Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 28 septembre 2015 à 14h30
Ressources propres de l'union européenne — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Le budget annuel moyen de l’Union européenne dans le nouveau cadre financier pluriannuel est de 150 milliards d’euros environ, quand le budget fédéral américain pour 2015 est de 1 100 milliards de dollars, soit un peu moins du décuple ! Je n’évoquerai pas le volet de l’endettement, puisque celui-ci est proscrit en Europe par les traités.

Ce volume représente à peine plus d’un point de notre produit continental brut, ce qui est bien trop faible. Les économistes s’accordent à dire qu’il faudrait que le budget de l’Union atteigne au moins cinq points de PIB pour qu’il puisse avoir un vrai poids économique et permette de mener une véritable politique budgétaire au plan continental.

Cette faiblesse budgétaire rend plus difficile le parachèvement politique de l’Union européenne. Sans budget autonome, nous ne pouvons pas amortir les chocs économiques à l’échelle de l’Union, ni mettre en place une défense intégrée. On pourrait multiplier les exemples. Sans budget suffisant, il n’y a tout simplement pas de structure politique viable. À quoi bon, en effet, avoir un ministre européen des finances ou encore un service européen du Trésor si l’Union ne dispose pas d’un budget suffisant ou de la capacité de s’endetter ? Il faudra s’interroger à ce sujet, car l’endettement est un moyen d’accroître l’action de l’Europe, à condition de faire preuve de prudence : les excès de l’endettement aux États-Unis ou dans certains pays européens, comme la France, nous y obligent.

Ces contraintes stimulent au moins la créativité des décideurs européens, qui parviennent encore, malgré elles, à dessiner des perspectives d’avenir pour notre continent.

À ce titre, nous ne pouvons que saluer encore une fois le travail accompli par la Commission Junker concernant le plan d’investissement européen. À défaut de pouvoir s’endetter auprès d’acteurs privés, il faut que l’Union européenne parvienne à faire participer ces derniers au financement de projets d’investissements stratégiques. La démarche est certes innovante, mais plus longue, plus diffuse et soumise à beaucoup plus d’aléas qu’un transfert budgétaire classique.

Le budget de l’Union ne s’est donc pas encore imposé comme l’expression financière d’une politique continentale et fédérale pleinement assumée. Il reste encore trop souvent, je le regrette, le produit des égoïsmes nationaux et pâtit de l’absence de ressources autonomes et dynamiques. On ne peut pourtant pas invoquer la solidarité européenne le matin et jouer un jeu purement individualiste le soir.

Nous avons besoin d’un budget européen significatif et intégré, et même fédéral, comme le souhaitent les centristes, car nos sociétés devront faire face, dans les prochaines années, à des défis que les seules capacités d’action des États membres ne permettront pas de relever.

Nous savons déjà que notre sécurité et que la lutte contre le terrorisme international se jouent sur le plan européen. Il en va de même pour la crise migratoire, la lutte contre le réchauffement climatique ou même le règlement définitif de la crise grecque.

La mise en place d’un budget fédéral n’est donc pas un simple ornement politique ; c’est une nécessité pratique et incontournable, face à laquelle les égoïsmes nationaux n’ont pas leur place.

À ce stade, l’Union européenne dispose de deux types de ressources propres : des ressources fiscales autonomes issues de la TVA et des droits de douane, d’une part, et des recettes liées au revenu national brut des États, d’autre part, représentant respectivement un peu moins de 30 % et 70 % du budget de l’Union.

Concernant la recette RNB, son évaluation est devenue l’occasion de l’expression la plus aboutie des égoïsmes nationaux. M. Marc a très justement dressé, dans son rapport, la liste des « rabais », des arrangements financiers, voire des « rabais sur le rabais » qui contribuent à amoindrir le poids de la politique budgétaire de l’Union. Nous pourrions revenir sur les rabais britannique, danois ou allemand ; l’inventaire serait finalement assez proche de la liste des contributeurs nets au financement de l’Union européenne. In fine, seules l’Italie et la France demeurent des contributeurs nets ne bénéficiant d’aucune contrepartie financière d’aucune sorte. D’aucuns pourraient crier au scandale ; pour ma part, je me réjouis que la France joue pleinement le jeu du financement de l’Union européenne.

