Je vous remercie d'être présents à cette réunion, qui s'inscrit dans une rentrée particulièrement chargée, entre les journées parlementaires, les missions de certains à l'extérieur ou l'Université de la Défense.
Nous avons demandé à M. Fabius un débat sur la politique étrangère de notre pays, qui aura lieu le 15 octobre. Je propose que nous concentrions nos interventions à cette occasion sur les quatre rapports que notre commission s'apprête à présenter. J'invite les groupes politiques à s'accorder et à désigner nos rapporteurs comme intervenants.
Le récent débat sur la Syrie a posé la question de notre indépendance, en particulier vis-à-vis des États-Unis. Or cette question est au coeur des prochains rapports sur l'Iran, sur la Russie, sur l'environnement ; même la croissance chinoise n'y est pas étrangère. C'est pourquoi nous avons une réflexion collective à mener sur la base de ces quatre rapports. Le débat du 15 octobre serait l'occasion de recueillir la vision du ministre sur ce sujet et de présenter notre travail de l'année.
La commission examine le rapport de M. Robert del Picchia et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 3039 (AN, XIVe législature) autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement des obligations complémentaires liées à la cessation de l'accord du 25 janvier 2011 relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement.
L'accord entre la France et la Russie que nous examinons vise à mettre fin au contrat de vente des fameux bâtiments de projection et de commandement (BPC) de classe Mistral. Il fait partie d'un ensemble de deux accords intergouvernementaux, signés avec la Russie le 5 août dernier, qui constituent la solution négociée par laquelle nos deux pays procèdent à la résiliation de cette vente.
Rappelons, tout d'abord, que la décision prise par la France de vendre ces équipements militaires à la Russie s'inscrivait dans un contexte favorable, les relations économiques entre nos deux pays s'étant considérablement développées depuis le début des années 2000 et la Russie étant, malgré le coup de force en Géorgie à l'été 2008, considérée comme un partenaire plutôt digne de confiance.
Après des négociations entamées en 2010 pendant l'année France-Russie, la vente s'était concrétisée par un double dispositif contractuel : un accord intergouvernemental de coopération signé le 25 janvier 2011 entre les deux États d'une part, un contrat commercial entre l'entreprise française DCNS et l'entreprise russe Rosoboronexport (ROE), signé le 10 juin 2011 d'autre part.
L'accord intergouvernemental, non soumis au Parlement car non concerné par les dispositions de l'article 53 de la Constitution, était un accord de coopération, s'inscrivant dans une politique d'accompagnement des exportations d'armement, et qui renforçait l'engagement des parties. Ce contrat prévoyait, pour un montant initial de 1,12 milliard d'euros, la fourniture de deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) Mistral, le transfert du dossier de fabrication et de trois technologies, la formation des équipages russes et quelques services pour adapter les bâtiments. Il a ensuite été porté par avenants à 1,2 milliard d'euros du fait de la commande d'embarcations de débarquement pour équiper les deux navires. Aux termes de ce contrat, le premier BPC, le Vladivostok, devait être livré le 1er novembre 2014, le second, baptisé le Sébastopol, le 1er novembre 2015.
Comme l'a souligné M. Hervé Guillou, PDG de DCNS, lors de son audition, la coopération avec les Russes s'est déroulée dans les meilleures conditions jusqu'en septembre 2014, le calendrier défini par le contrat étant parfaitement tenu.
Son exécution a été brutalement remise en cause le 3 septembre 2014 quand le Président de la République a déclaré que les conditions n'étaient pas réunies pour que la France autorise la livraison du premier BPC.
Les événements survenus en Ukraine au cours de l'année 2014 bouleversaient en effet le contexte dans lequel s'inscrivait l'exécution du contrat. Les violations graves du droit international dont la Russie s'est rendue coupable à travers l'annexion de la Crimée et le soutien militaire apporté aux séparatistes dans l'est du pays ont conduit l'Union européenne et d'autres pays occidentaux à adopter plusieurs trains de sanctions, parmi lesquelles un embargo sur le commerce des armes. Certes, celui-ci n'est pas rétroactif et ne s'applique en principe qu'aux contrats conclus après le 1er août 2014. Mais, politiquement, le Président a jugé qu'il était impossible d'en poursuivre l'exécution comme si rien ne s'était passé, d'autant qu'un certain nombre de partenaires de la France, notamment la Pologne et les États baltes, exprimaient fortement leur inquiétude à l'égard de leur voisin russe.
La suspension de l'exécution plaçait toutefois la France dans une situation inconfortable, aucune clause d'atténuation des obligations n'étant prévue dans les contrats. L'État comme DCNS étaient ainsi exposés à un risque de contentieux, impliquant des procédures longues et coûteuses qui, en outre, empêchaient toute revente ou réaffectation rapide des bâtiments. Les Russes, de leur côté, avaient intérêt à isoler cet irritant du reste des dossiers diplomatiques en cours.
C'est dans ce contexte que les autorités russes et françaises ont décidé au début de l'année 2015 d'engager des pourparlers visant à définir une solution négociée. Ces négociations ont débouché le 5 août dernier sur la signature de deux accords intergouvernementaux. Le même jour est entré en vigueur un avenant au contrat industriel liant DCNS et ROE, destiné à éviter tout contentieux commercial entre ces deux sociétés.
On notera que dans l'intervalle, la situation n'était pas tout à fait clarifiée, tant pour l'opinion publique que pour DCNS. En effet, le 24 novembre 2014, l'État avait suspendu l'examen de la demande d'autorisation d'exportation, mais le refus formel n'est intervenu que le 25 juin 2015. Comme cela nous a été expliqué, il fallait mieux attendre, car une fois le refus formellement intervenu, tant l'État que DCNS encouraient des pénalités et des recours.
