La fourchette de 1,2 à 2,2 milliards d'euros d'engagements latents, fondée sur l'hypothèse conventionnelle selon laquelle 100 % de la population éligible accéderait au dispositif, est liée à l'incertitude concernant le taux effectif de non-recours. S'agissant de la CMU-C, on estime le taux de non-recours entre 28 % et 40 % des bénéficiaires éligibles. Pour l'ACS, ce taux de non-recours serait compris entre 59 % et 72 %. Si on prend la borne basse, on est à 1,2 milliard d'euros d'engagements latents ; si on prend la borne haute de ces deux estimations, on est à 2,2 milliards d'engagements latents. L'analyse plus fine du taux de non-recours est donc une question centrale pour améliorer les précisions financières. C'est d'ailleurs l'une de nos recommandations.
S'agissant des ressources des demandeurs prises en compte pour déterminer l'éligibilité à la CMU-C ou à l'ACS, nous constatons que l'exclusion d'une partie des ressources par rapport à celles entrant dans le revenu disponible des ménages fait que la référence au seuil de pauvreté pour apprécier le niveau relatif des plafonds de ressources de la CMU-C et de l'ACS - comme cela a été le cas pour calibrer à 7 % la revalorisation des plafonds en termes réels en juillet 2013 - n'est en fait pas pleinement justifiée, les quotités de ressources prises en compte n'étant pas les mêmes. Caler l'objectif de population prise en charge sur le seuil de pauvreté monétaire, toutes choses égales par ailleurs, devrait amener à élargir la base de ressources.
Dans notre esprit, ce n'est pas la solution qui paraît la plus directement envisageable. Améliorer la soutenabilité du dispositif consiste d'abord à s'assurer de l'attribution à bon droit de la CMU-C et de l'ACS, aux personnes qui en remplissent les conditions. C'est ce que nous avions déjà dit en 2006 : les contrôles des ressources doivent être intensifiés. Nous avons constaté qu'entre 2006, date de notre dernière enquête sur la CMU-C et l'ACS, et fin 2014, il n'y a pas eu d'action de grande envergure.
En second lieu, nous insistons sur la question du niveau de consommation des soins. En 2006 et 2011, nous avions déjà recommandé de « purger » cette question. L'apparente surconsommation de soins des bénéficiaires de la CMU-C, qui serait de 30 % supérieure à celle de l'assuré moyen, est-elle uniquement due à un état de santé plus dégradé et à un phénomène de rattrapage dans l'accès aux soins ? Si tel est le cas, il ne s'agirait pas d'une surconsommation, mais d'un phénomène de rattrapage, qui n'aurait pas dû se produire dans le cadre d'une protection sociale solidaire permettant l'accès de tous aux soins. Le dispositif lui-même, du fait de sa gratuité, entretient-il une forme de surconsommation ? C'est une question centrale au regard de deux points. Tout d'abord, en matière de gestion du risque, faut-il ou non accorder une attention particulière au recours aux soins de ces personnes ? Pour l'instant, il n'y a pas de gestion du risque très spécifique sur cette partie de la population. Peut-être n'y en a-t-il pas besoin mais encore faut-il le démontrer.
Ensuite, la question de la légitimité de ces dispositifs nous paraît au moins aussi importante que celle de leur soutenabilité financière. Ce sont des dispositifs exceptionnels, qui se traduisent par des engagements financiers massifs et qui constituent une sorte de bouclier sanitaire, qui protège du mieux possible du désengagement rampant de l'assurance maladie qui a pu se produire à une certaine période.
Ce sont des dispositions plus protectrices que celles qui s'appliquent au reste de la population. Ceci était traditionnellement vrai pour la CMU-C ; c'est aujourd'hui vrai pour l'ACS telle qu'elle sera redéfinie à partir du 1er juillet 2015. Il faut une transparence « de diamant » pour asseoir la légitimité de ces dispositifs, dans la mesure où la taxe de solidarité additionnelle (TSA) les finançant est payée par tous les autres assurés sociaux disposant d'une couverture maladie complémentaire.