Intervention de Alain Finkielkraut

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 19 février 2015 à 9h00
Audition de M. Alain Finkielkraut philosophe et essayiste membre de l'académie française

Alain Finkielkraut, de l'Académie française :

J'ai été confronté, lors d'une émission de télévision, à l'actuelle ministre de l'éducation nationale, Mme Najat Vallaud-Belkacem, et j'ai déclaré que la rigueur comptait à mes yeux davantage que les valeurs. Une professeure d'histoire, qui a participé à la rédaction du livre paru en 2002 et intitulé Les territoires perdus de la République, est allée dans mon sens en déclarant notamment que l'apprentissage de la langue importait avant tout. La rigueur, c'est d'abord d'apprendre la langue française. D'ailleurs, n'importe quel micro-trottoir suffit à convaincre que la syntaxe est oubliée à tout âge. Les règles syntaxiques ne font plus loi et c'est à cela qu'il importe de revenir afin que notre langue retrouve sa forme dès l'école primaire.

Par ailleurs, les professeurs doivent retrouver l'autorité qui leur manque aujourd'hui, par exemple le droit de faire redoubler les élèves. Toute une série d'études paraît pour indiquer que le redoublement s'avère catastrophique, fournissant bien souvent l'argumentaire des parents pour faire appel de la décision de redoublement de leurs enfants. Les professeurs sont alors complètement démunis et l'existence de niveaux différents dans les classes implique l'alignement sur celui le plus faible, puisqu'on ne souhaite pas laisser les élèves en difficulté au bord du chemin. Toujours ce syndrome égalitaire à l'aune duquel on regarde la réalité à travers les yeux du plus faible ! On dénonce la stratégie des parents qui préfèrent changer leurs enfants d'établissement afin de les scolariser dans des écoles plus exigeantes en termes de niveau. Si les choses continuent au même rythme et si on ne revient pas sur ce processus, de plus en plus de parents nostalgiques de la République mettront leurs enfants dans les écoles privées. C'est tout de même un paradoxe insoutenable ! Comme si la République, au nom des meilleures intentions, avait doucement quitté l'école républicaine. Il faut ainsi faire revenir la République, c'est-à-dire l'élitisme républicain, dans l'école républicaine. Il faut également réinstaurer la notation qu'on a brocardée comme subjective, puisqu'émanant des professeurs, et surtout comparative, c'est-à-dire insufflant une émulation, facteur de compétition, et établissant ce critère de distinction qu'il s'agit d'évincer à tout prix ! Une telle compétition, qui est pourtant au coeur de l'élitisme républicain, est assimilée à une forme de libéralisme qu'il s'agit de combattre.

On ne fera pas revenir la République à l'école en faisant un sermon sur les valeurs, mais en plaçant au coeur de l'enseignement l'histoire, le français et la géographie, et au fondement de tout, un apprentissage exigeant de la langue.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion