Mes chers collègues, l'audition du Premier Président de la Cour des comptes ouvre traditionnellement nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Les années se suivent malheureusement, et les constats se ressemblent : un horizon de retour à l'équilibre des comptes sociaux toujours reporté, des déficits persistants et une dette sociale qui s'alourdit.
Comme notre rapporteur général l'a montré avant l'été, les réponses apportées ont été, en 2014 encore, marquées par l'augmentation du poids des prélèvements.
Vous nous direz, monsieur le Premier Président, ce qu'il en est pour 2015 et 2016, alors que le Gouvernement vient de confirmer son intention de décaler de trois mois la seconde partie du pacte de responsabilité.
Je vous remercie et, avant de vous laisser la parole, je salue la présence de MM. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre, et Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour des comptes.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est très volontiers que nous répondons à votre invitation, afin de vous présenter le rapport 2015 sur la sécurité sociale qui accompagne toujours le PLFSS.
La sécurité sociale constitue l'une des composantes majeures du pacte social de notre pays, à titre symbolique, politique et financier. En 2014, les différents régimes qui la composent ont ainsi versé 458 milliards d'euros de prestations. C'est dire l'importance de ce sujet.
Mais la permanence des déficits sociaux et le gonflement de la dette sociale qui en résulte la fragilisent considérablement. En 2014, une part des prestations a une nouvelle fois été financée à crédit, alors même qu'il s'agit de dépenses courantes. C'est là selon nous une anomalie profonde, dangereuse, d'autant que des marges de manoeuvre importantes existent pour réduire ce déficit.
Dans ce rapport, la Cour des comptes met ainsi en évidence les progrès d'efficience notables qui peuvent permettre, dans certains secteurs, une dépense plus maîtrisée. Ce faisant, elle s'efforce d'apporter un éclairage utile aux citoyens, qui sont tous concernés car tous sont des assurés sociaux, mais surtout aux décideurs - Parlement et Gouvernement-, à qui appartient la responsabilité des choix à opérer.
Pour vous présenter ce document, j'ai auprès de moi Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, Henri Paul, président de chambre et rapporteur général, Jean-Pierre Viola, conseiller maître, rapporteur général de ce travail, et Mathieu Gatineau, auditeur et rapporteur général adjoint.
La Cour des comptes formule trois messages principaux.
Premièrement, le retour à l'équilibre des comptes sociaux se poursuit, à un rythme toutefois modeste. Il est en outre désormais reporté à un terme encore indéterminé.
Deuxièmement, un équilibre durable des comptes sociaux est nécessaire mais aussi possible. Des économies structurelles peuvent améliorer l'efficience de la dépense sociale.
Enfin, troisièmement, le redressement à mener doit s'accompagner d'une modernisation des prestations, de la gestion et du pilotage financier de la protection sociale.
En premier lieu, trois constats s'imposent. En 2014, les déficits ont continué à se réduire, et nous nous en réjouissons, mais dans une mesure limitée. Pour la treizième année consécutive, la sécurité sociale est demeurée en déficit.
En 2015, la trajectoire de baisse des déficits devrait ralentir de manière marquée, et le retour à l'équilibre des comptes sociaux est décalé de plusieurs années.
En 2014, le déficit agrégé des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est élevé à 12,8 milliards d'euros. Il s'est ainsi réduit de 3,2 milliards d'euros par rapport à 2013, niveau conforme à la prévision de la loi de financement initiale pour 2014. Il s'est révélé meilleur que le montant anticipé, à partir d'hypothèses plus pessimistes, par la loi de financement rectificative d'août 2014.
Cependant, cinq constats moins favorables sont à souligner.
Le premier est que la réduction du déficit en 2014 est du même ordre que celle de 2013, et ralentie par rapport au rythme des années 2011 et 2012.
Par ailleurs, le déficit comporte toujours une composante structurelle importante - près de 4 milliards d'euros - cinq années déjà après la récession économique de 2009.
Troisième constat : en 2014, les mesures nouvelles d'augmentation des recettes, qui ont porté sur 5,3 milliards d'euros environ ont encore joué un rôle déterminant dans la réduction du déficit. Sans ces mesures, le déficit aurait augmenté, et non pas baissé.
Le quatrième constat porte sur la progression des dépenses de 2,2 %, ralentie dans un contexte de faible inflation, mais nettement plus vive que celle de la richesse nationale, qui est de 1,3 % sur l'année.
Au total, le déficit reste très supérieur à celui constaté avant la récession économique de 2009, lui-même très élevé. La dette sociale augmente à nouveau - 158 milliards d'euros fin 2014. 16 milliards d'euros sont mobilisés chaque année pour le paiement des intérêts et le remboursement du principal.
En 2015, le rythme de réduction des déficits pourrait connaître un ralentissement marqué. Le déficit de l'assurance maladie devrait être plus élevé en 2015 qu'en 2014, et même qu'en 2012. Même s'il est possible que la prévision gouvernementale de juin 2015 soit révisée dans un sens plus favorable, l'année marquera en tout état de cause un ralentissement prononcé dans le recul des déficits.
Sous l'effet de la conjoncture économique et en l'absence de mesures nouvelles significatives d'augmentation des recettes, le ralentissement de la masse salariale pourrait conduire en effet à une croissance spontanée des recettes relativement faible. Les dépenses continueraient, elles, à augmenter en termes réels, selon un rythme comparable à celui de 2014, et toujours plus élevé que celui de la richesse nationale, qui devrait être de l'ordre de 1,9 % en 2015.
Selon les hypothèses macroéconomiques qui sous-tendaient la loi de financement pour 2015, la réduction des déficits devait reprendre de l'ampleur à partir de 2016. Elle devait alors s'accompagner, pour la première fois depuis 1990, d'une amorce de réduction de la dette sociale. Dans son prolongement, la loi de financement rectificative d'août 2014 fixait à 2017 le rétablissement de l'équilibre des comptes sociaux.
Cette trajectoire a été remise en cause par le programme de stabilité 2015-2018 d'avril 2015. Celui-ci prend acte de la dégradation de la conjoncture économique et décale de plusieurs années, sans plus déterminer d'échéance précise, le retour à l'équilibre des comptes. Au regard du scénario macroéconomique sur lequel il repose, le déficit devrait encore s'élever à 5 milliards d'euros en 2018. Le retour à l'équilibre des comptes sociaux n'interviendrait pas avant 2021.
Cette nouvelle trajectoire se fonde sur des hypothèses jugées réalistes par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) dans son avis d'avril dernier. C'est un progrès à souligner. Pour autant, ce report du retour à l'équilibre à un terme de plus en plus éloigné est préoccupant.
Par ailleurs, la persistance de déficits élevés de l'assurance maladie et de la branche famille fait peser un risque croissant sur la dette sociale. Contrairement à ceux de l'assurance vieillesse et du FSV, leur transfert à la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) n'est pas organisé.
En conséquence, la part de la dette sociale financée par la voie d'emprunts émis à très court terme, exposée à un risque de taux, n'a cessé d'augmenter. Portée par l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), elle devrait atteindre près de 32 milliards d'euros, soit 20 % du total en 2015, contre environ 4 % en 2011. Elle s'établirait encore à 30 milliards d'euros à la fin de 2018, voire à 35 milliards d'euros si certains risques se réalisaient.
Dès lors, la Cour des comptes recommande d'organiser une reprise rapide par la Cades des déficits portés par l'Acoss, dont ce n'est pas la mission. A cette fin, des ressources adéquates devraient être allouées à celle-ci, afin d'assurer l'extinction complète de la dette sociale d'ici à son terme, aujourd'hui prévu en 2024.
J'en viens au deuxième message de la Cour des comptes : en dépit de conditions macroéconomiques difficiles, le retour à l'équilibre des comptes sociaux est possible, à condition de faire porter prioritairement l'effort sur la maîtrise des dépenses sociales.
