Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sur les 209 articles du projet de loi de modernisation de notre système de santé, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ne s’est saisie que de 17 articles qui entrent directement dans le champ de sa compétence : 16 articles, pour l’essentiel ajoutés lors du débat à l’Assemblée nationale, traitent des questions de santé et d’environnement et un article, malheureusement le seul, est relatif à la lutte contre les déserts médicaux.
En ce qui concerne les aspects santé-environnement, la commission soutient la plupart des avancées du projet de loi : la prise en compte de la notion d’exposome, le renforcement de la surveillance des pollens et moisissures de l’air extérieur, l’amélioration des remontées d’information sur l’amiante et le plomb, la mise en place de valeurs de référence pour l’exposition au radon, l’encadrement des brumisateurs d’eau dans l’espace public ou encore l’interdiction des jouets au bisphénol A. Je me félicite que ces dispositions soient maintenues dans le texte élaboré par la commission des affaires sociales.
Toutefois, notre commission propose d’aller plus loin en ce qui concerne les appareils de bronzage : sur mon initiative, elle a adopté un amendement à l’article 5 quinquies E, afin d’interdire purement et simplement les cabines UV.
D’un point de vue scientifique, le doute n’est plus permis : on sait qu’une seule exposition en cabine UV avant l’âge de trente-cinq ans entraîne un « sur-risque » de développer un cancer de la peau de 59 %. On sait également que le nombre de mélanomes a triplé entre 1980 et 2005 : on compte 9 780 nouveaux cas et 1 620 décès.
Il est temps d’agir, et notre commission envoie un signal fort. Cette interdiction est d’ailleurs recommandée par l’Académie de médecine depuis de nombreuses années et déjà mise en œuvre au Brésil et en Australie.
Le débat en commission des affaires sociales a fait ressortir la nécessité de préciser les conditions d’entrée en vigueur d’une telle disposition. J’ai donc rectifié notre amendement, afin de bien renvoyer au pouvoir réglementaire le soin d’édicter ces mesures. Le plus important est que le principe de l’interdiction des cabines UV soit inscrit dans la loi !
En matière de lutte contre les déserts médicaux, les mesures mises en œuvre par le Gouvernement dans le cadre du pacte territoire-santé ne sont pas inutiles, mais elles ne permettront pas, à elles seules, de résoudre l’épineuse équation de la démographie médicale à l’horizon de 2020. Il faut, là aussi, aller plus loin. C’est d’ailleurs ce qu’avait recommandé le président Hervé Maurey dans son rapport de 2013 sur cette question.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la France n’a jamais compté autant de médecins – 198 365 en exercice régulier en 2015, dont 44, 7 % de libéraux –, mais que ceux-ci n’ont jamais été aussi mal répartis sur le territoire. Les écarts de densité varient de 1 à 4 entre le département de l’Eure, qui compte 167 médecins pour 100 000 habitants, et Paris, qui en recense 678 pour 100 000 habitants.
Globalement, l’« exode médical » du centre de la France vers les régions littorales et la façade Est continue de s’aggraver. Même la région d’Île-de-France enregistre une diminution de 6 % du nombre de ses médecins entre 2007 et 2015.
Je vous rappelle, enfin, que si l’on observe la situation encore plus finement au niveau infradépartemental, on constate qu’il existe des déserts médicaux dans tous les départements, y compris les mieux dotés.
Par ailleurs, les écarts de densité varient également d’une spécialité à l’autre : en 2014, ils sont de 1 à 2 pour les médecins généralistes, de 1 à 8 pour les médecins spécialistes, de 1 à 9 pour les infirmiers libéraux, de 1 à 4 pour les masseurs-kinésithérapeutes, de 1 à 5 pour les sages-femmes et de 1 à 3 pour les chirurgiens-dentistes.
Finalement, le constat dressé par Hervé Maurey en 2013 ne change pas : quelque trois millions de Français vivent dans un désert médical. Et même, la situation s’aggrave. On est passé de 64 778 médecins généralistes en 2007 à quelque 58 104 en 2015, soit une baisse de 10, 3 %. Une diminution supplémentaire de 6, 8 % est à prévoir d’ici à 2020.
Quatre autres spécialités sont également en souffrance : la rhumatologie – en baisse de 10, 3 % depuis 2009 –, la dermatologie – en baisse de 7, 7 % depuis 2009 –, la chirurgie générale – en baisse de 4, 7 % depuis 2009 – et l’otorhinolaryngologie – en baisse de 7, 8 % depuis 2009.
Quatre départements sont d’ores et déjà totalement dépourvus de certaines spécialités, qui semblent pourtant nécessaires compte tenu du profil des populations : la Lozère ne dispose ainsi d’aucun neurologue ni rhumatologue, tandis que la Corse-du-Sud, la Creuse et la Meuse ne comptent aucun gériatre.
