Intervention de Didier Migaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 16 septembre 2015 à 11h30
Rapport annuel de la cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale — Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier Président de la Cour des comptes :

Chacun d'entre vous est revenu sur la comparaison entre l'Allemagne et la France. Celle-ci est effectivement intéressante. Il faut bien évidemment prendre en considération d'autres paramètres. L'étude comparative que nous avons menée n'est pas exhaustive. Nous disons d'ailleurs dans notre rapport que le système français est plus solidaire que le système allemand. C'est vrai pour les retraites et pour un certain nombre d'autres situations, mais sûrement moins en matière de maladie, le régime général de base allemand remboursant davantage que le régime français.

L'étude de la Drees que vous citez concernant le reste à charge final prend en compte les affections de longue durée (ALD). Il faut aussi considérer le reste à charge pour ceux qui ne bénéficient pas des ALD, ce qui est le cas de la majorité des Français. Dans ce domaine, le pourcentage s'est sensiblement réduit ; il est aujourd'hui de l'ordre de 51 % à 52 % pour les soins de ville.

Fort heureusement, il existe des assurances complémentaires mais ce sont les assurés sociaux qui les payent. On trouve par ailleurs en Allemagne un bouclier sanitaire qui n'existe pas en France.

La préoccupation allemande de préserver l'équilibre pourrait nous inspirer mais c'est assez loin de notre culture en matière de sécurité sociale. Toutefois, les déficits des comptes sociaux et leur financement par emprunt constituent une anomalie : il s'agit de dépenses courantes de fonctionnement.

Faire financer une partie de ces dépenses par les générations futures est-il juste et équitable, alors que ces mêmes générations vont également connaître de vrais défis, à la fois par rapport à elles-mêmes, mais aussi par rapport à nous ? N'oublions pas que nous vieillissons et que ce sera à eux de nous prendre en partie en charge ! On tire donc d'une certaine façon des traites sur l'avenir.

Pour en revenir à la Cades, on a caché la dette sociale sous le tapis, on en a fait porter une partie importante par l'Acoss, qui n'est pas faite pour cela, et l'on finit par l'oublier. Il faut pratiquement sortir chaque année 16 milliards d'euros pour rembourser les taux d'intérêt et une partie du principal. La dette sociale continue d'augmenter : on est aujourd'hui à 158 milliards d'euros et, contrairement à un certain nombre de scénarios qui ont été envisagés, on ne la voit pas baisser dans des délais très rapprochés.

C'est cette préoccupation qui nous fait dire que l'on pourrait peut-être s'inspirer de ce qui se fait en Allemagne. Le problème vient du fait que l'on accepte un déficit durable. J'ai pour coutume de dire que la France est probablement l'un des rares pays - voire le seul - à l'accepter, avec tous les problèmes que cela pose.

La seconde orientation intéressante concerne la responsabilisation. La France dispose vraisemblablement de marges de progrès à ce sujet s'agissant de l'ensemble des acteurs, prescripteurs comme assurés sociaux. Cela permet d'obtenir des résultats bien différents, dans une optique gagnant-gagnant. Les professions libérales de santé peuvent prétendre à des rémunérations plus élevées, dès lors qu'il existe une maîtrise plus grande de la dépense ; quant aux assurés sociaux, ils peuvent bénéficier de taux de remboursement plus importants.

On insiste beaucoup depuis quelques années sur les possibilités d'économies. Il faut situer le rapport de la Cour des comptes de cette année dans la suite des précédents. Chaque année, nous essayons d'identifier des secteurs où des économies nous apparaissent possibles. Nous l'avons fait pour les transports sanitaires, avec malheureusement peu de suites, bien que cela représente 3,8 milliards d'euros. Nous avions chiffré à l'époque les possibilités d'économies entre 400 millions d'euros et 500 millions d'euros.

Il en va de même avec les actes de biologie médicale. Certes, un accord a été passé avec la profession mais toutes les marges de manoeuvre n'ont peut-être pas été explorées. Nous nous sommes également exprimés à propos du médicament et du générique. Cette année, nous insistons sur les soins apportés par les infirmiers libéraux et par les masseurs-kinésithérapeutes ainsi que sur le sujet de l'insuffisance rénale chronique terminale, à propos desquels nous faisons un certain nombre de constats.

Je suis conscient que la presse peut en conclure que la Cour des comptes n'aime pas les infirmiers libéraux, ni les masseurs-kinésithérapeutes, alors que ces professionnels sont extrêmement utiles. Nous reconnaissons bien entendu le rôle essentiel qui est le leur et nous le disons mais ce n'est pas parce qu'une profession est sympathique qu'il faut oublier un certain nombre de choses, d'autant - vous le dites vous-mêmes - qu'ils ne sont pas prescripteurs !

Nous invitons à une réflexion plus large à ce sujet. Selon nous, la corrélation entre l'augmentation des dépenses de soins de ville, le vieillissement de la population et les soins dispensés aux malades atteints d'affections chroniques n'est pas nécessairement obligatoire. Il s'agit avant tout d'une question de nombre, face à l'ensemble des disparités territoriales que l'on peut enregistrer sur le territoire.

