Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 14 septembre 2015 à 16h00
Modernisation de notre système de santé — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Marisol Touraine, ministre :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les rapporteurs et rapporteurs pour avis, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le projet de loi dont nous débutons l’examen est un texte pour l’égalité ; un texte pour les Français, pour leur vie quotidienne et pour l’avenir de leurs enfants ; un texte contre le fatalisme, le contre le déclinisme qui voudrait que notre pays, dans la tourmente internationale et face à la crise économique, soit devenu incapable d’offrir à chacune et à chacun les mêmes droits et les mêmes chances, en tenant compte des évolutions des besoins, des attentes et des contraintes.

En matière de santé, parler d’égalité a longtemps sonné comme une évidence dans un système fondé sur les grandes valeurs de la solidarité et de l’universalité. Pourtant, des millions de nos concitoyens sont confrontés à l’érosion de cette promesse républicaine, parce qu’ils sont moins informés que les autres sur la manière de préserver leur santé, parce qu’ils sont parfois contraints de renoncer à se soigner pour des raisons financières, parce qu’ils ont du mal à s’orienter et à se défendre dans un système devenu complexe.

Je parle de tous ces Français qui vivront moins longtemps que les autres, du fait de leur situation sociale. Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un fait : d’un bout à l’autre de la ligne B du RER, en région parisienne, en quelques dizaines de minutes de trajet, on perd trois ans d’espérance de vie ! Un cadre vit, en moyenne, sept ans de plus qu’un ouvrier ; cette réalité-là, nous ne pouvons pas l’occulter !

Ces inégalités prennent racine dès le plus jeune âge et se transmettent parfois de génération en génération. Plus inquiétant encore : elles se sont aggravées dans les années 2000, en raison de l’explosion des maladies chroniques, du vieillissement de la population et des nouveaux risques que notre environnement fait peser sur notre santé.

Songez que les familles ouvrières, qui comptaient en 2002 quatre fois plus d’enfants obèses que les familles de cadres, en comptent aujourd’hui dix fois plus ! Comment imaginer, face à une telle situation, qu’il soit possible de rester immobile, ou qu’il suffise d’approfondir des politiques qui ont montré leurs limites ?

L’ambition qui m’anime depuis trois ans est assumée : innover, adapter et moderniser, partout où cela est nécessaire, pour réduire les inégalités d’accès aux soins.

Je pense d’abord aux inégalités dans l’accès aux droits au sein de nos territoires. Les réduire est l’objectif du pacte territoire-santé, grâce auquel notre pays va franchir cette année le cap des 800 maisons de santé et des 400 médecins accompagnés pour leur installation dans les zones sous-dotées. Au service du même objectif d’égalité territoriale, j’ai mis fin au « tout-T2A », qui pénalisait les hôpitaux locaux, auxquels des financements spécifiques sont désormais accordés.

Je pense ensuite aux inégalités d’accès aux droits de chacun liées à des raisons financières. L’encadrement des dépassements d’honoraires, le coup d’arrêt donné aux mesures de désengagement de l’assurance maladie et le relèvement des plafonds de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, et de l’aide à la complémentaire santé, l’ACS, sont autant de mesures destinées à les réduire.

Au cours de sa réunion de demain matin, la commission des comptes de la sécurité sociale confirmera une nouvelle fois que, après plus de dix années de hausse, le montant qui reste à la charge des Français en matière de santé diminue régulièrement depuis 2012 ; elle constatera que cette diminution s’est poursuivie l’année dernière.

Oui, en un peu plus de trois ans à peine, de premiers résultats ont été obtenus ! Mais cette nouvelle donne ne saurait être un prétexte à l’immobilisme, à l’inaction : elle nous invite, au contraire, à maintenir le cap, en poursuivant et en amplifiant la modernisation de notre système de santé. Parce que les avancées des trois dernières années montrent que l’action porte ses fruits, nous devons continuer d’agir, avec une volonté et une ténacité encore plus grandes, pour que de nouveaux résultats soient au rendez-vous.

L’enjeu qui est aujourd’hui devant nous, et qui est au cœur du présent projet de loi, est de continuer à innover.

Nous devons innover, d’abord, dans l’organisation des soins, en passant d’un système aujourd’hui cloisonné et trop centré sur l’hôpital à une médecine de parcours et de proximité, structurée autour du médecin traitant et fondée sur lui, ainsi que, bien sûr, sur les besoins du patient.

Nous devons innover, ensuite, en matière de prévention, pour permettre à nos concitoyens de mieux protéger leur santé.

Nous devons innover, enfin, en matière de démocratie sanitaire, pour permettre aux Français de mieux s’informer, de décider et de se défendre.

En matière de santé, comme d’ailleurs dans d’autres domaines, notre pays a trop souffert de déclarations de principe. Les défis qui sont devant nous nous invitent à l’action, assurément, mais aussi et surtout à l’innovation, à l’inventivité et à l’audace.

L’audace, mesdames, messieurs les sénateurs, consiste à accepter de faire bouger les lignes, à reconnaître que des mesures fortes, nouvelles, parfois radicales, sont nécessaires, à assumer la confrontation avec certains conservatismes, avec certains immobilismes, avec certaines inquiétudes aussi, et avec des acteurs qui instrumentalisent trop facilement l’économie pour balayer les enjeux de santé publique.