Les deux accords qui constituent la solution négociée sont : d'une part, un accord intergouvernemental classique qui abroge l'accord de 2011, consacre la reconnaissance de la propriété des BPC à la France et la renonciation mutuelle à d'éventuelles revendications entre les deux gouvernements ; d'autre part, un accord sous forme d'échange de lettres entre les deux gouvernements, représentés, pour la France, par M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, et pour la Russie, par M. Dmitri Rogozine, vice-premier ministre. Ce second accord précise notamment le montant de la transaction et reconnaît à la France le droit de réexporter les BPC après en avoir préalablement informé la Russie. Seul cet accord est formellement soumis pour ratification au Parlement, conformément à l'article 53 de la Constitution, compte tenu de ses implications budgétaires.
Ces deux accords sont entrés en vigueur le 5 août dernier ; en effet, une condition mise par la Russie à la conclusion de la négociation était de pouvoir percevoir la somme convenue le jour de la signature. L'échange s'est fait de banque centrale à banque centrale. L'autorisation demandée au Parlement a ainsi une portée toute relative, puisqu'on lui demande de ratifier a posteriori un accord déjà exécuté. En même temps, il était dans notre intérêt qu'il entre en vigueur rapidement pour couper court à tout contentieux.
La France a obtenu de ne rembourser à la Russie que les seules dépenses directement liées à la construction des BPC, à l'exclusion de toute indemnisation morale, pénalité ou autre coût indirect, comme l'aménagement des quais de la nouvelle base navale de Vladivostok. Les 949,7 millions d'euros qu'elle a versés à la Russie correspondent, d'une part, pour 892,9 millions d'euros, à la restitution des avances versées, d'autre part, pour environ 56,8 millions d'euros, au remboursement des dépenses engagées par la Russie pour la formation des équipages et pour la livraison.
La France a aussi obtenu le droit de réexporter les bâtiments vers un État tiers, à condition toutefois d'avoir préalablement restitué à la Russie les équipements russes intégrés aux bateaux lors de leur construction - ce qui est normal - et d'en avoir informé par écrit la Russie. Il s'agit bien d'une information et non d'une demande d'autorisation. Cette question de la revente était l'un des arguments qui plaidaient le plus pour une solution négociée, compte tenu du coût lié à la maintenance des navires et du risque d'obsolescence rapide des matériels : un bâtiment qui n'est pas en usage vieillit très vite.
Autre sujet important, la protection des savoir-faire et technologies transférées, que la Russie obtient finalement gratuitement dans la mesure où par nature, ces transferts ne peuvent être récupérés - dans le contrat initial, leur valorisation financière était estimée à 80 millions d'euros. L'accord assure toutefois leur protection en conditionnant tout transfert à un pays tiers à l'autorisation préalable de la France. Quant aux équipements russes qui avaient été installés sur les BPC, ils seront restitués à la Russie.
Au final, quel sera le coût de cette affaire pour l'État et pour les industriels? Cette question, on le sait, a donné lieu à des polémiques depuis l'annonce de l'accord de résiliation. Concernant les industriels, l'impact économique devrait être limité. Certes, DCNS a reversé au budget de l'État, dans les trois jours suivant le versement de l'indemnisation à la Russie, les sommes qu'elle avait perçues de ROE, soit 892,9 millions d'euros. L'entreprise sera toutefois indemnisée de la perte qu'elle a subie au titre de la police d'assurance souscrite auprès de la Coface, intervenant ici pour le compte de l'État. Des expertises sont en cours pour déterminer le montant exact de celle-ci, qui sera supérieur à 892 millions d'euros. Cela donne lieu, comme souvent dans ce genre d'échanges, à des divergences d'appréciation entre assureur et assuré, d'autant que la marge de la société n'est en principe pas prise en compte. Notons que DCNS a déjà reçu une importante partie de l'indemnisation envisagée sous la forme d'avances. Quant aux sous-traitants, ils ne subiront pas de perte compte tenu des assurances qui les couvrent.
Le coût que supportera l'État recouvre en premier lieu une dépense de 56,8 millions d'euros, imputée sur le programme 146, résultant de la différence entre le montant de l'indemnisation versée à la Russie le 5 août et le remboursement par DCNS, par fonds de concours, des sommes qu'elle avait perçues de son client russe. Cette dépense correspond aux coûts de formation des équipages russes, que la France a accepté de rembourser. Le programme 146, qui a été utilisé pour payer la somme due à la Russie, devrait récupérer ces 56,8 millions d'euros à la fin de la gestion 2015, le gouvernement s'y étant engagé, mais nous exercerons toute notre vigilance à ce sujet.
La dépense demeurera néanmoins une charge pour le budget général de l'État en 2015. D'autre part, l'État subira un manque à gagner de 500 millions d'euros dans la mesure où le compte « État » de la Coface ne pourra effectuer le versement prévu par la loi de finances pour 2015. Il s'agit donc d'une moindre recette. L'impact budgétaire pour l'exercice 2015 devrait être de 557 millions d'euros. La revente éventuelle des BPC devrait toutefois réduire le coût final pour l'État, même s'il est à craindre qu'il n'en obtienne pas un prix aussi avantageux que celui qui était convenu dans l'accord franco-russe. Les principaux pays intéressés sont l'Égypte, Singapour, l'Inde, la Malaisie et le Canada. À ce stade, il s'agit de spéculations, sans caractère officiel.