Dans l’ensemble, ces difficultés vont mécaniquement continuer à s’accentuer si aucune réponse forte n’est apportée : le « creux démographique » est attendu pour 2020.
Dans ce domaine, les dispositifs mis en place par presque tous les gouvernements successifs depuis le début des années quatre-vingt-dix, à caractère essentiellement incitatif, n’ont pas eu les effets escomptés. Par conséquent, notre commission a adopté, à l’unanimité, deux amendements visant à mettre en œuvre concrètement les propositions du rapport Maurey de 2013.
Le premier vise à avancer vers la professionnalisation des études de médecine. Au cours de mes auditions, j’ai appris à ma grande surprise que, chaque année, environ 25 % des médecins diplômés d’une faculté française décident finalement, au terme d’un long cursus d’études, de ne pas s’inscrire au tableau de l’ordre des médecins pour exercer une autre profession – dans le journalisme ou l’administration, par exemple. Ce sont autant de coûteuses années d’études de médecine qui sont financées en pure perte par la société.
À cela s’ajoute le problème plus spécifique de la médecine générale, qui ne séduit toujours pas les futurs praticiens : seulement 46 % des places ouvertes en médecine générale sont occupées par des internes.
Pour éviter que les jeunes diplômés n’abandonnent leur vocation au bout de onze ou de douze années d’études, la commission souhaite leur permettre d’appréhender le plus tôt possible les contours de leur futur métier, par le biais d’une expérience de terrain en amont de leur cursus. À l’heure actuelle, la France accuse un véritable retard en matière de professionnalisation des études de médecine. Des pays comme le Canada ou l’Estonie ont déjà complètement réorienté leurs mécanismes de formation vers l’immersion précoce.
Notre commission souhaite par conséquent ouvrir la brèche, en prévoyant que les études de médecine doivent favoriser « l’immersion précoce des étudiants dans un environnement professionnel ». Elle traduit cette volonté dans les faits en rendant obligatoire un stage d’initiation à la médecine générale dès le deuxième cycle des études de médecine.
Le pacte territoire-santé prévoit un tel stage, mais ne le rend pas obligatoire. L’arrêté du 8 avril 2013 prévoit quant à lui un stage ambulatoire obligatoire, mais il ne cible pas spécifiquement la médecine générale. Nous proposons simplement de fusionner les deux, afin d’obliger les universités à promouvoir cette voie.
En effet, empiriquement, on constate que plus les étudiants pratiquent la médecine générale, plus ils l’aiment et plus ils la choisissent. Nous devons donc surmonter l’obstruction de certaines universités qui considèrent que la médecine générale n’est pas une spécialité et font fi des stages pratiques.
Le second amendement vise à mettre en place un dispositif de régulation à l’installation des médecins, à l’instar de ce qui existe de longue date chez les pharmaciens et depuis 2008 pour la plupart des professionnels de santé : infirmiers, sages-femmes, masseurs-kinésithérapeutes, orthophonistes et chirurgiens-dentistes.
En complément des aides à l’installation dans les zones classées comme « très sous-dotées », ce dispositif prévoit une régulation des nouveaux conventionnements dans les zones « surdotées » fondée sur la règle « une entrée pour un départ ».
Son efficacité n’est plus à démontrer. Chez les infirmiers, par exemple, il a permis une progression des effectifs dans les zones « très sous-dotées » de 33, 5 % entre 2008 et 2011, ainsi qu’une diminution des effectifs dans les « zones surdotées ». On pourrait citer d’autres exemples.
Inversement, lorsque le conventionnement sélectif prend fin, le solde des installations s’inverse à nouveau. Cet effet a pu être observé chez les masseurs-kinésithérapeutes lorsque le dispositif mis en place à la fin de 2011 a été annulé par le Conseil d’État le 17 avril 2014, pour défaut de base légale. On a alors observé une reprise presque immédiate des installations en zone surdotée à partir de l’arrêt du dispositif de régulation.
Au final, ce conventionnement sélectif complète utilement les mécanismes d’incitation en faveur des zones sous-dotées. Ce sont les deux piliers d’une même stratégie, qui ne peut fonctionner correctement si l’un vient à manquer.
Pour cette raison, la commission estime qu’il est temps d’appliquer la règle « une entrée pour un départ » aux médecins qui souhaitent s’installer dans les zones surdotées.
La commission des affaires sociales a effectué un pas dans cette direction, en prévoyant une obligation de négocier à partir de la prochaine convention médicale avec l’assurance maladie. Toutefois, ce système, que nous avions également étudié, pose problème.