Intervention de Marisol Touraine

Commission d'enquête coût économique et financier de la pollution de l'air — Réunion du 23 juin 2015 à 16h30
Audition de Mme Marisol Touraine ministre des affaires sociales de la santé et des droits des femmes

Marisol Touraine, ministre :

Monsieur le président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les sénateurs, la pollution de l'air est un enjeu majeur de santé publique. Ses conséquences sanitaires sont aujourd'hui mesurables et mesurées. Elle est à l'origine d'une augmentation préoccupante des affections respiratoires et cardio-vasculaires. Les jeunes enfants, les personnes âgées, les personnes souffrant de pathologies chroniques y sont particulièrement vulnérables. La pollution concerne également l'intérieur des bâtiments. Nous passons près de 80 % de notre temps dans des lieux clos. L'OMS rappelle que plus de la moitié des décès liés à la pollution sont dus à la pollution intérieure. Nous avons donc fait le choix de nous engager sur la prévention en matière d'air intérieur.

Cette audition est l'occasion de vous présenter mes priorités et, évidemment, de répondre à vos questions. La pollution de l'air représente un triple coût pour la société. Un coût sanitaire, social et économique. Les études scientifiques sont unanimes et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) le rappelle régulièrement : la pollution de l'air est le principal risque environnemental pour la santé dans le monde. Plus de 80 % des Européens seraient exposés à des niveaux de particules supérieurs à ceux préconisés sur la qualité de l'air, émis par l'OMS. Pour toutes celles et tous ceux qui y sont quotidiennement exposés, les risques pour la santé sont réels. La pollution est responsable de pathologies respiratoires telles que l'asthme, la bronchite, la pneumopathie, mais aussi d'effets cardiovasculaires tels que les accidents vasculaires cérébraux et les cardiopathies. D'autres effets particulièrement inquiétants ont été plus récemment mis en évidence. Je pense aux effets indésirables sur la grossesse, sur le développement neurologique et la fonction cognitive, ou encore sur certaines pathologies chroniques telles que le diabète.

Le coût social de la pollution est particulièrement préoccupant. Parce que les populations qui en sont victimes sont d'abord celles qui vivent dans la précarité. Les disparités, en termes d'exposition des populations, sont réelles. La pollution de l'air est particulièrement forte près des grands axes routiers et dans des secteurs particulièrement exposés, notamment à des facteurs industriels. Or, nous savons bien que les logements situés dans ces zones sont avant tout des logements moins chers. Les inégalités environnementales viennent ainsi renforcer les inégalités sociales. Enfin, au-delà du coût sanitaire, le coût économique et financier de la pollution est considérable. Ces conséquences indirectes de la pollution de l'air sont sans doute les plus difficiles à estimer. Elles varient selon les critères et les chiffrages retenus, mais plusieurs études très sérieuses ont d'ores et déjà permis de l'identifier en pointant notamment le coût des journées d'activité restreinte qui lui sont liées.

Pour protéger la santé de nos concitoyens face à la pollution de l'air, le Gouvernement porte une action qui s'appuie sur différents leviers. J'ai veillé à ce que la prise en compte des conséquences sanitaires de la pollution de l'air tienne une place renforcée dans la politique gouvernementale. J'ai d'abord renforcé le financement des programmes de terrain. Ces financements se chiffraient à 1 million d'euros en 2012. Je les ai portés à 1.320 000 euros en 2015, dans le contexte de maîtrise des dépenses que nous connaissons. La réglementation de la qualité de l'air relève du code de l'environnement et donc du ministère chargé de l'écologie, mais ce Gouvernement a su développer une très forte coopération interministérielle. Ainsi, le dispositif interministériel de gestion des pics de pollution a été complètement revu en 2014, tirant les enseignements des épisodes de pollution précédents. Ce dispositif autorise désormais les préfets à prendre des mesures permettant de réduire les émissions. J'ai complété ce dispositif par un plan d'actions sanitaires impliquant les agences régionales de santé. Il précise les recommandations sanitaires à l'attention des personnes sensibles et du grand public et instaure une surveillance sanitaire lors du dépassement des seuils d'alerte. Je souhaite ainsi informer les populations sur les risques et détecter le plus tôt possible tout impact sanitaire éventuel d'un épisode de pollution atmosphérique.

En lien avec les ministères chargés de l'écologie, de l'agriculture, du travail et de la recherche, nous avons élaboré, en novembre 2014, le troisième Plan National en Santé Environnement pour la période 2015-2019. Ce plan définit des actions concrètes pour réduire les inégalités environnementales et territoriales de santé. Il contient de nouvelles initiatives en direction des populations exposées à plusieurs facteurs de risque. Dans le cadre de la mise en oeuvre de ce plan, je porterai dans les prochains mois une initiative nouvelle pour un « urbanisme favorable à la santé ». Il s'agit d'encourager les initiatives pour dessiner une ville générant moins de pollutions et encourageant les déplacements respectueux de la santé et de l'environnement.

