Intervention de Didier Migaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 16 septembre 2015 à 11h30
Rapport annuel de la cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale — Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier Président de la Cour des comptes :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est très volontiers que nous répondons à votre invitation, afin de vous présenter le rapport 2015 sur la sécurité sociale qui accompagne toujours le PLFSS.

La sécurité sociale constitue l'une des composantes majeures du pacte social de notre pays, à titre symbolique, politique et financier. En 2014, les différents régimes qui la composent ont ainsi versé 458 milliards d'euros de prestations. C'est dire l'importance de ce sujet.

Mais la permanence des déficits sociaux et le gonflement de la dette sociale qui en résulte la fragilisent considérablement. En 2014, une part des prestations a une nouvelle fois été financée à crédit, alors même qu'il s'agit de dépenses courantes. C'est là selon nous une anomalie profonde, dangereuse, d'autant que des marges de manoeuvre importantes existent pour réduire ce déficit.

Dans ce rapport, la Cour des comptes met ainsi en évidence les progrès d'efficience notables qui peuvent permettre, dans certains secteurs, une dépense plus maîtrisée. Ce faisant, elle s'efforce d'apporter un éclairage utile aux citoyens, qui sont tous concernés car tous sont des assurés sociaux, mais surtout aux décideurs - Parlement et Gouvernement-, à qui appartient la responsabilité des choix à opérer.

Pour vous présenter ce document, j'ai auprès de moi Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, Henri Paul, président de chambre et rapporteur général, Jean-Pierre Viola, conseiller maître, rapporteur général de ce travail, et Mathieu Gatineau, auditeur et rapporteur général adjoint.

La Cour des comptes formule trois messages principaux.

Premièrement, le retour à l'équilibre des comptes sociaux se poursuit, à un rythme toutefois modeste. Il est en outre désormais reporté à un terme encore indéterminé.

Deuxièmement, un équilibre durable des comptes sociaux est nécessaire mais aussi possible. Des économies structurelles peuvent améliorer l'efficience de la dépense sociale.

Enfin, troisièmement, le redressement à mener doit s'accompagner d'une modernisation des prestations, de la gestion et du pilotage financier de la protection sociale.

En premier lieu, trois constats s'imposent. En 2014, les déficits ont continué à se réduire, et nous nous en réjouissons, mais dans une mesure limitée. Pour la treizième année consécutive, la sécurité sociale est demeurée en déficit.

En 2015, la trajectoire de baisse des déficits devrait ralentir de manière marquée, et le retour à l'équilibre des comptes sociaux est décalé de plusieurs années.

En 2014, le déficit agrégé des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est élevé à 12,8 milliards d'euros. Il s'est ainsi réduit de 3,2 milliards d'euros par rapport à 2013, niveau conforme à la prévision de la loi de financement initiale pour 2014. Il s'est révélé meilleur que le montant anticipé, à partir d'hypothèses plus pessimistes, par la loi de financement rectificative d'août 2014.

Cependant, cinq constats moins favorables sont à souligner.

Le premier est que la réduction du déficit en 2014 est du même ordre que celle de 2013, et ralentie par rapport au rythme des années 2011 et 2012.

Par ailleurs, le déficit comporte toujours une composante structurelle importante - près de 4 milliards d'euros - cinq années déjà après la récession économique de 2009.

Troisième constat : en 2014, les mesures nouvelles d'augmentation des recettes, qui ont porté sur 5,3 milliards d'euros environ ont encore joué un rôle déterminant dans la réduction du déficit. Sans ces mesures, le déficit aurait augmenté, et non pas baissé.

Le quatrième constat porte sur la progression des dépenses de 2,2 %, ralentie dans un contexte de faible inflation, mais nettement plus vive que celle de la richesse nationale, qui est de 1,3 % sur l'année.

Au total, le déficit reste très supérieur à celui constaté avant la récession économique de 2009, lui-même très élevé. La dette sociale augmente à nouveau - 158 milliards d'euros fin 2014. 16 milliards d'euros sont mobilisés chaque année pour le paiement des intérêts et le remboursement du principal.

En 2015, le rythme de réduction des déficits pourrait connaître un ralentissement marqué. Le déficit de l'assurance maladie devrait être plus élevé en 2015 qu'en 2014, et même qu'en 2012. Même s'il est possible que la prévision gouvernementale de juin 2015 soit révisée dans un sens plus favorable, l'année marquera en tout état de cause un ralentissement prononcé dans le recul des déficits.

