Intervention de Victor Haïm

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 18 février 2015 à 10h00
Audition de M. Victor Haïm président de l'autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires acnusa

Victor Haïm, président de l'Acnusa :

Je n'ai guère à ajouter à votre présentation très complète de l'Acnusa qui a en effet vu sa compétence en matière de lutte contre les nuisances sonores dont l'avait dotée le législateur en 1999, s'étendre, avec le Grenelle II de 2010, à l'ensemble des nuisances aéroportuaires. Cependant, si nous nous sommes dotés d'un pôle bruit et d'un pôle air, placés chacun sous la responsabilité d'un technicien, nous n'avons pas créé de postes spécialisés pour les autres pollutions - de l'eau, des sols -, dont il est apparu qu'elles faisaient déjà l'objet d'une surveillance bien cadrée.

Nous sommes une structure de petite taille - 11 agents, y compris le secrétaire général. Notre budget de fonctionnement s'élève à 1,1 million d'euros, auxquels s'ajoutent 460 000 euros couvrant les frais d'études et de rapports, et les déplacements.

Nos prérogatives sont de trois ordres. Tout d'abord, dès lors que des mesures touchant à l'utilisation de l'espace, aux trajectoires des avions, aux fermetures d'aéroports sont envisagées, notre avis doit être sollicité - il n'est cependant pas contraignant. Nous rendons ainsi chaque année une douzaine d'avis touchant aux trajectoires.

Nous sommes dotés, en deuxième lieu, d'un pouvoir de sanction. Avant mon arrivée, l'amende maximum encourue par les compagnies pour manquement aux règles de protection de l'environnement était de 20 000 euros. J'avais demandé que ce plafond, que je jugeais insuffisant, soit porté à 80 000 euros. Le législateur, dans sa sagesse, l'a relevé à 40 000 euros. En cas de manquement sur les trajectoires, le plafond reste de 20 000 euros: il peut arriver que la trajectoire d'un avion soit déviée pour des raisons de force majeure. En revanche, les décollages sans créneau, c'est-à-dire sans autorisation, ou ne respectant pas les normes de pollution sonore - qui, sur un certain nombre d'aéroports, interdisent le décollage, au-dessus d'un certain niveau de bruit, après 10 ou 11 heures du soir - peuvent être sanctionnés par une amende allant jusqu'à 40 000 euros. Un pilote qui décolle sans créneau sait qu'il commet un manquement. Infliger à sa compagnie une amende de 40 000 euros est loin d'être excessif ; pour les compagnies du Golfe, ce n'est pas dissuasif. Chaque année, nous demandons à la direction générale de l'aviation civile (DGAC) de prendre des mesures pour permettre à ses contrôleurs d'interdire le décollage d'avions sans créneau. Depuis la création de l'Acnusa, les amendes ont rapporté 40 millions, soit quelque 3 millions par an, qui viennent abonder le budget de l'État. Les choses se sont accélérées avec le nouveau plafond, puisque nous avons prononcé, en janvier, près d'un demi-million de pénalités.

Nous formulons, enfin, des recommandations, qui visent à rapprocher les parties en cas de désaccord. Sur la question des sources de bruit, très technique, nous n'intervenons guère, sachant que les constructeurs s'efforcent eux-mêmes de limiter, en travaillant sur le carénage et les moteurs, tant la pollution de l'air que les volumes sonores. Nous formulons davantage de recommandations, en revanche, sur les procédures - interdiction de décoller à l'intérieur de tel créneau nocturne, de tourner à telle altitude pour éviter telle agglomération, par exemple. Nos marges de manoeuvre sont réelles mais limitées pour les procédures en l'air par les règles de sécurité. On ne saurait demander à un avion de tourner brutalement pour éviter un village, tout simplement parce qu'il lui faut du temps pour tourner. Il existe cependant des solutions. Pour résoudre le problème d'un village proche de l'aéroport de Toulouse, dont les résidents se plaignaient de voir les avions tourner juste au-dessus de leurs maisons, nous avons par exemple demandé à la DGAC d'étudier la possibilité d'une trajectoire en forme de baïonnette.