Force est de conclure que cet accord nous sort d'une situation qui paraissait inextricable. Saluons à cet égard le travail accompli par les négociateurs, à commencer par M. Gautier. Il fallait en sortir vite car tant l'État que l'industriel risquaient d'être exposés très rapidement à des pénalités et des recours contentieux de la part de la partie russe. De plus, nous aurions eu à supporter indéfiniment, compte tenu de l'impossibilité de les revendre, le coût de maintenance des navires - 1 million d'euros par mois et par navire, soit 24 millions d'euros par an ! - et celui de leur dépréciation liée à l'obsolescence des matériels. Le présent accord autorisant cette revente, il convient d'avancer vite dans cette direction.
Enfin, la disparition de ce différend nous permet d'envisager si ce n'est une relance, du moins un apaisement de nos relations avec la Russie. Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, je vous propose, en tant que rapporteur, d'adopter le projet de loi ratifiant cet accord entre la France et la Russie. Il sera examiné en séance publique le mercredi 30 septembre à 14h30, selon la procédure normale.
À titre personnel, je m'abstiendrai néanmoins.
Je remercie à mon tour M. del Picchia pour ce travail approfondi sur un sujet complexe. Ce dossier suscite toutefois un certain nombre d'interrogations.
Il illustre tout d'abord l'état des relations franco-russes. C'est à mon sens une grave erreur que de ne pas considérer la Russie comme un interlocuteur obligé, quelle qu'ait été son attitude en Ukraine, pour le règlement des situations diplomatiques difficiles et des crises, en Syrie et ailleurs. Pour une fois, le sujet ne fait pas consensus - une rareté dans le domaine de la politique étrangère. Les rapports avec la Russie ont toujours été considérés comme un élément essentiel de notre diplomatie. Nous avons rencontré ici un accroc qui a de graves conséquences économiques, notamment dans le domaine agro-alimentaire. Des millions de têtes de porcs, des stocks de pommes qui trouvaient auparavant un débouché dans le marché russe nous restent désormais sur les bras. Vu le retentissement sur toute l'économie nationale, en plein crise des éleveurs, cela en valait-il la peine ?
Notre ministre de la Défense a multiplié les contrats de ventes d'armes. Or les acheteurs potentiels se demanderont désormais si la France leur appliquera les mêmes principes qu'à la Russie. Nous devons être conscients de ce que l'usage de nos armements a toujours des conséquences, parfois sur des civils. L'Égypte ne nous a pas acheté des Rafale uniquement pour les défilés au-dessus du canal de Suez...
Enfin, vous avez mentionné les incertitudes liées à l'hypothétique revente des BPC. La technologie de ces bateaux étant adaptée aux besoins des Russes, il faudra les réadapter. Dans ces conditions, le futur client fera baisser le prix, d'autant que la France est quelque peu prise à la gorge ; la Marine française n'a d'ailleurs pas exprimé le désir de les acheter. Nous risquons également de vendre à des pays désargentés. L'Égypte est-elle déjà en mesure de payer les Rafale ? Quand on est vendeur d'armes, on assume !
En somme, en dépit d'un arrangement commercial bien négocié par Louis Gautier et son équipe, de nombreuses incertitudes demeurent. Mon groupe n'a pas encore délibéré sur la question. Pour l'heure, je m'abstiendrai, en raison des implications très lourdes de la décision de ne pas honorer la vente, et de notre attitude face à un pays dont nous avons besoin pour le règlement des conflits qui perturbent la paix dans le monde. Je suis persuadé que nous ne jouons pas la bonne carte !
Je partage l'avis de M. Cambon quant au caractère difficile de cette affaire, que j'avais qualifiée, lors de l'audition de M. Gautier, de « malheureuse ». J'estime en revanche qu'il fallait nous ôter cette épine du pied afin de retrouver des relations franches et ouvertes avec la Russie. Avoir réglé cette affaire au mieux - ou le moins mal possible - m'apparaît comme un élément positif. En témoigne l'excellent climat des négociations. La Russie semble satisfaite de la solution, puisqu'elle obtient le remboursement de ses dépenses.
Rappelons que la vente de ces navires avait rencontré de très fortes réserves des deux côtés. Les partisans de la transaction dans l'administration russe, notamment le chef d'état-major de la marine et le ministre, ont été limogés. L'état-major français n'y était pas très favorable, un an après la guerre russo-géorgienne, d'autant que le chef d'état-major russe avait déclaré que la guerre aurait été menée plus efficacement si la Russie avait disposé de ces bateaux à l'époque ! C'était une affaire de nature essentiellement commerciale, alors que les chantiers de Saint-Nazaire avaient grand besoin de commandes.
Nous voilà libérés de cette affaire. Il fallait obtenir de la Russie qu'elle n'empêche pas la revente des BPC, c'est le cas. Il est vrai que ces navires seront difficiles à vendre au même prix que nous avions obtenu des Russes, mais nous y parviendrons car ce sont de bons bateaux, même si le budget de l'État en pâtira. Nous veillerons à ce que le programme 146 n'en fasse pas les frais et vérifierons qu'il est abondé, dans le collectif de fin d'année, des sommes avancées.
Au moment de livrer les bateaux, nous avons subi d'importantes pressions des pays d'Europe orientale, sans parler des pays baltes, dans le cadre de l'assemblée parlementaire de l'OTAN. Après l'annexion de la Crimée, il n'était plus possible de traiter cette transaction sous un angle purement commercial.
Quant à l'argument des pertes à l'exportation, nous venons de vendre des hélicoptères à la Pologne.
La Pologne avait en effet menacé d'interrompre les négociations, qui portaient sur cinquante hélicoptères Caracal pour un montant de 2,5 milliards d'euros, si nous livrions les bateaux.
En 2014 et en 2015, nous n'avons eu aucune retombée négative. Notre groupe votera en faveur de ces accords.
