Je remercie à mon tour M. del Picchia pour ce travail approfondi sur un sujet complexe. Ce dossier suscite toutefois un certain nombre d'interrogations.
Il illustre tout d'abord l'état des relations franco-russes. C'est à mon sens une grave erreur que de ne pas considérer la Russie comme un interlocuteur obligé, quelle qu'ait été son attitude en Ukraine, pour le règlement des situations diplomatiques difficiles et des crises, en Syrie et ailleurs. Pour une fois, le sujet ne fait pas consensus - une rareté dans le domaine de la politique étrangère. Les rapports avec la Russie ont toujours été considérés comme un élément essentiel de notre diplomatie. Nous avons rencontré ici un accroc qui a de graves conséquences économiques, notamment dans le domaine agro-alimentaire. Des millions de têtes de porcs, des stocks de pommes qui trouvaient auparavant un débouché dans le marché russe nous restent désormais sur les bras. Vu le retentissement sur toute l'économie nationale, en plein crise des éleveurs, cela en valait-il la peine ?
Notre ministre de la Défense a multiplié les contrats de ventes d'armes. Or les acheteurs potentiels se demanderont désormais si la France leur appliquera les mêmes principes qu'à la Russie. Nous devons être conscients de ce que l'usage de nos armements a toujours des conséquences, parfois sur des civils. L'Égypte ne nous a pas acheté des Rafale uniquement pour les défilés au-dessus du canal de Suez...
Enfin, vous avez mentionné les incertitudes liées à l'hypothétique revente des BPC. La technologie de ces bateaux étant adaptée aux besoins des Russes, il faudra les réadapter. Dans ces conditions, le futur client fera baisser le prix, d'autant que la France est quelque peu prise à la gorge ; la Marine française n'a d'ailleurs pas exprimé le désir de les acheter. Nous risquons également de vendre à des pays désargentés. L'Égypte est-elle déjà en mesure de payer les Rafale ? Quand on est vendeur d'armes, on assume !
En somme, en dépit d'un arrangement commercial bien négocié par Louis Gautier et son équipe, de nombreuses incertitudes demeurent. Mon groupe n'a pas encore délibéré sur la question. Pour l'heure, je m'abstiendrai, en raison des implications très lourdes de la décision de ne pas honorer la vente, et de notre attitude face à un pays dont nous avons besoin pour le règlement des conflits qui perturbent la paix dans le monde. Je suis persuadé que nous ne jouons pas la bonne carte !