Des marges d'optimisation des recettes sociales demeurent, à taux de prélèvement inchangé. La Cour des comptes a déjà invité les pouvoirs publics à réexaminer plus en profondeur les niches sociales. Votre commission a contribué à ce travail. Elle a formulé des recommandations, notamment dans son rapport de l'an passé, pour réduire la fraude aux cotisations sociales. Nous avons également pu avancer en matière de fraude aux prestations.
En revanche, la situation de l'emploi limite les possibilités d'augmentation des cotisations des entreprises, qui ne représentent plus aujourd'hui que 60 % des ressources de la sécurité sociale. Afin de soutenir l'emploi des salariés faiblement qualifiés, les cotisations sociales font en effet l'objet d'allégements généraux croissants, en dernier lieu dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité présenté au printemps 2014.
Ces allégements ont pour effet de déconnecter de plus en plus les cotisations sociales réellement supportées par les entreprises du barème affiché des taux de prélèvement. Ce mode de financement est de moins en moins cohérent et lisible, pour les entreprises comme pour les salariés. Dès lors, la Cour des comptes réitère sa recommandation d'intégrer les allégements généraux de cotisations au barème des cotisations.
L'annonce par les pouvoirs publics de la transformation à l'horizon 2017 du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) en des allégements généraux supplémentaires de cotisations en offre à cet égard une opportunité. La Cour des comptes souligne néanmoins le caractère délicat de certaines pistes d'évolution. Elles pourraient affecter la logique contributive du financement des régimes de retraites complémentaires et d'assurance chômage, et celle, de nature assurantielle, des accidents du travail - maladies professionnelles.
Par ailleurs, l'effort contributif des travailleurs indépendants devrait être progressivement porté au niveau de celui des employeurs et des salariés du régime général de sécurité sociale. Si un écart d'effort contributif devait persister, ce sont les entreprises et les salariés du régime général qui en supporteraient les conséquences.
Devant la réduction des marges de manoeuvre sur les recettes, l'effort de retour à l'équilibre des comptes sociaux doit désormais porter prioritairement sur les dépenses.
L'an dernier, la Cour des comptes avait constaté que les limites méthodologiques de la construction de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) avaient facilité son respect. Elle avait recommandé une approche plus rigoureuse. Elle a constaté plusieurs améliorations notables en ce sens dont elle se réjouit, même si des marges de progrès subsistent.
Le respect de l'Ondam pour la cinquième année consécutive en 2014 s'est cependant traduit par une progression des dépenses de 2,4 %. C'est la plus forte hausse depuis 2011. L'objectif de dépenses progresse ainsi plus vite que le PIB.
L'augmentation des dépenses de soins de ville a été particulièrement vive, soit 2,9 %. La Cour des comptes met en lumière à cet égard la dynamique particulièrement forte des dépenses de soins infirmiers et de masso-kinésithérapie et l'efficience insuffisante de la prise en charge de l'insuffisance rénale chronique terminale. J'y reviendrai.
Le programme de stabilité 2015-2018 prévoit un Ondam resserré pour les années à venir. Il appelle la mise en oeuvre d'économies structurelles d'ampleur, d'autant plus nécessaires que plusieurs facteurs de modération des dépenses vont s'inverser. Je pense notamment à la remontée prévisible du niveau de l'inflation, à la renégociation en 2016 des conventions avec les médecins et d'autres professionnels libéraux de santé, et à l'annonce récente de mesures de reprofilage des carrières dans la fonction publique hospitalière.
A ce stade, malgré l'adoption d'un plan triennal Ondam 2015-2017 et les éléments du programme de stabilité 2015-2018, une grande partie des mesures précises permettant de réaliser les objectifs d'économie annoncés demeurent cependant à définir.
Le resserrement de l'Ondam invite instamment à remédier aux faiblesses persistantes de l'organisation de notre système de soins.
Le bilan que dresse cette année la Cour des comptes de la réorganisation de l'offre de soins menée depuis vingt ans par les pouvoirs publics est en effet décevant. De nombreuses actions ont été menées, mais leur cadence et leur portée se sont affaiblies.
Le système de santé demeure insuffisamment efficient, en raison notamment d'un volontarisme moindre des pouvoirs publics à partir des années 2000. La portée des instruments contraignants, comme la planification, s'est affaiblie. Le champ des normes de sécurité et de fonctionnement est resté circonscrit et leur respect parfois émoussé. La convergence des tarifs entre secteur public et secteur privé a été abandonnée. Les outils essentiellement incitatifs ont été privilégiés mais se sont avérés moins efficaces. Cet état de fait est préjudiciable à la maîtrise de la dépense, voire à la qualité et la sécurité des soins, ainsi que leur accessibilité à tous du fait du creusement des disparités territoriales.
Une action plus déterminée de recomposition de l'offre de soins apparaît aujourd'hui indispensable. A cet égard, la Cour des comptes formule des recommandations quant à l'application de normes de fonctionnement aux domaines de la médecine et la chirurgie, au renforcement et à l'extension à l'ensemble des professions de santé du conventionnement conditionnel dans les territoires surdotés.
Un renforcement du pilotage par le ministère de la santé est aussi indispensable. Au-delà du dualisme de ce pilotage entre l'État et l'assurance maladie, l'organisation des responsabilités devrait être clarifiée au sein même du ministère.
Pour illustrer son propos sur les limites de la réorganisation de l'offre de soins, la Cour des comptes s'est penchée sur deux types d'établissements de santé, les maternités et les centres de lutte contre le cancer.
Le cas des maternités montre la convergence des objectifs d'efficience accrue du système de santé et de ceux de renforcement de la qualité et de la sécurité des soins. Au regard des enjeux soulevés par la sécurité des patientes et des nouveaux nés, et compte tenu de la situation fragile des maternités, une poursuite de la recomposition ordonnée de l'offre de soins est aujourd'hui indispensable.
Le cas des centres de lutte contre le cancer illustre, quant à lui, la difficulté rencontrée pour dépasser les cloisonnements institutionnels existants. Leur spécificité dans la prise en charge des patients s'est atténuée, avec la généralisation de leurs innovations aux autres établissements de santé. Une majorité de ces centres connaît par ailleurs une situation financière fragile.
Alors qu'une démarche de fusion interne entre ces établissements a été engagée, les démarches de coopération avec les CHU pourraient être renforcées. La possibilité de fusions avec des CHU, le plus souvent installés à leur côté sur les mêmes sites, serait également à envisager, chaque fois que cela peut accroître l'efficience de l'organisation des soins de cancérologie.
La progression accélérée de certaines dépenses d'assurance maladie n'est pas toujours justifiée par des besoins objectifs. Elle peut résulter, au moins pour partie, d'une organisation inadaptée de l'offre de soins. Le cas des soins infirmiers et de masso-kinésithérapie, et celui du traitement de l'insuffisance rénale chronique terminale illustrent cette situation. Il apparaît possible, à qualité de soins préservée, de gagner fortement en efficacité et en efficience.
Les infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes exerçant à titre libéral apportent une contribution majeure et appréciée au maintien à domicile des personnes dépendantes. Les dépenses d'assurance maladie liées aux soins infirmiers - 6,4 milliards d'euros en 2014 - et de masso-kinésithérapie - 3,6 milliards d'euros - connaissent une croissance accélérée, respectivement de 6,6 % de 4,3 % par an en euros constants depuis 2000. Cela représente une augmentation d'environ 500 millions d'euros par an de la dépense d'assurance maladie qui en résulte. Elle n'est pas uniquement corrélée au vieillissement de la population ni au développement des maladies chroniques.
En réalité, cette progression importante procède en grande partie de celle du nombre de ces professionnels et de leur répartition inégale sur le territoire.