Sur le fond, je partage entièrement l'avis de M. Cambon. Ne refaisons pas l'histoire : l'affaire a été négociée à des conditions particulièrement avantageuses grâce à la relation de confiance que nous entretenions avec la Russie. C'était une opération gagnant-gagnant. J'observe également que les Russes étaient de très bons clients, puisqu'ils avaient payé la quasi-totalité de la commande au moment de l'annulation.
Dans cette affaire, il y a trois parties : la Russie, la France et l'entreprise DCNS. Côté russe, on est satisfait : au fond, ils n'ont pas besoin de ces bateaux et pourront utiliser plus opportunément l'argent qui leur est remboursé. Côté français, c'est une erreur stratégique. Le Président de la République semble préparer, petit à petit, un changement d'orientation de notre politique étrangère, car nous avons besoin de la Russie en Syrie. Pour ma part, je reste convaincu que si nous n'avions pas agi dans la précipitation, nous n'aurions peut-être pas bloqué la vente.
Au point de vue juridique, qui est le propriétaire actuel des navires ? En d'autres termes, qui constatera la perte si nous les vendons à un prix inférieur ? Le programme budgétaire, l'entreprise, la Coface ? Je crains qu'en dernière instance l'État ne paie la note. De son côté, l'entreprise perd la marge associée au contrat ; or toutes les entreprises qui travaillent sans dégager de marge finissent par déposer le bilan.
En somme, l'affaire a été gérée en dépit du bon sens ; je ne vise aucunement M. Louis Gautier, qui a bien mené les négociations sur la base d'une mauvaise décision du chef de l'État. Le préjudice est important, non pour nos relations avec la Russie - l'opération a été isolée des autres dossiers en cours - mais pour notre pays et pour l'entreprise.
Sur la forme, nous avons agi dans la précipitation. Je ne reviens pas sur la pratique, désormais courante, qui consiste à demander l'avis du Parlement sur un accord déjà conclu, mais la décision a été prise sans en évaluer les conséquences financières et diplomatiques.
Enfin, je tiens à féliciter le rapporteur pour un exercice difficile. Notre groupe n'a pas encore arrêté sa position ; pour ma part, je m'abstiendrai moi aussi, sans préjuger de mon vote en séance.
La Coface est actuellement l'usufruitière des bateaux, dont la pleine propriété appartient à DCNS. La Coface donnera un mandat commercial à la compagnie pour la négociation et la conclusion du futur contrat de vente. Le produit de cette vente ira directement sur la partie État du compte de la Coface, et reviendra au budget de l'État dans le cadre du prélèvement opéré en fin d'année.
Concernant notre crédibilité, l'exemple du contrat avec la Pologne a été évoqué ; il y en a d'autres. Nous continuons à vendre, plutôt bien...
Il importait de sortir au plus vite de cette épineuse situation. Sur le plan mondial, la Russie est certes un partenaire incontournable, et la France est au premier plan dans les crises dont celle-ci est partie prenante : nous avons ainsi été parmi les nations pilotes de la négociation de Minsk, dans le format Normandie, qui a traité du conflit ukrainien. L'accord conclu ne me semble pas si mauvais, au vu des implications diplomatiques et économiques de la situation. En revanche, il représente un coût réel ; or les sanctions ont été prises à l'initiative de l'Union européenne, n'en déplaise à M. Joyandet. Elles ont de graves conséquences sur le secteur agro-alimentaire, sur nos agriculteurs, sur nos régions. La solidarité ne doit pas être à sens unique. En Auvergne, on a coutume de dire que qui paie commande, et qui commande paie.
Il faut poser le problème de façon générale. Dans un contexte mondial troublé, nous sommes particulièrement engagés. Les Opex nous coûtent 1,6 milliard d'euros par an ; Sentinelle - conséquence indirecte de notre lutte contre Daesh -, 1 million d'euros par jour. Je voterai en faveur de ce rapport, mais je souhaite que nous demandions à l'Union européenne de mettre enfin la main au portefeuille et d'assumer les conséquences des décisions qu'elle nous impose.
L'annulation de la vente n'est pas liée aux sanctions contre la Russie ; c'est une décision éthique, prise en toute indépendance. Cependant, il est vrai que le peu de considération que l'Union européenne porte à nos efforts militaires - y compris pour la défense de l'Europe - est douloureux.
L'essentiel, ce ne sont pas les chiffres ; c'est le fait que nous ne respectons pas notre signature. Rien ne nous obligeait à prendre une telle décision ; J'ai eu l'occasion de dire à la tribune de l'Assemblée nationale combien notre retour au sein du commandement intégré de l'Otan m'était désagréable. Notre politique étrangère est désormais dirigée par les Américains. Voilà le véritable sujet ; le reste n'est que littérature. L'impact de l'embargo russe sur notre production agricole doit également être évalué : de nouvelles habitudes vont se prendre, nous allons disparaître durablement du marché de l'exportation.
Nous devons retrouver notre souveraineté. C'est pourquoi je demande un véritable débat sur l'opportunité pour nous de rester membre de l'Otan.
Le vote négatif est exclu, car il convient avant tout de nous extraire d'une situation difficile. Le choix est entre l'abstention et le vote positif, après l'excellent exposé de notre rapporteur.
Moi qui représente la Loire-Atlantique, j'ignore les conséquences de l'affaire sur l'employabilité et les contrats futurs pour DCNS ; il demeure que DCNS ne fabrique pas d'hélicoptères. Nous avons subi des pressions pour annuler la vente des Mistral, mais qu'avons-nous obtenu en contrepartie ? Quel soutien de la part de nos partenaires européens ? DCNS récupère le prix de revient de leur fabrication, mais il faut ajouter les coûts de dérussification du bâtiment, d'entretien, de gardiennage, qui seront supportés par l'État. A priori, mon groupe s'abstiendra.
