La biodiversité terrestre et marine des territoires d'outre-mer français constitue un sujet d'étude central pour l'IRD. Ces derniers sont à la fois des terrains d'étude privilégiés de la biodiversité en raison des questions qu'ils suscitent et des centres d'excellence et d'appui de travaux réalisés à des échelles régionales plus grandes et en lien avec les universités et les partenaires locaux. La recherche dans l'outre-mer français permet de répondre à des besoins de protection, de gestion et de valorisation de la biodiversité au niveau des territoires. Simultanément, elle contribue à répondre à des questions scientifiques majeures d'importance régionale, continentale, voire planétaire : dynamiques des forêts tropicales humides, déperdition des coraux, acidification des océans ou origine de l'endémisme insulaire. Par conséquent, elle donne régulièrement lieu à des publications dans les meilleures revues internationales et associant des chercheurs travaillant dans les collectivités françaises d'outre-mer, des chercheurs de métropole ou internationaux.
Cinquante chercheurs étudiant la biodiversité au sein de l'IRD travaillent sur un chantier de recherche principal dans les collectivités d'outre-mer. 70 % d'entre eux étudient à la fois la microbiologie, la biologie et l'écologie, 10 % la pharmacochimie et 14 % les sciences humaines et sociales. Plusieurs équipes s'intéressent également aux relations entre biodiversité et santé. Les activités des chercheurs de l'IRD se partagent entre l'inventaire, la description et l'analyse de l'état de la biodiversité, l'étude de sa dynamique spatio-temporelle, des facteurs à l'origine de la dynamique de la biodiversité et de son devenir. Les chercheurs apportent aussi un soutien à la valorisation et à l'usage durable de la biodiversité en utilisant notamment des outils de télédétection permettant d'étudier les relations entre écosystèmes et sociétés humaines à différentes échelles.
Le contexte et les enjeux du changement global sous-tendent l'ensemble des sujets de recherche : réchauffement climatique, acidification des océans, changement d'usage des terres, fragmentation des écosystèmes, surexploitation des ressources terrestres ou marines, espèces envahissantes, pollutions chimiques et écologiques. L'IRD contribue aussi au dispositif de suivi et d'évaluation de la biodiversité dans les différents territoires grâce à deux réseaux de parcelles permanentes et de stations de recherche, aux herbiers de Cayenne et de Nouméa et de navires océanographiques.
Toutefois, les chercheurs de l'IRD regrettent l'absence de dispositifs globaux de suivi de la biodiversité suffisamment pertinents en termes de couverture spatiale et de représentativité de la diversité des milieux. Un manque crucial de connaissances de base permettant de préserver, gérer et valoriser la biodiversité est également déploré. Par conséquent, un investissement substantiel devrait être réalisé en faveur de l'inventaire de la biodiversité, indispensable à la compréhension des fonctionnements.
La présentation du retour d'expérience de l'IRD sera structurée autour des thèmes identifiés par le Sénat : panorama de la biodiversité ultramarine et des milieux menacés, appréciation des dispositifs de suivi et d'évaluation et prise en compte culturelle de la problématique.
En matière de panorama de la biodiversité, la communauté scientifique de l'IRD fait état de points communs au sein de l'outre-mer : une diversité biologique, terrestre et marine élevée ou très élevée ; l'originalité historique et biogéographique de la mise en place de la biodiversité ; l'endémisme, très important dans les territoires ultramarins ; la présence d'espèces patrimoniales ; l'importance des savoirs traditionnels ; l'importance des écosystèmes coralliens (hors Guyane) ; la valeur patrimoniale de certaines zones marines.
Elle identifie aussi des spécificités. En Guyane, l'originalité botanique de sa moitié nord est soulignée. Sa faune présente aussi des éléments de richesse et d'originalité significatifs (insectes, amphibiens, tortues marines, oiseaux, etc.). Sur l'île de La Réunion, la présence de forêts de montagne et tropicale est mentionnée, tandis que Mayotte compte des forêts tropicales et sèches, des massifs coralliens, des mangroves et des herbiers. En outre, le développement de la végétation littorale, essentielle pour la nidification des oiseaux, les récifs coralliens et les mangroves sont cités dans le cas des îles éparses.
En Nouvelle-Calédonie, la végétation est présente sur les terrains ultramafiques et métallifères. Des forêts sèches, des écosystèmes littoraux, la faune des monts sous-marins et des espèces charismatiques font aussi l'originalité de la Nouvelle-Calédonie. Quant à la Polynésie, elle compte un grand nombre d'atolls relativement préservés, une zone d'exclusivité économique très étendue et un potentiel halieutique notable, particulièrement les ressources thonières des Îles Marquises.
Il convient de rappeler que la biodiversité comprend également les ditservices, à savoir les services de la biodiversité non utiles à l'homme, associés aux vecteurs de maladies humaines et aux espèces envahissantes terrestres et marines.
