Intervention de Harlem Désir

Réunion du 28 septembre 2015 à 14h30
Ressources propres de l'union européenne — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Harlem Désir :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, votre chambre examine aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation de la décision du Conseil du 26 mai 2014 relative au système des ressources propres de l’Union européenne. Il s’agit d’un texte essentiel, car il constitue l’une des deux clés de voûte du budget de l’Union européenne.

La première clé de voûte, c’est le règlement du Conseil portant cadre financier pluriannuel, qui fixe le cadre des dépenses pour la période 2014-2020 : avec un plafond de 1 083 milliards d’euros en crédits d’engagement et de 1 024 milliards d’euros en crédits de paiement, ce cadre est ambitieux, puisqu’il permet aux politiques communes d’enregistrer une augmentation de 11 % par rapport à la précédente période financière.

La seconde clé de voûte, à savoir le texte dont vous êtes saisis aujourd’hui, définit les conditions de financement du budget de l’Union européenne.

En effet, en vertu de l’article 311 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, celle-ci est financée par des ressources propres, ce qui est un signe d’intégration la distinguant des organisations internationales.

Ce système a toutefois été doublement altéré depuis la première décision du Conseil sur le système des ressources propres, en 1970.

Premièrement, les ressources propres sont aujourd’hui très majoritairement des contributions qui transitent par les budgets des États membres : c’est le cas des ressources liées au revenu national brut des États membres et de celles qui sont issues de la TVA. Cela fait perdre sa singularité au système de financement de l’Union européenne et exacerbe les débats entre États membres sur leur solde net et la notion, en réalité peu pertinente, de « juste retour ».

Deuxièmement, les mécanismes dérogatoires, à commencer bien sûr par le fameux rabais britannique, se sont multipliés et sédimentés au fil des négociations, ce qui nuit au caractère juste et lisible du mode de financement du budget européen.

Toutefois, dès lors que ce système est régi par une décision prise à l’unanimité et ratifiée par les États membres selon leurs règles constitutionnelles respectives, il est devenu très difficile à réformer.

Je vous présenterai donc les grandes lignes de la décision soumise à votre approbation, avant d’évoquer les réflexions développées actuellement sur la réforme du mode de financement de l’Union européenne.

En premier lieu, j’évoquerai les principales dispositions de la décision du Conseil relative au système des ressources propres du 26 mai 2014, qui a vocation à se substituer à la décision du Conseil du 7 juin 2007, actuellement en vigueur et dont vous avez autorisé la ratification en juin 2008. Elle devrait entrer en vigueur en 2016, avec effet rétroactif au 1er janvier 2014.

Pour une large part, la nouvelle décision confirme les grands principes de la décision « ressources propres » de 2007. Elle ne crée pas de nouvelle ressource propre, mais confirme un système qui repose aujourd’hui sur trois ressources principales : les ressources propres traditionnelles, la ressource propre fondée sur la taxe sur la valeur ajoutée et la ressource fondée sur le RNB.

Cette décision introduit néanmoins plusieurs aménagements.

Ainsi, les frais de perception sur les ressources propres traditionnelles retenus par les États membres sont désormais fixés à hauteur de 20 %, contre 25 % auparavant. Le plafond des ressources propres est fixé à 1, 23 %, contre 1, 24 % en 2007, du montant des RNB des États membres, en ce qui concerne les crédits de paiement, et à 1, 29 %, contre 1, 31 % en 2007, du montant total des RNB des États membres pour ce qui est des crédits d’engagement. Ce changement des plafonds ne modifie pas réellement les données budgétaires.

Cette décision consacre aussi un certain nombre de régimes dérogatoires en vue de prendre en compte la situation de certains États membres, considérés comme figurant parmi les principaux contributeurs nets au budget de l’Union européenne.

Comme en 2007, cette décision accorde des réductions spécifiques du taux d’appel TVA pour trois États membres : l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède. Ce taux est fixé à 0, 15 %. L’Autriche, qui bénéficiait d’un taux réduit en 2007, n’en bénéficie désormais plus.

Comme en 2007 également, cette décision accorde à certains États membres des rabais forfaitaires sur leur contribution annuelle. En bénéficient les Pays-Bas, à hauteur de 695 millions d’euros, contre 605 millions d’euros pour la période précédente, la Suède, à concurrence de 185 millions d’euros, contre 105 millions d’euros par an auparavant, l’Autriche – 30 millions d’euros en 2014, 20 millions d’euros en 2015 et 10 millions d’euros en 2016 – et, pour la première fois, le Danemark, à hauteur de 103 millions d’euros.

Par ailleurs, les modalités de calcul de la correction dont bénéficie le Royaume-Uni ne sont pas remises en cause.

