Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce débat sur les ressources propres de l’Union européenne est récurrent. Je rejoindrai à peu de choses près l’analyse et les conclusions des orateurs qui m’ont précédé.
Les difficultés sont connues, les arguments sont répétés, mais rien ne bouge. Chaque négociation aboutit à des ajustements à la marge. Pis, les défauts pourtant dénoncés s’aggravent !
La négociation sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 n’a pas échappé à ce triste constat. Comme le souligne notre collègue François Marc, dont je salue le rapport, le Conseil européen de février 2013 a décidé de maintenir pour l’essentiel le système en vigueur. La nouvelle décision relative au système des ressources propres en aggravera même les défauts.
On ne peut aborder la question des ressources propres sans relever au préalable deux spécificités du débat budgétaire européen.
Première observation, ce débat budgétaire est quelque peu tronqué. Les dépenses sont votées annuellement, dans les limites, certes, d’un cadre financier pluriannuel programmé sur sept ans. Le système de financement est, quant à lui, déterminé par une décision relative au système des ressources propres qui est calée sur la durée du cadre financier. Elle ne fait donc l’objet d’une révision qu’au terme de chaque cadre financier.
Ainsi, la précédente décision « ressources propres » remonte à 2007. Le volet « recettes » est en quelque sorte subsidiaire, puisqu’il n’est traité que tous les sept ans. Il reste, en outre, entièrement entre les mains des États membres. Si l’on ajoute que la règle de l’unanimité s’applique pour l’adoption des décisions « ressources propres », on comprend que la structure du financement de l’Union européenne ne peut évoluer que très lentement !
Ma seconde observation préalable portera sur la faiblesse du budget européen. Nous le disons depuis longtemps, mais comment traiter des ressources du budget européen sans, à nouveau, constater la modestie de celui-ci ? Après de laborieuses négociations, le Conseil européen a retenu, en 2013, un montant de quelque 1 000 milliards d’euros sur sept ans, soit un budget annuel de quelque 150 milliards d’euros, représentant seulement environ 1 % du produit intérieur brut européen. Il y a donc un décalage manifeste entre les grandes ambitions affichées dans les traités et les moyens financiers mobilisés pour les concrétiser.
Je pense que le discrédit dont souffre l’Union européenne aux yeux de nos concitoyens est en partie dû à l’insuffisance de ses moyens financiers au regard des actions à mener. Yves Pozzo di Borgo a fait tout à l’heure un parallèle avec les États-Unis : l’architecture n’est certes pas tout à fait la même, mais il reste que les budgets sont sans commune mesure.
J’en viens plus directement au financement du budget européen. Depuis la décision du Conseil du 21 avril 1970, celui-ci doit, en principe, reposer sur des ressources propres. M. le rapporteur a rappelé quelles en étaient les principales composantes. Qu’a-t-on observé dans la pratique ? La part des ressources traditionnelles est toujours plus marginale. La ressource TVA, qui représentait 57 % des ressources propres en 1984, a elle aussi baissé continuellement : elle constituait 13 % des recettes en 2013. En revanche, la ressource RNB n’a cessé d’augmenter : elle représente désormais 75 % du financement total du budget européen. On est ainsi revenu à la situation qui prévalait avant 1970 !
Disons-le clairement, cette situation est contraire à la fois à la lettre et à l’esprit des traités : à la lettre, puisque le traité prévoit que « le budget est, sans préjudice des autres recettes, intégralement financé par des ressources propres » et qu’« il est possible d’établir de nouvelles catégories de ressources propres » ; à l’esprit, car les traités impliquent que les objectifs qu’ils assignent aux politiques européennes soient financés de façon autonome.
Cette incapacité de l’Union à se doter de véritables ressources propres n’a fait qu’attiser le débat périlleux sur le « juste retour » et les « soldes nets ». Le débat sur le financement de l’Union s’est transformé en discussion de boutiquiers. Les rabais et corrections ont gangrené le dispositif. Ce que l’on appelle le « chèque » britannique s’est sans cesse complexifié. Il a aussi fait tache d’huile : de plus en plus d’États membres contributeurs nets ont obtenu des compensations au nom du « juste retour ».