L'ensemble des milieux terrestres et marins à forte biodiversité sont menacés, d'abord par les activités humaines, puis par le changement climatique et par la multiplication des espèces envahissantes. Cependant, le problème n'est pas encore reconnu en Guyane. Au sein de cette dernière, les savanes, les forêts des flaques aurifères et les forêts sur sable blanc sont des milieux menacés. Sur l'île de La Réunion, l'importance de la continuité entre le milieu littoral et le bassin versant est notable, les flux importants affectant directement le milieu littoral. En Nouvelle-Calédonie, les forêts sclérophylles, les forêts denses humides sur substrat ultramafique et les écosystèmes associés aux milieux littoraux sont menacés, tandis que les atolls le sont en Polynésie.
Les territoires d'outre-mer subissent aussi des pressions spécifiques :
- en Guyane : changement de l'usage des terres et exploitation aurifère « sauvage » ;
- en Nouvelle-Calédonie : incendies volontaires et accidentels et exploitation minière ;
- en Polynésie : surexploitation des ressources marines.
En termes d'appréciation des dispositifs de suivi et d'évaluation, des points communs peuvent également être dégagés. Hormis le cas des formations coralliennes, les connaissances de base nécessaires à l'établissement de dispositifs de suivi et d'évaluation pertinents et la coordination entre les dispositifs existants sont lacunaires, tandis que se posent des problèmes de représentativité spatiale des dispositifs avec une couverture territoriale particulièrement faible pour la Guyane, et de pertinence insuffisante des paramètres mesurés. Actuellement, l'une des grandes tendances internationales consiste à tenter de définir des variables partagées permettant de décrire la biodiversité et de comparer les travaux menés dans différents écosystèmes et territoires. De même, il est difficile de transposer les dispositifs et concepts métropolitains aux cas ultramarins, par exemple, le concept des trames verte et bleue.
Des points communs positifs sont aussi identifiés. Les aires protégées marines et terrestres, les parcs et les dispositifs internationaux de suivi des coraux se multiplient. Le suivi de la pêche hauturière, notamment en Polynésie française, est satisfaisant et les réseaux de suivi des parcelles permanentes des organismes de recherche sont utiles, tant en Guyane qu'à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie. Les chercheurs saluent également la mise en place de la directive-cadre sur l'eau et l'existence d'herbiers particuliers en Guyane et en Nouvelle-Calédonie.
De plus, les dispositifs de suivi et d'évaluation présentent des spécificités administratives. Alors que les questions environnementales sont du ressort principal des trois provinces Sud, Nord et Île Loyauté et du gouvernement en Nouvelle-Calédonie, les suivis sont placés sous la compétence exclusive du gouvernement de Polynésie française. Le système de transposition des structures métropolitaines ne s'applique donc pas.
Des problèmes spécifiques ont été observés. Les suivis de la pêche côtière, des activités lagunaires et environnementales sont à améliorer en Polynésie française. Des besoins généraux ont été exprimés pour une meilleure coordination de l'existant et la création de cohortes de grands observatoires. Un programme d'Observatoire du Pacifique-Sud (GOPS) et un projet d'Observatoire de l'océan Indien, qui associeraient des pays étrangers riverains, sont cependant en cours.
Dans le domaine de la prise en compte culturelle de la problématique, les chercheurs constatent que la biodiversité est devenue un enjeu politique et un outil de communication. Néanmoins, des concepts sont parfois mal compris et les actions menées contradictoires. Dans le champ de la loi, le Protocole de Nagoya est mis en oeuvre, notamment à travers l'APA (accès et partage des avantages), les discussions sur ses conséquences pour la recherche ayant agité la communauté scientifique. Le principe de démocratie environnementale a également été mis en oeuvre et des discussions sur les enjeux de la marchandisation de la biodiversité ont eu lieu. L'importance de l'éducation des scolaires est soulignée, de même que celle de la prise en compte des savoirs locaux qui constituent une source de connaissance et une voie d'amélioration de la protection de la biodiversité. La biodiversité est source de richesses et d'inspiration et un enjeu de valorisation et de développement.
Dans le domaine de la prise en compte culturelle, les territoires d'outre-mer présentent aussi des spécificités. En Guyane, un besoin de réappropriation par les populations urbaines d'une connaissance sur les milieux naturels et les espèces a été exprimé dans un contexte d'urbanisation et d'accroissement démographique fort. Alors que les populations de La Réunion et de Mayotte étaient historiquement tournées vers la terre, la crise des requins pose différentes questions. En Guyane et en Nouvelle-Calédonie, un enjeu de prise en compte du pluralisme culturel se pose. De même, en Nouvelle-Calédonie, la biodiversité est considérée comme entrant en compétition avec les ressources minières. À l'inverse, en Polynésie, les populations sont très proches de la nature et de la mer, culture et nature restant indissociables. Par conséquent, des activités non extractives de type touristique peuvent être imaginées au bénéfice des populations locales.