Cette situation devrait amener les pouvoirs publics à réguler plus efficacement la démographie globale et la répartition sur le territoire des infirmiers et des masseurs-kinésithérapeutes. La mise en oeuvre d'une gestion médicalisée de la dépense, aujourd'hui particulièrement peu développée, apparaît aujourd'hui nécessaire. Elle doit concerner à la fois le corps médical, les prescripteurs, comme les auxiliaires médicaux concernés. Elle devrait s'accompagner d'une adaptation des modes de rémunération, de manière à renforcer l'efficience des prises en charge. Sur ce dernier point, la Cour des comptes recommande d'instaurer des forfaits de rémunération par patient pour les actes récurrents liés à des maladies chroniques. Elle suggère, au-delà, la mise en place d'une enveloppe limitative d'actes par médecin, en fonction des caractéristiques de sa patientèle.
Des progrès importants sont également possibles pour renforcer l'efficience des prises en charge des patients atteints d'insuffisance rénale chronique terminale. Enjeu de santé public majeur, cette maladie particulièrement lourde touche environ 73 500 personnes. Elles sont traitées soit par une greffe du rein - 32 500 transplantés - soit par une dialyse - 41 000 dialysés. Les dépenses engagées pour ces traitements, de l'ordre de 3,8 milliards d'euros en 2013, pourraient être mieux maîtrisées, tout en améliorant la qualité des prises en charge en termes de qualité de vie des patients comme de bonne adaptation des traitements. Pour ce faire, la Cour des comptes recommande de réorienter l'effort financier vers la prévention, de développer plus fortement la greffe et de réviser les modes de tarification de la dialyse.
Le coût moyen par patient dialysé est d'ailleurs substantiellement plus élevé que chez nos voisins européens. La Cour des comptes formule plusieurs recommandations visant à le réduire substantiellement à terme, sans remettre en cause la qualité des soins.
Le troisième et dernier message de la Cour des comptes découle naturellement de ce qui précède. La protection sociale doit être modernisée dans certains de ses dispositifs pour être plus adaptée encore aux évolutions de la société. Sa gestion doit être encore davantage axée sur des objectifs de gains de productivité et d'amélioration du service rendu. Le pilotage financier doit être au rendez-vous de l'enjeu d'un redressement financier durable.
La Cour des comptes s'est d'abord intéressée, dans le domaine de l'assurance vieillesse, aux pensions de réversion. Celles-ci bénéficient à 4,4 millions de conjoints survivants pour une dépense totale proche de 34 milliards d'euros en 2014. Elles jouent encore un rôle majeur, en réduisant les écarts de pensions entre les hommes et les femmes, quoique de manière moins marquée pour les générations récentes. Cependant, elles n'ont pas été adaptées aux évolutions de la société. L'extrême diversité des critères d'attribution conduit à de grandes disparités entre assurés, sans différences objectives de situations.
Les pensions de réversion pourraient être à moyen terme harmonisées et modernisées. Des garanties claires doivent naturellement être apportées en termes de stabilité des situations acquises, d'équité entre les différentes catégories de retraités, de prévisibilité des évolutions et de progressivité de mise en oeuvre.
La Cour des comptes ne formule pas de recommandations mais met sur la table un scénario de référence qui pourrait guider la mise en oeuvre d'une convergence souhaitable des différents dispositifs de réversion.
La Cour des comptes s'est ensuite penchée sur les conséquences d'une baisse du non-recours à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et à l'aide à la complémentaire santé (ACS).
Le bilan de ces dispositifs est en demi-teinte. Ils ne préviennent pas complètement le renoncement aux soins. Surtout, ils n'atteignent qu'une partie limitée de leurs bénéficiaires potentiels. Depuis 2005, les pouvoirs publics ont en effet privilégié l'extension de l'attribution à l'ACS et à la CMU-C à des publics de plus en plus larges, plutôt que leur recours effectif par ceux qui y avaient déjà accès. Les efforts portent désormais sur une résorption de ce non-recours. Évidemment souhaitables du point de vue de l'effectivité de la protection sociale des populations les plus fragiles, ses conséquences financières doivent être correctement anticipées. Dans l'hypothèse, largement conventionnelle, d'une disparition totale du non-recours, 1,2 à 2,2 milliards de ressources supplémentaires devraient être mobilisés. Dès à présent, un déséquilibre financier est anticipé à compter de 2016.
Le chemin vers l'équilibre des comptes sociaux passe par des mesures de réorganisation que favorisent notamment les nouvelles technologies. Comme la Cour des comptes l'a déjà évoqué pour certaines administrations territoriales de l'État, le maillage territorial des organismes de protection sociale peut encore gagner en pertinence.
Alors que l'organisation des réseaux d'organismes locaux du régime général de sécurité sociale n'avait pratiquement pas bougé depuis 1945, la Cour des comptes a relevé des évolutions importantes depuis la fin des années 2000. Les caisses d'allocations familiales et les caisses primaires d'assurance maladie ont été départementalisées. Les Urssaf ont été départementalisées, puis régionalisées.
Le réseau a été ainsi significativement resserré. Cependant, beaucoup de caisses conservent une taille réduite. Les implantations géographiques sont restées largement figées. Des organismes de taille homogène affichent de substantiels écarts de coûts de gestion. Des mutualisations fonctionnelles complexes risquent d'entraver de nouvelles réorganisations plutôt que de les préparer, faute de schéma d'ensemble.
De nouveaux modèles organisationnels sont nécessaires pour atteindre les objectifs d'économies fixés par les pouvoirs publics, ce que la dématérialisation des flux d'informations rend possible. A ce titre, les lieux d'accueil du public devraient être plus nettement dissociés de ceux de production. Les écarts de taille et de coûts doivent être plus activement réduits et les démarches de réorganisation s'inscrire plus délibérément dans une perspective interbranches, voire interrégimes.
L'efficacité de la gestion de la sécurité sociale est également tributaire de celle des hôpitaux publics dont l'assurance maladie est le principal financeur. Or la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes ont observé à plusieurs reprises la qualité insuffisante des comptes hospitaliers. A la suite de ces constats, le législateur a instauré en 2009 une certification obligatoire des comptes des principaux hôpitaux publics par un commissaire aux comptes.
Au terme de la première campagne de certification, plusieurs points de vigilance doivent être soulignés. Il s'agit, outre des faiblesses dans les dispositifs de contrôle interne relatifs aux actes de soins facturés à l'assurance maladie, de fragilités des systèmes d'information.
La modernisation de la sécurité sociale devrait enfin concerner son pilotage financier. Dans ce domaine, l'apport des comparaisons internationales est précieux. Cette année, la Cour des comptes a réalisé une comparaison approfondie des systèmes de retraites et d'assurance maladie français avec leurs homologues allemands.
Les systèmes de retraites et d'assurance maladie français et allemands présentent des traits communs nombreux, mais aussi des différences importantes. Ces dernières portent non seulement sur certains aspects d'organisation, mais aussi sur les priorités et les modalités du pilotage financier. Si elles n'en sont pas la seule cause, ces différences concourent à éclairer les résultats très contrastés de leurs systèmes de protection sociale.
En matière de retraites, l'Allemagne et la France sont confrontées à des défis de même nature, mais d'intensité différente. L'Allemagne a engagé plus tôt que la France et avec plus d'intensité un processus de réformes dans le contexte d'une démographie plus dégradée. Elle privilégie un objectif d'équilibre durable et le met en oeuvre par la voie d'ajustements continus, et même automatiques, des paramètres du système de retraites. Cette méthode est privilégiée par rapport à celle de réformes d'ensemble se succédant à intervalles plus ou moins longs. Par ailleurs, une partie de l'effort d'ajustement a porté sur les personnes déjà retraitées, dont la pension a baissé en termes réels de 10 % depuis 1991, quand le pouvoir d'achat des pensions de retraite a été globalement préservé dans notre pays.
En définitive, les retraités français partent plus tôt que les retraités allemands et bénéficient de pensions en moyenne supérieures sur une durée plus longue. Les réformes en cours en France devraient cependant conduire, à terme, à appliquer des conditions en grande partie analogues à celles en vigueur en Allemagne.
