territoire, peuvent dresser des procès-verbaux constatant l'ineffectivité ou le non-respect des dispositions législatives.

De plus, il faut veiller à ce que les différents outils mis à la disposition de la filière soient bien articulés - je songe aux services du ministère de la culture, au Centre national du livre, le CNL, et à cette nouvelle institution qu'est le médiateur du livre.

Sur cette base, il me semble possible de distinguer trois critères d'appréciation.

Tout d'abord, en créant le médiateur du livre, le législateur a visé un objectif d'efficacité et d'effectivité de la loi. Je le répète, les professionnels constatent régulièrement qu'en la matière, les dispositions législatives ne sont pas strictement appliquées. Parallèlement, dans ce domaine comme dans bien d'autres, les différents acteurs sont placés dans des rapports de pouvoirs très inégaux.

En particulier, les libraires - ce sont précisément eux qui ont demandé la création du médiateur du livre - ne disposent pas, à leurs yeux, de moyens juridiques suffisamment solides pour saisir le juge. Il va sans dire que ces procédures coûtent très cher et exigent beaucoup de temps avant d'aboutir à une solution. Cet outil doit permettre d'assurer la bonne application de la loi, en évitant d'aller jusqu'aux procédures juridictionnelles : nous sommes donc bien face à une logique d'effectivité.

Il ne s'agit pas de retirer à l'État, ou du moins au pouvoir exécutif, une part de ses compétences - je sais que c'est là une question que se pose votre commission d'enquête. Au contraire, le but est d'assurer la bonne application de la loi et, ainsi, d'affirmer le rôle des pouvoirs publics.

Ensuite, les dispositions législatives suivent une logique d'économies. Le questionnaire que vous m'avez adressé consacrait une large part à cet enjeu. Vous le savez, le médiateur du livre dispose de moyens tout à fait restreints. Au demeurant, son action est moins coûteuse que le recours aux tribunaux, qui est rarement la solution la moins onéreuse, étant donné les coûts qu'elle représente en termes de temps et de procédures.

Enfin, la création du médiateur du livre répond à une logique d'adaptation des modes d'intervention de l'État, notamment à l'ère du numérique. Les professionnels du secteur se sont penchés attentivement sur cette question en 2012, à la suite de la loi relative au prix du livre numérique, votée en 2011. Tous les professionnels se posent cette question, notamment dans le secteur culturel.

Les outils de régulation existant dans tel ou tel domaine sont souvent vieux de trente ou quarante ans. Parfois, ils sont même beaucoup plus anciens, notamment dans les secteurs du cinéma et du livre - le CNL et le Centre national de la cinématographie, le CNC, ont été créés au lendemain de la Libération. Aussi, l'interrogation est la suivante : comment préserver ces outils de régulation, gages de l'exception culturelle française, face aux contestations dont ils font l'objet ? À mes yeux, ces dispositifs doivent être revisités à l'aune du numérique.

Le numérique impose de veiller en permanence à l'évolution du fonctionnement des divers secteurs économiques. Ces transformations sont extrêmement rapides. Pour des raisons d'efficacité, on imagine mal revenir constamment sur les textes législatifs ou réglementaires, dans le but d'en réviser tel ou tel point. Ou bien la norme deviendrait largement incompréhensible, ou bien elle se révélerait beaucoup trop précise et, dès lors, assez rapidement inadaptée. Ce sont là, je le sais, des enjeux auxquels le Sénat est attentif.

Tous les acteurs publics se posent la question de la régulation à l'ère du numérique, c'est-à-dire dans un univers extrêmement mouvant.

Dans ce cadre, l'intervention d'un médiateur favorise l'élaboration de textes plus larges, moins précis, fixant un certain nombre de principes tout en permettant une interprétation co-construite - pardonnez-moi ce barbarisme ! - et débattue avec les professionnels. C'est cette notion de dialogue, de discussion et d'adaptation, fondée sur une vision vivante des textes normatifs, qui a prévalu lors de la préparation de la loi, pour la création du médiateur du livre.

En tout cas, c'est ainsi que j'ai compris la création de cette instance et que j'ai exposé son rôle aux professionnels lors de ma prise de fonctions. De plus, c'est ainsi, pour tirer un premier bilan de ces quelques mois d'activité, que le médiateur du livre a fonctionné dans les faits.

Les professionnels m'assurent que cette instance leur permet de répondre aux questions qu'ils se posent, quant à la manière d'appliquer la loi aujourd'hui et quant aux moyens d'en préserver l'effectivité de manière rapide, productive et souple, ce presque au quotidien.

Le questionnaire de votre commission d'enquête m'a permis de détailler mon activité au cours de ces quelques mois. J'ai été sollicitée pour un certain nombre de petits dossiers du quotidien, ainsi que pour quelques grands sujets qui intéressent l'ensemble de la filière. Celui des offres d'abonnements a déjà abouti. Celui du fonctionnement des places de marché est en cours. Enfin, pour le dossier de l'édition publique, je m'emploie actuellement à formaliser un programme de travail, en lien avec les professionnels et les administrations.

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