Sous l'effet de la conjoncture économique et en l'absence de mesures nouvelles significatives d'augmentation des recettes, le ralentissement de la masse salariale pourrait conduire en effet à une croissance spontanée des recettes relativement faible. Les dépenses continueraient, elles, à augmenter en termes réels, selon un rythme comparable à celui de 2014, et toujours plus élevé que celui de la richesse nationale, qui devrait être de l'ordre de 1,9 % en 2015.

Selon les hypothèses macroéconomiques qui sous-tendaient la loi de financement pour 2015, la réduction des déficits devait reprendre de l'ampleur à partir de 2016. Elle devait alors s'accompagner, pour la première fois depuis 1990, d'une amorce de réduction de la dette sociale. Dans son prolongement, la loi de financement rectificative d'août 2014 fixait à 2017 le rétablissement de l'équilibre des comptes sociaux.

Cette trajectoire a été remise en cause par le programme de stabilité 2015-2018 d'avril 2015. Celui-ci prend acte de la dégradation de la conjoncture économique et décale de plusieurs années, sans plus déterminer d'échéance précise, le retour à l'équilibre des comptes. Au regard du scénario macroéconomique sur lequel il repose, le déficit devrait encore s'élever à 5 milliards d'euros en 2018. Le retour à l'équilibre des comptes sociaux n'interviendrait pas avant 2021.

Cette nouvelle trajectoire se fonde sur des hypothèses jugées réalistes par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) dans son avis d'avril dernier. C'est un progrès à souligner. Pour autant, ce report du retour à l'équilibre à un terme de plus en plus éloigné est préoccupant.

Par ailleurs, la persistance de déficits élevés de l'assurance maladie et de la branche famille fait peser un risque croissant sur la dette sociale. Contrairement à ceux de l'assurance vieillesse et du FSV, leur transfert à la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) n'est pas organisé.

En conséquence, la part de la dette sociale financée par la voie d'emprunts émis à très court terme, exposée à un risque de taux, n'a cessé d'augmenter. Portée par l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), elle devrait atteindre près de 32 milliards d'euros, soit 20 % du total en 2015, contre environ 4 % en 2011. Elle s'établirait encore à 30 milliards d'euros à la fin de 2018, voire à 35 milliards d'euros si certains risques se réalisaient.

Dès lors, la Cour des comptes recommande d'organiser une reprise rapide par la Cades des déficits portés par l'Acoss, dont ce n'est pas la mission. A cette fin, des ressources adéquates devraient être allouées à celle-ci, afin d'assurer l'extinction complète de la dette sociale d'ici à son terme, aujourd'hui prévu en 2024.

J'en viens au deuxième message de la Cour des comptes : en dépit de conditions macroéconomiques difficiles, le retour à l'équilibre des comptes sociaux est possible, à condition de faire porter prioritairement l'effort sur la maîtrise des dépenses sociales.

Des marges d'optimisation des recettes sociales demeurent, à taux de prélèvement inchangé. La Cour des comptes a déjà invité les pouvoirs publics à réexaminer plus en profondeur les niches sociales. Votre commission a contribué à ce travail. Elle a formulé des recommandations, notamment dans son rapport de l'an passé, pour réduire la fraude aux cotisations sociales. Nous avons également pu avancer en matière de fraude aux prestations.

En revanche, la situation de l'emploi limite les possibilités d'augmentation des cotisations des entreprises, qui ne représentent plus aujourd'hui que 60 % des ressources de la sécurité sociale. Afin de soutenir l'emploi des salariés faiblement qualifiés, les cotisations sociales font en effet l'objet d'allégements généraux croissants, en dernier lieu dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité présenté au printemps 2014.

Ces allégements ont pour effet de déconnecter de plus en plus les cotisations sociales réellement supportées par les entreprises du barème affiché des taux de prélèvement. Ce mode de financement est de moins en moins cohérent et lisible, pour les entreprises comme pour les salariés. Dès lors, la Cour des comptes réitère sa recommandation d'intégrer les allégements généraux de cotisations au barème des cotisations.

L'annonce par les pouvoirs publics de la transformation à l'horizon 2017 du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) en des allégements généraux supplémentaires de cotisations en offre à cet égard une opportunité. La Cour des comptes souligne néanmoins le caractère délicat de certaines pistes d'évolution. Elles pourraient affecter la logique contributive du financement des régimes de retraites complémentaires et d'assurance chômage, et celle, de nature assurantielle, des accidents du travail - maladies professionnelles.