Il en va de même pour la dialyse. La France a fait le choix du traitement le plus coûteux, qui ne correspond pas obligatoirement à l'intérêt du malade. On est surpris de la différence de coût qui existe entre l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France ! Des marges sont donc possibles pour réduire les dépenses.

Le conventionnement conditionnel dans les zones sur-denses peut-il être pratiqué et accepté ? Nous réitérons notre remarque à partir du constat que nous faisons sur la répartition très inégale des professionnels de santé libéraux sur le territoire.

Malgré une augmentation très importante du nombre d'infirmiers et de masseurs-kinésithérapeutes depuis 2000, l'écart de densité de ces professions entre les départements va de 1 à 7,5 pour les infirmiers, et de 1 à 4 pour les masseurs-kinésithérapeutes. En outre, les inégalités ne se résorbent pas ainsi qu'on le voit dans notre rapport.

Jusqu'à présent, l'assurance maladie a utilisé des moyens incitatifs pour favoriser l'installation des professionnels en zones sous-denses. Ce n'est que récemment, mais de manière quelque peu tardive, que des outils plus contraignants ont été adoptés pour les infirmiers libéraux et les masseurs-kinésithérapeutes. Il existe encore quelques marges de progrès. Nous avons relevé plusieurs possibilités d'action.

En tout état de cause, un accord avec les partenaires professionnels, s'il apparaît difficile, nécessite une action du législateur. Le Conseil d'État a eu l'occasion de remettre en cause un décret concernant les masseurs-kinésithérapeutes. Une intervention du législateur est donc nécessaire pour prévoir ces conventionnements conditionnels. Plusieurs leviers peuvent être utilisés pour la mise en oeuvre de ceux-ci. Ils sont repris dans notre rapport.

Cela nous paraît possible. Ces disparités méritent d'être prises davantage en considération et nécessitent un certain nombre de mesures adaptées.

Enfin, s'agissant de la dette sociale et de la reprise de la dette de l'Acoss par la Cades, les ministres, dans les réponses apportées à notre rapport, ont fait part de leur intention d'affecter dès 2016 à la Cades l'intégralité de la dette accumulée à l'Acoss, sans remettre en cause le plafond de reprise de 62 milliards d'euros fixé par la loi de financement de la sécurité sociale de 2011 pour la reprise des déficits de la branche vieillesse et du FSV pour les années 2011 à 2018. Je ne sais si cela relève du miracle ou de la magie. Je ne crois pas aux miracles en ce qui concerne la résorption de la dette sociale ; pour ce qui est de la magie, on ne fait que repousser les décisions à prendre !

Une telle opération pourrait profiter des opportunités de marché liées à la faiblesse des taux d'intérêt ; elle comprimerait sûrement en 2016 la part de la dette sociale à court terme de l'Acoss mais cela n'aurait selon nous qu'un effet transitoire. En anticipant la reprise des déficits de la branche maladie et de la branche famille par saturation de l'enveloppe de 62 milliards d'euros dès la fin de 2015, on peut estimer que les déficits prévisionnels vieillesse et FSV de 2016 à 2018 s'établiront à 7,5 milliards d'euros. De même, il conviendrait de prévoir la reprise des déficits prévisionnels maladie et famille de 2016 à 2018, soit 13,2 milliards d'euros.

Par ailleurs, la saturation du plafond de reprise de la dette dès 2016 laisserait à l'Acoss environ 7 milliards de déficits antérieurs à 2016. Ainsi, même en tenant compte du léger excédent prévisionnel de la branche AT-MP de 2016 à 2018, il resterait encore de l'ordre de 26 milliards d'euros de dette sociale à l'Acoss d'ici à la fin de 2018. S'y ajouteraient les risques de déficit supplémentaire lié au cadrage macroéconomique et de remontée des taux d'intérêt, qui pourraient atteindre 4 milliards d'euros à 5 milliards d'euros au total.

En définitive, les déficits portés par l'Acoss fin 2018 avec cette opération resteraient d'un ordre de grandeur comparable à celui évoqué par la Cour des comptes dans son rapport.

Nous estimons donc que cette accélération du calendrier d'utilisation de l'enveloppe de 62 milliards d'euros ne résoudra pas en elle-même la question de la dette sociale, qui continuera à s'accumuler à l'Acoss après 2016. Cela ne dispense pas selon nous de mobiliser les ressources supplémentaires à droit constant le moment venu, au-delà de la quinzaine de milliards d'euros par an de CSG, de CRDS, et des 2,1 milliards d'euros de prélèvements annuels sur les capitaux propres du fonds de réserve pour les retraites, dont l'affectation à la Cades est d'ores et déjà décidée jusqu'en 2024.

Selon notre estimation, si l'on reprenait l'intégralité de la dette de l'Acoss, cela représenterait aujourd'hui une augmentation d'environ 0,23 % de la CRDS.

Il ne nous appartient pas de choisir entre les différentes options. Nous constatons seulement que la CRDS présente la base la plus large ; c'est peut-être l'outil le plus juste pour prendre en compte la dette sociale. Bien évidemment, le Conseil constitutionnel étudie cette question de très près et vérifie la solidité de la ressource que l'on ajoute.

Pour répondre à votre question, nous ne sommes donc pas forcément convaincus par la proposition.

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