Il est important de resituer la place que nous entendons donner à cette expérimentation, car c’est bien de cela qu’il s’agit, de salles de consommation supervisée.
Certains de nos concitoyens se droguent, et nous avons mis en place des politiques de réduction des risques – nous en avons évoqué certaines auparavant –, qui se diversifient. Budgétairement, nous accompagnons ces politiques de prévention avec des engagements financiers tout à fait significatifs : 600 millions d’euros environ entre la sécurité sociale et l’État pour la prévention et l’accompagnement.
Cependant, nous constatons chez nous, comme d’autres pays l’ont fait avant nous, que des usagers de drogues sont totalement marginalisés et échappent, si j’ose dire, à toutes les politiques qui ont été mises en place, dont certaines ont cours actuellement. Ce sont souvent, mais pas toujours, des personnes qui vivent dans la rue, qui se trouvent dans une situation d’extrême précarité sociale et sanitaire et qui se livrent à des injections de drogue, de jour comme de nuit, dans des lieux publics, souvent les parcs et les escaliers de gares, au vu et au su de tous.
Nous sommes donc face à un double enjeu, à la fois de sécurité sanitaire pour ces personnes et d’ordre public pour l’ensemble de la communauté, principalement urbaine, puisque c’est dans les villes que ces concentrations ont lieu.
Des politiques en ce sens ont cours ailleurs en Europe et dans le monde depuis plusieurs décennies : quelque 39 villes européennes ont d’ores et déjà mis en place des salles de consommation à moindre risque. Les résultats sont au rendez-vous.
Pour notre part, nous proposons d’expérimenter dans des communes qui sont candidates pour cela. Il ne s’agit pas d’imposer à qui que ce soit l’installation de ces salles. D’ailleurs, deux communes se sont publiquement portées candidates, Paris et Marseille. Je ne dis rien des autres, car des réflexions se sont engagées ailleurs, indépendamment de la couleur politique des villes concernées.
En Espagne, par exemple – cette situation est néanmoins observée dans tous les pays voisins –, le premier résultat d’une telle expérimentation a consisté en une diminution significative des décès par overdose, ce qui représente un enjeu sanitaire très important : le taux de décès par overdose est passé de 1 830 en 1991 à quelque 770 en 2008. Les résultats sont à peu près équivalents pour la Norvège ou les Pays-Bas.
Par ailleurs, nous constatons dans l’ensemble de ces pays que la mise en place de salles de consommation s’est accompagnée d’une réduction très forte – à peu près de moitié, parfois un peu plus –, du taux annuel de nouvelles infections par le VIH, grâce à un encadrement et un accompagnement sanitaire. Dans certains pays, comme les Pays-Bas, a même été enregistrée une suppression totale des cas de contamination par le VIH chez les usagers de drogue.
Nous observons aussi dans ces pays une réduction très forte de la quantité de déchets liés aux injections laissés dans les lieux publics, puisque, en France, l’on retrouve régulièrement des seringues usagées, notamment dans des bacs à sable ou sur les escaliers des gares.
Cette expérimentation n’est pas destinée à un public large d’usagers de drogue, puisque ceux-là sont pris en charge, avec des résultats plus ou moins positifs selon les individus, par des structures, les CAARUD, des lieux d’accompagnement social et sanitaire.
Nous ciblons une population qui, aujourd’hui, échappe à toutes les politiques mises en place auparavant et se retrouve livrée à elle-même, abandonnée, sans accompagnement social, sanitaire et psychologique. Comme l’a dit M. le corapporteur, si nous avons la possibilité de sauver une personne par centre, cette mesure est positive. Or nous espérons que ce sera bien plus que cela !
Ne nous faisons pas d’illusion : toutes les personnes accompagnées n’échapperont pas à la drogue, mais nous avons les moyens de réduire très significativement les décès directement liés à sa consommation. Des centaines d’overdoses pourront être évitées, des centaines de prises en charge sanitaires supplémentaires accélérées, et tout cela pour un coût limité.
Les politiques de prévention des risques représentent en effet un coût de 600 millions d’euros, tandis que celui d’une salle de consommation à moindre risque est évalué à environ 800 000 euros par an. Nous avons prévu pour cette mesure un budget de 3, 5 millions d’euros dans les premières années, car seules quelques expérimentations seront lancées sur le territoire avant l’évaluation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en appelle donc vivement à un vote de responsabilité sanitaire, mais aussi de bienveillance et d’attention envers des personnes souvent totalement perdues et abandonnées. Il est de notre responsabilité collective de les aider en leur proposant des solutions thérapeutiques.