L'occupation du territoire constitue le troisième sujet donnant lieu à recommandations. Le besoin de logements se fait tout particulièrement sentir autour des grandes agglomérations. Les demandes sont nombreuses autour des plateformes aéroportuaires, qui jouent un rôle analogue à celui que jouaient les gares au XIXème siècle. C'est là que se concentrent les emplois. Un million de passagers, cela représente mille emplois directs et deux mille emplois indirects. Et les gens ne souhaitent pas faire cinquante kilomètres pour aller travailler, ils veulent préserver leur vie familiale, ce qui peut se comprendre. Il faut aussi savoir entendre les plaintes des élus dans les communes soumises à un plan d'exposition au bruit, qui interdit ou pose des restrictions à la construction sur certaines zones. La population des communes situées sur ces zones ne pouvant évoluer, l'impact est direct sur les impôts locaux, donc sur la capacité des communes à financer les services publics, au détriment de la qualité de vie des habitants que le plan d'exposition au bruit entend préserver. C'est un cercle vicieux. Or, il faut savoir que l'impact sonore des avions ne dépasse guère la bande qu'ils survolent. Dans un bâtiment construit parallèlement à un axe d'envol, à distance de 100 à 1 500 mètres, l'impact sonore est de 60 décibels du côté de cet axe, mais de 40 décibels seulement de l'autre côté - ce qui veut dire que l'on peut y vivre avec la fenêtre ouverte. S'il est nécessaire de neutraliser la construction autour de certaines bandes, tel n'est pas le cas pour toutes : il y a donc des marges de progrès possibles, si l'on prend les précautions requises. Dans notre dernier rapport, nous faisons des propositions. Je rencontrerai bientôt les maires des communes proches de Roissy, puis ceux des communes proches d'Orly et de l'aéroport de Marseille, pour voir si l'on peut améliorer la situation, notamment en jouant sur la distribution d'une taxe locale. J'observe qu'avec les contrats de développement territorial, les territoires autour de Roissy inscrits en zone C des plans d'exposition au bruit ont été ouverts à l'urbanisation. Je n'ai rien contre dès lors que les précautions sont prises et que les bâtiments sont construits en conséquence.

Nous avons également travaillé sur la question de l'information. Le fait est qu'aucun texte n'oblige à délivrer une information à ceux qui s'installent. L'article 147-5 du code de l'urbanisme pose bien une obligation d'information des locataires, mais rien n'est prévu pour l'acheteur qui voudrait acquérir un pavillon en zone C. Un éléphant, ça trompe énormément : chacun se souvient du film, où l'on voit que le bruit peut changer du tout au tout selon l'orientation du vent. Sans parler du plus ou moins d'activité selon les créneaux horaires. Quelqu'un qui, attiré par la modération du prix, visiterait un logement dans un creux d'activité peut ne se rendre compte de rien. Il est aberrant qu'une information précise ne soit pas délivrée. Il ne suffit pas d'indiquer que l'on est dans le périmètre d'un plan d'exposition au bruit. La situation n'est pas du tout la même que pour les zones inondables, où le péril reste hypothétique - presque toute l'Ile-de-France est en zone inondable, et cela n'arrête personne. Le bruit, c'est tout autre chose, il faut le supporter constamment. Les gens doivent acheter en connaissance de cause.

Aucun texte ne prévoit non plus d'obligation de rachat des immeubles d'habitation classés en zone A, soit les zones très exposées où il est interdit de construire. Il ne doit y avoir rachat que si l'isolation revient plus cher que le coût de remise en état de l'immeuble. Moyennant quoi, on est obligé de racheter que des ruines. À Roissy, un seul immeuble a été racheté pour des raisons qui tenaient véritablement au bruit.