Par ailleurs, l'effort contributif des travailleurs indépendants devrait être progressivement porté au niveau de celui des employeurs et des salariés du régime général de sécurité sociale. Si un écart d'effort contributif devait persister, ce sont les entreprises et les salariés du régime général qui en supporteraient les conséquences.

Devant la réduction des marges de manoeuvre sur les recettes, l'effort de retour à l'équilibre des comptes sociaux doit désormais porter prioritairement sur les dépenses.

L'an dernier, la Cour des comptes avait constaté que les limites méthodologiques de la construction de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) avaient facilité son respect. Elle avait recommandé une approche plus rigoureuse. Elle a constaté plusieurs améliorations notables en ce sens dont elle se réjouit, même si des marges de progrès subsistent.

Le respect de l'Ondam pour la cinquième année consécutive en 2014 s'est cependant traduit par une progression des dépenses de 2,4 %. C'est la plus forte hausse depuis 2011. L'objectif de dépenses progresse ainsi plus vite que le PIB.

L'augmentation des dépenses de soins de ville a été particulièrement vive, soit 2,9 %. La Cour des comptes met en lumière à cet égard la dynamique particulièrement forte des dépenses de soins infirmiers et de masso-kinésithérapie et l'efficience insuffisante de la prise en charge de l'insuffisance rénale chronique terminale. J'y reviendrai.

Le programme de stabilité 2015-2018 prévoit un Ondam resserré pour les années à venir. Il appelle la mise en oeuvre d'économies structurelles d'ampleur, d'autant plus nécessaires que plusieurs facteurs de modération des dépenses vont s'inverser. Je pense notamment à la remontée prévisible du niveau de l'inflation, à la renégociation en 2016 des conventions avec les médecins et d'autres professionnels libéraux de santé, et à l'annonce récente de mesures de reprofilage des carrières dans la fonction publique hospitalière.

A ce stade, malgré l'adoption d'un plan triennal Ondam 2015-2017 et les éléments du programme de stabilité 2015-2018, une grande partie des mesures précises permettant de réaliser les objectifs d'économie annoncés demeurent cependant à définir.

Le resserrement de l'Ondam invite instamment à remédier aux faiblesses persistantes de l'organisation de notre système de soins.

Le bilan que dresse cette année la Cour des comptes de la réorganisation de l'offre de soins menée depuis vingt ans par les pouvoirs publics est en effet décevant. De nombreuses actions ont été menées, mais leur cadence et leur portée se sont affaiblies.

Le système de santé demeure insuffisamment efficient, en raison notamment d'un volontarisme moindre des pouvoirs publics à partir des années 2000. La portée des instruments contraignants, comme la planification, s'est affaiblie. Le champ des normes de sécurité et de fonctionnement est resté circonscrit et leur respect parfois émoussé. La convergence des tarifs entre secteur public et secteur privé a été abandonnée. Les outils essentiellement incitatifs ont été privilégiés mais se sont avérés moins efficaces. Cet état de fait est préjudiciable à la maîtrise de la dépense, voire à la qualité et la sécurité des soins, ainsi que leur accessibilité à tous du fait du creusement des disparités territoriales.

Une action plus déterminée de recomposition de l'offre de soins apparaît aujourd'hui indispensable. A cet égard, la Cour des comptes formule des recommandations quant à l'application de normes de fonctionnement aux domaines de la médecine et la chirurgie, au renforcement et à l'extension à l'ensemble des professions de santé du conventionnement conditionnel dans les territoires surdotés.

Un renforcement du pilotage par le ministère de la santé est aussi indispensable. Au-delà du dualisme de ce pilotage entre l'État et l'assurance maladie, l'organisation des responsabilités devrait être clarifiée au sein même du ministère.

Pour illustrer son propos sur les limites de la réorganisation de l'offre de soins, la Cour des comptes s'est penchée sur deux types d'établissements de santé, les maternités et les centres de lutte contre le cancer.

Le cas des maternités montre la convergence des objectifs d'efficience accrue du système de santé et de ceux de renforcement de la qualité et de la sécurité des soins. Au regard des enjeux soulevés par la sécurité des patientes et des nouveaux nés, et compte tenu de la situation fragile des maternités, une poursuite de la recomposition ordonnée de l'offre de soins est aujourd'hui indispensable.

Le cas des centres de lutte contre le cancer illustre, quant à lui, la difficulté rencontrée pour dépasser les cloisonnements institutionnels existants. Leur spécificité dans la prise en charge des patients s'est atténuée, avec la généralisation de leurs innovations aux autres établissements de santé. Une majorité de ces centres connaît par ailleurs une situation financière fragile.