Or ce débat sur le « juste retour » a un effet délétère. Le « solde net » est devenu un point de fixation. Il met en cause le principe de solidarité. Il rabaisse le projet européen à un jeu comptable. Chaque État scrute le budget européen pour évaluer, ligne par ligne, son juste taux de retour, là où, au contraire, les politiques européennes devraient être conçues et appliquées en fonction de la plus-value globale qu’elles apportent à l’Union dans son ensemble.
Au passage, nous devons nous préoccuper de la situation de la France dans ce mode de financement du budget européen. Notre pays est le seul contributeur net avec l’Italie à ne pas bénéficier d’un rabais spécifique.
Comme l’a expliqué François Marc, la France, opposée par principe aux rabais, n’avait pas souhaité en demander pour elle-même pendant les négociations. Or elle se trouve aujourd’hui être le principal financeur du « chèque » britannique, cela dans un contexte où la contribution française au budget européen augmente depuis trente ans. Elle a ainsi été multipliée par cinq depuis 1982. La France est le deuxième contributeur au budget européen derrière l’Allemagne. Il est vrai qu’elle est le deuxième bénéficiaire des dépenses de l’Union derrière la Pologne, grâce aux dépenses de la politique agricole commune. Cependant, elle affiche un solde net négatif de plus de 9 milliards d’euros, qui ne cesse de se détériorer. J’ajoute que nous avons tout lieu d’être inquiets de l’évolution qui pourrait résulter de la position britannique sur la politique agricole commune. Si celle-ci devait être fragilisée, la situation de la France serait encore plus délicate.
En définitive, même si nous voterons le texte qui nous est soumis, lequel reflète le compromis trouvé entre les États membres au sein du Conseil européen, nous voyons bien que ce système à la fois opaque et obsolète doit évoluer.
Constatons que l’adoption du « paquet législatif » proposé par la Commission européenne en 2011 aurait permis de faire bouger les lignes. Au total, dans le dispositif envisagé par la Commission et selon ses estimations, les ressources RNB auraient été ramenées autour de 40 % en 2020. En outre, la Commission proposait une simplification radicale des rabais.
On ne peut que prendre acte du choix des États membres de ne pas donner suite à ces propositions de la Commission européenne. Toutefois, le dossier n’est pas clos, tant le système actuel présente de défauts. Il faut donc porter au crédit du Parlement européen d’avoir obtenu la mise en place d’un groupe de haut niveau interinstitutionnel. C’était, avec la flexibilité dans les dépenses, la condition posée par le Parlement pour approuver le cadre financier pluriannuel. Il revient à ce groupe, présidé par Mario Monti, de procéder à un réexamen général du système des ressources propres. Un premier rapport d’évaluation a été présenté en décembre 2014. Nous attendons maintenant, pour 2016, le second rapport, qui devra formuler des recommandations. Ce sera un moment important, puisque ces recommandations seront examinées dans le cadre de la révision du cadre financier pluriannuel.
Dans cette perspective, il nous semble que la démarche doit être ambitieuse. Elle doit permettre d’aller réellement dans le sens de la simplification et de la transparence. Elle doit aussi permettre de répondre aux dispositions des traités en augmentant très sensiblement la part des ressources propres dans le financement européen et en réduisant d’autant celle de la ressource d’équilibre RNB.
Pour cela, il faut explorer toutes les pistes. C’est ce qu’a fait la commission des affaires européennes sur les rapports successifs de François Marc et de notre ancien collègue Pierre Bernard-Reymond.
Il faudra aussi lever les incertitudes. La discussion relative à la création d’une taxe sur les transactions financières semble avoir progressé dans le cadre d’une coopération renforcée. C’est une première avancée. Le Conseil européen avait envisagé, en 2013, que son produit pourrait alimenter le budget européen. Toutefois, comme l’a relevé le rapporteur général Albéric de Montgolfier, le Président de la République a, quant à lui, indiqué que cette taxe pourrait financer la lutte contre le changement climatique, qui est une autre urgence ! Monsieur le secrétaire d'État, une clarification est donc indispensable, car l’appréciation que nos concitoyens portent sur l’Union européenne est à l’aune des moyens financiers dont elle dispose pour mener un certain nombre de politiques.
Sous le bénéfice de l’ensemble de ces observations, nous voterons le projet de loi qui nous est soumis. Nous en arrivons à ce paradoxe d’être pratiquement tous d’accord pour voter un texte dont nous soulignons tous l’imperfection !