L'objectif de notre commission d'enquête étant de déterminer le coût économique et financier de la pollution de l'air, nous avons d'abord recensé ses effets, sanitaires et non sanitaires. Certains sont établis depuis longtemps, d'autres commencent à être reconnus. Si le niveau de plusieurs polluants a baissé ces dernières années, l'impact sur la santé des personnes demeure. On ne meurt plus, depuis un demi-siècle, de suffocation lors de smog, mais la pollution de l'air cause de nombreuses maladies chroniques, comme l'ont établi plusieurs études épidémiologiques et biologiques. Si les pics de pollution entraînent un afflux de consultations aux urgences, c'est la pollution de fond, constante, qui provoque les effets les plus durablement néfastes pour la santé.
Les trois affections les plus communes causées par la pollution de l'air sont les maladies respiratoires, comme la bronchopneumopathie obstructive (BPCO), les pathologies cardiaques, dont les infarctus, et les cancers du poumon. L'action des particules fines, qui constituent une part importante de la pollution de l'air, est analogue à celle du tabac. Dans certains cas, la pathologie résulte directement de la pollution de l'air ; dans d'autres, celle-ci aggrave des pathologies existantes ; parfois, la pathologie est liée à d'autres causes. Le calcul de la fraction attribuable des pathologies à la pollution de l'air est un enjeu particulièrement important. Nous avons retenu celles de ces fractions attribuables qui ont été établies par l'Institut de veille sanitaire (InVS). Le rôle de la pollution de l'air dans de nombreuses autres pathologies a été étudié : il y a un lien entre la pollution et certains problèmes de développement du foetus et des pathologies certes multifactorielles mais de plus en plus répandues comme la maladie d'Alzheimer ou l'obésité.
La pollution de l'air a aussi des effets non sanitaires sur la végétation et la biodiversité, sur l'eau mais aussi sur les bâtiments. Les immeubles publics et privés de nos villes sont encore couverts de plomb issu d'années d'utilisation de ce métal dans l'essence. Ainsi, la présence de plomb a fait passer le coût de ravalement des façades du Panthéon de 89 000 à 890 000 euros.
Nous avons tenté d'évaluer les coûts associés à ces effets en nous adressant aux administrations, aux économistes et aux acteurs eux-mêmes. En dehors de l'InVS et de quelques autres, nous avons observé, de la part des administrations et des acteurs, une certaine réticence à répondre à nos questions qui, bien souvent, ont semblé les surprendre. Du côté des administrations relevant de Bercy et des affaires sociales, le coût économique et financier de la pollution de l'air nous a semblé être une question jugée trop précise et pour le moins négligée - voire, parfois, négligeable. Même quand il s'agit d'évaluer le potentiel économique lié à la lutte contre la pollution de l'air ou les économies qu'elle assurerait à notre système de sécurité sociale, chacun commence par juger que l'évaluation est difficile puis, une fois obligés de répondre à nos questions, tous se renvoient la responsabilité de mener l'évaluation. Evidemment, beaucoup nous ont suggéré de nous tourner vers le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie mais, paradoxalement, c'est la ministre Ségolène Royal qui, lors de son audition, a été la moins précise sur le chiffrage pourtant mené par ces services.
La faiblesse de la mobilisation, face à un enjeu primordial pour nos concitoyens, justifie à lui seul nos travaux. Les réponses des services du ministère de l'écologie ont été à la fois précises et embarrassées. Précises, car le niveau de connaissances accumulées sur la nature, l'impact et le coût de la pollution de l'air est désormais considérable. Embarrassées, car les mesures proposées pour lutter contre la pollution de l'air sont les mêmes depuis la loi Laure de 1996 et qu'elles n'ont jamais été mises en oeuvre.
Nous avons analysé l'ensemble des études publiées sur le sujet et, là où cela a été possible, tenté d'obtenir de nouvelles évaluations. Les premières évaluations du coût économique et financier de la pollution de l'air, amorcées dans les années vingt, prenaient en compte de nombreux paramètres, dont le supplément des frais de blanchisserie des ménages vivant dans les zones les plus polluées. Cette approche, centrée sur les coûts tangibles, c'est-à-dire sur les dépenses effectuées, a le mérite de reposer sur des données objectives.
A partir des années cinquante, le calcul des coûts tangibles a été, à juste titre, jugé insuffisant parce qu'il se limite aux dépenses remboursées par l'assurance maladie. Or la maladie et la mort ont un coût économique et social supérieur et, pour l'approcher au plus près, il faut appréhender le consentement à payer, qui mesure combien les individus sont prêts à dépenser pour se prémunir contre un risque. Cela a été particulièrement éclairant en matière de sécurité routière, où le coût d'installation des airbags était largement couvert par ce que les automobilistes étaient prêts à payer pour leur sécurité et celle de leurs passagers. Aux coûts tangibles s'ajoutent ainsi les coûts intangibles correspondant à ce que chacun est disposé à dépenser pour se prémunir contre les effets de la pollution de l'air, c'est-à-dire pour la réduire.
Cette méthode est retenue par toutes les grandes organisations internationales, dont l'OCDE et l'OMS, qui ont mené conjointement la dernière grande étude parue en 2014 sur le sujet. Il y a certes une part de convention dans le calcul des coûts intangibles puisque l'on ne demande pas à chacun ce qu'il serait prêt à dépenser. Ces conventions, cependant, ont été largement discutées et font l'objet de nombreuses publications. En France, la valeur de vie statistique est celle retenue par les rapports de Marcel Boiteux, publiés en 1994 et 2001 pour le Commissariat général au plan, sur le calcul des externalités liées au secteur des transports. La valeur retenue pour le consentement à payer joue un rôle important dans le montant total auquel les différentes études parviennent.
Aucune étude n'a été capable de mesurer l'effet cocktail des polluants, c'est-à-dire l'impact de leur combinaison sur la santé. La plupart des travaux se concentrent sur un nombre très réduit de polluants afin de simplifier les évaluations. Certains étudient le coût de la pollution de l'air atmosphérique seul, d'autres celui de la pollution de l'air intérieur et certaines les deux. Il est impossible d'additionner le coût retenu par les études sur la pollution de l'air intérieur et celui des études sur l'air extérieur car l'on compterait deux fois la même chose.
En tenant compte de l'ensemble de ces données, nous avons retenu le chiffrage conduit par l'étude la plus récente et la moins incomplète sur la pollution de l'air extérieur. Nous aboutissons à un coût annuel pour la France de 68 à 97 milliards d'euros par an. L'Anses a évalué le coût annuel de la pollution de l'air intérieur à 19 milliards d'euros. Le coût tangible de la pollution de l'air extérieur sur les récoltes et les bâtiments s'élève à 4,3 milliards d'euros par an. De nombreux coûts ne peuvent être mesurés par les méthodes actuelles comme celui de l'impact sur la pollution de l'eau ou sur les écosystèmes. Les évaluations conduites sont donc toujours des évaluations a minima.
Notre commission d'enquête a établi, pour la première fois, le coût tangible de la pollution de l'air pour les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale. D'après les calculs des caisses elles-mêmes, ce coût annuel est de 3 milliards d'euros.
Surtout, le bénéfice net que tirerait la France de la lutte contre la pollution de l'air serait de 11 milliards d'euros par an. Il paraît donc aberrant que la France ne respecte pas ses obligations en matière de lutte contre la pollution de l'air, au risque d'être condamnée par la Cour de justice de l'Union européenne. Aussi avons-nous prolongé nos travaux de chiffrage par un travail le plus consensuel possible sur les mesures à prendre pour lutter contre la pollution de l'air.