Depuis 2006, l'assurance vieillesse de base des salariés enregistre des excédents, tandis que son homologue français est en déficit depuis 2005. Entre 2000 et 2014, alors que l'Allemagne dégageait, en cumul, 16 milliards d'euros d'excédents, la France accumulait 65 milliards d'euros de déficits.
Pour ce qui est de l'assurance maladie, l'Allemagne a privilégié le maintien d'un niveau élevé de remboursement, mais sur un champ de prise en charge plus étroit qu'en France. Dans le même temps, notre voisin a mis en place un « bouclier sanitaire » plafonnant les restes à charge en fonction des revenus. En France, on constate en revanche un désengagement de l'assurance maladie obligatoire de base, sauf pour les dépenses liées aux affections de longue durée sur lesquelles est concentré l'effort de remboursement. En contrepartie, l'assurance santé complémentaire, désormais en voie de généralisation, joue un rôle de plus en plus important, alors que sa place est très modeste en Allemagne. La France a mieux maîtrisé au cours de la période récente l'évolution des dépenses de soins à travers l'Ondam. L'Allemagne a privilégié, comme pour les retraites, un objectif d'équilibre durable des comptes, érigé en principe de valeur constitutionnelle. Sa réalisation repose notamment sur une forte responsabilisation, à tous les niveaux, de l'ensemble des acteurs du système de soins. Elle concerne aussi les médecins prescripteurs, qui sont soumis à des enveloppes limitatives, ce qui n'empêche pas les médecins allemands de gagner plus que les médecins français. Ceci explique un recours aux génériques plus fréquent en Allemagne qu'en France.
Entre 2004 et 2013, l'assurance maladie allemande a constamment été excédentaire, tandis que son homologue française connaît un déficit persistant depuis les années 1990. Entre 2000 et 2014, l'Allemagne a dégagé, en cumul, 12 milliards d'euros d'excédent. Sur la même période, la France a accumulé 105 milliards d'euros de déficit.
Il ne saurait être question de transposer en tant que tels en France des éléments de l'architecture des systèmes allemands d'assurance maladie et de retraites, qui s'inscrivent dans un cadre institutionnel particulier. Néanmoins, les règles d'équilibre, les modes de pilotage et les mécanismes de responsabilisation mis en oeuvre en Allemagne peuvent être riches d'enseignements pour les Français.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, il y aura tout juste soixante-dix ans, le 4 octobre prochain, une ordonnance du Gouvernement provisoire de la République créait la sécurité sociale. La France d'aujourd'hui n'est plus celle de la Libération. Notre société et notre économie ont formidablement changé, mais la sécurité sociale est plus que jamais l'expression privilégiée de la République et de ses valeurs. Elle court aujourd'hui un risque car fragilisée par ses déficits persistants.
Des choix s'imposent sans tarder pour permettre d'assurer un équilibre financier durable, comme la plupart de nos voisins l'ont réussi. De premiers progrès ont été enregistrés, mais les déficits résistent opiniâtrement. Il faut aller plus loin et plus vite. Des réformes structurelles sont possibles. Elles sont indispensables à l'adaptation de la sécurité sociale aux besoins de notre temps, dans la fidélité aux principes qui l'ont fondée.
Parmi eux, l'un est plus que jamais essentiel : la responsabilité. La responsabilisation de tous les acteurs à tous les niveaux, pour chaque euro dépensé, est le vrai bouclier de la solidarité !
C'est là le message principal des constats et recommandations qu'adresse la Cour des comptes aux pouvoirs publics.
Je vous remercie de votre attention et me tiens, avec les magistrats qui m'entourent, à votre disposition pour répondre à vos questions.
Merci, monsieur le Premier Président.
La parole est au rapporteur général.
Monsieur le Premier Président, votre rapport, comme à l'habitude, est très riche d'enseignements. Nous avions déjà pu tout particulièrement bénéficier de vos recommandations sur les maternités, la CMU, l'ACS.
S'y ajoutent aujourd'hui des recommandations sur les soins de kinésithérapie et, d'une façon plus générale, sur les soins infirmiers. Vos comparaisons avec l'Allemagne nous permettront peut-être par ailleurs de révéler nos faiblesses concernant les régimes vieillesse et d'assurance maladie.
Vous avez mis l'accent sur les déséquilibres des comptes de notre pays, qui se prolongent et dont le terme semble, avez-vous dit, indéterminé. Vous avez évoqué 2021 et recommandez de concentrer désormais l'effort sur les dépenses, aux moyens d'économies structurelles, notamment en matière de soins de ville. J'aimerais que vous nous proposiez concrètement quelques mesures à ce sujet.
En second lieu, vous soulignez également que la régulation de l'assurance maladie pose un problème de gouvernance, et vous suggérez que la direction générale de l'offre de soins pilote la stratégie de recomposition de ladite offre de soins. En a-t-elle les moyens ?
Ma troisième question porte sur les retraites. Que pensez-vous du maintien du FSV et du financement des avantages non contributifs en matière de retraite ? Ce fonds sert surtout à cumuler les déficits engendrés par les dispositifs qu'il est censé financer. Ne faudrait-il pas tout simplement isoler comptablement ces dépenses au sein des différents régimes ?
Par ailleurs, pensez-vous que le CICE soit un mécanisme de soutien à l'emploi, ce qui justifierait son ciblage jusqu'à deux fois et demie le Smic ? L'achèvement de la fiscalisation du financement de la branche famille ne pourrait-il pas être opéré à l'occasion de la transformation du CICE en allègement de cotisations ?
Enfin, vous réclamez à nouveau le conventionnement sélectif des professions de santé. Vous semble-t-il concrètement praticable ?
La parole est à présent à M. Jean-Noël Cardoux, président de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss).
D'après vos chiffres, la Cades, à la fin de 2015, cumulera 127 milliards d'euros de dettes. Actuellement, l'Acoss, organisme collecteur, cumule également environ 31 milliards de dettes.
L'Acoss a été autorisée à transférer, par an, 10 milliards d'euros de dettes sur la période 2011-2018 ; à ce rythme, avec la réduction du déficit qui est beaucoup moins rapide que prévu, nous allons vers une impasse par rapport aux objectifs qui ont été fixés.
Le président Ract Madoux nous l'a confirmé lors de son audition : la suppression de la Cades devait intervenir en 2024. A ce rythme, ce ne sera pas possible.
En outre, vous l'avez parfaitement souligné, les 31 milliards d'euros à court terme exposent l'Acoss à une augmentation des taux d'intérêt. On va y parvenir, ceux-ci ne pouvant rester négatifs. Un point d'augmentation peut représenter, en charges annuelles, un milliard d'euros supplémentaire, qui viendra s'ajouter au reste.
Pour pouvoir tenir l'engagement de suppression de la Cades en 2024, il faudra donc que l'Acoss, jusqu'en 2019, transfère 30 milliards d'euros supplémentaires, ce qui nécessitera un besoin de recettes annuelles d'environ 3 milliards d'euros.
Vous préconisez à juste titre des mesures structurelles, mais si l'on veut tenir ces délais, il va bien falloir trouver des recettes supplémentaires ! Vous conseillez d'augmenter la CRDS, ce qui est tout à fait naturel. A combien estimez-vous cette augmentation ?
Votre rôle, comme vous l'avez dit opportunément au début de votre propos, n'est pas de prendre des décisions politiques. C'est au Gouvernement et au Parlement de le faire, mais je crains que vous ne nous annonciez un chiffre trop élevé par rapport à l'état actuel des finances des Français.
Je suis donc favorable à deux types de piste, dont nous avions parlé lors du dernier PLFSS.