Certes, DCNS n'en tirera pas le profit escompté ; cependant, ce contrat lui a donné du travail pendant trois ans. La marge du fabricant n'est pas publique, mais elle était probablement élevée. Même si la vente se fait à un moindre prix, l'entreprise n'aura pas tout perdu.
Dans le rapport sur les relations franco-russes que MM. Gorce et del Picchia et moi-même allons bientôt présenter, nous réaffirmons avec force que la Russie doit être un partenaire privilégié de la France et de l'Europe. Je suis quelque peu surprise de certains des arguments avancés.
L'accord a été négocié avec Dimitri Rogozine, un dur entre les durs ! Il satisfait Vladimir Poutine et ne mécontente pas la France. C'est bien qu'il s'agit d'un bon accord.
La Russie est-elle un partenaire obligé, quoi qu'elle fasse ? Non. Quant aux sanctions, au-delà des arguments économiques, elles sont la seule arme légitime. Jamais nous ne serons un partenaire valable de la Russie si nous faisons preuve de faiblesse. Les ventes d'armes ont, elles aussi, une dimension politique. À l'époque, la vente des Mistral - qui arrivait après la guerre russo-géorgienne - relevait avant tout d'un arrangement politique. De même, la rupture est intervenue pendant les événements d'Ukraine.
Sur la question de la revente, évitons les procès a priori. Même si l'Arabie saoudite est derrière l'Égypte pour l'achat des Rafale, il est opportun que ces deux puissances s'impliquent davantage sur le terrain dans un Moyen-Orient en pleine implosion.
La conclusion de notre rapport appellera à un partenariat renouvelé avec la Russie en revenant aux dispositions des accords d'Helsinki de 1975, d'après lesquelles toute modification de frontière ne saurait être actée que par la négociation.
Ayant de la sympathie pour MM. Cambon et Joyandet, j'éprouve un vif embarras devant les arguments qu'ils se voient contraints d'avancer. Il faut prendre en compte notre intérêt global. L'accord de vente des Mistral était, dit M. Joyandet, particulièrement avantageux. Pourquoi ? La Russie n'a pas vocation de mécène. Il faut se poser la question des contreparties obtenues, ce qui peut être délicat pour notre diplomatie ...
Difficile de contester les avantages de cet accord, compte tenu de la situation : nous revenons à un climat plus serein, nous reprenons la main sur les bateaux que nous pourrons revendre et nous avons obtenu de bonnes conditions financières. Quant à l'opportunité de la livraison, je rappelle que les tensions liées au conflit ukrainien atteignaient leur paroxysme au moment où la décision fut prise.
De manière générale, nous avons pris ces décisions successives - vendre, ne pas vendre - au cas par cas, or il faut mettre en perspective nos relations avec la Russie, partenaire sinon obligé du moins incontournable. La France ne peut pas tout accepter : pour moi, la livraison des Mistral était inenvisageable. En vendant les Mistral, nous n'avons pas suffisamment anticipé le tour que prendrait la politique extérieure russe, avec l'invasion de la Crimée et le conflit ukrainien. Une réflexion stratégique s'impose.
Je n'ai rien à ajouter aux propos échangés. N'ayant pas de machine à remonter le temps, nous sommes contraints d'agir au mieux de nos possibilités. Je m'abstiendrai.
Notre politique étrangère ne doit pas davantage s'aligner sur le Kremlin que sur Washington ! La Russie doit être partie prenante de toutes les discussions, notamment en Syrie ; cela ne veut pas dire que nous ne pouvons promouvoir une solution politique reposant sur le départ de Bachar el-Assad. L'alliance franco-russe chère au général de Gaulle n'empêche pas les divergences. Pour ma part, je considère cet accord comme un acte d'indépendance de la France.
Je remercie M. del Picchia pour son travail sur ce sujet difficile, qui a suscité des interventions très critiques de ce côté de la table. Pour ma part, je suis favorable à cet accord. L'argument de notre manque de fiabilité commerciale ne tient pas, puisque nous n'avons jamais autant vendu. Quant au supposé suivisme vis-à-vis des Américains, je rappelle que les pressions ne venaient pas tant d'eux mais de nos voisins allemands et surtout des pays d'Europe centrale - on ne prend pas toujours au sérieux les craintes de ceux-ci, mais je comprends l'agitation des Etats Baltes, après cinquante ans de férule soviétique, lorsque les autorités russes mettent en doute la légalité de leur indépendance... Et que diraient les Ukrainiens s'ils retrouvaient nos Mistral en face de Marioupol ?
Sur le fond, j'ai le sentiment que la Russie ressemble de plus en plus à l'ancienne URSS. Or je suis frappé de la tolérance, voire de la sympathie que peut susciter chez certains, même au sein de partis démocratiques comme les nôtres, un dictateur comme Vladimir Poutine, qui conduit son pays dans l'impasse économique, qui à force de gaspiller les richesses de son pays, est en train de le transformer en un nouveau Nigeria...
Un bref rappel de ce qui se passe en Russie depuis dix ans : intervention militaire en Géorgie ; soutien aux sécessions de l'Ossétie du Sud, de l'Abkhazie, du Nagorno-Karabakh, de la Transnistrie ; annexion de la Crimée ; invasion ouverte de l'est de l'Ukraine ; pressions sur la Moldavie et les pays baltes ; violation des espaces aériens norvégien, finlandais, portugais ; envoi de sous-marins dans les eaux territoriales suédoises, de navires de guerre dans les Caraïbes ; menaces contre des navires danois ; affirmation publique que l'utilisation d'armes nucléaires tactiques a été envisagée ; hausse de 30 % du budget militaire ; dénonciation maladive de l'Otan, propagande anti-occidentale et chasse aux ONG de défense des droits de l'homme ; destruction du Boeing de Malaysia Airlines ; emprisonnement d'Alexeï Navalny et de tant d'autres ; exil forcé de Mikhaïl Khodorkovski, de Garry Kasparov et de tant d'autres ; assassinats d'Anna Politkovskaïa, d'Alexandre Litvinenko, de Stanislas Markelov, d'Anastasia Babourova, de Sergeï Magnitski, de Boris Berezovski, de Boris Nemtsov... Je ne parle même pas des récentes élections régionales, à la soviétique, où l'opposition n'a pu présenter plus d'un candidat par circonscription. La Russie de Poutine devient un pays néo-impérialiste, paranoïaque et dangereux.
