Je vous remercie de vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs.
Le ministre des affaires étrangères turc était présent hier à la conférence internationale et j'ai pu, à cette occasion, m'entretenir assez longuement avec lui. Nos relations avec la Turquie sont bonnes, plus aisées qu'à d'autres périodes.
Comme vous le savez, la Turquie est aussi engagée actuellement dans un processus électoral.
Mon homologue m'a expliqué que son pays accueillait désormais 1,8 million de réfugiés syriens sur son territoire. Je lui ai rappelé que l'actuel Premier ministre, M. Davutoðlu, qui était auparavant ministre des affaires étrangères, m'avait un jour confié qu'il était impossible pour son pays d'accueillir plus de 100 000 réfugiés.
C'est donc un problème considérable pour la Turquie, qui cherche à éviter que le nombre de réfugiés n'augmente à chaque nouvelle difficulté en Syrie. Leur idée, en liaison avec les Américains, est d'essayer de créer ce que l'on appelait auparavant une No Fly Zone, une Safety Zone ou une Safe Zone, c'est-à-dire une zone qui permette de stabiliser les populations sans que celles-ci aient besoin de venir jusqu'en Turquie.
Mais c'est plus facile à dire qu'à faire ! Juridiquement, cette zone serait constituée sur le territoire de la Syrie, et elle devrait de surcroît être protégée d'interventions aériennes éventuelles.
Quant à la question kurde, elle est très complexe. Elle concerne beaucoup de pays et nous pensons qu'elle ne peut se régler que par le dialogue, non par la force. Il ne s'agit pas pour nous de soutenir en quoi que ce soit telle ou telle organisation, mais l'on ne peut pas envisager non plus leur éradication.
Forts de nos très bonnes relations avec nos collègues turcs, nous leur disons que tout ce qui pourra être fait pour favoriser le dialogue ira dans le bon sens. Les discussions avaient d'ailleurs commencé avec M. Öcalan, mais elles ont malheureusement été largement remplacées par une série d'attentats.
De notre côté, même si nous sommes conscients des difficultés, nous souhaitons qu'un dialogue puisse s'engager pour résoudre la question kurde.
Cela a un certain lien avec ce qu'a dit M. Guerriau sur les forces d'interposition.
Si nous ne progressons pas aux, c'est parce que toutes les résolutions, dès lors que les questions de fond sur la Syrie sont abordées, font l'objet d'un veto, à l'exception de celle, partielle, qu'a proposée Staffan de Mistura.
On ne peut envisager l'envoi de forces d'interposition que si l'on a un plan de solution politique. On ne peut pas envoyer des gens au milieu de Daesh, des forces syriennes et du Front al-Nosra sans mandat. La priorité est donc de parvenir à une solution politique.
Permettez-moi de préciser quelle est notre position à cet égard, en réponse à l'intervention de M. Bockel.
Depuis l'été 2012, c'est-à-dire depuis la conférence de Genève 1, nous disons qu'il faut discuter avec des éléments du régime. De toute façon, on sait bien que, lorsqu'on discute, on le fait avec ceux qui sont en face de soi ! Ainsi, lors des conférences de Genève 1 et de Genève 2, j'étais dans la même pièce que les représentants de M. Bachar al-Assad.
La question qui se pose est la suivante : quelles sont les perspectives ? Doit-on dire au peuple syrien que M. Bachar al-Assad détiendra le pouvoir exécutif au cours des quinze prochaines années ? Si on dit cela, il n'y a pas de solution possible. Entre dire cela et exiger le départ immédiat de M. Bachar al-Assad, il y a une marge. Cela s'appelle la diplomatie.
C'est non pas sur la question de savoir s'il fallait ou non discuter avec le régime qu'il y a eu des « adaptations » - c'est le mot que j'utiliserai -, mais sur deux autres points, qu'il faut non seulement admettre, mais revendiquer.
D'une part, l'accord avec l'Iran sur le nucléaire crée une capacité de discussion un peu différente. D'autre part, la montée en puissance de Daesh en Syrie, qui constitue une menace avérée pour les intérêts français, nous conduit à prendre des décisions qui n'étaient pas nécessaires il y a un an et demi ou deux ans.