Tels sont les fondements du projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter au nom du Gouvernement, et qui vise trois grands objectifs : mieux prévenir, mieux soigner dans la proximité et renforcer les droits.

S’agissant d’abord de la prévention, elle doit devenir le socle de notre système de santé. Il y a là, mesdames, messieurs les sénateurs, un tournant majeur. La prévention, tout le monde en parle, mais la vérité oblige à reconnaître qu’elle n’occupe pas aujourd’hui, dans notre système de santé, la place qui devrait être la sienne. De fait, nombre de maladies pourraient être évitées si nos concitoyens étaient aidés à mieux se protéger en adoptant de meilleures habitudes et de meilleurs comportements.

Il faut agir dès le plus jeune âge, car c’est le moment où les inégalités de santé, directement liées aux inégalités sociales, s’installent et se creusent. Mise en place d’un parcours éducatif en santé depuis la maternelle jusqu’au lycée, instauration du paquet de cigarettes neutre, interdiction de fumer en voiture en présence d’un mineur, création d’un délit d’incitation à la consommation excessive d’alcool, amélioration du dépistage des infections sexuellement transmissibles, mise en place d’un étiquetage nutritionnel clair et lisible des aliments, expérimentation de salles de consommation à moindre risque pour accompagner les toxicomanes les plus marginalisés vers le sevrage, protection des riverains, amélioration des dépistages et renforcement de la prévention des risques, y compris en prison : toutes ces mesures donneront corps à une véritable stratégie de prévention, une stratégie cohérente, innovante et efficace, qui marquera une étape historique pour la santé des Français.

En ce qui concerne le développement d’une médecine de proximité articulée autour du médecin traitant, deuxième volet du projet de loi, nous entendons faire tomber les barrières qui limitent l’accès aux soins, qu’elles soient géographiques, financières ou administratives. La généralisation du tiers payant, la création d’une lettre de liaison transmise par l’hôpital au médecin traitant dont le patient sort d’un établissement, l’instauration d’un numéro d’appel national unique pour joindre un médecin de garde en dehors des heures d’ouverture des cabinets médicaux, la mise en place des communautés territoriales professionnelles de santé, qui rendront possibles des parcours de soins coordonnés, le rétablissement du service public hospitalier et la création des groupements hospitaliers de territoire sont autant d’avancées déterminantes.

Ce projet de loi marque le passage d’une organisation « hospitalo-centrée » à un système qui fait du médecin généraliste le centre de gravité de la prise en charge du patient. Nous sommes loin, mesdames, messieurs les sénateurs, très loin d’une supposée étatisation de la médecine en France, épouvantail agité depuis des mois, quand la philosophie et la substance du projet de loi se situent à l’opposé. En vérité, mesdames, messieurs les sénateurs, nulle part dans ce texte vous ne trouverez trace d’une soumission de la médecine libérale à une quelconque organisation étatique !

Le renforcement des droits des patients et le développement de la transparence forment le troisième volet du projet de loi. Dans ce domaine, nous vous proposons d’ouvrir une nouvelle étape en reconnaissant au patient de nouveaux droits individuels et collectifs : renforcement du rôle des associations d’usagers, qui seront désormais présentes dans toutes les agences sanitaires nationales ; création de l’action de groupe en santé, qui, si l’on songe à certains scandales récents, aurait permis aux victimes de mieux se défendre ; droit à l’oubli pour d’anciens malades du cancer et, à terme, d’autres pathologies ; mise à disposition des données de l’assurance maladie, évidemment anonymisées, aux chercheurs, aux start-up et aux lanceurs d’alerte.

S’agissant de la transparence des relations entre les professionnels de santé et les acteurs industriels, toutes les conventions d’expertise et les avantages en nature, ainsi que les montants de ceux-ci, seront rendus publics, et chaque agence sanitaire sera désormais dotée d’un déontologue dont le rapport, public, fera état de l’ensemble des liens d’intérêts. Il faut mesurer, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il y a là un progrès majeur, car l’état actuel du droit, contrairement à ce que certains imaginent, ne permet pas de rendre obligatoire la déclaration des conventions d’expertise unissant des industriels et des professionnels de santé ; le présent projet de loi prévoit cette obligation.

Ce projet de loi, je l’ai élaboré dans l’échange et dans la concertation. Il a évolué au cours de cette concertation, et il continuera assurément d’évoluer ; telle est évidemment la raison d’être du travail parlementaire. Je n’en défendrai pas moins jusqu’au bout ses principes, sa cohérence et ses mesures structurelles et innovantes.

Plusieurs d’entre vous ont participé à l’un des 200 débats régionaux qui se sont tenus sur le territoire pour construire ce projet de loi, contribuant ainsi à la dynamique participative dont il est le fruit.

La concertation, le partage et la confrontation des points de vue, j’ai tenu à les poursuivre au Parlement. C’est ainsi que, à l’Assemblée nationale, les débats en première lecture ont conduit à des avancées dans deux directions.

D’une part, pour répondre aux inquiétudes des médecins libéraux, des précisions et des garanties nouvelles ont été introduites dans la lettre même du projet de loi, notamment en ce qui concerne l’organisation des parcours, structurée de façon explicite autour du médecin généraliste, et la généralisation du tiers payant, qui sera mise en œuvre de manière simple – c’est un engagement – et progressive d’ici à 2017, et associée à une garantie de rapidité de paiement inscrite dans la loi.

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