M. Cambon a raison de dire que la Russie est un interlocuteur obligé, mais c'est aussi un interlocuteur en lequel nous ne pouvons avoir confiance, et avec lequel nous devons discuter en position de force et d'indépendance.
Enfin, aux arguments commerciaux j'oppose ces propos du général de Gaulle : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille ».
Je voterai en faveur du rapport.
Le débat est passionnant. Nous avons besoin d'une réflexion renouvelée sur la question des relations avec la Russie. Vous évoquez une absence de confiance ; je vous réponds que la politique étrangère, c'est tout sauf de la confiance ! Même nos alliés, ceux qui ont débarqué en Normandie pour nous libérer, nous ne leur faisions pas aveuglément confiance. L'intérêt prime, tout est rapport de force.
Certes, nous constatons de graves dérives en Russie ; mais prenons garde à ne pas humilier les Russes, car dans ce cas c'est Poutine qui en profite. Quand on les humilie, les pays nationalistes comme la Russie ou la Chine ont le réflexe de se rassembler autour de leur chef. Le rapprochement stratégique en cours entre ces deux pays peut conduire à une réorganisation de notre monde multipolaire. Ajoutons l'Iran, et nous nous trouverons dans une situation où les alliés de l'ancien monde feront face à un nouveau monde qui ne partagera pas nos valeurs et jouira d'une force considérable.
Je conviens avec vous que nous devons penser à l'avenir. La négociation de sortie de la vente a été bonne. Nous ne pouvons vendre d'armes sans conditions associées ; mais ne jugeons pas le passé et l'avenir tout ensemble. La question de la vente des Mistral et celle des sanctions ne sont pas liées. La décision de ne pas livrer les bateaux est un choix politique qui appartient à la France seule, pas à l'Union européenne.
La France doit-elle faire un geste à l'égard de la Russie ? Il faut en tout cas donner une dynamique et une perspective à cette relation, et éviter cette fédération des humiliations : les Russes et les Chinois n'ont peut-être pas grand-chose en commun, sauf la fierté ! Ne laissons pas les Russes penser que leur avenir est sans nous, tendons-leur la main, dans l'équilibre et dans la fermeté.
Pour ma part, je suis favorable à l'abstention, en attendant la réunion de notre groupe le 29 septembre. Cette position envoie le message qu'il s'agit d'un sujet en discussion au sein de la classe politique française - du reste, si la ratification de l'accord avait été menacée, j'aurais voté en faveur de celui-ci.
Je partage l'essentiel de ces positions. Les explications de vote sont importantes. Dans une période de recompositions importantes, évitons que la voix de la France se retrouve affaiblie. Évitons également de mêler au débat la question de la crise agricole, qui a bien d'autres causes que l'embargo russe.
Une réflexion s'impose aussi sur les sanctions, qui sont le seul vecteur de rapport de force non militaire à notre disposition.
Je rappelle que les Mistral n'étaient pas concernés par l'embargo sur les armes. La présentation de notre rapport sur la Russie, le 7 octobre prochain, sera l'occasion de débattre plus avant de ces sujets.
Merci pour votre travail. Nous reprendrons ce débat en séance publique le 15 octobre prochain, en présence du ministre. Il me reste à mettre aux voix le rapport.
Nous sommes deux à voter contre.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le rapport ainsi que le projet de loi précité.
La commission examine le rapport de Mme Nathalie Goulet et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 561 (2014-2015) autorisant la ratification de l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République d'Afrique du Sud, d'autre part, modifiant l'accord sur le commerce, le développement et la coopération.
Depuis la fin de l'apartheid, plusieurs accords sont venus concrétiser l'ambition d'intensifier les relations entre l'Union européenne et l'Afrique du Sud : l'accord sur le commerce, le développement et la coopération signé le 11 octobre 1999 ; le partenariat stratégique conclu en 2007 qui a renforcé la cohérence et la dimension politique de la relation bilatérale ; l'accord signé le 11 septembre 2009, objet du présent projet de loi. Ces accords traduisent le poids économique et politique de l'Afrique du Sud et le rôle qu'elle entend jouer, tant sur le continent africain que sur la scène internationale, notamment comme seul membre africain du G20.
Le dernier sommet Union européenne-Afrique du Sud, qui s'est tenu à Pretoria le 18 juillet 2013, a révélé des convergences plus fortes qu'auparavant en matière de politique internationale, notamment sur le Zimbabwe, le Sahel et le Proche-Orient. L'Afrique du Sud n'est pas pour autant un interlocuteur facile, souvent méfiante vis-à-vis de l'action des Européens sur les questions africaines.