Avec le projet de loi de modernisation de notre système de santé, nous franchirons une nouvelle étape en matière de santé environnementale. Ce texte a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale en avril dernier et sera examiné par votre assemblée dans les prochaines semaines. Son chapitre IV du titre I vise à mieux informer, à mieux protéger nos concitoyens face aux risques sanitaires liés à l'environnement. L'article 10 vise ainsi à modifier le code de l'environnement s'agissant de l'information faite au grand public. Concrètement, cette information ne se limitera plus aux seuls effets sur la santé de la pollution de l'air mais sera élargie à l'ensemble des risques sanitaires. Les impacts de la pollution, s'agissant notamment du nombre d'hospitalisations et de décès, seront ainsi communiqués en toute transparence.

Le projet de loi permet par ailleurs de renforcer la lutte contre le radon qui figure parmi les polluants de l'air intérieur les plus nocifs pour la santé. Ce gaz radioactif d'origine naturelle, reconnu « cancérogène certain » (il est le second facteur de risque de cancer du poumon derrière le tabac) sera désormais intégré aux dispositifs existant dans le code de l'environnement avec un niveau de référence défini. Enfin, le texte modernise la définition de notre politique de santé. Elle comprendra une identification des risques s'appuyant sur le concept d'exposome. C'est bien l'ensemble des expositions -y compris, donc, par inhalation- qui sera désormais pris en compte. C'est une avancée majeure qui était particulièrement attendue par les associations. Troisième levier d'action : l'international. Parce que nous savons bien que la pollution ne s'arrête pas aux frontières et que notre engagement doit s'inscrire dans une dynamique européenne et internationale.

La quatrième réunion de Haut Niveau du Programme Paneuropéen sur les transports, la santé et l'environnement s'est tenue à Paris en 2014. À cette occasion, les 56 États-membres ont adopté une « Déclaration de Paris » qui fixe les objectifs à atteindre d'ici à 2020 pour des transports terrestres plus respectueux de la santé et de l'environnement. J'ai également porté ce combat dans le cadre des travaux de l'OMS. La dernière Assemblée mondiale de la Santé a adopté le 26 mai 2015 une résolution sur la pollution de l'air et la santé. C'est un message fort qui a été adressé. Par cette résolution que j'ai fortement soutenue et que la France a coparrainée, les États membres s'engagent à améliorer la surveillance de toutes les maladies liées à la pollution de l'air, à promouvoir des technologies et des combustibles propres et enfin, à intégrer les problèmes de santé dans toutes les politiques nationales, régionales et locales relatives à la pollution de l'air.

Agir pour protéger la santé face à la pollution de l'air est un engagement de long terme. Le Gouvernement a la volonté d'amplifier son action et d'ouvrir de nouveaux chantiers. Il nous faudra d'abord renforcer notre expertise sanitaire. Ce sera la mission de la nouvelle Agence nationale de santé publique dont la création est prévue par le projet de loi de modernisation de notre système de santé. Cet établissement d'excellence au service de la santé des Français verra le jour en 2016. Les travaux menés dans le cadre du programme de surveillance « air-climat » coordonné par l'InVS seront poursuivis et amplifiés. Il s'agit de parvenir à quantifier les impacts de la pollution de l'air sur la santé et de mieux évaluer les impacts sanitaires des mesures prises pour améliorer la qualité de l'air.

L'observatoire de la qualité de l'air intérieur et l'Anses poursuivront leurs travaux sur la connaissance des expositions de la population et les risques associés aux polluants de l'air intérieur, dans la continuité des études conduites depuis plus de dix ans. Ces travaux contribuent à construire une réglementation notamment en matière d'étiquetage des produits de construction et d'ameublement. Je souhaite par ailleurs que nous modernisions l'information sur la pollution de l'air. L'information en direction du grand public, d'abord. Les épisodes que nous avons connus aux printemps 2014 et 2015 ont mis en évidence la nécessité de renforcer les mesures d'information concernant les risques liés à la pollution atmosphérique. L'information à destination des professionnels de santé, ensuite. Ils sont directement sollicités par leurs patients dès lors que sévissent des épisodes de pollution. J'ai donc souhaité qu'un travail soit engagé avec les professionnels pour élaborer de nouveaux outils adaptés. Les premiers éléments de communication seront disponibles à la fin de l'année.

La recherche française en matière de santé environnementale doit être renforcée. Le programme national de recherche Environnement-Santé-Travail, conduit par l'Anses, devra être l'occasion de mieux analyser les risques environnementaux pour la santé humaine. Enfin, je souhaite que nous nous donnions la capacité collective de donner à la santé une place plus importante dans les décisions internationales en matière de climat. Vous le savez, l'année 2015 sera marquée par un événement majeur pour l'environnement : La 21ème Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (COP21), qui se tiendra à Paris en décembre prochain. La santé devra tenir une place majeure dans cette mobilisation collective en faveur du climat. Je travaille donc actuellement à la préparation de ce rendez-vous. J'ai organisé à Paris, avec l'Organisation Mondiale de la Santé, les 18 et 19 juin derniers, un colloque international « Climat, santé, inégalités : quelles solutions ? » dont l'objectif était d'établir des décisions et recommandations en termes de santé et d'environnement pour qu'elles soient portées au coeur de la COP21.

Mesdames et Messieurs les sénateurs, la recherche a considérablement fait progresser notre connaissance des impacts sanitaires de la pollution de l'air. L'engagement du Gouvernement pour mieux prévenir et mieux accompagner est total. Il mobilise l'ensemble des départements ministériels et le ministère de la Santé y prend pleinement sa part. Je vous remercie.

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