Or, on sait qu'une exposition au bruit à hauteur de 65 décibels en moyenne journalière peut avoir un impact sur la santé ; il peut être à l'origine de maladies cardio-vasculaires. Cela a été vérifié par plusieurs études, dont l'une menée à Copenhague, pour les voitures. En zone A, on est à plus de 70 décibels. Et pourtant, des gens y habitent, et doivent supporter, de surcroît, les vols de nuit. Il faut mettre fin à cette situation, qui concerne deux aéroports, Toulouse, pour 15 logements, et Orly, pour 235 logements. Il ne s'agit pas d'obliger les gens à partir, mais de dédommager équitablement ceux qui le souhaitent, afin qu'ils puissent s'installer ailleurs. L'aéroport concerné, ou la commune si elle souhaite user de son droit de préemption, devrait se charger du rachat. Il y a là un vrai problème de santé publique et nous avons fait des propositions pour y remédier.

Nous avons, au sein de l'Acnusa, créé des groupes de travail. Celui qui avait été créé sur les vols de nuit, et qui avait cessé ses travaux en 2012, faute d'accord sur les mesures à prendre, a été relancé par le préfet de région pour Roissy, et il rendra ses conclusions à la fin de ce semestre. J'espère des résultats. Un autre groupe a été mis en place, sur la qualité de l'air. Il travaille sur les sources d'émission et recherche les mesures qui pourraient être prises par les aéroports pour réduire l'impact de leur activité.

Un troisième groupe, enfin, qui rendra ses conclusions fin 2017-début 2018, travaille à une étude longitudinale sur cinq ans des populations implantées autour des aéroports de Roissy, Lyon et Toulouse, et suit l'évolution de l'état de santé d'une cohorte de 2 000 personnes. Grâce à la diligence des parlementaires, nous avons obtenu un financement du gouvernement. Il pourrait nous manquer 300 000 euros en fin de programme, que nous espérons obtenir, car l'État a tout à gagner à prendre en compte un problème qui coûte cher à la société.

Dans notre rapport de l'an dernier, nous dénoncions le plafonnement de la taxe sur les nuisances sonores aéroportuaires (TNSA), dans lequel nous voyions un détournement, voire une mesure inconstitutionnelle. Plafonner les sommes reçues pour insonoriser les logements des riverains qui subissent le bruit revient, de fait, à un détournement. La mesure est, à notre sens, inconstitutionnelle, car il existe des règles fiscales : si les compagnies payent la TNSA, c'est pour financer l'insonorisation, pas pour abonder le budget de l'État. Cela est choquant humainement, sachant que la moitié seulement des immeubles qui devraient l'être sont pour l'heure insonorisés. Nous plaidons également pour le retour à une prise en charge à 100%, encadrée par une limitation à cinq ans du délai de dépôt de la demande. C'est là répondre au principe du pollueur-payeur pour un impact bien moindre sur les compagnies aériennes que celui de l'évolution du prix du kérosène, qui n'empêche pas, au reste, l'accroissement de la demande. A 30 centimes d'euros par passager, et 1,20 euro pour les vols de nuit, la TNSA ne pèse guère. J'ajoute que ce ne serait pas un puits sans fond, puisque le dispositif ne concerne que ceux qui étaient installés avant l'apparition de la nuisance, et non pas ceux qui s'installent après.

Oui, il existe, en Europe, des autorités analogues à l'Acnusa ; c'est notamment le cas en Belgique. Nous entretenons également des contacts réguliers avec les autorités communautaires et les représentants français au Parlement européen : les instances communautaires envisagent de créer une telle Autorité de contrôle à l'échelle européenne. Il y faudra une coordination, au vu des difficultés que l'on observe en Belgique, où les avions qui respectent la procédure relative aux trajectoires mise en place au niveau fédéral se voient sanctionnés par les tribunaux de Wallonie, en désaccord sur les trajectoires. L'organisme qui travaille, en Grande-Bretagne, sur les aéroports londoniens a demandé la création d'une autorité indépendante sur le même modèle que le nôtre. Sur le continent américain, le Canada dispose d'une telle Autorité et aux États-Unis, la Federation Aviation Administration (FAA) joue un peu ce rôle pour tout ce qui concerne l'urbanisation.

Vous m'interrogez, enfin, sur l'évolution du trafic. La mission de l'Acnusa n'est ni de l'empêcher ni de l'encourager, mais de rechercher les moyens d'en minimiser l'impact négatif sur les populations.

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