Si puissante soit-elle à l'échelle du continent, l'Afrique du Sud n'en reste pas moins fragile, plus de vingt ans après la fin de l'apartheid. En dépit de ses atouts - qualité du système financier, grandes entreprises de taille mondiale, solidité d'une partie de l'enseignement supérieur, potentiel minier exceptionnel - l'économie traverse une conjoncture difficile. Elle est confrontée à une crise énergétique structurelle qui a conduit à réviser les prévisions de croissance pour 2015 et dont elle ne pourra sortir sans développer de grands projets d'infrastructures à l'échelle régionale. La situation financière dégradée, les ingérences politiques dans la gestion de nombreuses entreprises publiques, les mauvaises performances du système éducatif constituent des freins qui empêchent le pays d'atteindre les 5 % de croissance nécessaires à la résorption des inégalités et d'un chômage massif qui touche un actif sur quatre. Après des années de hausses de salaires sans rapport avec l'évolution de la productivité, la crise de la compétitivité sud-africaine se traduit par un fort déficit commercial (2,5 % du PIB en 2014). La résorption du déficit budgétaire (4,1 % du PIB) se heurte à l'étroitesse de la base fiscale, reflet des fortes inégalités sociales. Enfin, la piètre qualité du dialogue social, marqué par de multiples grèves, traduit une situation sociale très tendue. Les accords de coopération et de partenariat que l'Union européenne conclut avec l'Afrique du Sud n'en sont que plus justifiés.
Le bilan des accords de 1999 et 2007 est globalement positif. Le dialogue politique s'est structuré, les échanges commerciaux entre les parties se sont accrus de plus de 50%. L'Union européenne est devenue le principal partenaire commercial de l'Afrique du Sud, malgré l'érosion sensible et régulière de sa part de marché au profit des pays émergents dont la Chine, devenue en 2009 le premier fournisseur et client de l'Afrique du Sud. Bien que ne représentant que le 39ème débouché à l'exportation pour la France, elle reste un partenaire de premier plan constituant le onzième excédent commercial au plan mondial avec un solde supérieur à 1 milliard d'euros. Les pays européens figurent également en bonne place en termes d'investissements directs, même si leur part diminue.
L'Afrique du Sud est le premier bénéficiaire de l'aide communautaire sur le continent : la Commission et les États membres apportent près de 70 % du total des ressources fournies par les bailleurs, soit environ 1,3 % du budget de l'État et 0,3 % de son PIB. L'aide française sur la période 2014-2020 devrait représenter 1,758 milliard d'euros.
La révision de l'accord, processus classique de mise à jour, est caractérisée par un renforcement de la coopération dans le domaine de la sécurité et par l'absence de dispositions concernant les relations commerciales.
Si l'accord de 1999 ne mentionnait que la lutte contre la drogue et le blanchiment de capitaux comme axe de coopération, celui de 2009 a considérablement étoffé ce volet, avec huit nouveaux articles : lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, lutte contre le terrorisme, lutte contre les trafics d'armes légères et de petits calibres, prévention des activités des mercenaires, lutte contre la criminalité organisée, soutien à la Cour pénale internationale, coopération en matière d'immigration. Sur ces thèmes, les points de vue convergent, les parties ayant une approche similaire du système multilatéral et du rôle du Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix et de la sécurité. Il fallait renforcer le dialogue sur ces questions et définir des actions concrètes pour développer une coopération efficace. Elle permettra de conforter les progrès réalisés par l'Afrique du Sud dans la lutte contre la drogue et le blanchiment, mais aussi de l'engager plus fortement en matière de lutte contre le terrorisme, domaine où la coopération dispose de marges de progression certaines...
L'accord de modification ne comporte aucune disposition relative au commerce, volet majeur de l'accord de 1999, car ces questions ont été traitées dans le cadre des négociations d'un accord de partenariat économique (APE) entre l'Union européenne et les pays d'Afrique australe qui se sont achevées le 15 juillet 2014. L'Afrique du Sud y occupe une place particulière : tandis que les autres pays bénéficient d'un accès au marché européen sans droit ni quota, les produits sud-africains sont soumis à certaines restrictions. Une partie des stipulations de cet APE relevant de la compétence des États membres, il sera examiné par le Parlement français dans les prochains mois. L'accord comporte une clause de rendez-vous consacrée à l'investissement et aux services. Les premières discussions auront lieu après le toilettage juridique du texte.
L'accord de 2009 concrétise le partenariat conclu depuis la fin de l'apartheid. Il en renforce certains axes et ouvre de nouveaux champs à la relation bilatérale. Je vous inviterai donc à proposer au Sénat d'en autoriser la ratification.
Je voudrais néanmoins attirer votre attention sur le fonctionnement de l'exécutif.
Négocié entre le 29 mars et le 10 octobre 2007, l'accord révisé a été signé par les deux parties le 11 septembre 2009. L'Afrique du Sud l'a ratifié le 3 décembre 2010, l'Union européenne le 15 février 2011 ; au 1er septembre 2015, dix-huit États membres de l'Union l'avaient ratifié. Or, le projet de loi de ratification n'a été déposé à l'Assemblée nationale que le 10 juillet 2013 par le ministère des affaires étrangères.
Il aura donc fallu quatre années pour rédiger une page d'exposé des motifs et cinq pages d'étude d'impact ! La consultation interministérielle serait-elle postérieure à la signature des accords ? Au total, il aura fallu six années à la France pour autoriser la ratification d'un accord international - nouvel exemple des dysfonctionnements constatés dans son rapport d'information de décembre 2014 par le président Raffarin et confirmés par M. Henri Plagnol dans son rapport remis en juin 2015 au ministre des affaires étrangères. Notre Commission a arrêté un dispositif pour faciliter l'examen des projets de loi autorisant ou approuvant ces accords ; elle attend désormais du gouvernement des propositions pour accélérer la procédure d'examen et réduire les délais de présentation des textes aux assemblées parlementaires. Sans doute faudrait-il le rappeler au ministre afin que nos voix conjuguées ne se perdent pas dans le désert...
Une remarque, simplement : l'Afrique du Sud est un partenaire important en Afrique, elle est rarement un allié de la France sur le plan diplomatique.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport ainsi que le projet de loi précité.