Tout d'abord, la contribution des bénéficiaires de l'aide médicale de l'État (AME) à 30 euros par an a été supprimée en 2012 ; on estimait alors que celle-ci pouvait rapporter 300 millions d'euros par an. Nous avions préconisé de la porter à 50 euros, sans tenir compte de la progression des bénéficiaires, que l'on ne connaît pas. Une telle contribution pourrait donc rapporter, par an, entre 500 millions d'euros et 700 millions d'euros au budget de l'État, qui rembourse l'AME à la sécurité sociale. On pourrait fort bien l'envisager.
Par ailleurs, pourquoi ne pas instaurer une seconde journée de solidarité pour financer les dépenses sociales et rétablir l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, ainsi que nous l'avions évoqué l'an passé ? Abandonner un jour de RTT supplémentaire, sans que cela ne soit toutefois à la charge des employeurs, comme ce fut malheureusement le cas de la première journée de solidarité, pourrait rapporter 2,5 milliards d'euros par an. Je sais que cela pose un problème en matière de code du travail, mais il faudra bien prendre ce problème à bras-le-corps.
Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur ces différents points, monsieur le Premier Président ?
M. le Premier Président, comme chaque année, nous soulignons la qualité, la précision, la rigueur et la densité de votre rapport.
Les enjeux sont trop graves pour que j'établisse un parallèle entre le verre d'eau à moitié plein et le verre d'eau à moitié vide. Néanmoins, je veux souligner que si la réduction des déficits se poursuit à un rythme bien trop lent, avec des prévisions inquiétantes pour l'avenir, la trajectoire est néanmoins la bonne. Elle est également empreinte de justice parce qu'elle n'entraîne aucune diminution de la couverture des assurés sociaux, bien au contraire.
En effet, le rapport de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) relatif aux dépenses de santé pour 2014 indique que, pour la troisième année consécutive, le reste à charge final des assurés, y compris le coût des assurances complémentaires, est en diminution. Nous avons trop tendance à ne pas mettre en avant les résultats positifs lorsque ceux-ci sont importants pour l'ensemble de nos concitoyens !
En matière de médicaments, vous avez par ailleurs établi une comparaison avec l'Allemagne et évoqué l'emploi des génériques. J'aimerais connaître votre avis sur les nouveaux traitements. Une première expérience a été menée autour de l'hépatite C. De nouveaux traitements apparaissent ou vont apparaître également dans le traitement du cancer - thérapies ciblées, immunothérapie. Or, le montant du remboursement est très éloigné des coûts réels de fabrication, qui incluent la recherche et le développement, et n'est basé que sur les éventuelles économies que pourrait réaliser l'assurance maladie. Pourriez-vous apporter un éclairage sur cette situation et formuler des recommandations afin d'éviter qu'il ne devienne bientôt impossible de rembourser certains nouveaux traitements, comme ceux destinés à lutter contre le cholestérol aux États-Unis, qui représentent des coûts exorbitants ?
J'aimerais en second lieu évoquer le sujet de la dette. Mon propos n'est guère différent de celui du rapporteur général. Il faut ici tenir compte à la fois des conditions d'amortissement, qui sont historiquement basses et favorables, et de l'obligation, soulignée par le président de la MECSS, concernant le fait que tout transfert à la Cades doit s'accompagner de l'attribution de nouvelles ressources.
La Cour des comptes estime-t-elle impératif, malgré ces conditions, d'augmenter le transfert en direction de la Cades au-delà des 10 milliards d'euros qui peuvent lui être transférés chaque année, ainsi qu'en ont décidé les différentes lois de financement ?
S'agissant de la médecine de ville, vous indiquez dans votre rapport que les dépenses ont globalement augmenté de 2,4 % au cours de l'année 2014, soit plus que le PIB ou que la masse salariale. N'existe-t-il pas, dans le projet de loi de modernisation du système de santé, avec la réorganisation du premier recours et la prise en compte des parcours de soins, des éléments qui pourraient permettre, dans les années à venir, de diminuer le plus rapidement possible la progression des dépenses de ville ?
En ce qui concerne l'Allemagne, certains des chiffres que vous avez évoqués interpellent. Selon une étude récente indique que les inégalités sont plus fortes en Allemagne qu'en France et se creusent bien plus rapidement que chez nous : les riches sont de plus en plus nombreux et de plus en plus riches, et les pauvres de plus en plus nombreux et de plus en plus pauvres. C'est vrai en France, mais encore plus en Allemagne où l'on constate une réduction de la classe moyenne, base de la société allemande.
Par ailleurs, le taux de pauvreté, en Allemagne, est supérieur d'un point au taux de pauvreté que connaît la France, ceci pour relativiser les comparaisons entre les deux pays. Vous avez rappelé qu'en Allemagne, les médecins prescripteurs sont soumis à une enveloppe limitative. Les médecins français, si attachés à la médecine libérale - tout comme nous, d'une certaine façon - seraient-ils prêts à accepter un tel dispositif au plan régional ?
Chacun d'entre vous est revenu sur la comparaison entre l'Allemagne et la France. Celle-ci est effectivement intéressante. Il faut bien évidemment prendre en considération d'autres paramètres. L'étude comparative que nous avons menée n'est pas exhaustive. Nous disons d'ailleurs dans notre rapport que le système français est plus solidaire que le système allemand. C'est vrai pour les retraites et pour un certain nombre d'autres situations, mais sûrement moins en matière de maladie, le régime général de base allemand remboursant davantage que le régime français.
L'étude de la Drees que vous citez concernant le reste à charge final prend en compte les affections de longue durée (ALD). Il faut aussi considérer le reste à charge pour ceux qui ne bénéficient pas des ALD, ce qui est le cas de la majorité des Français. Dans ce domaine, le pourcentage s'est sensiblement réduit ; il est aujourd'hui de l'ordre de 51 % à 52 % pour les soins de ville.
Fort heureusement, il existe des assurances complémentaires mais ce sont les assurés sociaux qui les payent. On trouve par ailleurs en Allemagne un bouclier sanitaire qui n'existe pas en France.
La préoccupation allemande de préserver l'équilibre pourrait nous inspirer mais c'est assez loin de notre culture en matière de sécurité sociale. Toutefois, les déficits des comptes sociaux et leur financement par emprunt constituent une anomalie : il s'agit de dépenses courantes de fonctionnement.
Faire financer une partie de ces dépenses par les générations futures est-il juste et équitable, alors que ces mêmes générations vont également connaître de vrais défis, à la fois par rapport à elles-mêmes, mais aussi par rapport à nous ? N'oublions pas que nous vieillissons et que ce sera à eux de nous prendre en partie en charge ! On tire donc d'une certaine façon des traites sur l'avenir.
Pour en revenir à la Cades, on a caché la dette sociale sous le tapis, on en a fait porter une partie importante par l'Acoss, qui n'est pas faite pour cela, et l'on finit par l'oublier. Il faut pratiquement sortir chaque année 16 milliards d'euros pour rembourser les taux d'intérêt et une partie du principal. La dette sociale continue d'augmenter : on est aujourd'hui à 158 milliards d'euros et, contrairement à un certain nombre de scénarios qui ont été envisagés, on ne la voit pas baisser dans des délais très rapprochés.
C'est cette préoccupation qui nous fait dire que l'on pourrait peut-être s'inspirer de ce qui se fait en Allemagne. Le problème vient du fait que l'on accepte un déficit durable. J'ai pour coutume de dire que la France est probablement l'un des rares pays - voire le seul - à l'accepter, avec tous les problèmes que cela pose.
La seconde orientation intéressante concerne la responsabilisation. La France dispose vraisemblablement de marges de progrès à ce sujet s'agissant de l'ensemble des acteurs, prescripteurs comme assurés sociaux. Cela permet d'obtenir des résultats bien différents, dans une optique gagnant-gagnant. Les professions libérales de santé peuvent prétendre à des rémunérations plus élevées, dès lors qu'il existe une maîtrise plus grande de la dépense ; quant aux assurés sociaux, ils peuvent bénéficier de taux de remboursement plus importants.
