Intervention de Jean-Louis Bianco

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 16 février 2015 à 16h00
Audition de M. Jean-Louis Bianco président de l'observatoire de la laïcité

Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité :

Merci de m'avoir invité à vous exposer l'analyse de l'Observatoire de la laïcité sur la situation dans les établissements scolaires. À sa demande, la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) a mené auprès des trente académies une enquête sur la diffusion, la réception et l'appropriation par les établissements scolaires de la Charte de la laïcité à l'école, voulue par Vincent Peillon. Afin de limiter l'autocensure, nous avons posé des questions précises : d'une part sur l'application et le respect de la loi du 15 mars 2004 interdisant le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, d'autre part sur d'éventuelles contestations du principe de laïcité. Cette étude figure dans le rapport 2013-2014 de l'Observatoire, disponible en ligne.

Premier enseignement, la Charte de la laïcité a été largement diffusée et est désormais visible dans tous les établissements, mais son affichage n'a pas toujours revêtu le caractère solennel souhaité. Il a même initialement suscité quelques réticences, par crainte des réactions des élèves : étaient parfois argués l'absence d'emplacement propice à l'affichage, voire son inutilité au regard du respect unanime entourant le principe de laïcité... Lorsqu'il a eu lieu, l'affichage solennel de la Charte a constitué un temps fort de la vie des établissements. L'Éducation nationale doit encore travailler sur la formation des enseignants. Trop rares, ces situations devraient être généralisées. La journée nationale de la laïcité, annoncée par le ministère de l'Éducation nationale sur proposition de l'Observatoire, sera l'occasion, chaque 9 décembre, de faire preuve de pédagogie.

L'étude de la DGESCO confirme que la loi du 15 mars 2004 est appliquée sereinement ; les procédures disciplinaires engagées sur son fondement sont très rares. Cela n'est pas pour autant synonyme d'absence de contestation. Les établissements font bon usage de la période de dialogue prévue par la loi avant le lancement d'une procédure disciplinaire, et confirment que cette loi est désormais bien acceptée et bien comprise par les élèves et leurs familles. C'est ainsi que la France, régulièrement interrogée par les instances internationales de contrôle du respect des droits de l'homme, répond aux critiques qui voient dans cette loi un texte discriminatoire mettant en péril la scolarisation des jeunes filles.

Le non-respect de la loi de 2004 n'a donné lieu qu'à un très petit nombre d'incidents ; certaines académies ont même jugé sans objet les questions posées. D'autres font état de contestations marginales ; l'exclusion définitive des élèves est le plus souvent évitée. Les contestations sont extrêmement localisées, quoique parfois récurrentes, et réglées quasi systématiquement par le dialogue. Plusieurs académies rappellent la nécessité d'exercer une vigilance constante ; dans l'une d'elle, la situation est fragile dans dix établissements - sur 335 - et se cristallise sur le port du voile. Dans deux établissements, un lycée professionnel et un collège d'une autre académie, deux élèves ont refusé à plusieurs reprises d'enlever leur voile dans l'enceinte de l'établissement. Ces comportements ont fait l'objet de commissions éducatives, les chefs d'établissement jugeant la pédagogie plus efficace que les sanctions.

Les académies appliquent donc la loi de 2004 avec fermeté, ce qui n'est pas incompatible avec le discernement. Plusieurs académies ont répondu que, plus brutalement appliqué, ce texte susciterait certainement plus de contestations. Souvent, des modalités d'application posent problème, sans être exactement contre la loi ; c'est le cas des élèves qui enlèvent leur voile dans une pièce spécifique à l'intérieur de l'établissement.

Les revendications contraires à la loi de 2004 sont de plusieurs ordres : port du voile hors de l'espace scolaire mais pendant le temps scolaire, lors de sorties par exemple ; port du voile hors du temps scolaire mais au sein de l'établissement ; jeunes filles voilées venant chercher leur petite soeur ; port de jupes longues ou d'abayas, de bandeaux cachant une partie des cheveux, voire de gants ; pour les garçons, plus rarement, port de la djellaba le vendredi et de la barbe. Les académies signalent qu'il n'est pas aisé de distinguer revendication identitaire, revendication religieuse ou expression d'un mal-être adolescent. Presque toutes lient ce phénomène à une absence de mixité sociale, à une montée des tensions et y voient un péril sur la scolarisation de certaines jeunes filles. Dans certaines académies s'ajoutent des problèmes avec le personnel, qui méconnait parfois son obligation de neutralité et d'impartialité.