Pour ma part, je pense qu'il est tout à fait légitime de s'adapter à la réalité de la situation. Ne pas le faire n'aurait aucun sens.
Monsieur Boulard, je vous remercie de vouloir accueillir 35 Syriens. Je suis très attentif à cette question. Il m'est d'ailleurs moi-même arrivé d'aller accueillir plusieurs de ces personnes. Je dois dire que je ne comprends pas pourquoi votre demande, dès lors qu'elle était précise, n'a pas été prise en compte. Elle devra l'être extrêmement rapidement. Les personnes qui s'occupent de ces questions sont pourtant extrêmement compétentes et ont du coeur. Lorsqu'un maire fait une telle proposition, il doit évidemment être satisfait le plus vite possible.
Madame Khiari, nombreux sont ceux qui partagent votre point de vue sur la primauté de la citoyenneté sur l'identité religieuse, position qu'ont rappelée hier tous les ministres des affaires étrangères qui se sont exprimés. Vous avez eu raison de le dire. Malheureusement, et c'est important aussi, nombre de ministres étaient absents hier, ce qui est dommage.
Cela étant dit, si l'on veut étendre la conception de la laïcité à la française à l'ensemble de ces territoires, des « marges de progression » subsistent, comme on dit au Quai d'Orsay. Ces territoires, il faut le comprendre, ont une conception différente de la nôtre. Certes, nombre des ministres présents hier partageaient notre conception. Pour autant, il est difficile, dans les différents pays que vous connaissez admirablement, madame Khiari, de séparer citoyenneté et religion et d'établir une hiérarchie.
Enfin, je suis tout à fait d'accord sur le fait qu'on ne peut pas exercer le devoir d'asile, car c'est ainsi qu'on devrait l'appeler, en décidant de n'accueillir que M. X, de telle ou telle religion, et non Mme Y, de confession différente. Or c'est un discours que l'on entend de plus en plus, notamment en Europe. Un travail considérable doit être effectué sur ce sujet. La situation générale étant assez difficile, il faut éviter les simplismes.
Vous aurez prochainement l'occasion de parler d'immigration avec Bernard Cazeneuve. On voit bien ce qu'il faut faire, mais ce qui est possible avec un certain nombre de personnes ne l'est plus si ce nombre augmente. À un certain moment, les principes se heurtent aux réalités. Il faut donc faire très attention. La France n'est pas soumise à la même pression que l'Allemagne, par exemple, car elle reçoit moins de demandes, mais il est tout à fait normal qu'elle prenne sa part. Toutefois, si le nombre de demandes devait augmenter, la situation deviendrait très compliquée et aurait des conséquences sur d'autres sujets.
À cet égard, vous avez sans doute été frappés par les sondages effectués sur le référendum britannique avant même que ne soit posée très fortement la question des migrations.
Je pense donc que nous devons réfléchir à ces questions de manière très posée - c'est l'esprit dans lequel le Sénat travaille en général -, en ayant à l'esprit le long terme et toutes les conséquences des décisions que nous prenons.
Par ailleurs, travaillant beaucoup à la préparation de la COP 21, je suis frappé par le fait que les changements climatiques n'auront pas seulement des conséquences strictement climatiques. Je prépare un voyage au Bangladesh avec mon homologue allemand. Du coup, j'étudie les chiffres et les réalités. Imaginez, si nous n'arrivions pas à maîtriser les dérèglements climatiques, ce qu'ils impliqueront en termes de mouvements migratoires. On pourra ajouter plusieurs zéros aux nombres que nous avons évoqués !
S'il ne faut pas faire peur inutilement aux gens, il faut tout de même leur donner la mesure du monde dans lequel nous vivons et prendre ses responsabilités. Il faut également songer aux pays d'origine, car il y a des raisons au fait que les gens se déplacent, qu'elles soient économiques ou diplomatiques. Nous devons être en situation d'accueillir des migrants dans des conditions qui soient acceptables par tous. Mais je m'écarte là quelque peu du sujet de notre rencontre.
Je vous remercie infiniment de votre accueil, mesdames, messieurs les sénateurs, et je me tiens à votre disposition.