On insiste beaucoup depuis quelques années sur les possibilités d'économies. Il faut situer le rapport de la Cour des comptes de cette année dans la suite des précédents. Chaque année, nous essayons d'identifier des secteurs où des économies nous apparaissent possibles. Nous l'avons fait pour les transports sanitaires, avec malheureusement peu de suites, bien que cela représente 3,8 milliards d'euros. Nous avions chiffré à l'époque les possibilités d'économies entre 400 millions d'euros et 500 millions d'euros.
Il en va de même avec les actes de biologie médicale. Certes, un accord a été passé avec la profession mais toutes les marges de manoeuvre n'ont peut-être pas été explorées. Nous nous sommes également exprimés à propos du médicament et du générique. Cette année, nous insistons sur les soins apportés par les infirmiers libéraux et par les masseurs-kinésithérapeutes ainsi que sur le sujet de l'insuffisance rénale chronique terminale, à propos desquels nous faisons un certain nombre de constats.
Je suis conscient que la presse peut en conclure que la Cour des comptes n'aime pas les infirmiers libéraux, ni les masseurs-kinésithérapeutes, alors que ces professionnels sont extrêmement utiles. Nous reconnaissons bien entendu le rôle essentiel qui est le leur et nous le disons mais ce n'est pas parce qu'une profession est sympathique qu'il faut oublier un certain nombre de choses, d'autant - vous le dites vous-mêmes - qu'ils ne sont pas prescripteurs !
Nous invitons à une réflexion plus large à ce sujet. Selon nous, la corrélation entre l'augmentation des dépenses de soins de ville, le vieillissement de la population et les soins dispensés aux malades atteints d'affections chroniques n'est pas nécessairement obligatoire. Il s'agit avant tout d'une question de nombre, face à l'ensemble des disparités territoriales que l'on peut enregistrer sur le territoire.
Il en va de même pour la dialyse. La France a fait le choix du traitement le plus coûteux, qui ne correspond pas obligatoirement à l'intérêt du malade. On est surpris de la différence de coût qui existe entre l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France ! Des marges sont donc possibles pour réduire les dépenses.
Le conventionnement conditionnel dans les zones sur-denses peut-il être pratiqué et accepté ? Nous réitérons notre remarque à partir du constat que nous faisons sur la répartition très inégale des professionnels de santé libéraux sur le territoire.
Malgré une augmentation très importante du nombre d'infirmiers et de masseurs-kinésithérapeutes depuis 2000, l'écart de densité de ces professions entre les départements va de 1 à 7,5 pour les infirmiers, et de 1 à 4 pour les masseurs-kinésithérapeutes. En outre, les inégalités ne se résorbent pas ainsi qu'on le voit dans notre rapport.
Jusqu'à présent, l'assurance maladie a utilisé des moyens incitatifs pour favoriser l'installation des professionnels en zones sous-denses. Ce n'est que récemment, mais de manière quelque peu tardive, que des outils plus contraignants ont été adoptés pour les infirmiers libéraux et les masseurs-kinésithérapeutes. Il existe encore quelques marges de progrès. Nous avons relevé plusieurs possibilités d'action.
En tout état de cause, un accord avec les partenaires professionnels, s'il apparaît difficile, nécessite une action du législateur. Le Conseil d'État a eu l'occasion de remettre en cause un décret concernant les masseurs-kinésithérapeutes. Une intervention du législateur est donc nécessaire pour prévoir ces conventionnements conditionnels. Plusieurs leviers peuvent être utilisés pour la mise en oeuvre de ceux-ci. Ils sont repris dans notre rapport.
Cela nous paraît possible. Ces disparités méritent d'être prises davantage en considération et nécessitent un certain nombre de mesures adaptées.
Enfin, s'agissant de la dette sociale et de la reprise de la dette de l'Acoss par la Cades, les ministres, dans les réponses apportées à notre rapport, ont fait part de leur intention d'affecter dès 2016 à la Cades l'intégralité de la dette accumulée à l'Acoss, sans remettre en cause le plafond de reprise de 62 milliards d'euros fixé par la loi de financement de la sécurité sociale de 2011 pour la reprise des déficits de la branche vieillesse et du FSV pour les années 2011 à 2018. Je ne sais si cela relève du miracle ou de la magie. Je ne crois pas aux miracles en ce qui concerne la résorption de la dette sociale ; pour ce qui est de la magie, on ne fait que repousser les décisions à prendre !
Une telle opération pourrait profiter des opportunités de marché liées à la faiblesse des taux d'intérêt ; elle comprimerait sûrement en 2016 la part de la dette sociale à court terme de l'Acoss mais cela n'aurait selon nous qu'un effet transitoire. En anticipant la reprise des déficits de la branche maladie et de la branche famille par saturation de l'enveloppe de 62 milliards d'euros dès la fin de 2015, on peut estimer que les déficits prévisionnels vieillesse et FSV de 2016 à 2018 s'établiront à 7,5 milliards d'euros. De même, il conviendrait de prévoir la reprise des déficits prévisionnels maladie et famille de 2016 à 2018, soit 13,2 milliards d'euros.
Par ailleurs, la saturation du plafond de reprise de la dette dès 2016 laisserait à l'Acoss environ 7 milliards de déficits antérieurs à 2016. Ainsi, même en tenant compte du léger excédent prévisionnel de la branche AT-MP de 2016 à 2018, il resterait encore de l'ordre de 26 milliards d'euros de dette sociale à l'Acoss d'ici à la fin de 2018. S'y ajouteraient les risques de déficit supplémentaire lié au cadrage macroéconomique et de remontée des taux d'intérêt, qui pourraient atteindre 4 milliards d'euros à 5 milliards d'euros au total.
En définitive, les déficits portés par l'Acoss fin 2018 avec cette opération resteraient d'un ordre de grandeur comparable à celui évoqué par la Cour des comptes dans son rapport.
Nous estimons donc que cette accélération du calendrier d'utilisation de l'enveloppe de 62 milliards d'euros ne résoudra pas en elle-même la question de la dette sociale, qui continuera à s'accumuler à l'Acoss après 2016. Cela ne dispense pas selon nous de mobiliser les ressources supplémentaires à droit constant le moment venu, au-delà de la quinzaine de milliards d'euros par an de CSG, de CRDS, et des 2,1 milliards d'euros de prélèvements annuels sur les capitaux propres du fonds de réserve pour les retraites, dont l'affectation à la Cades est d'ores et déjà décidée jusqu'en 2024.
Selon notre estimation, si l'on reprenait l'intégralité de la dette de l'Acoss, cela représenterait aujourd'hui une augmentation d'environ 0,23 % de la CRDS.
Il ne nous appartient pas de choisir entre les différentes options. Nous constatons seulement que la CRDS présente la base la plus large ; c'est peut-être l'outil le plus juste pour prendre en compte la dette sociale. Bien évidemment, le Conseil constitutionnel étudie cette question de très près et vérifie la solidité de la ressource que l'on ajoute.
Pour répondre à votre question, nous ne sommes donc pas forcément convaincus par la proposition.
S'agissant du pilotage de la réorganisation de l'offre de soins, la direction générale de l'offre de soins, que nous avons auditée de manière scrupuleuse, est restée fondamentalement l'héritière de la direction des hôpitaux ; c'est une direction hospitalière. Malgré son titre générique, qui englobe l'organisation des soins de ville, elle est en fait centrée sur les problématiques hospitalières.
Ce décalage est évidemment un obstacle à une vision chaînée de l'offre de soins jusque dans la mise en place de parcours de soins et d'une organisation différente des soins de premier recours, qui est en fait déléguée d'une part à la direction de la sécurité sociale, d'autre part à la Cnam.
Ce n'est pas une question de moyens, la DGIS comptant 220 agents ; certes, elle considère que ce n'est pas assez, mais c'est déjà beaucoup. Toute la question repose sur la manière dont on envisage la mission qui lui a été confiée.