Alors qu'une démarche de fusion interne entre ces établissements a été engagée, les démarches de coopération avec les CHU pourraient être renforcées. La possibilité de fusions avec des CHU, le plus souvent installés à leur côté sur les mêmes sites, serait également à envisager, chaque fois que cela peut accroître l'efficience de l'organisation des soins de cancérologie.

La progression accélérée de certaines dépenses d'assurance maladie n'est pas toujours justifiée par des besoins objectifs. Elle peut résulter, au moins pour partie, d'une organisation inadaptée de l'offre de soins. Le cas des soins infirmiers et de masso-kinésithérapie, et celui du traitement de l'insuffisance rénale chronique terminale illustrent cette situation. Il apparaît possible, à qualité de soins préservée, de gagner fortement en efficacité et en efficience.

Les infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes exerçant à titre libéral apportent une contribution majeure et appréciée au maintien à domicile des personnes dépendantes. Les dépenses d'assurance maladie liées aux soins infirmiers - 6,4 milliards d'euros en 2014 - et de masso-kinésithérapie - 3,6 milliards d'euros - connaissent une croissance accélérée, respectivement de 6,6 % de 4,3 % par an en euros constants depuis 2000. Cela représente une augmentation d'environ 500 millions d'euros par an de la dépense d'assurance maladie qui en résulte. Elle n'est pas uniquement corrélée au vieillissement de la population ni au développement des maladies chroniques.

En réalité, cette progression importante procède en grande partie de celle du nombre de ces professionnels et de leur répartition inégale sur le territoire.

Cette situation devrait amener les pouvoirs publics à réguler plus efficacement la démographie globale et la répartition sur le territoire des infirmiers et des masseurs-kinésithérapeutes. La mise en oeuvre d'une gestion médicalisée de la dépense, aujourd'hui particulièrement peu développée, apparaît aujourd'hui nécessaire. Elle doit concerner à la fois le corps médical, les prescripteurs, comme les auxiliaires médicaux concernés. Elle devrait s'accompagner d'une adaptation des modes de rémunération, de manière à renforcer l'efficience des prises en charge. Sur ce dernier point, la Cour des comptes recommande d'instaurer des forfaits de rémunération par patient pour les actes récurrents liés à des maladies chroniques. Elle suggère, au-delà, la mise en place d'une enveloppe limitative d'actes par médecin, en fonction des caractéristiques de sa patientèle.

Des progrès importants sont également possibles pour renforcer l'efficience des prises en charge des patients atteints d'insuffisance rénale chronique terminale. Enjeu de santé public majeur, cette maladie particulièrement lourde touche environ 73 500 personnes. Elles sont traitées soit par une greffe du rein - 32 500 transplantés - soit par une dialyse - 41 000 dialysés. Les dépenses engagées pour ces traitements, de l'ordre de 3,8 milliards d'euros en 2013, pourraient être mieux maîtrisées, tout en améliorant la qualité des prises en charge en termes de qualité de vie des patients comme de bonne adaptation des traitements. Pour ce faire, la Cour des comptes recommande de réorienter l'effort financier vers la prévention, de développer plus fortement la greffe et de réviser les modes de tarification de la dialyse.

Le coût moyen par patient dialysé est d'ailleurs substantiellement plus élevé que chez nos voisins européens. La Cour des comptes formule plusieurs recommandations visant à le réduire substantiellement à terme, sans remettre en cause la qualité des soins.

Le troisième et dernier message de la Cour des comptes découle naturellement de ce qui précède. La protection sociale doit être modernisée dans certains de ses dispositifs pour être plus adaptée encore aux évolutions de la société. Sa gestion doit être encore davantage axée sur des objectifs de gains de productivité et d'amélioration du service rendu. Le pilotage financier doit être au rendez-vous de l'enjeu d'un redressement financier durable.

La Cour des comptes s'est d'abord intéressée, dans le domaine de l'assurance vieillesse, aux pensions de réversion. Celles-ci bénéficient à 4,4 millions de conjoints survivants pour une dépense totale proche de 34 milliards d'euros en 2014. Elles jouent encore un rôle majeur, en réduisant les écarts de pensions entre les hommes et les femmes, quoique de manière moins marquée pour les générations récentes. Cependant, elles n'ont pas été adaptées aux évolutions de la société. L'extrême diversité des critères d'attribution conduit à de grandes disparités entre assurés, sans différences objectives de situations.

