Intervention de Pierre Laurent

Réunion du 15 septembre 2015 à 14h30
Engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Pierre LaurentPierre Laurent :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur l’initiative du Président de la République, nous sommes une nouvelle fois saisis de la question de l’insupportable tragédie subie par la Syrie. Nous qui ne cessons de réclamer que la représentation nationale soit davantage associée aux décisions internationales qui engagent la France, nous nous félicitons de ce débat.

La France a plus que jamais le devoir d’agir. De nouvelles initiatives sont nécessaires face à l’ampleur de la tragédie humaine que vit la Syrie, face aux conséquences du chaos généralisé, à commencer par l’exode massif des réfugiés, et face à l’emprise croissante de Daech sur toute une partie des territoires syrien et irakien.

Malheureusement, une fois encore, la saisine du Parlement n’a été motivée par la seule décision – déjà prise ! – du Président de la République d’accroître notre engagement militaire. Cet engagement passe par l’extension de nos frappes aériennes et, dans un premier temps, de nos vols de reconnaissance sur le territoire syrien. Cette décision soulève de nouveau de très nombreuses objections et interrogations.

Le Président de la République a – enfin ! – déclaré, après avoir trop tardé à prendre la mesure de la tragédie humanitaire qui s’amplifiait, que la France devait accueillir les réfugiés. C’est un appel que, pour ma part, j’ai lancé en rentrant de Kobané il y a moins d’un an. Mais nous aurons l’occasion de débattre de cette question demain. Nous dirons alors pourquoi nous estimons que les mesures annoncées sont très loin d’être à la hauteur. Et je ne parle même pas des propos indignes et scandaleux tenus ces jours-ci par de nombreux dirigeants de la droite et du Front national contre des milliers de réfugiés.

Le Président de la République a ajouté qu’il fallait en même temps agir sur les causes de cet exode et sur les risques d’actes terroristes que fait courir l’emprise croissante de Daech. Nous en sommes d’accord. Mais comment agir ? Et dans quels buts ? Tel est le débat.

Ainsi, les frappes envisagées seront-elles justes et efficaces ? Et d’abord, quels sont leurs buts et quelles sont les cibles envisagées ?

Voulons-nous frapper Daech ou Bachar al-Assad, dont la France continue à faire de la « neutralisation » un objectif privilégié ?

Selon des spécialistes de la Syrie, Daech contrôle aujourd’hui 40 % du territoire syrien, le régime 30 %, c’est-à-dire les deux tiers de la population, soit entre 12 et 18 millions de Syriens vivant encore dans le pays.

Que changeront les frappes françaises, alors même que les milliers de frappes de la coalition dirigée par les États-Unis ont échoué à enrayer l’engrenage meurtrier ?

De surcroît, si le Président de la République a écarté une offensive terrestre – et vous venez de le confirmer, monsieur le ministre ! –, bien des voix continuent de plaider en faveur d’une telle opération. Où allons-nous réellement ?

Une nouvelle fois, notre pays risque de faire fausse route s’il continue à considérer que l’intervention militaire devrait précéder tout règlement politique. Pour notre part, nous pensons au contraire que, sans un engagement déterminé de la France dans la recherche immédiate d’une solution politique réunissant l’ensemble des parties et des puissances impliquées, la logique militaire s’embourbera et nourrira les forces de Daech, qui souhaitent, elles, la confrontation militaire avec l’« ennemi » occidental.

De grâce, qu’on nous épargne le couplet habituel selon lequel, posant ces questions, nous serions partisans de l’inaction ! Nous demandons, tout au contraire, une action internationale de la France plus efficace. Pour ce faire, tirons des leçons sérieuses de l’impasse dramatique dans laquelle nous ont conduits les guerres successives d’Afghanistan – ce pays dont plus personne ne parle est aujourd’hui livré à lui-même –, d’Irak – ce pays a été totalement démantelé par la guerre –, de la Libye – ce pays est plongé dans le chaos et livré aux réseaux djihadistes – et, aujourd'hui, de la Syrie.

Ces guerres successives n’ont pas fait reculer le danger terroriste ; elles n’ont fait que l’accroître. D’ailleurs, tous les actes terroristes ayant frappé notre pays ont été perpétrés par de jeunes Français qui avaient, à un moment ou à un autre, fait leurs armes sur ces champs de bataille.

Pour notre part, nous persistons à penser que, si action militaire il devait y avoir, elle devrait s’inscrire dès le départ sous mandat de l’ONU, en concertation avec toutes les puissances impliquées, en vue de rechercher un plan de paix aux objectifs clairs, débarrassé des visées prédatrices des grandes puissances internationales et régionales, à savoir la reconstruction de la Syrie dans son intégrité territoriale. Or nous estimons que rien de cela n’est fait sérieusement par la France.

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