Nous avons été, de ce point de vue, étonnés de constater que l'expérimentation des parcours de soins pour les personnes âgées, qui nous paraissent très intéressants et prometteurs, est pilotée par la direction de la sécurité sociale, et non par la direction générale de l'offre de soins, dont c'est en principe le coeur de métier.
Au fond, l'administration centrale du ministre de la santé est restée relativement figée, alors que les problématiques ont changé et que l'institution des agences régionales de santé a créé sur le terrain une transversalité que l'on ne retrouve pas dans l'administration centrale.
Quant au FSV, pour paraphraser Ésope, c'est la pire et la meilleure des choses. Il a été créé en 1993, pour répondre à un besoin de salubrité. Il s'agissait de mettre fin à un vieux débat qui, en matière de charges indues, brouillait les choses et constituait un obstacle à toute action en pesant sur les régimes de sécurité sociale, ces charges indues étant en particulier constituées d'avantages non contributifs.
On a créé en 1993 un petit établissement public pour supporter celles-ci et y associer des recettes. Le dispositif fonctionne mal et s'est à son tour brouillé. La nature des dépenses prises en charge par le FSV n'est pas toujours très claire. Ce sont souvent des dépenses forfaitaires. D'autre part, il reste dans les régimes un certain nombre des dépenses non contributives.
Le principal point noir provient du déficit persistant du FSV. Nous-mêmes, lorsque nous vous présentons les comptes de la sécurité sociale, agrégeons les comptes du régime général et les comptes du FSV afin d'en avoir une vision complète. Si les comptes de la branche retraite du régime général sont en amélioration, les comptes du FSV sont en déficit croissant !
Les nouveaux médicaments, ainsi que le soulignaient M. Daudigny, constituent un sujet qui est devant nous. On a commencé à le traiter avec l'hépatite C. La réponse n'est pas simple. Il nous semble que les éléments de réponse sont triples.
La première réponse demeure l'évaluation médico-économique et le fait d'admettre à remboursement ces médicaments nouveaux en fonction d'une évaluation à propos de laquelle nous avons appelé la Haute Autorité de santé, il y a deux ans, à être beaucoup plus active. Il n'existe toujours pas aujourd'hui d'institution capable de réaliser ces évaluations comme en Allemagne ou en Grande-Bretagne.
Le second progrès possible, que l'on a commencé à voir s'esquisser avec l'hépatite C, réside dans une négociation européenne, afin d'adopter une approche commune vis-à-vis du fabricant.
Le troisième élément de réponse consiste à dégager des marges d'efficience, le système bénéficiant de nombreux effets de rente. Il ne s'agit pas simplement de permettre le retour à l'équilibrer de l'assurance maladie, mais de dégager les moyens de financer le progrès médical. L'effort de réorganisation et de recherche permanente d'efficience est le garant du progrès.
Nous avons également noté avec intérêt un grand nombre de dispositions dans la loi de modernisation de la santé. Le rapport de la Cour des comptes, dans son exposé des motifs, a amené un certain nombre de propositions avec, en matière de politique conventionnelle, la possibilité de disposer de volets régionaux sur des problématiques de santé publique en matière de conventions avec les professions de santé.
Un autre exemple, tiré de notre rapport de l'an dernier, réside dans l'allégement de la procédure très lourde de projets régionaux de santé, afin d'en faire un outil plus opérationnel que les projets régionaux de santé, qui représentent mille pages.
Quant à la transformation du CICE, trois choix sont selon nous possibles. Ils sont à effectuer en fonction des objectifs que poursuivent les pouvoirs publics.
La concentration du Smic sursature les cotisations patronales de sécurité sociale. Concentrer cet allégement sur cette tranche suppose de faire prendre en charge des cotisations des régimes de retraite complémentaire obligatoire et des cotisations d'assurance d'accident du travail et de maladie professionnelle par la puissance publique. C'est un choix, mais il est très délicat, les régimes complémentaires n'étant financés ni par les pouvoirs publics ni par la dette. C'est sans doute une de leurs forces.
Le régime des accidents du travail et des maladies professionnelles est, depuis 1898, un système d'assurance. La cotisation que versent les entreprises doit être suffisamment élevée pour que celles-ci soient attentives à la prévention des risques professionnels. Si l'État allège la pression, les entreprises risquent de ne plus y consacrer autant d'attention.
Monsieur le Premier Président, chaque année, vous nous faites partager les contradictions que vous avez relevées.
Première contradiction, les comptes devaient être équilibrés en 2017, ainsi que le prévoyait la loi de finances rectificative. Malheureusement, cet engagement est remis en cause.
Seconde contradiction : on constate des progrès mais les déficits perdurent. Si des progrès n'avaient pas été réalisés, on pourrait se poser encore plus de questions !
Troisième contradiction : vous dites que des réformes structurelles sont possibles et je partage cet avis mais elles ne sont jamais mises en place ou, si elles le sont, elles ne sont pas suivies.
Y a-t-il un lien entre ces contradictions et la dernière partie de votre rapport ? Sur 750 pages, 120 portent sur le suivi des recommandations. Parmi vos 240 recommandations, seulement 5 % ont été mises en oeuvre, 33 % n'ont jamais connu de début de mise en oeuvre et 7 % ont été refusées. Nous avons tous, en tant qu'exécutif de département ou de région, vécu des contrôles de chambre régionale des comptes. Je n'ose imaginer que l'on puisse refuser des recommandations ! Pensez-vous raisonnablement que, si ces recommandations étaient suivies, l'on pourrait améliorer notre fonctionnement ?
J'ai été comme toujours très attentive aux recommandations que vous avez pu faire. Au fond, il existe deux logiques, réduire les dépenses ou essayer de trouver de nouvelles recettes. Vous n'avez toutefois pas abordé la question du « mal-travail », qui coûte 80 milliards d'euros par an. Ce serait pourtant une piste intéressante.
Seconde piste possible : je le répète à chaque fois, la loi n'est malheureusement pas appliquée concernant l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, alors que cela rapporterait 52 milliards d'euros. Du même coup, j'éprouve une inquiétude au sujet des pensions de réversion car on sait que les femmes sont parmi les personnes les plus touchées par les petits salaires et le temps partiel. Vous évoquez une harmonisation : pouvez-vous nous en dire davantage ?
Qu'en est-il par ailleurs de la fraude patronale aux cotisations, que la Cour des comptes avait évalué entre 20 milliards d'euros et 25 milliards d'euros en 2014 ? C'est une somme conséquente ! Je suis étonnée que ce soit le seul chiffre de votre expertise que le Gouvernement ait remis en cause. Je n'ai pas entendu de réaction de votre part à ce sujet. La Cour des comptes ne serait donc plus objective ?
S'agissant des renoncements aux soins, vous avez évoqué un forfait au-delà duquel on ne pourrait aller. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?
Quant à l'hôpital, faut-il se réjouir que l'Ondam hospitalier 2015 à 1,9 % soit inférieur aux besoins de la population, la simple reconduction des moyens de fonctionnements étant estimée entre 3 % et 4,5 % ?
Enfin, je m'interroge sur le remboursement des soins, notamment en ce qui concerne les médicaments. Nous proposons quant à nous le remboursement des médicaments à 100 %, mais je voudrais que vous nous apportiez votre éclairage sur ce point : soit un médicament est efficace et il faut le rembourser totalement, soit il ne l'est pas et il ne faut pas le rembourser !
Avec les nouveaux médicaments, en particulier ceux destinés à lutter contre l'hépatite, on voit bien, que ce sont les laboratoires qui font la loi ! C'est peut-être sur ce point qu'il faut essayer de réformer le système, afin que ces derniers ne bénéficient pas d'autant de pouvoirs.
A-t-on une appréciation du coût du non-recours massif au dispositif d'accès aux soins des personnes les plus défavorisées ? Elles bénéficient finalement de soins très lourds compte tenu des pathologies qu'elles présentent, ne recourant que tardivement à ce dispositif.