Les pensions de réversion pourraient être à moyen terme harmonisées et modernisées. Des garanties claires doivent naturellement être apportées en termes de stabilité des situations acquises, d'équité entre les différentes catégories de retraités, de prévisibilité des évolutions et de progressivité de mise en oeuvre.

La Cour des comptes ne formule pas de recommandations mais met sur la table un scénario de référence qui pourrait guider la mise en oeuvre d'une convergence souhaitable des différents dispositifs de réversion.

La Cour des comptes s'est ensuite penchée sur les conséquences d'une baisse du non-recours à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et à l'aide à la complémentaire santé (ACS).

Le bilan de ces dispositifs est en demi-teinte. Ils ne préviennent pas complètement le renoncement aux soins. Surtout, ils n'atteignent qu'une partie limitée de leurs bénéficiaires potentiels. Depuis 2005, les pouvoirs publics ont en effet privilégié l'extension de l'attribution à l'ACS et à la CMU-C à des publics de plus en plus larges, plutôt que leur recours effectif par ceux qui y avaient déjà accès. Les efforts portent désormais sur une résorption de ce non-recours. Évidemment souhaitables du point de vue de l'effectivité de la protection sociale des populations les plus fragiles, ses conséquences financières doivent être correctement anticipées. Dans l'hypothèse, largement conventionnelle, d'une disparition totale du non-recours, 1,2 à 2,2 milliards de ressources supplémentaires devraient être mobilisés. Dès à présent, un déséquilibre financier est anticipé à compter de 2016.

Le chemin vers l'équilibre des comptes sociaux passe par des mesures de réorganisation que favorisent notamment les nouvelles technologies. Comme la Cour des comptes l'a déjà évoqué pour certaines administrations territoriales de l'État, le maillage territorial des organismes de protection sociale peut encore gagner en pertinence.

Alors que l'organisation des réseaux d'organismes locaux du régime général de sécurité sociale n'avait pratiquement pas bougé depuis 1945, la Cour des comptes a relevé des évolutions importantes depuis la fin des années 2000. Les caisses d'allocations familiales et les caisses primaires d'assurance maladie ont été départementalisées. Les Urssaf ont été départementalisées, puis régionalisées.

Le réseau a été ainsi significativement resserré. Cependant, beaucoup de caisses conservent une taille réduite. Les implantations géographiques sont restées largement figées. Des organismes de taille homogène affichent de substantiels écarts de coûts de gestion. Des mutualisations fonctionnelles complexes risquent d'entraver de nouvelles réorganisations plutôt que de les préparer, faute de schéma d'ensemble.

De nouveaux modèles organisationnels sont nécessaires pour atteindre les objectifs d'économies fixés par les pouvoirs publics, ce que la dématérialisation des flux d'informations rend possible. A ce titre, les lieux d'accueil du public devraient être plus nettement dissociés de ceux de production. Les écarts de taille et de coûts doivent être plus activement réduits et les démarches de réorganisation s'inscrire plus délibérément dans une perspective interbranches, voire interrégimes.

L'efficacité de la gestion de la sécurité sociale est également tributaire de celle des hôpitaux publics dont l'assurance maladie est le principal financeur. Or la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes ont observé à plusieurs reprises la qualité insuffisante des comptes hospitaliers. A la suite de ces constats, le législateur a instauré en 2009 une certification obligatoire des comptes des principaux hôpitaux publics par un commissaire aux comptes.

Au terme de la première campagne de certification, plusieurs points de vigilance doivent être soulignés. Il s'agit, outre des faiblesses dans les dispositifs de contrôle interne relatifs aux actes de soins facturés à l'assurance maladie, de fragilités des systèmes d'information.

La modernisation de la sécurité sociale devrait enfin concerner son pilotage financier. Dans ce domaine, l'apport des comparaisons internationales est précieux. Cette année, la Cour des comptes a réalisé une comparaison approfondie des systèmes de retraites et d'assurance maladie français avec leurs homologues allemands.

Les systèmes de retraites et d'assurance maladie français et allemands présentent des traits communs nombreux, mais aussi des différences importantes. Ces dernières portent non seulement sur certains aspects d'organisation, mais aussi sur les priorités et les modalités du pilotage financier. Si elles n'en sont pas la seule cause, ces différences concourent à éclairer les résultats très contrastés de leurs systèmes de protection sociale.

