Intervention de François Zocchetto

Réunion du 15 septembre 2015 à 14h30
Engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut regarder la réalité en face et la décrire clairement : Daech est aujourd’hui la menace numéro un pour la sécurité du monde, en particulier pour celle des Français. Depuis l’élimination du nazisme, nous n’avons probablement jamais eu à relever un tel défi.

Je ne reviens pas sur les exactions commises ; chaque jour, dans une spirale sans fin, Daech accumule les crimes contre l’humanité avec l’arrogance des impunis. Personne, désormais, ne pourra dire : je ne savais pas.

L’urgence et la gravité de la situation nous imposent d’agir. L’urgence est d’abord humanitaire, car 11 millions de personnes sont déplacées et l’on dénombre plus de 250 000 victimes. Elle est ensuite migratoire ; je pense aux 4 millions de réfugiés syriens. Nous ne pouvons pas laisser le peuple syrien devenir un peuple de réfugiés, ni le laisser mourir sur son propre sol ! L’urgence est aussi sécuritaire, car nous savons tous que notre sécurité se joue à cinq heures d’avion de Paris.

Enfin, il y a un consensus national sur la nécessité de réduire militairement et définitivement la sinistre troupe de Daech ! En réalité, ce qui fait débat depuis plus d’un an, c’est la méthode pour vaincre, c’est-à-dire les modalités d’une intervention armée contre Daech.

Vous pourrez me répondre, monsieur le ministre, que nous intervenons déjà dans le cadre de l’opération Chammal ; mais après plusieurs mois de frappes en Irak, quel est le bilan de cette opération, et, plus largement, de la coalition ? La progression de Daech est à peine endiguée ; l’État islamique continue de prospérer sur le territoire qu’il occupe, et même s’organise.

Dans ce contexte, une approche exclusivement aérienne, même élargie à la Syrie, est insuffisante pour venir à bout de l’ennemi. Une intervention aérienne, fût-elle massive, ne peut venir qu’en soutien à des interventions au sol. Là est le cœur du problème qui se pose à nous cet après-midi : il nous faut décider qui peut intervenir efficacement au sol. La question est complexe, tant d’un point de vue politique que d’un point de vue opérationnel. Jean-Pierre Vial et moi-même l’avions déjà soulevée voilà six mois, ainsi que deux collègues députés, lors d’un déplacement à Damas qui avait fait polémique.

Sur le plan politique, une intervention au sol ne peut reposer que sur la plus large coalition possible, car il faut éviter qu’une opération terrestre ne passe pour une action unilatérale des Occidentaux en Orient. Nous ne pouvons pas non plus prendre le risque d’aviver la rivalité entre les sunnites et les chiites. Enfin, nous devons nous garder de tomber dans l’écueil ethnique en mettant en avant les Kurdes contre les Arabes, les Perses ou les Turcs.

Sur le plan opérationnel, l’actuelle coalition évite en apparence les obstacles. Toutefois, considérons lucidement la situation et analysons-la : la France n’a pas les moyens d’intervenir. Quand bien même nous les aurions, je ne recommanderais pas, bien évidemment, une intervention des soldats français sur le sol syrien.

L’Union européenne a pour sa part fait la triste démonstration de son inexistence sur ce dossier. Quant aux États-Unis, il semble bien qu’il n’y ait rien à espérer de leur côté au cours des deux prochaines années. Nous devons donc compter sur les acteurs régionaux pour intervenir contre Daech.

Les Kurdes – je pense notamment aux peshmergas – sont en première ligne, puisqu’ils sont les victimes directes du cancer terroriste que constitue Daech. Pourtant, après plusieurs années de conflit et d’engagement sur le terrain, ils sont exsangues et peinent à tenir leurs positions, et ce d’autant plus que la Turquie, qui avait fait semblant d’adopter une position attentiste depuis le début de cette crise, semble avoir profité de son récent engagement pour intervenir dans un même mouvement contre Daech et contre les Kurdes. Le jeu trouble de la Turquie, qui oscille ainsi entre attentisme et opportunisme, ne permet donc pas de la désigner d’emblée comme un partenaire de confiance pour une future intervention au sol.

Les monarchies pétrolières de la péninsule arabique, en particulier l’Arabie Saoudite et le Qatar, se sont jusqu’à présent comportées de manière tellement trouble vis-à-vis de Daech qu’elles ne peuvent, au mieux, que participer au volet politique de cette guerre.

Israël, dont personne ne parle aujourd’hui, demeure de son côté particulièrement discret sur le sujet.

L’Égypte est une puissance régionale disposant d’une longue tradition militaire. Elle a de ce fait vocation à prendre sa part dans la résolution de cette guerre.

Compte tenu des puissances régionales, il existe trois options, pouvant probablement se compléter utilement.

La Russie est engagée de longue date en Syrie et les échanges entre les peuples syrien et russe sont nombreux, pour des raisons historiques. La Russie a donc une parfaite connaissance du terrain et doit être associée au processus de résolution du conflit.

L’Iran, puissance importante dans la région, est plus que jamais qualifié pour contribuer à la résolution de la guerre sur le terrain.

Enfin, la dernière option, déjà évoquée dans cet hémicycle, nous conduit tout naturellement à regarder ce qui se passe sur le sol syrien. Depuis quelques jours, j’ai bien compris que nous avions enfin réévalué notre position concernant l’État syrien. Même si personne n’en parle ouvertement et si certaines précautions de langage rendent la position française difficile à décrypter, les initiés auront bien saisi que la position actuelle de la France est très différente de celle qui était la sienne voilà encore quelques mois.

Dans cette guerre contre Daech, la Syrie n’est pas notre ennemie. Son armée ne l’est pas non plus et son peuple encore moins ! Nous ne pouvons certes pas éluder la question du coût humain exorbitant de la guerre civile syrienne, mais force est de constater que l’Armée syrienne libre a été réduite à néant et qu’elle n’est plus en capacité d’être un acteur politique dans la région, et encore moins un acteur militaire.

Je ne reviendrai pas sur la déconvenue tragique que nous avons connue : les forces armées que nous avons formées ou aidé à former se sont alliées à Daech. La crise syrienne ayant désormais changé de nature, nous devons nous y adapter.

D’emblée, je tiens à lever un doute : il s’agit bien sûr de soutenir non pas la personne même de Bachar al-Assad, mais l’État syrien, ses structures, son administration et son armée. En Irak, les Américains ont commis l’erreur de faire table rase de l’État : on en voit le résultat aujourd’hui ! Nous ne sommes pas non plus au-dessus de tout soupçon concernant la Libye – c’est le moins que l’on puisse dire. Ne commettons donc pas les mêmes erreurs une nouvelle fois !

À défaut de pouvoir agir davantage d’un point de vue strictement militaire, la France a le devoir impérieux de prendre de façon urgente l’initiative de constituer, sous mandat des Nations unies, une coalition rassemblant tous les ennemis de Daech, laquelle sera destinée – il est inutile de le nier – à intervenir au sol.

Telle est la situation : il faut éliminer l’ennemi – Daech –, intervenir au sol pour atteindre cet objectif, et soutenir les acteurs locaux. Dès lors que l’on a ouvert les yeux, il est urgent de faire davantage et de s’engager vraiment !

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