Concernant les recettes autonomes, elles ne pourront se développer qu’en reconsidérant la portée du principe de subsidiarité entre l’Union et les États membres.

Les États et les gouvernements ne transmettent jamais que des ressources archaïques et trop peu dynamiques. Il faut donc imaginer des recettes nouvelles pour asseoir l’autorité politique de l’Europe.

La taxe sur les transactions financières a longtemps été évoquée comme une potentielle ressource d’avenir. Là encore, les interrogations sont trop nombreuses. Depuis longtemps, les centristes appellent de leurs vœux la création d’une telle taxe, au plan européen d’abord, mondial ensuite. Toutefois, toutes les nations européennes ne sont pas prêtes à jouer ce jeu. Le Royaume-Uni y est fortement opposé, pour des raisons évidentes : selon Les Échos de jeudi dernier, la place financière de Londres est passée devant celle de New York, tandis que Paris se classe au trente-septième rang… Ajoutons que Londres est devenu le paradis fiscal légal le plus important du monde : c’est ainsi ! L’Allemagne, quant à elle, est très faiblement attachée à la création d’une telle taxe, puisque les principales banques allemandes sont cotées en Angleterre.

Enfin, au-delà de la seule question de l’assiette territoriale de cette taxe, se pose celle de sa destination. Son produit doit-il alimenter le budget de l’Union européenne ? Doit-il, comme l’a évoqué le Président de la République, financer la politique environnementale ? Doit-il, comme je l’avais proposé au nom du groupe UDI-UC lors de l’examen du collectif budgétaire de l’été 2014, financer la lutte contre le sous-développement via l’Organisation des Nations unies ? La question n’est pas encore tranchée, et je crois qu’elle n’est pas inscrite à l’agenda européen.

Cela pose, plus largement, la question d’une imposition directe par l’Union européenne. Un prélèvement européen supplémentaire serait actuellement mal perçu par nos concitoyens, après les hausses d’impôts nationaux de ces dernières années. Retenir cette option serait d’autant plus mal vécu que rarement le sentiment de défiance à l’égard de l’Union européenne a été aussi répandu.

En outre, la création d’une telle ressource imposerait de profondes réformes institutionnelles au sein même des organes de l’Union, afin de faire davantage de place au Parlement européen face à la Commission et au Conseil. On imagine en effet mal un parlement qui voterait l’impôt ou exprimerait le consentement des citoyens sans bénéficier de davantage de prérogatives institutionnelles.

Il faut donc prendre le problème à la racine. Le Gouvernement demande la disparition de tous les rabais : cela va dans le bon sens, mais ce n’est pas suffisant.

L’instauration d’un vrai budget européen suppose de reconsidérer la portée même du principe de subsidiarité. Pour qu’un budget politique de l’Union émerge, il faudrait, schématiquement, que les États fassent moins, pour que l’Union fasse plus. Dès lors, l’Union serait fondée à capter à due concurrence les recettes nécessaires à l’exercice de ses nouvelles compétences. Tel est le modèle qui prévaut dans tous les États fédéraux de dimension continentale, tels les États-Unis ou le Brésil. Si nous souhaitons que l’Europe fasse le saut qualitatif dont nous avons besoin, c’est dans cette direction que nous devons nous orienter.

En l’espèce, le présent projet de loi ne répond pas à ces questions. Il tend à s’accommoder de ce qui existe déjà et à l’aménager à la marge. Ce n’est pas à la hauteur d’une véritable ambition européenne, mais cela suffit à sauvegarder l’ordinaire. Le groupe UDI-UC, fort de sa profonde conviction européenne, ne peut donc que soutenir ce texte, même s’il manque cruellement de dimension politique pour l’Européen convaincu et exigeant que je suis.

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