En matière de retraites, l'Allemagne et la France sont confrontées à des défis de même nature, mais d'intensité différente. L'Allemagne a engagé plus tôt que la France et avec plus d'intensité un processus de réformes dans le contexte d'une démographie plus dégradée. Elle privilégie un objectif d'équilibre durable et le met en oeuvre par la voie d'ajustements continus, et même automatiques, des paramètres du système de retraites. Cette méthode est privilégiée par rapport à celle de réformes d'ensemble se succédant à intervalles plus ou moins longs. Par ailleurs, une partie de l'effort d'ajustement a porté sur les personnes déjà retraitées, dont la pension a baissé en termes réels de 10 % depuis 1991, quand le pouvoir d'achat des pensions de retraite a été globalement préservé dans notre pays.

En définitive, les retraités français partent plus tôt que les retraités allemands et bénéficient de pensions en moyenne supérieures sur une durée plus longue. Les réformes en cours en France devraient cependant conduire, à terme, à appliquer des conditions en grande partie analogues à celles en vigueur en Allemagne.

Depuis 2006, l'assurance vieillesse de base des salariés enregistre des excédents, tandis que son homologue français est en déficit depuis 2005. Entre 2000 et 2014, alors que l'Allemagne dégageait, en cumul, 16 milliards d'euros d'excédents, la France accumulait 65 milliards d'euros de déficits.

Pour ce qui est de l'assurance maladie, l'Allemagne a privilégié le maintien d'un niveau élevé de remboursement, mais sur un champ de prise en charge plus étroit qu'en France. Dans le même temps, notre voisin a mis en place un « bouclier sanitaire » plafonnant les restes à charge en fonction des revenus. En France, on constate en revanche un désengagement de l'assurance maladie obligatoire de base, sauf pour les dépenses liées aux affections de longue durée sur lesquelles est concentré l'effort de remboursement. En contrepartie, l'assurance santé complémentaire, désormais en voie de généralisation, joue un rôle de plus en plus important, alors que sa place est très modeste en Allemagne. La France a mieux maîtrisé au cours de la période récente l'évolution des dépenses de soins à travers l'Ondam. L'Allemagne a privilégié, comme pour les retraites, un objectif d'équilibre durable des comptes, érigé en principe de valeur constitutionnelle. Sa réalisation repose notamment sur une forte responsabilisation, à tous les niveaux, de l'ensemble des acteurs du système de soins. Elle concerne aussi les médecins prescripteurs, qui sont soumis à des enveloppes limitatives, ce qui n'empêche pas les médecins allemands de gagner plus que les médecins français. Ceci explique un recours aux génériques plus fréquent en Allemagne qu'en France.

Entre 2004 et 2013, l'assurance maladie allemande a constamment été excédentaire, tandis que son homologue française connaît un déficit persistant depuis les années 1990. Entre 2000 et 2014, l'Allemagne a dégagé, en cumul, 12 milliards d'euros d'excédent. Sur la même période, la France a accumulé 105 milliards d'euros de déficit.

Il ne saurait être question de transposer en tant que tels en France des éléments de l'architecture des systèmes allemands d'assurance maladie et de retraites, qui s'inscrivent dans un cadre institutionnel particulier. Néanmoins, les règles d'équilibre, les modes de pilotage et les mécanismes de responsabilisation mis en oeuvre en Allemagne peuvent être riches d'enseignements pour les Français.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, il y aura tout juste soixante-dix ans, le 4 octobre prochain, une ordonnance du Gouvernement provisoire de la République créait la sécurité sociale. La France d'aujourd'hui n'est plus celle de la Libération. Notre société et notre économie ont formidablement changé, mais la sécurité sociale est plus que jamais l'expression privilégiée de la République et de ses valeurs. Elle court aujourd'hui un risque car fragilisée par ses déficits persistants.

Des choix s'imposent sans tarder pour permettre d'assurer un équilibre financier durable, comme la plupart de nos voisins l'ont réussi. De premiers progrès ont été enregistrés, mais les déficits résistent opiniâtrement. Il faut aller plus loin et plus vite. Des réformes structurelles sont possibles. Elles sont indispensables à l'adaptation de la sécurité sociale aux besoins de notre temps, dans la fidélité aux principes qui l'ont fondée.

Parmi eux, l'un est plus que jamais essentiel : la responsabilité. La responsabilisation de tous les acteurs à tous les niveaux, pour chaque euro dépensé, est le vrai bouclier de la solidarité !

C'est là le message principal des constats et recommandations qu'adresse la Cour des comptes aux pouvoirs publics.

Je vous remercie de votre attention et me tiens, avec les magistrats qui m'entourent, à votre disposition pour répondre à vos questions.

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