La commission examine le rapport de M. Joël Guerriau et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 560 (2014-2015) autorisant la ratification de l'accord de partenariat économique d'étape entre la Côte d'Ivoire, d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part.
Inutile de vous rappeler l'intérêt de renforcer nos liens économiques avec l'Afrique, continent désormais intégré à la mondialisation et qui compte parmi les acteurs de la croissance mondiale, avec son évolution démographique, ses ressources considérables et l'essor de ses entreprises. Depuis 2012 et la sortie des années de crise politique, la Côte d'Ivoire a renoué avec une forte croissance : 9,8 % en 2012, 8,7 % en 2013, 8,0 % en 2014. Cela devrait perdurer, car la croissance repose sur un secteur agricole exportateur performant - premier producteur de cacao, la Côte d'Ivoire compte aussi parmi les tout premiers producteurs de café et de caoutchouc - et des investissements publics dynamiques. Les investisseurs étrangers sont de retour, on compte 641 entreprises françaises.
Les relations commerciales entre l'Union européenne et les pays Afrique Caraïbe Pacifique (ACP), dont fait partie la Côte d'Ivoire, ont été gouvernées entre 1975 et 2000 par un régime de préférences commerciales non réciproques, découlant des conventions de Lomé. Or les accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), signés en 1994, excluent toute discrimination au sein du groupe des pays en développement (PED). C'est dans ce contexte que l'accord de Cotonou du 23 juin 2000 a prévu la conclusion de nouveaux accords de libre-échange, dénommés accords de partenariat économique (APE), en vue d'autoriser l'accès au marché européen en franchise de droits et de quotas de tous les produits des pays ACP, à l'exclusion de produits dits sensibles, en contrepartie de l'ouverture de leurs marchés aux produits européens à hauteur de 80 % dans un délai de quinze ans.
En 2001, l'Union européenne et les pays ACP ont obtenu à Doha une dérogation aux accords de l'OMC leur permettant de maintenir le système des préférences commerciales non réciproque pendant la négociation et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2007. À cette date, seules les Caraïbes avaient signé un accord complet ; la Commission a alors proposé des APE bilatéraux d'étape, limités à l'accès au marché des biens, aux pays souhaitant continuer à bénéficier du régime préférentiel dans l'attente de la conclusion des accords complets.
La Côte d'Ivoire - qui ne relève pas du régime « Tout sauf les armes» offrant, depuis 2008, aux pays les moins avancés (PMA) un accès au marché européen en franchise de droits et sans contingent pour tous les produits sauf les armes - a paraphé l'APE d'étape. Ayant ainsi obtenu une application anticipée du régime commercial APE, la Côte d'Ivoire n'a pas poursuivi la procédure jusqu'à la ratification, empêchant l'accord intérimaire d'entrer en vigueur. L'APE complet d'Afrique de l'Ouest, signé le 12 décembre 2014 par les 28 États membres et les États africains concernés à l'exception du Nigéria, du Togo, de la Gambie et de la Mauritanie, devrait venir le remplacer.
Cet accord intérimaire est conçu comme un accord de libre-échange mais aussi de développement visant, selon le titre I, à « éviter une perturbation du commerce entre la Côte d'Ivoire et la Communauté européenne à l'expiration du régime transitoire de l'accord de Cotonou (...) en attendant la conclusion d'un APE global » et à « établir les bases pour la négociation d'un APE qui contribue à la réduction de la pauvreté, promeuve l'intégration régionale, la coopération économique et la bonne gouvernance en Afrique de l'Ouest, en matière de politique commerciale et sur les questions liées au commerce ».
Selon le régime commercial prévu au titre III, les produits originaires de Côte d'Ivoire, à l'exception des armes et des munitions, sont importés dans la Communauté européenne sans droits de douane ni contingents, avec des régimes transitoires pour certains produits sensibles comme le sucre, le riz et la banane : au-delà d'un certain niveau d'importations, les tarifs douaniers de la nation la plus favorisée s'appliqueront automatiquement. Les importations de bananes ivoiriennes et de sucre par les régions ultrapériphériques ne seront libéralisées qu'après une période de dix ans, qui sera prolongée d'autant, sauf décision contraire des parties. Des mesures de sauvegarde permettent en outre aux parties de réintroduire des contingents ou des droits de douane pour protéger les secteurs économiques fragiles. En contrepartie, l'ouverture du marché ivoirien se fera progressivement pour atteindre 81 % des exportations de l'Union européenne sur quinze ans ; elle concernera essentiellement des produits industriels qui ne font pas concurrence à la production ivoirienne.
Le titre II prévoit une coopération pour le développement, qui peut prendre des formes financières ou non. Le financement de l'Union européenne s'effectue dans le cadre de l'accord de Cotonou, notamment des programmes d'aide au développement du Fonds européen de développement (FED). Le onzième FED (2014-2020) attribue une enveloppe de 273 millions d'euros. Sur cette période, l'aide bilatérale française devrait s'élever à 1,05 million d'euros. La création d'un fonds régional APE est également évoquée.
Sous le bénéfice de ces observations, je recommande l'adoption de ce projet de loi qui manifeste l'intérêt de la France pour le partenaire qu'est la Côte d'Ivoire. Plus complet, l'APE de l'Afrique de l'Ouest, signé en décembre 2014, rendra caduc cet accord d'étape, qu'il importe toutefois de ratifier.
L'examen en séance publique est fixé au 8 octobre 2015. La Conférence des Présidents a proposé son examen en procédure simplifiée. Je vous propose, quant à moi, un rapport publié en forme synthétique.
Il n'y a pas à hésiter : nous soutenons la proposition du rapporteur.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport ainsi que le projet de loi précité.
La réunion est levée à 11 h 15.