Les académies privilégient la recherche d'une solution par le dialogue, mais celui-ci est parfois difficile, notamment quand la contestation, parfois vigoureuse, est renforcée par l'intervention de la famille ou d'associations. Le plus souvent, les parents sont dépassés et confient à l'institution scolaire le soin de rappeler la loi à leurs enfants - quand ils n'exercent pas une pression revendicatrice. L'Observatoire de la laïcité est lui-même interpellé, éventuellement de façon anonyme, par des chefs établissement, des parents d'élèves ou des associations. Nous rappelons le droit applicable et la nécessité du dialogue avant toute sanction disciplinaire : les solutions existent, dès lors que les élèves ou leur famille ne sont pas animés d'une volonté militante ou agressive. C'est pour traiter ces cas que les députés s'étaient ralliés à la nécessité d'une loi.

S'agissant du champ d'application de la loi de 2004, nous rappelons que sont concernés les signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse. En cas de doute, il ne faut pas faire de police vestimentaire, mais plutôt s'attacher au comportement et sanctionner fermement ceux qui témoignent d'un certain prosélytisme. D'ailleurs, les véritables prosélytes - rares, eux aussi - préfèrent rester discrets et ne portent généralement pas de signes distinctifs.

Pour répondre efficacement aux contestations, l'Observatoire de la laïcité a demandé la multiplication des formations à la laïcité, ce que le ministère a récemment annoncé. Le 9 décembre dernier, Mme Vallaud-Belkacem et moi-même avons également annoncé la mise en place dans chaque académie de référents laïcité ; ils sont déjà à l'oeuvre.

Les autres formes de contestation de la laïcité sont marginales, quoique parfois virulentes. Elles se règlent le plus souvent par le dialogue. Le climat scolaire est globalement apaisé, les tensions sont maîtrisées, mais plusieurs académies disent exercer une vigilance particulière pour éviter la diffusion de problèmes jusque-là circonscrits. Cette vigilance s'est accrue en janvier dernier après la contestation de la minute de silence dans environ 200 établissements, chiffre sans doute sous-estimé. Ces faits sont graves et ne peuvent rester sans réponse, mais il faut en garder la juste mesure : 200 établissements sur 65 000.

Le refus de respecter la minute de silence concerne surtout les 12-15 ans, en particulier les classes de 4ème, à un moment important de la construction individuelle de chaque élève. Il faudra prêter une attention particulière à cette classe d'âge. L'éducation aux médias et à l'information, voulue par la ministre, devra lutter contre les nombreuses théories du complot qui prolifèrent sur le Net. L'Observatoire est également très attaché à l'enseignement moral et civique. Effectif à la rentrée prochaine, il favorisera l'appropriation éclairée des principes qui fondent la République et la démocratie. Ce nouvel enseignement a pour objectif la transmission d'un socle de valeurs communes : la dignité, la liberté, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité, la laïcité, bref une culture du respect mutuel, ce qui suppose l'observation de règles et d'une discipline communes.

Le ministère a, en outre, annoncé reprendre la proposition de l'Observatoire de renforcer l'enseignement laïc du fait religieux, de façon transdisciplinaire - en français, mais aussi en histoire, philosophie, enseignement moral et civique, musique, dessin - afin de donner aux élèves une distance critique à l'égard des croyances, de favoriser la compréhension mutuelle, de faire tomber les préjugés, d'historiciser le fait religieux et son influence sur la société. La formation des enseignants devrait évoluer en conséquence, en lien avec l'Institut européen en sciences des religions, fondé à la suite du rapport Debray de 2002.

Dans son avis du 14 janvier dernier, l'Observatoire a également jugé nécessaire de prendre en compte toutes les cultures, créoles, océaniennes, orientales, maghrébines ou subsahariennes, qui ont contribué elles aussi à façonner l'histoire de France et qui restent trop peu évoquées dans nos programmes scolaires. Toutes ces cultures, anciennement liées à la République ou qui le sont toujours dans les collectivités d'Outre-mer, doivent être enseignées, de sorte qu'aucun élève ne place une autre appartenance avant sa citoyenneté française.

Dans une période de tensions dans certains établissements des quartiers populaires, soutenons les enseignants et les personnels éducatifs dans l'application des principes républicains. Réfléchissons à une école des parents, qui les implique davantage dans la vie scolaire. Rappelons la responsabilité de la puissance publique pour agir sur la racine de ces difficultés, en garantissant une véritable mixité scolaire, en évitant les détournements de la carte scolaire, en revalorisant la rémunération des personnels dans les établissements les plus difficiles. Le Gouvernement et la représentation nationale ont pris conscience de cette urgence, et les annonces du Premier ministre et de la ministre de l'Éducation nationale vont dans le bon sens. Veillons à leur application rapide et effective.

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