La commission des finances nous a proposé une thématique paradoxale. Le paradoxe réside tout d'abord dans la dimension de l'institution sur laquelle porte stricto sensu l'enquête. Le fonds CMU est, si j'ose dire un « confetti » de l'empire par rapport à l'immensité de la protection sociale. C'est un organisme qui apparaît svelte et efficient - avec dix emplois au total et deux cents mètres carrés de bureaux dans le XIIIe arrondissement.
Le fonds CMU mérite d'exister. Il a su prendre ses fonctions et assurer ses missions dans de très bonnes conditions. Il existe bien évidemment une disproportion très forte entre la dimension volontairement modeste de cet établissement public et l'importance des dispositifs que celui-ci a reçu pour mission de financer et de promouvoir.
Notre enquête a porté essentiellement sur la CMU-C et l'ACS. Ces deux dispositifs sont conjoints et complémentaires. Ils s'articulent autour de la CMU de base, à laquelle est liée la CMU-C, sans que ce lien soit obligatoire, l'ensemble des bénéficiaires de la CMU-C n'étant pas seulement les bénéficiaires de la CMU de base.
Le premier constat réside dans le fait que ces deux dispositifs signent une certaine forme d'échec de l'assurance maladie obligatoire, qui se révèle dans la difficulté à couvrir, à un niveau suffisant, la prise en charge des soins des assurés sociaux.
Selon le rapport annuel pour 2013 du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, l'assurance maladie obligatoire de base a pris en charge, en 2012, 76,1 % des dépenses de soins présentées au remboursement. Cette part atteint 88,6 % pour les titulaires d'une affection de longue durée (ALD), qui sont mieux protégés parce que pris en charge à 100 % au titre de la maladie principale. Cette prise en charge correspond à 95 % pour les soins à l'hôpital, et à 84,4 % pour les soins en ville.
Le niveau de prise en charge pour les autres assurés sociaux est aujourd'hui de seulement 61,3 %, dont 88,1 % à l'hôpital et 51 % pour les soins ambulatoires. Au fond, la création de la CMU-C, puis de l'ACS, acte cette érosion progressive de la couverture par l'assurance maladie obligatoire. Ce retrait a entraîné des phénomènes de renoncement aux soins, et rend aujourd'hui nécessaire une couverture complémentaire des frais de santé.
Ces dispositifs couvrent aujourd'hui une population importante : au total, 6,4 millions de personnes dont 5,2 millions au titre de la CMU-C et 1,2 million de personnes au titre de l'ACS soit, au total, 9,5 % de la population des assurés sociaux, 7,7 % pour les bénéficiaires de la CMU-C et 1,8 % pour ceux qui utilisent l'ACS. Ils jouent donc un rôle majeur pour l'accès aux soins de la part la plus défavorisée de nos concitoyens.
Ces aides ont été, depuis leur création, élargies à une population de plus en plus importante par des relèvements successifs des plafonds de ressources, qui ont permis de faire entrer dans leur champ davantage de personnes. L'élargissement du champ des bénéficiaires potentiels a permis une augmentation du nombre des bénéficiaires effectifs, même si celle-ci est moins rapide. Cette dynamique est également liée aux effets de la crise économique, à compter de 2008, qui ont fait basculer un nombre plus important de personnes vers ces dispositifs.
Paradoxalement, les pouvoirs publics ont davantage donné la priorité à l'extension du périmètre de la population éligible à la CMU-C et à l'ACS, plutôt qu'à l'accès effectif à ces droits. Pour des raisons de coût, ils n'ont pas souhaité entrer dans une logique d'attribution automatique de ces droits à certaines populations qui, pour autant, compte tenu de leurs ressources, en sont nécessairement bénéficiaires. Il s'agit en particulier des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) socle, ou de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).
On constate d'année en année, quels que soient les efforts du fonds CMU et des caisses d'assurance maladie, un taux massif de non-recours. En 2013, le taux de non-recours de la CMU-C représentait entre 28 % et 40 % de ses bénéficiaires. Entre 1,6 million et 2,7 millions de personnes qui pourraient avoir ainsi droit à une couverture maladie complémentaire gratuite, grâce à la CMU-C, n'y ont pas accès. Les causes de ce non-recours nous apparaissent aujourd'hui insuffisamment claires. Bien sûr, l'hypothèse d'un taux d'accès à 100 % à un dispositif est par nature conventionnelle ; malgré tout, la récurrence du non-recours suscite beaucoup d'interrogations.
L'ACS connaît une situation encore plus défavorable. Selon les dernières estimations, les personnes n'ayant pas demandé l'ACS représentaient, en 2013, entre 59 % et 72 % de la population des bénéficiaires potentiels. Ce sont entre 1,9 million et 3,4 millions de personnes qui pourraient avoir accès à cette aide mais qui n'y recourent pas.
Bien sûr, nous avons constaté que les organismes sociaux mettent en place des actions de promotion de ces dispositifs, mais celles-ci nous sont apparues comme étant encore en cours de définition. Les actions de la CNAMTS ou de la CNAF, au moment de l'attribution du RSA, restent lacunaires et ne réussissent pas à enrayer significativement l'importance de ce phénomène.