En second lieu, s'agissant de la prise en charge de l'insuffisance rénale chronique, je me félicite de votre préconisation concernant l'arrêt de la localisation de l'affectation des greffons, qui constitue une mesure très injuste pour nos concitoyens.
Cependant, vous nous dépeignez un tableau avec des différences de prise en charge très importantes entre la France, l'Allemagne, la Belgique et le Royaume-Uni. Les conditions de prise en compte sont-elles les mêmes dans ces quatre pays ? Il me semble qu'au Royaume-Uni, la prise en charge de l'insuffisance rénale chronique se fait de façon plus drastique, en particulière en matière d'âge d'éligibilité à la greffe. Ne peut-on moduler les conditions de comparaison, les prises en charge n'étant pas éthiquement les mêmes dans ces quatre pays, en particulier au Royaume-Uni ?
Monsieur Morisset, 59 % de nos recommandations sont partiellement ou totalement suivies, ce qui démontre une certaine prise de conscience. On pourrait souhaiter qu'elles le soient davantage encore. Certaines peuvent demander plus de temps que d'autres. Nous avons la faiblesse de penser que si l'on nous écoutait davantage, la situation en serait améliorée. Nos recommandations s'appuient sur un travail d'expertise que nous soumettons à contradiction. Nous vous incitons, ainsi que le Gouvernement, à vous engager de façon plus volontaire dans ce domaine.
Lors des débats sur la chirurgie ambulatoire, on nous avait reproché de poser le sujet en des termes vifs. Aujourd'hui, la prise de conscience est plus forte sur le fait qu'il peut être important de prendre un certain nombre de dispositions pour favoriser l'ambulatoire par rapport à la chirurgie traditionnelle.
Madame Cohen, il ne faut jamais oublier qu'un rapport ne peut reprendre tous les travaux antérieurs. Nous ne sommes pas revenus sur le sujet des fraudes aux cotisations, mais nous maintenons ce que nous avons écrit l'année dernière.
On peut encore optimiser les recettes de la sécurité sociale à travers une lutte plus forte contre les fraudes, quelles qu'elles soient, qu'elles touchent aux cotisations ou aux prestations. Il y a vraisemblablement encore des réflexions sur certaines niches sociales dont la pertinence par rapport aux objectifs que vous définissez n'est pas obligatoirement bien démontrée. Cela étant, le sujet des recettes se heurte à la capacité des entreprises et des contribuables à répondre aux augmentations d'impôts et de charges. C'est un équilibre à trouver et c'est bien évidemment de la responsabilité des gouvernants.
Nous estimons qu'il y a des marges en matière de dépenses. Vous affirmez qu'il faut toujours partir de l'acquis et que, dès lors que les besoins ne sont pas satisfaits, il faut augmenter la dépense, celle-ci permettant seule, selon vous, d'accroître la réponse aux besoins collectifs, sans vous interroger sur son efficacité même.
On dit un certain nombre de choses à propos de la sécurité sociale, mais c'est vrai de l'ensemble des politiques publiques. Je répète toujours que la France a un niveau de dépenses publiques plus élevé que beaucoup d'autres pays. C'est bien sûr de la responsabilité des politiques de le fixer, mais notre action publique est-elle efficace au regard des moyens que nous y consacrons ? Nous sommes sur le podium de la dépense, mais rarement parmi les premiers lorsqu'il s'agit d'apprécier l'efficacité de d'action publique !
Il n'est parfois pas suffisant de fournir des moyens supplémentaires pour pouvoir répondre aux besoins. On peut multiplier les exemples, que ce soit dans le domaine du logement, des aides à l'emploi, de la formation professionnelle, ou de l'éducation nationale. Il ne suffit pas toujours d'abonder les crédits pour que l'action soit plus efficace.
Il ne suffit pas non plus de limiter les dépenses : il faut un équilibre entre les deux !
Sûrement, et c'est à vous de le fixer. La Cour des comptes ne cherche pas à se hisser au-dessus de sa condition, mais l'augmentation de la dépense n'est pas obligatoirement une réponse. Certains font le lien entre la dépense publique et le niveau de croissance d'un pays : si c'était le cas, la France, compte tenu de son niveau de dépenses, serait championne du monde dans le domaine de la croissance
On a bien vu, dans un certain nombre de domaines, que même si les enveloppes ont considérablement augmenté, le service rendu n'est pas meilleur. En matière de permanence des soins, par exemple, la dépense a explosé. Le service rendu est-il bon ? Non, il s'est même plutôt dégradé, pour des tas de raisons qui ne sont pas seulement budgétaires et financières.
Certes, un certain nombre de sujets restent à traiter sur la fixation des prix des médicaments, ou sur les restructurations restant à conduire. La Cour des comptes affirme qu'il existe des possibilités d'économies, sans remettre en cause la qualité et l'accès aux soins. Nous raisonnons par rapport aux normes fixées par le législateur. On nous a reproché la fixation du seuil à 300 naissances dans les maternités. Ce n'est pas nous qui le fixons ! Nous raisonnons à partir de normes de sécurité et de qualité. Quand celles-ci ne sont pas respectées, nous sommes dans l'obligation de le faire constater. C'est une question de santé pour celles et ceux qui peuvent être concernés par ces normes.
Pour ce qui est des pensions de réversion, nous ne souhaitons pas remettre en cause les plus petites. Nous vous invitons à une réflexion sur quelques inégalités de situations qui sont fortes, d'après les constats que nous pouvons faire.
Un mot de la prise en charge des médicaments et des différents taux de remboursement. Il s'agit d'une spécificité de notre pays. En Allemagne, l'assurance maladie rembourse à des taux très largement supérieurs à 90 % des médicaments dont elle négocie très fermement les prix, de façon bien plus dure que nous. En revanche, elle prend en charge moins de spécialités pharmaceutiques, en particulier celles ayant des effets non caractérisés. Il s'agit donc bien de différences d'approche.
Pourquoi la France maintient-elle des médicaments à 15 % ? Pour une raison essentielle : c'est cette base qui permet une prise en charge par l'assurance maladie complémentaire. Si ces médicaments étaient totalement déremboursés, les systèmes complémentaires ne pourraient les prendre en charge.
Par ailleurs, il n'existe pas d'étude concernant les non-recours à la CMU-C et à l'aide à la complémentaire santé permettant de connaître le coût supplémentaire lié au retard d'accès aux soins. Les premières études de la CNAM que nous documentons dans ce rapport montrent que ces personnes sont généralement atteintes de pathologies plus lourdes que la moyenne de la population française.
En second lieu, lorsqu'elles accèdent à ces dispositifs d'aide complémentaire, leur consommation de rattrapage est très importante. Ce retard d'accès comporte donc des conséquences. En revanche, la suite n'est pas renseignée.
Quant à l'insuffisance rénale chronique terminale, le tableau fait apparaître le coût de la dialyse. Il répond pour beaucoup à des modes d'organisation différents, notamment en matière de dialyse à domicile, de dialyse péritonéale, ou d'autodialyse, secteurs qui, en France, soit reculent fortement, soit stagnent.
La différence essentielle avec la Grande-Bretagne porte sur la greffe. Ce pays sollicite légalement, comme on pourrait le faire en France, des greffons issus de personnes décédées en réanimation, après une décision d'arrêt de soins. Ceci se met en place en France mais, en Grande-Bretagne, cela procure un nombre de greffons particulièrement important. Le don du vivant est également plus répandu en Grande-Bretagne qu'en France.
Il existe donc bien des différences entre les modes d'approche et de prise en charge de l'insuffisance rénale. Des efforts considérables sont vraisemblablement à réaliser dans notre pays, au-delà des questions de prise en charge en matière de prévention, qui demeure le parent pauvre de la santé publique.
Merci, monsieur le Premier Président, et merci également à l'ensemble des membres de la Cour des comptes ici présents.
La réunion est levée à 13 heures 30.