Au-delà de ces ajustements, il faut déplorer qu’aucune discussion approfondie n’ait pu avoir lieu sur le sujet des ressources propres lors de la négociation sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020. L’attention des délégations s’est en effet focalisée sur le volet des dépenses. Certaines ont refusé catégoriquement d’entamer une négociation sur le sujet des ressources propres, posture rendue possible par le fait que les décisions sur les ressources propres ne sont pas bornées dans le temps.

En second lieu, je soulignerai que le débat sur l’avenir du financement de l’Union européenne doit se poursuivre.

Cette conviction que la France partageait avec le Parlement européen a conduit à la création d’un groupe à haut niveau chargé de procéder à un réexamen général du système des ressources propres, en vue de rendre ce dernier plus simple, plus transparent, plus responsable, plus équitable.

C’est l’ancien président du Conseil italien et ancien commissaire européen Mario Monti qui préside les travaux de ce groupe. Je l’ai moi-même rencontré lors de son passage à Paris, afin de lui faire part de nos réflexions.

Les facteurs qui freinent la réforme sont évidemment nombreux et difficiles à surmonter : le verrou de l’unanimité, la difficulté à s’accorder sur une nouvelle ressource propre, l’impact sur les finances publiques des États membres.

Pour autant, nous sommes favorables à une discussion aussi large que possible. Il s’agit de considérer aussi bien la mise en place de nouvelles ressources propres potentielles que les améliorations à apporter aux ressources existantes, en raisonnant à niveau de prélèvement obligatoire stable.

Nous souhaitons également que le système de financement soit plus équitable grâce à une réforme des mécanismes de correction. Une remise en question de l’ensemble des rabais est donc, selon nous, nécessaire.

Quels sont les critères pertinents pour évaluer le bien-fondé de nouvelles ressources propres potentielles ? Selon nous, ils devraient être les suivants : premièrement, un rendement suffisant eu égard au besoin de financement du budget européen ; deuxièmement, la stabilité afin de limiter les aléas sur la ressource RNB d’équilibre ; troisièmement, la commodité technique, le recouvrement de la ressource ne devant pas donner lieu à des charges administratives trop lourdes ; quatrièmement, l’existence d’une assiette fiscale harmonisée d’ici à 2020 ; cinquièmement, l’effet sur le comportement des agents et sur les acteurs économiques, les ressources devant être en ligne avec les objectifs visés par les politiques de l’Union européenne et faire sens aux yeux des citoyens européens ; sixièmement, la proximité avec la clé RNB, afin de faciliter la négociation d’un accord sur de nouvelles ressources et d’éviter que certains États membres ne soient lésés.

Il convient de n’écarter a priori aucun champ, financier – je pense à l’idée d’utiliser une partie du produit de la taxe sur les transactions financières –, énergétique, environnemental, numérique, étant entendu que chaque ressource potentielle devra bien sûr être appréciée selon ses mérites propres et à l’aune de critères objectifs et précis.

La mise en place simultanée de plusieurs ressources nouvelles, c’est-à-dire d’un bouquet de nouvelles ressources propres, est sans doute une piste intéressante à suivre.

Vous serez évidemment saisis de toutes ces questions, puisque le groupe à haut niveau devrait rendre son rapport final à la fin de cette année. Ce rapport sera ensuite transmis aux parlements nationaux en vue de la conférence interinstitutionnelle, prévue en juin 2016.

Pour l’heure, il est évidemment très important que le Parlement puisse approuver la décision du Conseil du 26 mai 2014 relative au système des ressources propres de l’Union européenne, car c’est à ce moment-là seulement que le budget européen de la période 2014-2020 pourra être financé conformément à l’accord auquel sont parvenus les chefs d’État ou de Gouvernement en février 2013.

Ce budget européen, nous le savons bien, est essentiel à l’approfondissement des politiques communes et au développement de nos territoires. Je pense aux deux grandes politiques que sont la politique agricole commune et la politique de cohésion, qui représentent respectivement 34 % et 36 % du budget de l’Union européenne et que nous avons veillé à préserver, aux politiques de soutien à la compétitivité, qui mobilisent 15 % de ce budget, en faveur notamment de la recherche ou des grands équipements d’infrastructure, comme la ligne Lyon-Turin ou le canal Seine-Nord en France, ainsi qu’aux projets que le Fonds européen de développement régional, le FEDER, contribue à financer dans le cadre des contrats de plan État-région et au soutien apporté à nos universités et à nos laboratoires de recherche dans le cadre du programme européen Horizon 2020. Ce budget permet enfin le financement de l’action extérieure de l’Union européenne face aux crises internationales.

Nous devons donc nous assurer que les modalités de financement sont compatibles avec le cadre financier pluriannuel. Tel est le sens du projet de loi sur lequel le Parlement est appelé à se prononcer aujourd’hui.

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