Troisième constat : ces dispositifs n'ont pas réglé toutes les difficultés d'accès aux soins, même pour ceux qui y ont effectivement recours. Nous constatons, d'une part, que demeurent des cas de renoncement aux soins parmi les bénéficiaires de la CMU-C, et que les bénéficiaires de l'ACS ne choisissent pas toujours des contrats de très bonne qualité. De ce point de vue, le bilan apparaît en demi-teinte au regard de l'accès effectif aux soins de ces populations.
Dans le rapport, nous soulignons l'intérêt du nouveau dispositif de sélection des contrats éligibles à l'ACS, qui entrera en vigueur à partir du 1er juillet 2015. Devant le constat que l'ACS ne permettait pas toujours de bénéficier de garanties de suffisamment bonne qualité à des tarifs intéressants, les pouvoirs publics ont décidé d'organiser un appel à la concurrence. Ceci a eu pour conséquence d'améliorer la qualité des garanties procurées par les contrats auxquels les bénéficiaires de l'ACS peuvent souscrire. Cette mesure apporte une réponse très intéressante à la question du caractère insuffisamment solvabilisateur de l'aide et au faible niveau de garanties des contrats auxquels elle permet d'accéder.
Quels que soient les progrès que nous pouvons constater en termes d'amélioration de l'accès aux soins, les modalités de gestion de la CMU-C et de l'aide à l'ACS mériteraient d'être simplifiées. Nous avons constaté la lourdeur des démarches que les demandeurs doivent effectuer. Les conditions d'instruction par les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) restent encore insuffisamment sécurisées et les risques d'anomalie et d'erreur dans l'attribution de la CMU-C sont importants. Ce sont des constats que la Cour des comptes avait déjà faits dans le passé, notamment dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) de 2006.
Ce n'est qu'à partir du début de l'année 2015 que la CNAMTS a engagé une politique active de rapprochement des ressources déclarées par les demandeurs de la CMU-C et de l'ACS avec leurs comptes bancaires. Ce travail de rapprochement nous apparaît tout à fait essentiel, puisque les expérimentations conduites dans quatre CPAM - même si elles ne constituent pas un échantillon représentatif - représentent 10 % des demandes de renouvellement. Le taux d'attribution irrégulière apparaît élevé : pour la CMU-C, 24,7 % des dossiers étudiés comportent des ressources supérieures au plafond de la CMU-C, principalement en raison de déclaration incomplète des ressources et environ 13 % des dossiers comportent des ressources excédant le plafond de l'ACS.
Au-delà de ces constats sur le faible recours et les modalités de gestion, la Cour des comptes appelle votre attention sur trois risques.
Le premier concerne les perspectives financières du fond CMU. Celles-ci sont en voie de dégradation. À situation inchangée, le fonds CMU pourrait connaître un déficit en 2017 ou 2018. Cette situation est d'autant plus inquiétante que l'extension considérable de la population éligible se traduit, pour le fonds CMU, par des engagements latents considérables. En prenant l'hypothèse, conventionnelle, selon laquelle 100 % de la population éligible utiliserait la CMU-C ou l'ACS, il faudrait compléter les financements actuels dont dispose le fonds CMU-C de 1,2 à 2 milliards d'euros. Les pouvoirs publics devraient réaliser un effort considérable, alors même que la généralisation de la protection sociale complémentaire d'entreprise, dans le cadre de la loi du 24 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, suppose déjà un effort très important de la part de l'État, estimé entre 1,5 et 2 milliards d'euros en année pleine.
Le deuxième risque que nous soulignons est celui de l'analyse, insuffisante à nos yeux, des conditions de recours au système de soins par les bénéficiaires de la CMU-C et de l'ACS. La CMU-C offre un accès gratuit à la majeure partie des soins et présente donc un caractère très protecteur. Les études réalisées sur les modalités du recours aux soins des bénéficiaires de la CMU-C restent insuffisantes pour écarter de manière claire et étayée le risque surconsommation.
Le troisième risque est celui d'un décrochage entre le seuil de pauvreté monétaire et le plafond d'attribution de ces dispositifs. Nous relevons en particulier une déconnexion entre ces deux éléments. C'est évidemment un choix qui permet de faire entrer davantage de personnes dans le dispositif. Toutefois, la totalité des ressources des bénéficiaires n'étant pas prise en compte, le plafond de la CMU-C va au-delà du seuil de pauvreté monétaire.
Ce sont là nos principaux constats. Ils se traduisent par douze recommandations qui sont de nature et de portée très différentes. Nous insistons en particulier sur l'impératif de soutenabilité de l'effort qui est consenti en faveur de ces dispositifs. Nous insistons également sur le fait que leur connaissance et celle des populations éligibles sont encore aujourd'hui insuffisamment documentées ; les modes de recours aux soins mériteraient d'être précisés. Enfin, les conditions de gestion de ces dispositifs gagneraient à être sécurisées et simplifiées.